La Suisse et l’Espagne de Franco. De la guerre civile à la mort du dictateur (1936-1975)

Farré, Sébastien,

2006, 486 pages, 27 €, ISBN:978-2-940146-83-3

Ce livre propose une étude des relations entre les autorités suisses et le gouvernement du général Franco, dans leurs différents aspects économiques, sociaux, culturels et politiques. Une place importante est réservée à l’étude des relations économiques entre les deux pays, ce qui s’imposait pour un pays comme la Suisse dont le rôle international est notamment déterminé par la puissance économique et financière de ses entreprises dans l’économie mondiale. De même, connaissant la dimension idéologique et légendaire de la guerre civile ainsi que l’existence d’un débat public parfois très vif dans la société suisse concernant le régime franquiste, il était essentiel d’appréhender la représentation de l’Autre- comment est perçu l’Espagnol et le Suisse respectivement dans les deux pays; quelle est la position de l’opposition suisse mais aussi l’évolution de l’opinion publique à l’égard du général Franco. La question de l’exil durant la guerre civile et la guerre mondiale est également abordée, comme l’important mouvement migratoire qui débute au début des années 60. L’analyse est essentiellement chronologique et prend comme point de départ le début de la guerre civile, le 18 juillet 1936 et se termine le 27 novembre 1975, jour de l’intronisation du roi Juan Carlos.

Format Imprimé - 34,00 CHF

Description

Ce livre propose une étude des relations entre les autorités suisses et le gouvernement du général Franco, dans leurs différents aspects économiques, sociaux, culturels et politiques. Une place importante est réservée à l’étude des relations économiques entre les deux pays, ce qui s’imposait pour un pays comme la Suisse dont le rôle international est notamment déterminé par la puissance économique et financière de ses entreprises dans l’économie mondiale. De même, connaissant la dimension idéologique et légendaire de la guerre civile ainsi que l’existence d’un débat public parfois très vif dans la société suisse concernant le régime franquiste, il était essentiel d’appréhender la représentation de l’Autre- comment est perçu l’Espagnol et le Suisse respectivement dans les deux pays; quelle est la position de l’opposition suisse mais aussi l’évolution de l’opinion publique à l’égard du général Franco. La question de l’exil durant la guerre civile et la guerre mondiale est également abordée, comme l’important mouvement migratoire qui débute au début des années 60. L’analyse est essentiellement chronologique et prend comme point de départ le début de la guerre civile, le 18 juillet 1936 et se termine le 27 novembre 1975, jour de l’intronisation du roi Juan Carlos.

Presse

Cette Suisse qui soutenait le franquisme

Dès la guerre civile en 1936 et jusqu’à la mort de Franco en 1975, les autorités suisses ont fait preuve d’une constante bienveillance vis-à-vis du Caudillo. Un appui au régime qui se faisait sous couvert de neutralité.

Lors du décès du général Franco, le 20 novembre 1975, les drapeaux ont été mis en berne sur le Palais fédéral. Plus qu’un geste diplomatique, ce signe de respect trahissait une complicité de quatre décennies entre l’Espagne et la Suisse, sous le couvert de la neutralité. En effet, depuis l’éclatement de la guerre civile en Espagne, le 17 juillet 1936, et jusqu’à la mort du Caudillo, les autorités suisse n’ont cessé de se montrer « bienveillantes » à l’égard du régime franquiste, comme l’explique l’historien Sébastien Farré, auteur d’une étude sur « La Suisse et l’Espagne de Franco ». Entretien.

Comment expliquez-vous cette « bienveillance » helvétique à l’égard du régime franquiste?

Sébastien Farré: Jusqu’en 1936, l’Espagne ne constituait pas un enjeu important de la politique étrangère suisse. Lorsque la guerre civile devient un problème international, la Suisse doit se positionner. Le principal facteur qui va alors configurer sa position, c’est l’anticommunisme, avec la crainte d’une révolution populaire en réaction au coup d’Etat militaire. Les autorités suisses, comme les milieux conservateurs, ont en tête ce qui vient de se passer en France au printemps 1936, avec le Front populaire et les mouvements de grèves. Elles sont sur la défensive. Au niveau diplomatique, la Suisse va donc élaborer une position neutre, à mi-chemin entre l’appui italo-allemand aux militaires putschistes et le non-interventionnisme prôné par la France et l’Angleterre.

