Les sphères du pénal avec Michel Foucault

Cicchini, Marco, Porret, Michel,

2007, 303 pages, 25 €, ISBN:978-2-940146-86-4

Autour de Michel Foucault, ce volume collectif réunit des historiens et des sociologues qui pensent le droit de punir, du supplice d’Ancien Régime aux usages carcéraux d’aujourd’hui.
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Description

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Autour de Michel Foucault, ce volume collectif réunit des historiens et des sociologues qui pensent le droit de punir, du supplice d’Ancien Régime aux usages carcéraux d’aujourd’hui.

Si les concepts forgés par Foucault (discipline, panoptisme, gouvernementalité) s’imposent dans les sciences humaines contemporaines, cet ouvrage affronte les problématiques concomitantes de l’enfermement carcéral, des techniques punitives ou de la discipline du corps. Relectures de Surveiller et punir trente ans après sa publication dans le prisme des écrits antérieurs de son auteur, histoire du supplice, du marquage corporel ou de la relégation comme peine, conceptions et usages actuels du droit de punir dans le cadre pénitentiaire, finement analysé par la sociologie: les trois parties des Sphères du pénal avec Michel Foucault éprouvent l’outillage conceptuel que Foucault propose autour des arts de gouverner et de la rationalité néolibérale. Faisant écho au colloque de Genève organisé sous l’autorité de l’International Association for the History of Crime and Criminal Justice, ce volume illustre l’actualité, la fécondité et le renouveau des études pénales dont l’enjeu institutionnel pèse sur le devenir de l’État de droit.

Table des matières

Introduction

  • Michel Foucault: penser le droit de punir (Marco Cicchini, Michel Porret)

 Relire Surveiller et punir

  • Surveiller et punir, laboratoire de la problématique de la gouvernementalité: des technologies de surveillance à l’instrumentation du pouvoir (Pierre Lascoumes)

  • Rationalisation et histoire des corps dans le parcours de Michel Foucault (Jean-François Bert)

  • Le Panoptique n’est pas une prison. Panoptisme, économie, utilitarisme (Cyprian Blamires)

  • Durkheim, Fauconnet et Foucault. Etayer une perspective abolitionniste à l’heure de la mondialisation des échanges (Philippe Combessie)

  • Surveiller et punir « à l’Est » (Karel Bosko)

 Nouveaux chantiers de l’histoire du droit de punir

  • La mémoire de l’infamie: pour une histoire de la marque judiciaire en France, 1515-1832 (Patrice Peveri)

  • A la une de Surveiller et punir: l’anachronisme du supplice de Damiens (Michel Porret)

  • Foucault et la réforme des Lumières (Léon Loiseau)

  • Identifier, exclure, régénérer. La relégation des récidivistes en Guyane, 1885-1938 (Jean-Lucien Sanchez)

  • Un « réquisit de rationalité ». Responsabilité pénale et aliénation mentale au XIXe siècle (Laurence Guignard)

  • Foucault et l’historiographie italienne de la criminalité et de la justice (Leonida Tedoldi)

 Théories et pratiques actuelles du droit de punir

  • Gouvernement des prisons et résistances infrapolitiques (Gilles Chantraine)

  • La fin du disciplinaire? Rationalité pénale et processus de normalisation au XXIe siècle (Philip Milburn)

  • De l’entrelacement des disciplines et des dispositifs de sécurité en prison (Gaëtan Cliquennois)

  • Conjuguer les disciplines au féminin (Coline Cardi)

  • Penser le pouvoir pastoral dans les prisons actuelles (Irene Becci)

  • La peine sensorielle ou les avatars modernes d’une « pénalité de l’incorporel » (Simona Ioana Schumacher)

  • Les techniques d’isolement sensoriel: la désaffection punitive du corps prisonnier (Bernard Andrieu)

  • Le juste punir: quelles représentations contemporaines? (Noëlle Languin, Christian-Nils Robert et Jean Kellerhals)

 In memoriam

  • En souvenir de Mario Sbriccoli (Alessandro Pastore)

