La Suisse et l’Espagne de la République à Franco (1936-1946). Relations officielles, solidarités de gauche, rapports économiques

Cerutti, Mauro, Guex, Sébastien, Huber, Peter,

2001, 608 p., 31 €, ISBN:2-940146-21-7

Les textes rassemblés dans cet ouvrage donnent un tableau d’ensemble des rapports entre la Suisse et l’Espagne depuis la crise ouverte par le soulèvement nationaliste en juillet 1936, en passant par la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à l’après 1945, alors que le régime de Franco est frappé d’isolement par l’ONU. Sont examinées, en particulier, la politique de la Suisse officielle, au niveau international mais aussi interne. Une large place est accordée aux actions de solidarité organisées par la gauche helvétique ainsi qu’aux relations économiques entre les deux pays.

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Description

Les textes rassemblés dans cet ouvrage donnent un tableau d’ensemble des rapports entre la Suisse et l’Espagne depuis la crise ouverte par le soulèvement nationaliste en juillet 1936, en passant par la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à l’après 1945, alors que le régime de Franco est frappé d’isolement par l’ONU. Sont examinées, en particulier, la politique de la Suisse officielle, au niveau international mais aussi interne. Une large place est accordée aux actions de solidarité organisées par la gauche helvétique ainsi qu’aux relations économiques entre les deux pays.

Table des matières

Introduction

(Mauro Cerutti)

La Suisse officielle

  • La politique de la Suisse officielle face à la Guerre civile espagnole (Mauro Cerutti)
  • Le gouvernement de Burgos et la Suisse: Diplomatie et propagande (Isabel Trinidad Lafuente)
  • L’armée suisse et la Guerre d‘Espagne (Nic Ulmi)
  • Exilés et internés espagnols en Suisse: une approche des relations bilatérales hispano-suisses, 1936-1946 (Sébastien Farré)
  • La neutralité de l‘aide suisse à l‘Espagne lors de la Guerre civile (Antonia Schmidlin)
  • L’image cinématographique du conflit espagnol sur l‘échiquier socio-politique suisse romand, 1936-1940 (Gianni Haver)
  • Préserver l‘ordre public ou l‘ordre politique? L’attitude des autorités vaudoises à la lumière des dossiers de la police de Sûreté (Catherine Fussinger)

La gauche helvétique

  • Le mouvement ouvrier suisse et la Guerre d‘Espagne (Pierre Jeanneret)Préludes d‘une mobilisation. De la solidarité avec les « communards » des     Asturies aux préparatifs pour l‘Olympiade populaire de Barcelone, octobre     1934-juillet 1936 (Nic Ulmi)
  • La solidarité populaire avec l’Espagne républicaine en Suisse (Nic Ulmi, avec la collaboration de Catherine Fussinger et Peter Huber)
  • Solidarité avec l‘Espagne républicaine: quelle division sexuelle du travail? (Catherine Fussinger)
  • Des intellectuels suisses partisans de la République espagnole (Peter Huber)
  • Le mouvement anarcho-syndicaliste à Genève et les volontaires libertaires dans la Guerre d’Espagne (Miguel Filgeiras Casal)

Catholiques et protestants

  • Du refus de cautionner « la guerre sainte » au soutien critique à la République espagnole: un éventail de positions minoritaires révélatrices de l’anticommunisme des milieux catholiques et protestants romands (Catherine Fussinger)

L’entente internationale anticommuniste de Th. Aubert

  • L' »Entente internationale anticommuniste » de Théodore Aubert dans la Guerre civile espagnole (Michel Caillat)

Les relations économiques

  • Les investissements suisses en Espagne, 1890-1955. Analyse générale et recherche d’une politique (Albert Broder)Investissements étrangers et intérêts suisses en Espagne, 1936-1946 (Julio Tascon et Albert Carrerras)
  • Last Years of the « Compañía Sevillana de Electricidad » under Swiss
  • Management, 1936-1949 (Gregorio Nunez)
  • Relations économiques entre la Suisse et l‘Espagne franquiste, 1936-1946 (Mari Carmen Rodriguez)

Bibliographie et sources sur la Suisse et la guerre d’Espagne

(Peter Huber, Catherine Fussinger et Nic Ulmi)


Presse

Espagne, 1936-1939 : une tragédie au coeur du XXe siècle

Premier pays a reconnaître le régime de Franco, la Suisse ne fut pas tendre avec ses ressortissants partis se battre pour la République espagnole. L’historien Charles Heimberg revient sur cette période et présente deux ouvrages sortis récemment aux éditions Antipodes

La guerre d’Espagne, assurément, occupe une place centrale dans les drames du XXe siècle. Elle est en effet survenue à un moment de contrastes où les espérances populaires des uns devaient soudain se concrétiser, comme les congés payés français par exemple, alors qu’une répression féroce frappait déjà les autres, en Allemagne comme en Italie. Par sa brutalité, elle s’inscrivit parfaitement entre les deux guerres mondiales. Elle eut pour théâtre une terre où s’enchevêtraient des temps pluriels, issus à la fois du contemporain et du non-contemporain, des éléments surgis tout avec, droit du XIXe siècle.