Dans les faits, cette position « neutre » de la Suisse sera au désavantage du camp républicain…

Le choix suisse s’appuie sur des raisons tirées de sa « neutralité permanente ». Alors que la plupart des Etats européens se rallient à la politique de non-intervention initiée par la France, y compris l’Allemagne et l’Italie, la Suisse opte pour la voie solitaire. Elle interdit l’exportation de matériel de guerre, mais aussi l’envoi du bénéfice de collectes à l’un ou l’autre des belligérants. Elle estime que ce type de mobilisation de la société civile peut constituer une participation au conflit. Son arrêté du 14 août 1936 va alors limiter très sérieusement les activités qui étaient menées en faveur des républicains par les partis de gauche et les syndicats.

La participation au conflit espagnol est interdite. Pourtant, quelque 800 Suisses vont s’engager dans les rangs républicains en Espagne…

A l’époque la menace fasciste de l’Allemagne et de l’Italie inquiète beaucoup la gauche suisse. Les militants se mobilisent et en débattent. Des volontaires s’engagent alors dans le cadre des brigades internationales pour participer à la défense de la République espagnole. A leur retour d’Espagne, ces volontaires vont pour la plupart être condamnés et privés de droits civiques. Cela à double titre: pour avoir abandonné leur devoir militaire en Suisse et pour avoir enfreint le décret de neutralité. La Suisse est l’un des seuls pays où l’engagement volontaire a été sanctionné. Les historiens Peter Huber et Nic Ulmi ont fourni un travail approfondi sur ce sujet. En 2009, à la suite de divers recours, le Parlement suisse a finalement réhabilité environ 800 volontaires condamnés pour leur engagement aux côtés des républicains.

La Suisse a non seulement bloqué l’aide aux républicains, elle a apporté un soutien financier au camp nationaliste…

La contribution principale de la Suisse aux franquistes pendant la guerre civile provient de la Société de Banque Suisse. Le régime franquiste n’avait alors pas beaucoup de liquidités. A la fin 1938, la banque lui a prêté quelque 20 millions de francs, malgré la loi sur la neutralité et l’interdiction d’apporter une aide aux belligérants. La diplomatie suisse en était parfaitement informée.

Le 14 février 1939, la Suisse est la deuxième démocratie, après l’Irlande, à reconnaître le régime de Franco. Pourquoi un tel empressement?

C’est le résultat des relations politiques « bienveillantes » nouées entre le Conseil fédéral et les représentants de l’Espagne nationaliste. Mais aussi un choix diplomatique: il s’agit pour la Suisse de montrer à ses grands voisins qu’elle ne suit pas machinalement l’opposition franco-anglaise, que sa position est particulière, en « équilibre » entre les deux blocs. C’est d’autre part un pari économique. Les franquistes ont laissé entendre que les premiers pays à reconnaître leur régime seraient les premiers à pouvoir s’installer sur le marché espagnol. Pour la diplomatie franquiste, il s’agissait bien sûr d’obtenir une légitimité, un statut international. Pour la Suisse, l’objectif était d’abord de protéger ses intérêts économiques en Espagne. Notre pays va aussi profiter de ces bonnes relations commerciales lors de la mise en place du blocus continental par les Alliés, en 1940.

Quels étaient à l’époque les liens économiques et financiers entre la Suisse et l’Espagne?

Diverses sociétés suisses étaient installées en Espagne, comme Nestlé, qui détenait une importante fabrique dans le nord du pays, mais aussi des entreprises du secteur électrique, des banques, des instituts financiers. Certaines de ces sociétés ont passé des accords très avantageux avec le camp franquiste en vue d’obtenir une position forte dans l’Espagne d’après-guerre. Il y avait aussi beaucoup d’intérêts financiers espagnols en Suisse. Cela remonte à l’arrivée des républicains, en 1931, lorsque les familles aristocratiques mettent à l’abri une partie de leur fortune dans les banques suisses. Dès lors, et pendant tout le franquisme, la Suisse sera un refuge privilégié des grandes fortunes. D’ailleurs, à la fin des années 1950 encore, l’arrestation par les autorités franquistes d’un agent d’une grande banque helvétique a suscité la polémique: il était en possession d’une liste de titulaires de comptes en Suisse!