Presse

 Dans la revue Crime, Histoire & Sociétés

Tout comme Surveiller et punir n’était pas vraiment une histoire de la prison, Les sphères du pénal, dont le titre emprunte à Sloterdijk pour repenser Bentham, s’étendent bien au delà de l’espace carcéral. Aux contrepoints de Foucault sur les corps suppliciés, la discipline militaire, ou les colonies pénitentiaires pour enfants répondent, dans ce volume réalisé à l’occasion des trente ans de la publication du philosophe, des considérations sur la discipline, le panoptisme, la gouvernementalité, l’identification, la stigmatisation, l’aliénation, la corporéité. Ce sont autant d’items sortis de la boîte à outils foucaldienne dont s’emparent les auteurs pour se livrer avec bonheur, à la suite d’un maître qu’ils se refusent à vénérer, au démontage consciencieux de la doxa pénale.

Limpide, l’introduction de Marco Cicchini et Michel Porret, directeurs de la publication, retrace la généalogie de Surveiller et punir, situé au mitan du projet foucaldien, et dans un contexte de militance virulente contre l’arbitraire carcéral au sein du GIP. Ne pas célébrer cet ouvrage comme une œuvre totale, mais le considérer comme une étape dans le cheminement habile du philosophe, tel est le projet de cette réflexion collective. « Du moment suppliciaire au moment carcéral », Surveiller et punir soulève « le problème de la prison dans la démocratie comme la matrice de la surveillance générale de chacun » (p.8). Ainsi mise en perspective, l’analyse de l’œuvre convoque des réflexions épistémologiques plus anciennes dans la production de Foucault, appliquées à la constitution des savoirs et à leurs effets de pouvoir, et appelle également les étapes ultérieures de sa pensée, organisée notamment autour du principe de biopouvoir, plaçant le corps au cœur des dispositifs politiques modernes, et de gouvernementalité, entendue comme une « conduite des conduites » que le libéralisme tente d’engendrer selon une économie de moyens idéalisée: « pour gouverner mieux, il faudrait gouverner moins » (pp.11-13).

« Relire Surveiller et punir« , mettre en contexte et en miroir ce monument qui a fécondé tant de travaux* tout en soulevant la polémique dans le Landerneau français**, voici qui fait l’objet d’une première partie de l’ouvrage. Pierre Lascoumes, écartant la caricature d’un Foucault obsédé par un contrôle social érigé en théorie du complot, signale que l’ouvrage préfigure, à travers une étude attentive des pratiques disciplinaires, ses travaux ultérieurs sur la gouvernementalité. Plus proche de Certeau que ne le laissaient penser les controverses, Foucault propose une analyse de « l’exercice du pouvoir » à travers son « emprise sur les corps », via la médiation de technologies. Loin du modèle suppliciaire, « le pouvoir ne s’exerce plus par l’application d’une autorité extérieure et violente, mais par une incitation aussi discrète qu’obsédante qui met la conformité au service de la productivité » (p.25). Cyprian Blamires revisite également l’idée selon laquelle le panoptisme carcéral relèverait exclusivement d’une volonté de contrôle exercée directement sur les individus. Au contraire, « l’utopie de Jeremy Bentham (…) est moins une société de surveillance qu’une société d’économie ou une société sans gaspillage » (p.47), procurant « le bonheur pour le plus grand nombre ». Ce bien-être serait prodigué par une parcimonieuse allocation des ressources humaines comme économiques, utilement distribuées par un ensemble de techniques architecturales génériques, dont la prison n’est que le prototype.

Ces relectures ouvrent la voie à de nouveaux « chantiers de l’histoire du droit de punir », constituant la seconde partie de l’ouvrage. La charge de Michel Porret contre l’ahistoricisme d’un Foucault recourant au « cas limite » de « l’anéantissement » du régicide Damiens pour étayer sa démonstration ne relève pas simplement de l’entreprise de démolition, puisqu’il propose de revisiter le récit fictif du basculement d’une pénalité d’Ancien Régime barbare à un régime des peines post-révolutionnaire adouci. « Foucault pense le droit de punir dans l’ordre abstrait du discours normatif », selon une représentation « figée[e] dans l’éclat suppliciaire », affirme-t-il (p.112). Or, d’une part, le supplice de Damiens répugne à nombre d’observateurs et leur paraît digne d’une cruauté anachronique, inutile, voire perverse, et d’autre part, la prison pénale révolutionnaire, bien loin d’adoucir les sanctions selon la prescription de Beccaria, sera consubstantielle à la souffrance corporelle et sociale qu’elle instillera.