Pourtant, elle n’en a pas moins anticipé l’avenir immédiat de l’Europe, annonçant par exemple la dimension de guerre civile qui allait marquer toute la Seconde Guerre mondiale. Ainsi a-t-elle vu s’affronter la démocratie et les fascismes, mais aussi, au sein même du camp républicain, la révolution et le stalinisme. Le lâchage de la République espagnole par toutes les démocraties occidentales, alors même que les fascistes intervenaient de manière décisive, allait en effet être suivi par les Accords de Munich et leurs funestes conséquences.

Réalités contradictoires

Mais un autre drame devait se jouer en même temps dans la gauche espagnole, face à l’émergence d’une dynamique révolutionnaire, en Catalogne notamment, la répression stalinienne de mai 1937 annonçant elle aussi d’autres désastres que les faiblesses du camp progressiste ne parviendraient à empêcher ni en Espagne, ni plus tard, ni ailleurs.

Ces réalités contradictoires se retrouvent toutes à travers les témoignages des volontaires. C’est dire que ceux qui sont partis dans la péninsule ibérique n’ont pas toujours vécu des expériences à la hauteur de leurs espoirs. Pour eux, les drames ont souvent succédé aux drames, les désillusions aux désillusions. Certes, la militarisation des milices était un renoncement à la révolution, mais il est non moins vrai que la désorganisation spontanée provoquait beaucoup de pertes, et qu’une certaine logique de la guerre devait finalement l’emporter face à la réalité de l’agression fasciste.

Les femmes, de leur côté, furent assez vite confinées à des tâches traditionnelles, à tel point qu’une militante constaterait, dépitée, qu’il lui aura donc fallu « aller en Espagne pour devenir ménagère ». D’ailleurs, en Suisse même, une certaine presse ouvrière n’appelait-elle pas elle aussi les femmes à tricoter des pulls pour les Républicains ? Cela dit, la guerre pouvait-elle permettre qu’il en soit autrement ? Et les sources qui nous le disent sont-elles neutres et ont-elles cherché à voir autre chose ?

Contre la barbarie

D’une manière générale, certains crurent « rouler la bourgeoisie » en faisant quand même la révolution. Mais c’est plutôt Staline, en fin de compte, qui les roula. En effet, il n’y eut pas de révolution, il n’y eut plus de démocratie. Mais ces deux aspects – la révolution trahie et la défense de la démocratie – ne sauraient être isolés l’un de l’autre sans céder à des visions mythiques. Quant au camp des fascismes, il en sortit revigoré. Il y eut beaucoup de violences et c’est bien un terrible processus vers la barbarie qui devait désormais s’emballer.

Un grand nombre de Suisses s’engagèrent en Espagne. Parmi ces ouvriers, au sein desquels les latins étaient fortement représentés, beaucoup étaient chômeurs, sans doute un peu déracinés, mais sans que cela ne change rien à la réalité de leur engagement politique. Ils firent des choix courageux et ne se laissèrent pas intimider par les menaces dans leur propre pays. Certains devaient déjà partir pour l’Olympiade de Barcelone – qui devait protester contre les Jeux de la Berlin nazie. Ces sportifs-là, Leni Riefenstahl ne devait pas les filmer. Mais la guerre d’Espagne allait quand même être abondamment photographiée.

La majorité de ces volontaires étaient communistes, mais ils ne l’étaient pas tous. Par ailleurs, cet engagement fit son lot de victimes : un cinquième à un quart du contingent suisse disparut en Espagne. Sans parler de tous ceux qui furent blessés. Tout cela pour défendre leurs idéaux et la démocratie. Tout cela pour que les survivants soient traités comme des criminels à leur retour en Suisse. Et pour que leur pays soit le premier à reconnaître le régime de Franco.