La Suisse a-t-elle persévéré dans ses relations « bienveillantes » avec l’Espagne jusqu’à la fin du franquisme?

Oui, et même dans les moments les plus délicats. Par exemple, après 1945, lorsque le régime franquiste s’est retrouvé sous les feux de la critique internationale pour avoir collaboré avec l’Europe fasciste pendant la guerre. Alors que certains pays retiraient temporairement leur représentation diplomatique à Madrid, et que Franco était interdit d’entrée à l’ONU, la Suisse a maintenu ses relations amicales avec le régime, au nom de la neutralité. De même, dans les années 1960, alors que l’émigration de 150 000 à 200 000 travailleurs espagnols suscite de nouvelles réactions antifranquistes très fortes dans les milieux de la gauche suisse, le Conseil fédéral se contente de neutraliser le débat, sans changer ses relations avec Madrid.

La Suisse a-t-elle tout de même joué un rôle dans l’évolution de l’Espagne vers la démocratie?

On peut se le demander, alors que la Suisse se pose généralement comme un modèle démocratique. Elle aurait pu être un référent pour l’ouverture de l’Espagne, du moins pour préparer la transition vers la démocratie, mais Berne semble avoir préféré une dictature relativement ouverte, permettant d’éviter toute alternative d’extrême-gauche, perçue par les autorités suisses comme une menace pour l’Europe occidentale.
Si l’Espagne s’est ouverte à la démocratie, c’est plutôt grâce au développement du tourisme et à l’influence des émigrés, qui rentraient au pays enrichis d’une expérience démocratique. Cela va ouvrir les esprits, amener la société de consommation, raviver une culture ouvrière syndicale, et finalement faciliter un passage non-violent vers la démocratie après la mort de Franco.

Propos recueillis par Pascal Fleury, Le Temps, 1er février 2013

Dans Le Temps

Une synthèse bienvenue sur les relations entre la Suisse et l’Espagne de Franco. Mais pas une compilation. Sébastien Farré est retourné aux sources, notamment à celles, très peu exploitées, des différents fonds espagnols. Le bilan est accablant pour la Suisse, qui a fortement soutenu, dès le début de la Guerre civile et durant la plus grande partie de la Deuxième Guerre mondiale, le camp nationaliste. La dérive fascisante du régime et l’alignement de l’Espagne sur les puissances de l’Axe n’ont pas pesé d’un grand poids face aux intérêts économiques et à la croyance que soutenir Franco, c’était endiguer la menace bolchevique. Contrairement aux autres démocraties, la Suisse a contribué financièrement, de manière significative, à l’effort de guerre nationaliste. Ce n’est qu’à partir de 1942, quand Franco est devenu moins défendable vis-à-vis des Alliés, que le ton a changé. Il n’empêche que les sympathies pour ledictateur, dans certains cercles politiques et économiques, ont duré encore longtemps. Mais Berne s’est montré distant dès les années 1960 en raison de l’échec du programme de réformes franquiste et de la montée de l’opposition au régime.

Xavier Pellegrini, Le Temps, 24 février 2007.

 

Suisse-Espagne: une liaison à l’ombre de la dictature

HISTOIRE: De la Guerre civile au boom migratoire, le Genevois Sébastien Farré reconstitue une relation méconnue.

Le 20 novembre 1975, le régime du général Francisco Franco s’éteint avec son dictateur. La Suisse compte alors 100 000 immigrés espagnols, l’Espagne accueille cette année-là 400 000 touristes helvètes. Autant dire qu’à l’heure où Madrid retrouve la démocratie perdue, les deux pays ont commencé à déteindre l’un sur l’autre.

Comment? Vaste ouvrage dû au jeune historien Sébastien Farré, La Suisse et l’Espagne de Franco. De la guerre civile à la mort du dictateur (1936-1975) détaille le développement de ces relations. L’auteur, Genevois aux racines ibériques, décrypte la politique fédérale à l’égard de la guerre civile et du franquisme, retrace l’essor des relations économiques et expose les ressorts de l’immigration espagnole, phénomène majeur dans la Suisse des années 60. Issu d’une thèse de doctorat, le travail jette des éclairages forts sur l’histoire contemporaine de notre pays.