De la même manière, Patrice Peveri propose de réinterpréter, après Foucault, la signification de l’usage de la marque judiciaire du XVIe au XIXe siècle. L’essorillement, puis la marque au fer rouge ne relèvent pas uniquement du supplice, mais du stockage de l’information judiciaire la plus cruciale: la récidive. En outre, en passant de l’ablation de l’oreille, marque ostensible, à la marque à l’épaule plus discrète, et ce dès le XVIe siècle, les magistrats témoignent du basculement d’une régulation communautaire par le biais de l' »infamie » (la mauvaise réputation) vers le monopole étatique, progressivement bâti, de la gestion des populations pénales (p.98).

Avec le casier judiciaire, l’identification devient plus fiable et moins avilissante, mais Jean-Lucien Sanchez montre que ce processus de gestion humaniste des récidivistes, visant à leur réinsertion, n’est pas linéaire. La IIIe République met ainsi en œuvre, en 1885, une loi sur la relégation des condamnés récidivistes, qui masque mal, derrière l’invocation d’un imaginaire colonial de la régénération, le retour de la sanction irréversible. Ainsi, le second XIXe siècle est marqué par « le désenchantement opéré par les sciences sociales au premier rang desquelles la criminologie, alimenté par les chiffres du crime, [qui] a conduit à délaisser une vision optimiste de l’homme » (p.152), pour ne plus percevoir parmi ces récidivistes que des « incorrigibles ».

Laurence Guignard interroge également les interactions entre droit et science, lorsqu’elle évoque les liens se nouant entre responsabilité pénale et aliénation mentale. Impossible mariage pour les juristes révolutionnaires, selon lesquels, dit Foucault, un « réquisit de rationalité » sous-tend l’acte criminel, l’idée d’une « responsabilité graduée en fonction de l’état mental » s’élabore progressivement au XIXe siècle, formant un pouvoir hybride que Foucault qualifie de « normatif ». D’une justice révolutionnaire laïque refusant la pesée des âmes, la pensée spiritualiste, avant même le développement de nouveaux paradigmes aliénistes, permet, au XIXe siècle, de réinventer une « justice morale » (p.256). Cette « subjectivation du droit » est reprise à bon compte par les sciences du crime, qui trouvent une voie déjà ouverte pour justifier le principe de l’individualisation des peines, selon le mot d’ordre de la « défense sociale », qui fait du fou criminel son emblème et sa justification.

Du supplice à la peine sensorielle, de la relégation à la gouvernementalité carcérale, ces questionnements sont repris et actualisés dans la dernière partie de l’ouvrage, principalement centrée sur la prison, qui se penche sur les « théorie et pratique actuelles du droit de punir ». Gilles Chantraine décrypte « l’invention du détenu néolibéral ». Tempérant les thèses de la « nouvelle pénologie », laquelle prétend que la prison aurait abandonné l’utopie de réhabilitation individuelle au profit d’une gestion actuarielle des risques présentés par les populations pénales, il souligne l’hybridation de ce paradigme du risque avec un modèle « thérapeutique d’inspiration cognitivo-comportementale », mettant en œuvre des dispositifs de responsabilisation des détenus, qualifiés de « pôle motivationnel » (p.184). On invite le sujet à objectiver lui-même les facteurs de risque auxquels il est exposé, et à proposer, avec les agents de libération conditionnelle, des scénarios de sa propre réhabilitation, devenant ainsi « entrepreneur de soi ». Mais les enquêtes menées par le sociologue révèlent, sous ce vernis managérial, les craquelures d’une fiction rédemptrice que mettent en scène les nouveaux experts de la réinsertion pénale. Les détenus, tenus de jouer ce jeu de rôles pour obtenir un aménagement des peines, ne sont pas dupes de cette fabrique du consentement, qui opère au détriment d’une démarche réelle de soins, laquelle, au contraire, nécessite une mise à distance de soi-même.