Charles Heimberg, Le Courrier, 10.11.2001

 

Pour une mémoire partagée de l’antifascime

La solidarité avec l’Espagne républicaine et, démocratique ne s’est pas limitée, loin s’en faut, à l’engagement sur place de courageux volontaires dans les milices populaires, les Brigades internationales ou l’assistance sanitaire. Elle a aussi eu toute son importance en dehors de l’Espagne, pour des récoltes et l’envoi de médicaments, de denrées alimentaires, parfois d’armes… À l’époque, en Suisse et ailleurs, c’est tout un peuple qui s’est mobilisé très concrètement afin de venir en, aide à la République meurtrie et pour faire face à l’agression fasciste. Les archives montrent d’ailleurs que des leaders comme Tronchet ou Bertoni avaient tenté de dissuader certains camarades de partir pour l’Espagne parce qu’ils auraient été plus utiles en Suisse. Aussi le travail et la solidarité active de ceux qui sont restés sur place, à l’instar d’un André Oltramare ou d’un Roger Fischer, ne devraient-ils pas être négligés.

Mais cette solidarité, aussi large fût-elle, ne concernait guère que des milieux progressistes. Ce qui nous rappelle en même temps que les démocraties occidentales, aveuglées par leur peur, du communisme, ne firent rien pour sauver la jeune République espagnole, pourtant démocratiquement constituée. D’ailleurs, c’est peut-être justement pour ne pas avoir à le rappeler que les clivages d’antan semblent se prolonger dans la durée. Ainsi, parmi beaucoup de pages blanches, la récente commémoration du centenaire de la remise du Prix Nobel de la Paix à Henry Dunant, « Genève, un lieu pour la paix », n’a-t-elle rien dit de cette lutte contre les fascismes, ignorant bien sûr le monument récemment dédié aux brigadistes à la Rue Dancet. Tout comme elle a soigneusement, oublié la terrible fusillade du 9 novembre 1932 contre une manifestation antifasciste. Pourtant, la lutte contre les fascismes – et notamment contre leur passion pour la force et les faits de la guerre – était aussi à l’époque une manière de lutter pour préserver la paix. Or, rétrospectivement, alors même que les volontaires suisses de la guerre d’Espagne n’ont toujours pas été pleinement réhabilités, et bien que les témoignages de la plupart d’entre eux évoquent davantage la question de la démocratie que celle de la paix, on peut légitimement se demander comment la société contemporaine pourrait construire sérieusement la paix de demain en effaçant tous les symboles de l’antifascisme de sa mémoire. Et s’il ne serait pas nécessaire que cette mémoire puisse vraiment concerner – enfin – tous les acteurs de la démocratie afin de la préserver des nombreuses menaces, aujourd’hui ravivées, qui pourraient la miner.

Charles Heimberg, Le Courrier, 10.11.2001

 

Deux ouvrages à lire sur la Suisse et la guerre d’Espagne

Les Éditions Antipodes, à Lausanne, viennent de publier simultanément deux livres sur la Suisse et la guerre d’Espagne, et il faut s’en féliciter. Les Combattants suisses en Espagne républicaine (1936-1939), de Nic Ulmi et Peter Huber, rend compte avec beaucoup de précision et de nombreux exemples, tirés pour la plupart d’archives fédérales et moscovites qui fourmillent de témoignages, du périple espagnol des quelques 815 volontaires suisses ou provenant de Suisse – dont la liste est établie. Les conditions de leur départ, la nature de leur engagement, leurs expériences au front et sur le plan politique, puis l’accueil vengeur qui leur a été réservé à leur retour en Suisse, sont tour à tour évoqués dans cet ouvrage qui constitue une fort belle synthèse, mais auquel manque un index.

Pour sa part, le recueil collectif édité par Mauro Cerutti, Sébastien Guex et Peter Huber, La Suisse et l’Espagne de la République à Franco (1936-1946), qui regroupe notamment des contributions issues d’un colloque de l’Université de Lausanne, aborde toutes sortes de thématiques qui donnet à voir une Suisse officielle particulièrement soucieuse de ses intérêts économiques, mais aussi, bien entendu, les manifestations populaires de la solidarité avec la République agressée. On y trouve en particulier des informations sur l’attitude des autorités suisses, systématiquement défavorable aux Républicains, notamment lorsqu’il s’est agi d’accueillir ou de refouler des réfugiés. D’intéressantes réflexions de Catherine Fussinger sur la division sexuelle et la visibilité des femmes dans les actions de solidarité. Ainsi que des données révélatrices sur l’engagement des intellectuels et l’indifférence de la classe dirigeante à l’égard de ceux qui défendaient la République. Ou encore sur les liens qui se sont noués entre les autorités du camp nationaliste et la Ligue anticommuniste de Théodore Aubert, Michel Caillat ayant pu en établir la preuve.