Le gouvernement suisse a fait preuve d’une bienveillance singulière à l’égard de Franco. Pourquoi?

La matrice de la politique, étrangère suisse de cette période est l’anticommunisme. Le communisme étant perçu comme le danger principal, le général Franco apparaît comme le garant de l’ordre et comme un moindre mal. On dit que la diplomatie suisse est avant tout pragmatique, qu’elle défend froidement des intérêts économiques. Le cas espagnol montre qu’il existe un facteur politique important, un projet de lutte contre le communisme et de défense de l’ordre occidental. La démocratie, en revanche, n’était pas considérée par Berne comme un objectif politique à défendre en tant quel tel. C’est ce qui a permis de construire de solides relations amicales avec le franquisme.

Comment la Suisse en vient-elle à être le premier pays démocratique à reconnaître le gouvernement de Franco à la fin de la guerre?

La Confédération était en train de repositionner sa neutralité en un point intermédiaire entre les démocraties libérales en crise et les nouvelles tendances fascistes. Selon Giuseppe Motta (n.d.l.r.: le patron des Affaires étrangères), cette posture indépendante offrait à la Suisse un.espace diplomatique protégé. Dans cette optique, le Conseil fédéral était pressé de reconnaître Franco avant la France et l’Angleterre pour ne pas être dans le wagon de celles-ci, affirmant ainsi sa position particulière.

Quel rôle joue l’économie dans l’attitude suisse face à Franco?

En 1944-45, la Suisse se voit pousser les dents en imaginant qu’elle pourrait remplacer l’Allemagne comme partenaire économique de l’Espagne. Ce qui la conduit à maintenir des relations fortes avec le régime. Mais ces efforts n’aboutissent pas à grand-chose. Les échanges ne deviendront importants qu’au moment où l’Espagne ouvre son économie, dans les années 60 et 70. La Suisse devient le deuxième investisseur étranger dans le pays et contribue à en libéraliser l’économie.

Nic Ulmi, 24Heures, 27 février 2007

 

Le grand chambardement des années 60

Tout change dans les années 60. Pourquoi?

La question espagnole ressurgit de trois manières. Premièrement, elle mobilise une nouvelle génération de gauche, très sensible à la dimension internationale du combat. Pour elle, la guerre civile représentait une expérience fondatrice et le modèle d’une révolution qui s’était faite sans l’URSS. Parler de l’Espagne revient aussi à critiquer l’impérialisme américain. C’est alors le meilleur exemple du soutien des USA à une dictature au nom du pragmatisme de la guerre froide. Ensuite, certains épisodes de la répression franquiste réveillent l’opinion, créant une pression sur les autorités fédérales et les amenant à plus de prudence. L’image de Franco comme meilleur garant de l’ordre s’effrite. Troisième élément: l’émigration. Dès 1959, c’est l’explosion. Des dizaines de milliers d’Espagnols arrivent en deux ou trois ans.

Qu’est-ce qui déclenche cette vague?

Le contraste des situations des deux pays (chômage contre boom économique) pousse Madrid à l’encourager. Au même moment, la Suisse cherche une alternative à l’immigration italienne, car l’Italie négocie de meilleures conditions. Le phénomène est donc lié à des décisions étatiques. L’objectif du gouvernement espagnol est que ces migrants reviennent. Sa crainte, c’est qu’ils ne rentrent avec un nouveau bagage, qui finirait par scier les bases du régime. Franco soutient donc des associations culturelles afin de maintenir les émigrés entre eux, évitant ainsi la contamination culturelle. Un réseau d’information est mis en place avec la collaboration de Berne, sensibles aux préjugés entourant alors le peuple espagnol: anarchie, culture de la violence, etc. Ces associations se retournent souvent contre Franco, car le parti communiste les utilise comme un moyen de captation des immigrés. Plus généralement, le séjour en Suisse aide ces migrants à se forger une culture politique et des attentes nouvelles. Cela va perturber profondément les bases sociales et culturelles du franquisme. Le mouvement migratoire a donc aidé au changement. Ce qui n’est pas toujours aisé à admettre. Car cela revient à reconnaître que le processus qui condùit à la démocratie trouve sa source à l’intérieur du franquisme…