La question du genre, ténue dans l’analyse de Foucault, est examinée par Coline Cardi. Si, en effet, la justice pénale fait preuve d’une apparente mansuétude à l’égard des femmes, qui ne représentent aujourd’hui que 3,7% de la population carcérale française, les régulations « infra-pénales », liées notamment à l’intervention sociale, ainsi qu’à l’action d’une justice des mineurs inquisitrice des familles, s’appliquent aux « mauvaises mères ». « La déviance des femmes, nous dit l’auteure, apparaît comme une déviance particulière: elle se définit non seulement par rapport à une loi, mais également par rapport à des normes médicales, morales et psychologiques » (p.235).

Retenons enfin, parmi de riches contributions concernant la prison contemporaine, celle de Simona Ioana Schumacher, qui boucle la problématique foucaldienne exposée dans les premières pages de Surveiller et punir, en se penchant sur la pénalité de l’incorporel que sont les privations et afflictions sensorielles en milieu carcéral. Selon l’auteure, l’effacement de la peine corporelle dans l’histoire pénitentiaire ne constitue pas une atténuation de la peine, car « le sensoriel » dont la prison, plus que jamais, investit les ressorts, « n’est pas une substitution, une approximation réductrice ou une métamorphose du corporel, mais surtout une forme sublimée de la chair suppliciée » (p.255). En échos aux râles d’un Damiens désarticulé et extatique, livré aux regards en place de Grève, l’anthropologue indique que si « la peine ne répond plus aux impératifs de visibilité ou d’extériorité », « elle se plie toujours à une idéologie d’exemplarité sociale », alors que, paradoxalement, privée de tout droit de regard, « la société civile est incapable de dire comment la peine se déroule » (p.256). Rendre au regard citoyen la nouvelle économie des peines replacée dans la longue durée occidentale comme le propose cet ouvrage, loin de ressusciter l’infamie de l’exposition des suppliciés, contribue à faire advenir une réforme carcérale devenue urgente, en ouvrant le débat sur le sens de la peine dans nos sociétés contemporaines. Plus que jamais, un Foucault visionnaire pourrait aujourd’hui constater que la souffrance, constituée en instrument de pouvoir, dépasse largement les murs de la prison.

David Niget, Crime, Histoire et Sociétés vol. 14, no 2, 2010, pp.145-148
*Ignatieff Michael, A Just measure of pain: The penitelltiary in the industrial revolution, 1750- 1850, Pantheon Books, 1978. Spierenburg Pieter, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression: From a Preindustrial Metropolis to the European Experience, Cambridge University Press, 1984. Petit Jacques-Guy, Ces peines obscures. La prison pénale en France (1789-1870), Fayard, 1990.

**Michelle Perrot, L’impossible prison: recherches sur le système pénitentiaire au XIXe siècle, Seuil, 1980. On écoutera avec intérêt l’entretien donné par Michelle Perrot au sujet de la table ronde tenue à Paris en 1978, confrontant Foucault à ses juges historiens. France Culture, La fabrique de l’histoire, émission du 8 octobre 2004 (disponible en ligne).