Ces deux publications, qui seront encore complétées par les actes d’un colloque international sur les brigadistes, se situent en aval d’un programme de recherche qui a permis de mettre à jour de nouveaux documents, de procéder à un bilan d’ensemble et de faire substantiellement progresser la connaissance d’un épisode essentiel pour l’analyse et la compréhension du XXe siècle. Leur qualité devrait aider les historiens à mieux prendre en considération le drame espagnol, et ses échos en Suisse, dans leurs récits et leurs reconstructions.

Charles Heimberg, Le Courrier, 10.11.2001

 

Guerre d’Espagne : la Suisse a-t-elle fait le bon choix ?

Deux publications analysent les liens entre la guerre d’Espagne et notre pays. Entre neutralité malmenée et engagement durement réprimé, un rappel souvent douloureux

Du Guernica de Picasso à la Mort d’un milicien fixée sur la pellicule par Robert Capa, du roman (Pour qui sonne le Glas de Hemingway) au cinéma (Land and Freedom de Ken Loach), la guerre d’Espagne n’a cessé de nourrir la mémoire collective de notre temps. Chapitre capital de l’histoire du XXe siècle, l’épisode avait pourtant largement échappé à l’analyse des historiens suisses. Un vide que comblent aujourd’hui deux ouvrages universitaires : La Suisse et l’Espagne de la République à Franco (1936 -1946) et Les Combattants suisses en Espagne républicain (1936-1939).

Reposant pour l’essentiel sur les contributions apportées lors d’un colloque organisé à l’Université de Lausanne en décembre 1998, le premier vise à donner une image globale des rapports entre les deux pays durant cette période troublée. Du soulèvement nationaliste de juillet 1936 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une quinzaine d’auteurs décryptent les choix et les actes des autorités, comme de la gauche helvétique. Avec, d’un côté, un parti pris aussi évident que précoce pour le camp nationaliste – la Suisse a été le premier pays à reconnaître officiellement le régime de Franco. Et de l’autre, un soutien souvent spontané du mouvement ouvrier, passant par la lutte armée, l’aide indirecte ou un simple, mais puissant, sentiment de solidarité. Complément idéal à cette présentation parfois un peu décousue, Les Combattants suisses en Espagne républicaine dresse le portait des 815 combattant(e)s, suivis de leur départ pour l’Espagne à leur retour au pays, où ils sont accueillis par une justice intransigeante. Fluide, extrêmement bien documenté – notamment grâce aux archives des Brigades internationales, conservées à Moscou – porté par un style limpide, cet essai captivant regorge d’informations souvent inédites.

Plus fréquemment issus du milieu ouvrier que du monde intellectuel, urbains plutôt que ruraux, les partisans suisses ne formaient pas pour autant une population homogène. Outre la langue qui les sépare, ils ne sont pas tous venus en Espagne pour les mêmes raisons. « Jusqu’à maintenant, explique Peter Huber, les historiens avaient tendance à sous estimer certains des facteurs qui ont poussé ces gens à s’engager. Hormis la motivation politique, qui est souvent bien réelle, l’attrait de l’Espagne comme terre mythique du soleil et des plages, par exemple, est très présent. Si le conflit s’était déroulé en Pologne ou en Tchécoslovaquie, on n’aurait sans doute pas vu le même taux de participation de la part des Suisses. Mais il y a aussi ceux qui partent pour des raisons familiales, parce qu’ils ne peuvent plus payer la pension des enfants. Et ceux qui ont des petits ennuis avec la justice… »

Une justice que tous retrouveront dès leur retour en Suisse. Peut-être effrayés par l’ampleur du mouvement de sympathie pour l’Espagne « rouge », les tribunaux nationaux ont la main particulièrement lourde. Alors que dans la plupart des autres pays européens, comme la France, la Belgique ou l’Angleterre, les volontaires de la guerre d’Espagne sont arrêtés temporairement ou simplement interrogés, les ressortissants suisses n’échappent que très rarement à la prison.

« Suite au débat public de ces cinq dernières années, les autorités suisses ont reconnu que le gouvernement avait eu des attitudes intolérables durant la Seconde Guerre mondiale. A mon sens, le même processus devrait être mené pour, ce qui est de la guerre d’Espagne, qui est aussi une période d’années sombres, déclare Peter Huber. Il serait notamment souhaitable de revenir officiellement sur la politique d’accueil des réfugiés ou la condamnation des volontaires. Dire une fois pour toutes que ces gens sont partis pour défendre une cause noble, qu’ils se sont battus pour le meilleur et contre le pire et qu’ils ne méritaient pas d’être punis pour avoir fait un tel choix ».

