Frontières
Le Traité de Lausanne, 1923-2023
Fierz, Gaby, Golay, Laurent, Le Dinh, Diana,
ISBN:978-2-88901-244-2, 2023, 128 pages, 19€
Accessible et riche en illustrations, ce livre a accompagné l’ exposition du Musée historique de Lausanne (MHL) qui s’est tenue du 28 avril au 8 octobre 2023. La qualité de l’objet (graphisme, reliure, impression couleur) en fait un ouvrage séduisant.
Description
On connaît le Traité de Versailles (1919), beaucoup moins le Traité de Lausanne (1923). Pourtant le premier n’est plus en vigueur, tandis que le second, acte de naissance de la Turquie moderne, exerce toujours ses effets un siècle plus tard.
Accueillie à Lausanne pendant de longs mois, entre novembre 1922 et juillet 1923, placée sous l’égide des puissances sorties victorieuses de la Première Guerre mondiale, la conférence dont il est issu a été le théâtre d’âpres négociations. À côté des questions économiques, financières et juridiques, les questions de territoires et de populations ont été au cœur des débats. En dépit des revendications de minorités comme les Kurdes et les Arméniens à la reconnaissance et à l’indépendance, l’uniformisation ethnico-religieuse a prévalu sur le principe de « mosaïque des peuples » et les frontières établies alors ont conduit à exclure autant qu’à inclure. Le traité revêt de fait une signification bien différente selon les protagonistes et véhicule une mémoire fortement contrastée.
Publié pour accompagner l’exposition qui lui est consacrée par le Musée Historique Lausanne, ce livre met en valeur la riche iconographie réunie à cette occasion. Les photographies, prises par les nombreux reporters présents sur les lieux, y côtoient dessins, caricatures, objets et bien d’autres documents. Loin de figer l’événement dans le passé, l’ouvrage cherche à en montrer la complexité et, à travers des analyses et des citations, en éclairer les enjeux politiques et mémoriels actuels.
Ouvrage sous la direction de Gaby Fierz, Laurent Golay, Diana Le Dinh.
Table des matières
Table des matières:
Dépasser les frontières
Grégoire Junod, Syndic de Lausanne
Avant-propos
Gaby Fierz, Diana Le Dinh et Laurent Golay, Commissaires de l’exposition
Au nom de la démocratie et de la paix
Lukas Hupfer, Directeur du Forum politique Berne
Citations
Analyses
Cartes
Chronologie
Une commémoration ambivalente
Interview de Zeynep Oguz
Témoignages
Presse
Compte-rendu dans la revue Urbanisme
Issu de l’exposition du centenaire au Musée historique de Lausanne (du 27 avril au 8 octobre 2023), ce beau catalogue montre les photographies, cartes et documents rassemblés au sujet de la Conférence pour la paix en Orient, qui s’est tenue au bord du lac Léman, en terrain neutre, pendant plusieurs mois, jusqu’à la signature du traité de Lausanne, le 24 juillet 1923. Cet accord international, près de cinq ans après la fin des hostilités de la Grande Guerre et quatre ans après la conférence de Paris (traités de Versailles entre les Alliés et l’Allemagne, de Saint-Germain-en-Laye avec l’Autriche, de Neuilly avec la Bulgarie, du Trianon avec la Hongrie et de Sèvres avec l’Empire ottoman), met un point final au règlement du premier conflit mondial en reconsidérant le sort de la Turquie postimpériale après la prise de pouvoir de Mustafa Kemal, dit Atatürk.