Dans la Revue d’histoire du XIXe siècle

 Fruit d’un colloque organisé à Genève en février 2006, ce recueil rassemble des contributions de sociologues et d’historiens autour des recherches menées par Foucault sur l’univers carcéral, le pouvoir et l’État. La première partie, à dominante sociologique, se propose de « relire Surveiller et punir » (1975), dont est rappelé, en introduction, « ‘apport épistémologique » majeur. Pierre Lascoumes, puis Karel Bosco, illustrent l’itinéraire de Foucault dans le champ du pouvoir étatique. Tandis que le premier montre que les « technologies de discipline », analysées dans Surveiller et Punir, préfigurent la « gouvernementalité », au cœur des travaux ultérieurs, le second explique à l’aune de ce glissement conceptuel, l’intérêt tardif du philosophe pour la « réalité carcérale des régimes communistes ». Cyprian Blamires et Philippe Combessie proposent des contributions relatives à la question pénitentiaire. Nuançant une image sous-jacente dans Surveiller et Punir, et encore d’actualité, le premier rappelle que le projet originel du Panoptique n’a pas été pensé pour la prison. Surveiller et Punir apparaît à Philippe Combessie comme un livre visionnaire en ce qu’il se focalise sur la prison, qui reste encore aujourd’hui l' »axe central » de la politique pénale, en dépit de son archaïsme, ici souligné. Enfin, Jean-François Bert met en relation l’œuvre de Foucault et l’histoire du corps.

La deuxième partie du recueil s’intitule « Nouveaux chantiers de l’histoire du droit de punir ». Trois contributions nuancent l’idée, présente dans Surveiller et Punir, que la justice contemporaine issue de la Révolution, mesurée, codifiée et rationalisée, s’opposerait radicalement à une justice d’Ancien Régime fondée sur l’arbitraire des juges et la mise en scène de châtiments corporels spectaculaires. D’après Patrice Péveri, la marque, ce stigmate corporel imposé à divers condamnés, est moins un symbole de la dure pénalité d’Ancien Régime, qu’une « technique d’archivage par défaut » de la récidive-technique peu à peu rationalisée, du reste, et atténuée par la raréfaction de ses formes ostensibles. Michel Porret questionne la place exemplaire et symbolique à laquelle Foucault assigne le supplice de Damiens, soulignant le caractère exceptionnel d’un événement perçu, en outre, comme anachronique dans la France des Lumières. Léon Loiseau montre ensuite qu’en matière de classification des infractions et des peines, les réformateurs des Lumières sont moins les « opposants éclairés d’une pratique archaïque » que « la pointe avancée d’un mouvement déjà commencé » sous l’impulsion des jurisconsultes et criminalistes classiques. L’essor de cette « conception objectiviste » des crimes et des délits, affranchie de la théorie des circonstances, apparaît par ailleurs comme la condition préalable au processus d’individualisation des peines, à venir au XIXe siècle. Viennent ensuite trois articles d’histoire contemporaine. Jean-Lucien Sanchez aborde, à la lumière de concepts foucaldiens, l’histoire encore peu défrichée de la relégation, véritable principe « d’élimination sociale » visant les condamnés jugés « incorrigibles » (loi du 27 mai 1885). Cette pénalité est un signe avant-coureur du glissement, sous la Troisième République, d’une  « justice morale » tournée vers le rachat individuel de la faute, à une « justice sociale » visant la défense de la société-selon les termes de Laurence Guignard. Celle-ci situe par ailleurs dans cette période le « processus de sortie du juridique » qui transfère le pouvoir de juger « à d’autres instances que les juges de l’infraction », et notamment à la psychiatrie-mouvement identifié par Foucault dans Surveiller et Punir. C’est à la fin du siècle, avant même la circulaire Chaumié de 1905, que la justice admet la possibilité d’une « responsabilité limitée », dont l’évaluation est déléguée aux médecins. Auparavant, les magistrats et les juristes lui étaient hostiles, quoique leurs réflexions sur la « responsabilité morale », dès les années 1820-1840, aient préparé le terrain. Leonida Tedoldi présente, enfin, la réception des travaux de Foucault en Italie et leur influence sur l’histoire judiciaire italienne.