N. U.

 

HISTOIRE: Sébastien Farré montre que la sympathie affichée par Berne à l’égard du régime espagnoldu général Franco a duré au moins jusqu’en 1970

Les raisons de la complaisance

La Suisse favorisa-t-elle les desseins du général Franco durant la guerre civile? Puis contribua-t-elle à la continuité du régime après la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à la mort du caudillo en 1975? C’est la question que pose Sébastien Farré dans La Suisse et l’Espagne de Franco. De la guerre civile à la mort du dictateur (1936-1975), livre tiré de sa thèse de doctorat. Il y répond en abordant les nombreux aspects des relations entre les deux pays-du commerce aux immigrés espagnols refoulés ou accueillis aux frontières helvétiques.

Selon l’historien, alors que dès le début du conflit, l’opinion publique helvétique est divisée entre ceux qui soutiennent le gouvernement républicain et le camp bourgeois qui espère le retour à un gouvernement fort, la diplomatie suisse s’est tournée vers le camp nationaliste. Avant même la fin de la guerre civile et dix jours avant la France et la Grande-Bretagne, le gouvernement helvétique reconnaît l’Espagne franquiste, cherchant ainsi à se ménager une place de partenaire privilégié.

En plein conflit mondial, l’Espagne cherche à reconstituer ses réserves d’or, mises à mal par le gouvernement républicain qui les a épuisées par ses dépenses en armement. C’est un service que peut aisément fournir la BNS, lui permettant du même coup de rééquilibrer son marché de l’or qui profite d’une manne substantielle venue du voisin nazi.

En matière de refuge également, la politique suisse penche clairement du côté nationaliste. Le nombre de réfugiés républicains accueillis dans notre pays est extrêmement modeste. Le plus gros contingent est constitué des derniers membres de la colonie espagnole en Allemagne qui rentrent dans leur pays via la Suisse et la France à la fin de la guerre.

Lutte contre la « menace rouge »

Après la guerre, le caudillo est mis à l’écart par les puissances victorieuses à cause de sa collaboration avec le régime nazi. Sébastien Farré analyse la réaction du gouvernement helvétique, qui doit faire oublier son attitude de partenaire de l’Allemagne nazie. Mais d’après l’historien, Berne préfère garder de bonnes relations avec le régime franquiste pour ne pas aller contre la politique de neutralité, et ménager un partenaire doublement important qui offre à l’économie helvétique des débouchés commerciaux et des services de transit vers d’autres continents. Franco assure aussi une stabilité politique et un rempart contre le communisme en Espagne.

Un des mérites de l’ouvrage de Farré est de ne pas s’en tenir à une histoire diplomatique des relations hispano-suisses. Il examine aussi les mouvements des populations: de la Suisse vers l’Espagne pour le tourisme et d’Espagne vers la Suisse pour l’émigration économique. L’historien rappelle que les exilés espagnols ont pu développer des organisations antifranquistes, parfois avec la solidarité de militants helvétiques. La collaboration entre les deux pays pour réprimer ces activités témoigne encore du choix idéologique du gouvernement suisse. Dès 1962, la police politique espagnole et la police fédérale signent une convention en vue du contrôle de certains militants.

Farré montre, sur la base d’un travail documentaire fouillé, que Berne a adopté sur la durée une attitude favorable au régime franquiste. Il faut attendre 1970 pour que le gouvernement émette une première critique contre le caudillo, à l’occasion de la condamnation à mort de six militants nationalistes basques. Ce livre contribue aussi à l’un des grands chantiers actuels de l’historiographie suisse: l’étude de l’anticommunisme dans la politique et la diplomatie helvétiques. Il apparaît que le rôle de garant contre la « menace rouge » que s’attribuait le régime franquiste explique en partie l’attitude de la Suisse à son égard.