Au-delà de ses implications géopolitiques, cet ouvrage a le très grand mérite de témoigner de l’importance pour une ville comme Lausanne – alors peuplée de 70 000 habitants – d’accueillir pendant de longues semaines un très grand nombre de diplomates, de journalistes et d’observateurs (dont le futur Prix Nobel, Ernest Hemingway), perpétuant la tradition d’une Suisse des « bons offices » mettant à disposition un lieu de négociation internationale (sachant que la jeune Société des nations avait alors son siège à Genève). Les belles photographies montrent les différentes délégations, notamment celle menée par Lord Curzon pour le Royaume-Uni, posant devant les palais et hôtels de la cité helvétique (château d’Ouchy, casino de Montbenon, Hôtel de la Paix, palais de Rumine, où sera signé le traité final). Réunis autour de la table des négociations, les alliés occidentaux, sortis vainqueurs de la Première Guerre mondiale, en vinrent à redessiner les frontières d’un nouvel état turc aux confins du continent (le « Proche-Orient »). Mais ce que montrent également ce catalogue et cette exposition, c’est la manière dont ces frontières ont été tracées, souvent au mépris des populations et, en particulier, en « oubliant » le peuple kurde. En définitive, un siècle après, le constat reste très actuel : lignes de démarcation politiques, les frontières cloisonnent, séparent, excluent et cantonnent, façonnant à la fois les identités nationales et les zones de conflictualité.
Damien Augias
Avis de lecture
Voici le catalogue de l’exposition éponyme qui se déroule au Musée historique de Lausanne de fin avril à début octobre 2023. Les cinq cartes de géographie historique auraient gagné à être au début de l’ouvrage ; par ailleurs tant sur la première que la deuxième carte, il est indiqué que l’empire ottoman atteignait les rives de la Mer Caspienne, or les actuelles républiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie relevaient de l’Empire perse jusqu’en 1813 ou 1829 (selon les régions).
L’avant-propos revient sur le Traité de Sèvres d’août 1920, ce dernier, signé au nom du sultan, ne jamais ratifié par la Turquie kémaliste ; le pays n’est plus qu’un petit territoire composé en grande partie des steppes salées de l’Anatolie centrale. Des espaces sont attribués directement (ou sous forme de zone d’influence) aux Anglais, Français, Italiens et Grecs. Il est prévu la création d’une Arménie aux contours assez généreux et d’un petit Kurdistan et il y a même une zone internationale autour des détroits.
Après s’être mis d’accord avec les soviets, la Turquie reprend des territoires russes depuis plusieurs décennies, ces espaces sont majoritairement peuplés par des Arméniens. Les puissances occidentales craignent une menace de révolutions dans leurs pays, elles sont contentes de se servir de la Turquie comme bouclier face au possible déferlement d’armées commandées par des Russes communistes. Une série de déconvenues se produit des côtés grec, italien et français, faute de moyens militaires sur place et face à une armée turque requinquée par l’idée de laver l’humiliation imposée par le Traité de Sèvres.
Outre de donner des frontières confortables à la Turquie, le Traité de Lausanne d’avril 1923 amnistie tous les crimes de guerre commis entre le 1er août 1914 et le 20 novembre 1922, donc le massacre de tous les gens appartenant à l’ensemble de la chrétienté (les Arméniens étant les plus nombreux). Il y a par ailleurs des déplacements forcés avec en particulier des échanges entre population turque d’Europe et population grecque d’Asie.
« Lausanne n’est donc pas un traité à réviser, mais à surmonter : par l’émancipation véritable d’une ethno-nationalisme antihumaniste, par l’ouverture transfrontalière et par l’intégration européenne d’un État-nation qui, à l’instar du face-à-face à Lausanne, a longtemps persisté à se voir menacé de démembrement par ses propres citoyens hétéroculturels et par l’Europe » (page 48). On voit ainsi combien résonne le nationalisme turc au XXIe siècle.
On approche des quatre-vingt-dix pages ne comportant que des photographies de documents exposés. Des personnalités suisses sont mises en avant comme Louis Rambert qui dirige la Régie des tabacs de l’Empire ottoman, des locaux de fabricants suisses sont également présentés comme les bureaux de Nestlé à Istanbul. De nombreux clichés tournent autours des représentants à cette conférence, on voit également le personnel qui les sert comme des secrétaires ou des employés d’hôtels suisses où ils logent.
Avis de lecture de Patricia dans Grégoire de Tours, le 1 juin 2023.
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