La troisième partie de l’ouvrage, « Théories et pratiques actuelles du droit de punir », intéressera peut-être moins directement les historiens. On y observe la fécondité de la pensée foucaldienne appliquée au domaine de l’univers carcéral contemporain. Gilles Chantraine et Philip Milburn montrent le reflux de la discipline au profit de nouveaux modes de traitement des condamnés (incitation et responsabilisation) tandis que Gaëtan Cliquennois nuance l’idée d’une disparition de la discipline et du panoptisme. Coline Cardi examine sous l’angle du genre le concept d’illégalisme et témoigne qu’aujourd’hui, plus encore qu’aux siècles précédents, les femmes échappent à la prison (contrôle social quotidien plus fort, prise en charge extra-carcérale supérieure). Dans un article portant sur la « force institutionnelle que les religions établies ont gardée jusqu’à nos jours en prison », Irène Becci rappelle et discute la façon dont Foucault a pensé le rapport entre l’emprisonnement, la punition et les religions, revenant sur la réception européenne du modèle carcéral américain, au XIXe siècle. Deux contributions montrent ensuite comment l’incarcération affecte les corps des détenus (Simona Ioana Schumacher, Bernard Andrieu). Noëlle Languin, Jean Kellerhals et Christian-Nils Robert étudient enfin les « représentations contemporaines » du  « juste punir ».

Laurence Montel, Revue d’histoire du 19e siècle, 39 (2009/2), pp.147-149 

Dans Le Sociographe

Cet ouvrage collectif qui réunit historiens, sociologues et philosophes, nous propose plus de trente ans après la publication de Surveiller et punir (1975) de Michel Foucault, sa relecture. Le sentiment diffus d’impunité à l’égard des délinquants multirécidivistes, la controverse des débats actuels sur les peines plancher, et la surpopulation carcérale en France, font de cet ouvrage une œuvre visionnaire. Il a le mérite de poser dans un langage très engagé la problématique de l’enfermement carcéral et des pratiques punitives.

Composé de trois parties, l’ouvrage semble s’articuler autour de deux registres: d’une part, l’enfermement analysé sous sa forme instrumentale; d’autre part, un milieu carcéral présenté sous un registre aux versants sociopolitiques notamment avec la question de la fonction sociale de la peine.

Le collectif se propose de déverrouiller les portes de cette sphère pénale. La première partie de l’ouvrage fait donc office de « clef ».

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, le lecteur ne reste pas insensible aux détails des récits. On est vite encellulé par l’historiographie des différentes techniques punitives et d’identification.

La lecture vaut le détour. Les exemples et découpages historiques sont fort intéressants. Le lecteur est surpris: on est définitivement « passé d’un art de punir à un autre ». De l’extinction du châtiment spectacle, on assiste à une peine intériorisée mais non moins affligeante au corps. L’enfermement est insupportable. Il stigmatise, avilit, déshumanise. L’incarcération est une peine sensorielle portant atteinte à l’intégrité du détenu. La prison génère une perte des sens, des repères spatio-temporels. Loin de réinsérer, de réhabiliter, l’enfermement agit comme une énorme machine qui exclut certains pour protéger les autres: la société.

C’est en mettant en lumière cette aporie que le collectif contribue au débat actuel sur le « sens de la peine » dans notre société démocratique. L’outillage conceptuel proposé par Foucault est éprouvé par le collectif. Ses écrits et sa manière de penser l’histoire, le droit pénal dans ses liens avec le crime sont réinterrogés.

Partant d’un constat négatif, le collectif nous laisse seuls face à notre conscience dans l’épilogue de l’ouvrage comme dans un quartier d’isolement.

Trois angles philosophiques sont résumés sous forme de tableau: la rédemption, l’équité et l’exclusion. Selon notre sensibilité sur la question de l’insécurité, de la menace sociale, telle philosophie sera privilégiée plutôt qu’une autre. Le lecteur est invité donc à réfléchir la peine. Cette posture suppose un changement des mentalités pour espérer repenser un droit de punir.

Régis Jean-Baptiste, Le Sociographe no 28, 2008

Les Sphères du Pénal avec Michel Foucault: un ouvrage de réflexion sur le « droit de punir »

 A l’heure où les sociétés occidentales se livrent à une intense réflexion sur le renouveau de leur « sphère pénale » et sur le fait qu’il conviendrait de donner la priorité, soit au préventif, soit au sécuritaire, les éditions Antipodes  publient un très actuel ouvrage collectif intitulé Les Sphères du Pénal avec Michel Foucault et qui fait écho à un colloque international organisé récemment à Genève par l’International Association for the History of Crime and Criminal Justice.