Vincent Monnet, Le Temps, 24.11.2001 

 

Les relations entre la Suisse et l’Espagne, l’Espagne de la République puis celle de Franco, furent complexes. Un colloque, tenu à Lausanne en 1998, était consacré à faire le point sur la période allant du soulèvement nationaliste de juillet 1936 à l’immédiat après-guerre. Les actes en ont été rassemblés dans un volume intitulé La Suisse et l’Espagne de la République à Franco, 1936-1946 : relations officielles, solidarités de gauche, rapports économiques. Les articles ainsi réunis couvrent un vaste spectre : les relations officielles de la Confédération avec les protagonistes en conflit, les positions des partis politiques de gauche comme de droite, les relations bancaires et économiques, la question des engagés volontaires ou de la position de l’armée suisse. On le sait, la guerre d’Espagne a aussi été un conflit d’images ; à cet égard, l’article portant sur l' »Image cinématographique du conflit espagnol » se révèle particulièrement intéressant. De même, la contribution relative aux positions des Églises protestante et catholique démontre l’influence considérable de la revue Esprit et des idées défendues par Emmanuel Mounier. D’une manière générale, mis à part les mouvements de gauche et quelques intellectuels, la Suisse officielle ou patronale sera plutôt favorable aux nationalistes. Brossant un tableau d’ensemble des relations de la Suisse avec l’Espagne, les contributions formant l’ouvrage sont variées; il manque – défaut inhérent à ce genre d’exercice – une vision d’ensemble. Si certains textes replacent bien la problématique dans une perspective globale, d’autres en restent à des données chiffrées dont il manque l’arrière-fond européen. Une bibliographie très abondante, classée par thèmes, permettra au lecteur de poursuivre son étude.

Bulletin critique du livre en français, no 641, 2002

 

Neutre pour ne pas rougir?

En 1936, Franco plongeait l’Espagne dans la guerre civile. Un recueil collectif récent montre que la Suisse, conciliante avec le futur caudillo, fut aussi solidaire des Espagnols. Et que la bourgeoisie profita de la politique de neutralité pour endiguer la montée du « péril rouge » en Helvétie.

Juillet 1936. Ravagé par une guerre fratricide, le visage de l’Espagne annonce à toute l’Europe des lendemains convulsifs. Car le coup d’Etat lancé par la junte militaire de Franco, qui se heurte aux forces populaires de la République légitime, amorce plus qu’une simple guerre civile. Les puissances de l’Axe et de Moscou attisent les combats. Et dans cette conflagration qui disloque les chairs et lamine les villes, les « Rouges » républicains ou les « Blancs » phalangistes sont poussés – et broyés – par des forces nommées communisme. capitalisme, athéisme, christianisme, démocratie ou fascisme.

Aussitôt perçu dans sa teneur idéologique, le conflit passionne l’opinion helvétique de l’époque. Un ouvrage collectif paru aux éditions Antipodes, La Suisse et l’Espagne de la République à Franco, dissèque la réaction de la Suisse – des autorités fédérales aux milieux économiques, en passant par l’armée. les intellectuels, les autorités religieuses et les Mouvements de gauche.

Au fil de cette vingtaine de contributions apparaît un tableau détaillé avant tout destiné au spécialiste. On y découvre une Suisse officielle soucieuse de sa neutralité et préoccupée par les intérêts de l’économie helvétique dans la péninsule, donc proche du futur caudillo.

Parfois allusif et redondant. l’ouvrage effleure la question de la qualité et de l’ampleur de l’information sur laquelle les Helvètes fondaient leur réaction – une information souvent manipulée par la propagande des belligérants. Mais le lecteur trouvera dans ce recueil de quoi satisfaire ou relancer sa curiosité. D’autant que certains textes évoquent des thèmes inattendus, comme la censure cinématographique exercée dans le canton de Vaud. Florilège en cinq condensés.

L’art de neutraliser

En août 1936, un arrêté fédéral interdit l’exportation d’armes. le départ de volontaires et la collecte d’argent à destination des belligérants (sauf à des fins humanitaires). Un second arrêté soumet les manifestations concernant l’Espagne à une autorisation cantonale. Ces dispositions s’inscrivent dans la politique de neutralité de la Suisse – étendue à ses citoyens. Mais surtout, elles permettent aux partis bourgeois d’éviter que la gauche ne se développe en Suisse à la faveur des événements espagnols.

Toca mais pas toqué

Les autorités et la finance suisses veillent sur les entreprises helvétiques établies en République. Car la collectivisation menée par les milieux ouvriers espagnols inquiète. Une aubaine pour le sulfureux Bernabé Toca. Cet intrigant représente à Berne le « gouvernement » franquiste. qui ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance officielle. En renseignant les cercles économiques sur la manière de défendre leurs intérêts, Toca obtient l’essentiel des privilèges diplomatiques que la Suisse réserve aux missions reconnues. Mieux: il parvient à récolter des sommes importantes auprès des entreprises suisses au profit des putschistes. En dépit des arrêtés fédéraux!

