Accouchement et douleur. Une étude sociologique

Vuille, Marilène,

1998, 156 pages, 17 €, ISBN:2-940146-12-8

Depuis quelques années, plus précisément depuis l’ouverture des centres de prise en charge des douleurs chroniques, les médias se sont emparés de la souffrance physique. Ils la dépeignent comme une malédiction à combattre à l’aide de tous les moyens offerts par les sciences médicale et pharmaceutique, n’hésitant pas à la qualifier de « scandale ». Toutefois, certains domaines cèdent avec difficulté à cette mutation culturelle; l’obstétrique en constitue un cas exemplaire. En effet, les douleurs de l’accouchement, bien que rangées par les spécialistes parmi les plus intenses qui se puissent éprouver, bénéficient encore d’une forte acceptabilité sociale.

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Description

Depuis quelques années, plus précisément depuis l’ouverture des centres de prise en charge des douleurs chroniques, les médias se sont emparés de la souffrance physique. Ils la dépeignent comme une malédiction à combattre à l’aide de tous les moyens offerts par les sciences médicale et pharmaceutique, n’hésitant pas à la qualifier de « scandale ». Ainsi, notre époque marque la transition d’une éthique d’acceptation de la douleur, épreuve inéluctable de l’existence humaine, à une éthique du refus de souffrir et de l’impératif thérapeutique. Toutefois, certains domaines cèdent avec difficulté à cette mutation culturelle; l’obstétrique en constitue un cas exemplaire. En effet, les douleurs de l’accouchement, bien que rangées par les spécialistes parmi les plus intenses qui se puissent éprouver, bénéficient encore d’une forte acceptabilité sociale. Cet ouvrage, parti d’une enquête sur les représentations contemporaines de la douleur, tente de comprendre quelles logiques sous-tendent une telle contradiction: pourquoi est-il acceptable, voire préconisé, d’accoucher dans la douleur au sein d’une société antidoloriste?

Presse

Faut-il taire les douleurs de l’accouchement?

Quand on parle d’accouchement, c’est rarement pour dire la douleur et le sang. Même la mère semble oublier ce moment ou l’accepter. Que ne feraiton pas pour l’enfant désiré? Marilène Vuille, alors étudiante en sociologie, a été fort surprise de découvrir, dans ses lectures, que l’accouchement était toujours considéré comme un acte propre, ordonné « sans débordement ni giclée de sang, et qui plus est indolore et désexualisé ». Dans Accouchement et douleur, elle brise presque un tabou. Elle s’intéresse aussi à l’acception de la douleur de l’accouchement à l’heure où la société exige de la médecine de lui éviter toutes souffrances.

MAG, Le Courrier, 1er septembre 1999 

O douleur, ô accouchement

Malgré les méthodes d’entraînement prénatal, les douleurs de l’accouchement continuent d’être monnaie courante pour beaucoup de femmes. Un ouvrage enquête sur les raisons de ce paradoxe. Aujourd’hui la douleur est jugée archaïque. On la soigne, on la traque, on la combat| Il est pourtant un domaine où elle est considérée comme acceptable, naturelle, voire bénéfique : la naissance d’un enfant. Pourquoi? Pour quelles raisons, alors que les progrès technologiques permettent de maîtriser la souffrance physique, les douleurs de l’accouchement sont-elles tues, puis évacuées de la mémoire au plus vite?

L’avertissement biblique « Tu accoucheras dans la douleur » serait-il encore d’actualité? Ce sont les questions que s’est posée une sociologue lausannoise, Marilène Vuille, dans son ouvrage, Accouchement et douleur. Une étude sociologique.

La méthode pavlovienne

Des scientifiques américains ont tenté d’échelonner les types de douleur suivant leur degré d’intensité. Le « plus beau moment de la vie d’une femme » vient en deuxième position, au même niveau que l’arrachage d’un doigt, avant la sciatique et la rage de dent. Aucun gynécologue au monde n’évoque ces résultats devant ses patientes. Même si ces conclusions sont à prendre avec des pincettes-comment mesurer la douleur?-elles témoignent néanmoins que les douleurs du travail de l’accouchement restent encore, aux yeux du monde médical et des femmes elles-mêmes, largement sous-estimées. Une petite part de responsabilité revient aux Russes, qui, dans les années trente, ont imaginé une méthode hypnosuggestive, inspirée des expériences pavloviennes, susceptible d’indoloriser le plus grand nombre d’accouchées. En fait, il s’agissait de réapprendre aux femmes un instinct maternel dont les avait privées des années de civilisations. Une mythologie sociale, inspirée par l’ignorance masculine en la matière, s’est imposée: vénérer les femmes des sociétés primitives accouchant, paraît-il, sans douleurs (Paul-Emile Victor témoigne que les Esquimaudes sont particulièrement insensibles aux souffrances de l’enfantement).