L’oeuvre immense du philosophe français Michel Foucault (1926-1984) qui inspira les « Nouveaux Philosophes », met l’accent sur la constitution des normes, notamment dans le domaine des savoirs médicaux, psychiatriques, carcéraux et judiciaires, « savoirs qui formatent le corps en forgeant les formes diverses de la discipline ». Foucault sera notamment fasciné par les « vies parallèles », par les « marginalisés, stigmatisés et réprouvés de la vie sociale et qui incarnent l’arbitraire des normes morales et sociales qui, de leur côté, construisent l’ordre familial sur lequel repose la puissance du roi dans la société traditionnelle ».

Avec son Surveiller et Punir, Foucault exercera une influence considérable sur la façon d’écrire et de penser l’histoire du droit de punir et sa pratique contemporaine. Après avoir porté l’attention sur les micro-pouvoirs à l’oeuvre dans les espaces institutionnels, considérés comme « révélateurs de l’avènement des sociétés disciplinaires », Foucault va aussi s’intéresser à « l’étude des techniques pour gouverner les individus, pour conduire les conduites ». Il va proposer une vision moins frontale des rapports sociaux. Il entend aussi « déconstruire » les relations de pouvoir pour « débusquer », non seulement les instruments du contrôle, mais aussi ceux de la régulation sociale.

Cet ouvrage, placé sous la coordination des professeurs de l’Université de Genève, Marco Cicchini et Michel Porret, réunit, avec Michel Foucault comme point cardinal de la discussion, les témoignages de sociologues et d’historiens intéressés aux sphères du pénal.

Si le consensus est clair sur la nécessité de la sanction et sur son utilité, force est de constater que des aspirations très différentes et contrastées sous-tendent chacun des trois idéaux dégagés par les représentations sociales de la juste peine: réinsérer le délinquant, garantir l’ordre social et éliminer les populations dangereuses. Les experts parviennent, entre autres, à la conclusion que la « peine générique » la plus souvent usitée, la prison, « apparaît lourde d’effets pervers en ne permettant pas au condamné de s’améliorer, en n’ayant aucun effet préventif avéré et en accroissant l’exclusion sociale ». Or, Foucault montre très bien que ces effets pervers avaient déjà été répertoriés par les réformateurs dès le moment où la prison s’était constituée sous sa forme de « surveillance ». En outre, les règlements des conflits par des peines ou des procédures alternatives ne sont encore que marginaux et l’imaginaire collectif n’a pas encore dégagé de peine alternative plus satisfaisante. « On en arrive donc au constat d’une situation assez généralisée de conscience malheureuse. Par ailleurs, les modes de détermination du juste définissent des modes d’extinction des dettes très différenciés, ce qui ne peut que contribuer au malaise qui plane autour de la Justice », conclut l’ouvrage.

                    José Vanderveeren, agence de presse « Belga » (Genève et Bruxelle), 20 novembre 2007

Les Sphères du pénal avec Michel Foucault

A l’heure où sont contestés les principes de la modernité pénale française, l’important volume que dirigent Marco Cicchini et Michel Porret problématise la philosophie de la peine selon Michel Foucault. Outre « l’archéologie des savoirs pénitentiaires » que systématise Surveiller et Punir (1975), le philosophe dissémine en de multiples travaux sa réflexion sur les technologies corporelles qu’engendre l’avènement de la « société disciplinaire » des XIXe et XXe siècles. Le passage du « régime suppliciaire au régime carcéral » suggère les transformations de l’économie punitive opérées à la charnière du XVIIIe siècle. Contre la conception linéaire de l’histoire du droit de punir, Foucault souligne que la transition de l’Etat justicier d’Ancien Régime à l’Etat de droit postrévolutionnaire dénote des stratégies de pouvoir continûment à l’œuvre. Instrument de « l’art de gouverner » depuis la Renaissance, les « sphères du pénal » sont adaptées à la modernisation étatique dont elles signalent le « changement de rationalité politique ». De « l’éclat public des supplices » à l’incorporation de la peine dans l’espace discrétionnaire de la prison, Foucault conteste donc les discontinuités pratiques et théoriques que le positivisme juridique du XIXe siècle met traditionnellement en exergue. A la soumission absolue qu’exemplarisent les supplices dans la monarchie de droit divin, succède ainsi l’incarcération correctrice que fonde le « contrat social » des régimes libéraux. L’emprisonnement institutionnalise l’avènement de la « société disciplinaire » des XIXe et XXe siècles. Aussi la « naissance de la prison » renvoie-t-elle à l’histoire générale de l’encasernement des individus (couvent, armée, école, usine, hôpital), qu’entraînent les nécessités de l’ordre social contre les multiples figures de la dangerosité.