Une maille à gauche

Limitée par les arrêtés d’août 1936, la solidarité des socialistes suisses prend la voie humanitaire (sanitaire, alimentaire et vestimentaire) et s’adresse aux victimes républicaines. Les femmes occupent une place centrale dans ce réseau de charité. On voit notamment fleurir des ouvroirs où elles reprisent et confectionnent pantalons ou chaussettes de nuit. Sous l’œil de bienveillants « savants » et de politiques, qui viennent dispenser leur savoir à l’assemblée de doigts alertes. Non sans arrière-pensées: c’est l’occasion pour les partis de gauche de prendre dans leurs mailles des femmes jugées « moins sensibles à la propagande axée sur la lutte des classes ».

Drôles de jeux

En mai 1936, la Catalogne invite les travailleurs du monde entier à participe, à l’Olympiade populaire de Barcelone. Une grande fête du sport réunissant 18 disciplines et 6000 athlètes, qui se profile comme une alternative aux Jeux de Berlin récupérés par Hitler. L’événement célèbre la culture « folkloresque » du prolétariat. La délégation suisse – 300 sportifs, pour la moitié genevois – affrète un train spécial. Peine perdue: le 18 juillet, le soulèvement de la junte militaire et les combats de rue remplacent la cérémonie d’ouverture prévue pour le lendemain. L’Olympiade est « engloutie par la guerre ». Ceux qui sont arrivés à Barcelone par leurs propres moyens sont rapatriés. Quelques-uns se portent volontaires pour combattre au sein des milices républicaines.

Le sang des rouges

Comment permettre à des personnes sans moyens, touchées par la crise qui sévit dans la Suisse des années trente, de participer à l’entraide internationale? Un communiste genevois, le Dr Roger Fischer, songe au don du sang mais bute sur un obstacle technique: on estime encore que le meilleur récipient conservateur est le donneur lui-même. Qu’à cela ne tienne! Le Dr Fischer invente un procédé chimique de conservation du plasma, qu’il propose de stocker dans de banales ampoules de verre. En mai 1937, un premier stock de 7 litres recueillis auprès d’une trentaine d’ouvriers lausannois part pour le front républicain. Perfectionné, le procédé du Dr Fischer connaîtra une large diffusion lors de la Seconde Guerre mondiale.

Stéphane Sanchez, La Gruyère, 10.01.02

 

Ce livre de plus de 600 pages rassemble les actes d’un colloque de l’Université de Lausanne de décembre 1998, soit vingt articles au total, complétés par deux index indispensables, l’un pour les noms de personnes et l’autre pour les noms d’associations et d’entreprises. La publication est de qualité, bien que l’on puisse regretter le manque d’illustrations. Mais l’ouvrage est essentiellement un outil de travail remarquable et il est heureux qu’un éditeur publie un travail collectif d’une telle ampleur : il s’agit en effet de présenter un tableau général des relations entre les deux pays, du début de la guerre d’Espagne jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’originalité de la démarche est à saluer : les éditeurs ne se sont pas contentés d’envisager la position de la Suisse face à la tragédie espagnole de 1936-1939, mais souhaitaient élargir leur étude aux relations entre les deux pays durant une guerre à laquelle ils ne participent pas directement, mais qui marque profondément leur histoire.

La première partie est intitulée « la Suisse officielle ». Les sept articles qui la composent traitent essentiellement de l’attitude de la Suisse face à la guerre d’Espagne et à ses conséquences directes. La Suisse maintient jusqu’en 1939 ses relations officielles avec la République espagnole, tout en accentuant progressivement des relations de facto avec les nationalistes, par souci de réalisme politique et de défense des intérêts économiques helvétiques. Le gouvernement fédéral, comme d’ailleurs les autorités cantonales au travers de l’exemple vaudois, cherchent à limiter toutes les manifestations d’aide et de soutien aux deux belligérants, sous le couvert d’une politique de stricte neutralité. Mais c’est en matière d’asile que les autorités suisses se montrent particulièrement strictes: l’accueil des réfugiés républicains se limite à une petite vingtaine de personnes, par peur des Rouges mais aussi pour ne pas mécontenter les autorités franquistes! Le réalisme politique triomphe encore, même s’il faut refouler plusieurs centaines de personnes en juin 1940.