Le «mal joli»

Aujourd’hui, on est revenu des méthodes hypnosuggestives de l’accouchement sans douleur. Mais lors des cours de préparation organisés par des sages-femmes, pourtant témoins des souffrances des parturientes, il est fréquent d’entendre des phrases telles que « décontractez-vous madame », ou « l’important c’est de respirer calmement »; on y pratique le yoga ou la relaxation, des vidéos sont présentées où l’on voit des Danoises-ce ne sont plus les Esquimaudes-accoucher en buvant une tasse de thé. L’entraînement prénatal à l’accouchement permet d’être-momentanément-rassurée; mais en aucun cas, il ne fait disparaître la douleur. La seule technique qui indolorise efficacement l’accouchement est la péridurale. Or, si pour une rage de dent, par exemple, il serait invraisemblable de se passer d’une anesthésie, les femmes rechignent à y faire appel pendant l’accouchement, résistant jusqu’à ce que la souffrance soit véritablement intenable. Au fil des témoignages recueillis par Marilène Vuille, on s’aperçoit que la douleur est, au fond, constitutive de l’accouchement. Donner la vie est un tel cadeau qu’il nous faut le mériter. Ce qui fait dire à la sociologue: « La mère crée l’enfant et la douleur crée la mère ». Le bonheur d’être mère contamine en quelque sorte la douleur qui se transforme en « mal joli » et l’intensité du mal hiérarchise l’expérience vécue.

Le livre de Marilène Vuille est un livre généreux. Généreux envers les personnes appelées à témoigner et à parler de leur expérience, généreux aussi par la qualité et la richesse du travail fourni, par le nombre de pistes qu’il rèvèle. Généreux enfin dans l’approche humaine, interrogative d’un sujet sociologique laissé longtemps à l’obscurantisme et à l’ignorance. Un livre de chevet à préférer aux recettes angéliques consacrées au « plus beau moment de la vie ».

Géraldine Savary, Domaine Public 1371, 14.1.99

Notre société rejette la douleur physique, sauf celle qui terrasse les parturientes

Intriguée par cette contradiction, une sociologue lausannoise tente de comprendre ce qui incite les femmes à trouver normal, voire souhaitable, de souffrir pour mettre au monde un enfant.

Seriez-vous d’accord de vous faire sectionner un doigt ou arracher une dent de sagesse sans anesthésie? Sûrement pas. C’est pourtant à ce type d’expériences que l’on compare parfois l’intensité des douleurs de l’enfantement.

Or, paraît-il qu’en Suisse. romande, les femmes sont encore nombreuses à ne pas réclamer la péridurale (près de 50%, estime-t-on dans le milieu de l’obstétrique). Les méthodes psycho-prophylactiques de préparation à la naissance, inspirées, entre autres, de celle du Dr Fernand Lamaze, permettent sans doute d’affronter l’épreuve avec davantage de sérénité, mais elles ne suppriment pas « les douleurs ». Avons-nous à ce point intégré la parole de la Genèse que nous refusions de souffrir vingt minutes chez le dentiste tout en acceptant d’endurer des heures de torture sur une table d’accouchement?

Dans son ouvrage Accouchement et douleur, une étude universitaire qui inaugure la collection « Existence et société » des Editions Antipodes, la sociologue lausannoise Marilène Vuille constate que, dans notre société devenue résolument antidoloriste, les douleurs de l’accouchement bénéficient encore d’une forte acceptabilité sociale.