Pensée politique, au sens fort du terme, la réflexion pénale de Foucault n’a cessé de féconder les sciences sociales. Ce stimulant recueil, qui réunit les contributions de sociologues et d’historiens « intéressés aux sphères du pénal», prend Michel Foucault pour «point cardinal de la discussion » (p.13), au fil d’un chapitrage d’une grande clarté thématique. Consacrée « aux relectures » de Surveiller et Punir trente ans après sa parution, la première partie (p.19-83) analyse la pensée du philosophe sur la gouvernementalité ou l’histoire du corps captif, ainsi que sa tardive réception à l’est du Rideau de fer. Tributaires et critiques de la pensée foucaldienne, quelques chantiers de l’historiographie contemporaine sont exposés dans un deuxième temps (p.87-177). A l’aune des pratiques pénales, le marquage des corps forme l’instrument de l’identification des criminels, plus qu’il ne résulte de la « pénalité suppliciaire » d’Ancien Régime. De même, le terrible châtiment infligé au régicide Damiens, en 1757, est pour l’historien plus anachronique qu’emblématique de la pénalité du siècle des Lumières. La troisième section (p. 181-298) s’intéresse aux théories et pratiques carcérales contemporaines (privation sensorielle, nouvelle sociologie de la peine, « sexuation » du droit de punir exercé à l’encontre des femmes). Objet de récentes publications, les études foucaldiennes s’enrichissent, avec ce beau collectif, d’un opus important pour saisir combien le droit de punir détermine la gouvernementalité des régimes démocratiques. Judicieuses, ces Sphères du pénal soulignent les enjeux politiques cruciaux que pose à nos démocraties toute reconfiguration du droit de punir.

Julie Doyon, Etudes, juin 2008

Le droit de punir trente ans après Foucault

Avec la publication de Surveiller et punir, en 1975, le philosophe Michel Foucault ouvrait un gigantesque champ de réflexion autour de l’univers carcéral et du rapport de nos sociétés à la détention. Avec un peu plus de trente ans de recul, les auteurs réunis dans cet ouvrage collectif par Michel Porret et Marco Cicchini, respectivement professeur et assistant au Département d’histoire moderne, reviennent sur cet héritage pour en démontrer toute l’actualité. Conformément aux voeux de Foucault, qui souhaitait que ses travaux soient « une sorte de tool-box dans lequel les autres puissent aller fouiller pour y trouver un outil avec lequel ils pourraient faire ce que bon leur semble, dans leur domaine », la première partie du livre propose différentes relectures de l’œuvre du grand philosophe autour des notions de « panoptique », de « gouvernementalité » ou de « corps captif ». La deuxième section présente quelques-uns des grands chantiers ouverts dans le sillage de Surveiller et punir par l’historiographie contemporaine. Enfin, l’ultime volet du texte aborde les conceptions et pratiques actuelles du droit de punir. Sur la base d’une vaste enquête réalisée en Suisse romande, Noëlle Languin, Jean Kellerhals et Christian-Nils Robert y montrent notamment comment les représentations contemporaines de la « juste peine » oscillent autour de trois philosophies pas toujours conciliables: la rédemption (basée sur l’idée de réconciliation), l’équité (qui vise la réparation) et la stigmatisation (qui tend à l’exclusion).

VM, Campus, n°89, février-mars 2008