La deuxième partie examine la position de la gauche suisse face à la guerre d’Espagne, en privilégiant la Suisse romande. Les articles examinent les conséquences politiques du conflit sur les différents mouvements ou partis de gauche, mais aussi les différentes actions de solidarité en faveur des républicains espagnols, l’engagement des milieux intellectuels ou l’aide plus directement militaire du mouvement anarchiste genevois. Deux articles isolés présentent la position minoritaire du soutien à la République dans les milieux catholiques et protestants, et l’action méconnue de l’Entente internationale anticommuniste en faveur des nationalistes.

La dernière partie est consacrée aux relations économiques hispano-suisses. Plusieurs articles très complets présentent l’ampleur relativement modeste des capitaux suisses investis en Espagne. Les entreprises suisses cherchent à les développer, ce qui explique leurs pressions sur les autorités fédérales pour obtenir la reconnaissance rapide du régime franquiste. Pourtant, la politique économique menée par l’Espagne franquiste à partir de 1939 limite le développement des relations financières et commerciales entre les deux pays. L’intérêt de cette partie dépasse largement le cadre des relations hispano-suisses durant cette période: toute l’histoire des investissements suisses en Espagne dans la première moitié du XXe siècle est abordée, ainsi que ceux des grandes puissances en Espagne à cette époque.

Le livre se termine par une présentation très complète et très utile des sources et de la bibliographie disponibles sur l’histoire des relations entre la Suisse et l’Espagne durant cette période. Incontestablement, cet ouvrage remarquable est une référence indispensable pour écrire l’histoire de la Suisse, de l’Espagne et de la Guerre civile. Nous pouvons regretter toutefois l’absence d’articles sur les relations politiques entre la Suisse et l’Espagne entre 1940 et 1945.

 Michel Catala, Relations Internationales, no 113, printemps 2003

 

Die Schweiz und der spanische Bürgerkrieg. Ein Forschungsprojekt in Lausanne und Genf

Eine Gruppe von HistorikerInnen an den Universitäten Lausanne und Genf führte zwischen 1996 und 2000 ein umfangreiches Forschungsprojekt über das Verhältnis der Schweiz zum Spanischen Bürgerkrieg vor. Jetzt liegt ein Grossteil der Ergebnisse vor. Das von der offiziellen Schweiz über lange Jahrzehnte gepflegte Bild einer kleinen, aber nicht zu erschütternden Demokratie ist bekanntlich schon durch die jüngsten Erkenntnisse zum Zweiten Weltkrieg arg beschädigt worden. Im Negativsaldo ist, auch wenn es nun nicht die Dimension der Ereignisse ab 1939 einnahm, das Verhalten gegenüber Spanien aufzunehmen. Zum einen war die Schweiz durchaus ein Land, in dem eine breite Unterstützung für die republikanische Seite zustande kam. Rechnet man die etwa 800 Freiwilligen, die zumeist in den Internationalen Brigaden kämpften, auf die Bevölkerungszahl um, so gehört die Schweiz tatsächlich zu den Ländern Europas, aus denen mit das grösste Kontingent kam. Dagegen stand das offizielle Verhalten, formal der Neutralität, faktisch der Unterstützung für die Putschisten. Den Freiwilligen auf seiten der Republik wurde bei ihrer Rückkehr der Prozess gemacht. Auch noch jüngste Versuche, diese Urteile aufzuheben, sind gescheitert.

Bisher lagen schon einige Memoiren sowie journalistische Arbeiten über die Schweizer Spanienkämpfer vor. Doch nun sind die Archive der Internationalen Brigaden in Moskau zugänglich, und dies wurde im Rahmen des Forschungsprojekts von Nic Ulmi und Peter Huber zur Erarbeitung einer umfassenden Studie genutzt: Nic Ulmi/Peter Huber, Les combattants suisses en Espagne républicaine (1936-1939) (Lausanne, Antipodes 2001, 339 Seiten).

Das reiche Archivrnaterial ermöglichte mehr als blosse Erlebnisbeschreibungen, als Schilderungen von Episoden aus den Kämpfen oder dem Alltagsleben, woraus die bisherigen Veröffentlichungen im wesentlichen bestanden. Auf eine Schilderung des Wegs zur Etablierung der Internationalen Brigaden durch die Komintern folgt somit als erster grösserer Teil eine umfassende Analyse, die einen genauen quantitativen Überblick mit einem Sozial und politischen Profil der Kämpfer verbindet. Mit diesem soziologischen Kollektivporträt werden ihre Motive und Beweggründe deutlich, die ja nicht nur aus einem aligemeinen politischen Bekenntnis bestanden, sondern zumeist auch mit der persönlichen Situation (vor allem Arbeitslosigkeit) verknüpft waren.