Alix Heiniger, Le Courrier, 5 avril 2007

 

La publication, entre 1989 et 1994, des Documents diplomatiques relatifs à la guerre civile espagnole a proposé une vaste documentation sur les relations des autorités helvétiques avec l’Espagne de Francisco FRANCO. Dans ce cadre d’études s’insère le vaste travail de Sébastien FARRÉ, qui se propose de reconstruire de façon exhaustive les rapports économiques et diplomatiques des deux pays, en essayant de « sortir l’histoire suisse de son ghetto pour la réinscrire dans un cadre européen » (p. 12). L’ouvrage organise une périodisation en trois parties, du début de la guerre civile (18 juillet 1936) jusqu’au 27 novembre 1975, jour de l’intronisation du roi Juan Carlos. Les premiers huit chapitres sont consacrés à la période entre 1936 et 1939, en considération de l’importance décisive que la genèse des relations ibéro-suisses a eu sur leur successive évolution. De même, les enjeux, notamment économiques, nés de la guerre mondiale, méritent l’attention de six chapitres, tandis que quatre seulement synthétisent les trente ans entre la sortie de la guerre et la fin du régime, à cause des « nombreuses difficultés [que les organisateurs ont eues] pour constituer un fond de documentation satisfaisant » (p.15). Dans l’organisation strictement chronologique de l’ouvrage, deux chapitres (8 et 14) sont d’ordre thématique et traitent des exilés espagnols en Suisse pendant la guerre civile et la Deuxième Guerre mondiale.

La première phase, relative aux trois premières années du régime, est déterminée par les circonstances exceptionnelles de la guerre civile et du début de la Deuxième Guerre Mondiale. La politique d’équidistance de l’axe italo-allemand et des gouvernements français et anglais, adoptée par le président de la Confédération Giuseppe MOTTA, n’empêche pas la Suisse de démontrer ouvertement sa faveur à l’Espagne de FRANCO, en considération des avantages économiques importants que cette amitié pouvait procurer. La réalisation des premiers accords commerciaux est détaillée à l’aide d’une vaste documentation et se propose d’illustrer le processus qui mène la Suisse à reconnaître officiellement, première democratie en Europe, l’Espagne de FRANCO en février 1939.

La deuxième partie analyse, pendant les années de la Guerre Mondiale, les changements de position politique de l’Espagne de FRANCO-de plus en plus proche de l’axe italo-allemand et tentée par la possibilité d’entrer en guerre à côté d’HITLER-et les nouvelles difficultés pour la politique de neutralité suisse après la chute de la France en 1940. D’ailleurs, les premiers succès de l’offensive nazie en Russie en 1941 sont à l’origine, en Suisse, d’une « vague d’enthousiasme indescriptible » (p.239) après « le léger trouble provoqué par le pacte germano-soviétique de 1939 contre la Pologne catholique » (p.250). Malgré la situation diplomatique très critique, la Suisse parvient à réaliser son « grand bond » (p.260) dans les rapports commerciaux avec l’Espagne, particulièrement en 1942.

Le chapitre 14, consacré à l’exil des Espagnols en Suisse pendant la Deuxième Guerre Mondiale, met à jour de façon assez critique la « sévérité des autorités suisses envers les exilés républicains » (p. 292).

Après la guerre, la Suisse conserve ses liaisons et renforce même ses investissements dès 1945, indifférente à l’isolement dans lequel est abandonnée l’Espagne franquiste. Une première brèche dans l’altitude « amicale et réservée » (p.418) de la Suisse à l’égard du régime est provoquée par le procès de Burgos, en 1970, contre les opposants du franquisme, même si la véritable rupture, accompagnée par le rappel pour consultation de l’ambassadeur suisse, n’arrive qu’en septembre 1975, deux mois seulement avant la mort du général.

Sébastien FARRÉ conclut que la Suisse « favorisa la victoire diplomatique et militaire nationaliste durant la guerre civile, ferma les yeux sur la répression qui continua durant les premières années de la guerre, se montra extrêmement ferme à l’égard des exilés républicains et ne remit pas en cause ses relations amicales avec Franco jusqu’à la fin des années 60 » (p. 419). Ensuite, il détermine trois facteurs décisifs qui expliquent cette politique: la réaction à la menace communiste, la nécessité d’instaurer des rapports amicaux avec un autre pays neutre, quoique totalitaire, l’effort pour reconstruire, malgré les difficultés, les échanges commerciaux et financiers avec un pays en voie de développement.