Im Hauptteil werden aufgrund der Akten die genaue Beteiligung an den Kämpfen, die Rolle der organisatorischen Strukturen, in die die Kämpfer eingebunden waren (was auch das Problem der politischen Kontrolle unter dem Zeichen des Stalinismus umfasste), und die schliessliche Demobilisierung nachgezeichnet. Ein abschliebender Teil beleuchtet die Rückkehr, d. h. das Schicksal der Spanienkämpfer in den Mühlen der Justiz und, ganz allgemein, ihr weiteres Schicksal. Dem Band ist noch ein statistisch-tabellarischer Anhang sowie eine bibliographische Übersicht über die bisherige Literatur zu den Schweizer Spanienkämpfern beigegeben.

Das ganze ist eine vorbildliche Studie, die an eine Reihe anderer Länderdarstellungen seit Offnung des Moskauer Archivs anschliesst. Zu denken ist hier vor allem an Rémi Skoutelskys beeindruckende Untersuchung LEspoir guidait leurs pas. Les Volontaires français dans les Brigades internationales, 1936-1939 (Paris 1998). Vielleicht wird es auch nicht allzu lange dauern, bis eine vergleichbare Studie auf der Basis dieser neu zugânglichen Archivmaterialien über die deutschen Freiwilligen erstellt wird (wobei hierzu neben dem Moskauer Archivbestand auch sehr vieles im alten SED-Archiv, das heute im Bundesarchiv in Berlin liegt, zu finden wäre).

Im Rahmen dieses Projekts fand im Dezember 1998 auch eine Tagung an der Universität Lausanne statt, die in einem Sammelband dokumentiert wird: Mauro Cerutti / Sébastien Guex / Peter Huber (Hg.), La Suisse et l’Espagne de la République à Franco (1936-1946) (Lausanne, Antipodes 2001, 603 Seiten). Dabei ging es darum, ein Gesamtbild der Beziehungen der Schweiz mit Spanien vom Bürgerkriegsbeginn bis zum Ende des Zweiten Weltkriegs zu zeichnen. Von den insgesamt neunzehn Beiträgen beschreibt ein erster Block die offiziellen Beziehungen, wie sie sich aus der Diplomatie entwickelten. Die Feststellung ist wohl nicht überraschend, dass bei aller beschworen Neutralität die staatliche Haltung sehr schnell in Richtung auf den neu entstehenden Franco-Staat » ging. Ein zweiter Komplex beschäftigt sich mit der Haltung der Linken im Land, die – fast kännte man sagen: natürlich – genau entgegengesetzt war. Hierbei geht es um die konkreten Formen der Solidarität, wie sie sich in der Schweiz entwickelten. Weitere Beiträge beschäftigen sich mit der Haltung der Kirchen und der in Genf angesiedelten internationalen antikommunistischen Entente. Im abschliessenden Teil werden die verschiedensten Aspekte der Wirtschaftsbezîehungen behandelt, wobei die Jahre nach 1939, also die erste Zeit des Franco-Regimes, einen besonderen Stellenwert einnehmen. Den Beiträgen ist noch eine ausführliche Bibliographie beigegeben, die ebenfalls auf Archivbestände sowie zeitgenössische Artikel in der Presse verweist. Diesem instruktiven Tagungsband wird hoffentlich bald noch ein weiterer zur Dokumentation der zweiten Tagung im Rahmen dieses Forschungsprojekts folgen, auf der über die Internationalen Brigaden diskutiert wurde.

Reiner Tosstorff, Tranvia, Revue der Iberischen Halbinsel, Juin 2003

 

Dans Solidarités

Les textes rassemblés dans cet ouvrage donnent un tableau d’ensemble des rapports entre la Suisse et l’Espagne depuis la crise ouverte par le soulevement nationaliste en juillet 1936, en passant par la Deuxieme Guerre mondiale, jusquà l’après 1945, alors que le régime de Franco est frappé d’isolement par l’ONU. Sont examinées, en particulier, la politique de la Suisse officielle, au niveau international, mais aussi intérieur. Une large place est accordée aux actions de solidarité organisées par la gauche helvétique, ainsi qu’aux relations économiques entre les deux pays.

Les auteur-e-s traitent d’un grand nombre de sujets: les relations diplomatiques de la Suisse avec les deux Espagnes; l’attitude des intellectuels, de l’armée, des milieux d’extrême-droite, des Églises, du mouvement ouvrier ou des œuvres d’entraide; le sort des exilés et internés; Les relations économiques et les intérêts suisses en Espagne.

Solidarités, N° 134 (ancienne série), 29 septembre 2001, p. 25