Depuis la fin des années 1980 en effet, le thème de la douleur physique est dans l’air du temps. Actuellement, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’un journal ou une émission de TV ne rappelle que, jusqu’à une date scandaleusement récente, on opérait les nouveau-nés sans les endormir. Et de s’indigner dans la foulée qu’on puisse encore souffrir dans les hôpitaux. Des centre de prise en charge des douleurs chroniques fleurissent dans toute l’Europe. Des spécialistes, rêvent d’éradiquer cette « maladie » que l’on peut et que l’on doit traiter à l’aide de tous les moyens à disposition. Mais curieusement, personne à ce jour, ne s’est levé pour clamer: « On peut, donc on doit supprimer la douleur des parturientes. »

Marilène Vuille a mené l’enquête sur le terrain. En archéologue des mentalités, elle a d’abord compulsé une énorme littérature sur le sujet, puis elle a interrogé des jeunes femmes entre 25 et 30 ans-des mères et des « non-mères »-ainsi que des professionnels de l’obstétrique. Aucun de ces répondants ne se déclare favorable à l’abolition de la souffrance des accouchées. Pourquoi?

La plupart s’emberlificotent dans des tentatives de justification confuses. Quant à la sociologue, elle ne prétend pas donner de réponse définitive, ni résoudre complètement l’énigme. Elle démonte des mécanismes et met en lumière le message-parfois subliminal-délivré aux futures mères par les livres sur la grossesse, les cours de préparation à l’accouchement, la société en général: « Je souhaite que cette étude puisse servir « outil de réflexion », inciter les gens à se positionner par rapport au discours contemporain, à se demander « suis-je profondément en accord avec ce que je décide ou est-ce que je crois cela parce que tout le monde le dit? »

En gros, la société attendrait des femmes qu’elles accouchent de façon naturelle, sans moyens techniques, dans la douleur, sans trop hurler, et qu’elles conservent, en plus un bon souvenir de l’épreuve. Charmant programme.

Parmi les femmes interrogées, certaines attribuent à la douleur le pouvoir de leur faire prendre conscience de la maternité.

Elle aurait une fonction morale et servirait de garde-fou contre les dérapages malheureux: « Si c’était trop facile, je crois qu’il y aurait encore plus de cas d’abandon », hasarde par exemple Monique.

D’autres la revendiquent comme une épreuve initiatique. « Beaucoup de gens, comparent l’expérience de l’enfantement au service militaire, dit Marilène Vuille. Or, une épreuve initiatique, on doit pouvoir s’en glorifier. Les hommes se sentent, autorisés à parler en long et en large de ce qu’ils ont enduré à l’armée devant une assemblée mixte, mais je n’ai jamais, entendu de femmes se répandre sur les affres de leur accouchement. La société ne leur permet pas d’en tirer prestige. La souffrance, des sportifs est beaucoup. plus valorisée. »

L’accouchement dans la douleur serait donc devenu une épreuve sans gloire peut-être promise aux oubliettes: « Si les femmes n’ont plus la possibilité de mettre en avant cette expérience comme quelque chose qui les grandit, je pense qu’elles ne verront bientôt plus l’intérêt de souffrir, avance la sociologue. » La tendance devrait aller vers l’indolorisation, à moins qu’il n’y ait à nouveau, comme cela semble être le cas en Suisse alémanique, des courants « écolo » qui réhabilitent la douleur de l’accouchement comme une expérience socialement valorisée. »

Joëlle Fabre, 24 Heures, 18 janvier 1999

Les femmes souffrent, Et alors

Une jeune sociologue lausannoise vient de publier une étude sur notre rapport ambigu aux souffrances de l’enfantement. Qu’ont-elle donc de si particulier ?

A une époque où le moindre coup de fraise sur une dent douloureuse se fait sous anesthésie locale, les douleurs de l’accouchement bénéficient d’une étrange indulgence: les femmes enceintes continuent à se demander si oui ou non elles ont envie de les endurer, quand bien même la péridurale est aussi disponible qu’efficace. Ce paradoxe a aiguillé la curiosité de Marilène Vuille, au point qu’elle y a consacré son travail de maîtrise en sociologie. Aujourd’hui, la jeune assistante à l’Université de Lausanne publie son étude en version grand public (Accouchement et douleur, Editions Antipodes), forte de la conviction que notre société ne veut pas entendre parler de cette souffrance-là.

– Pourquoi les femmes n’accouchent-elles pas systématiquement sous anesthésie?

– Il y a longtemps eu une barrière technique: les médecins craignaient que l’indolorisation pour la mère n’entraîne des complications pour le bébé. Mais cela n’explique pas tout, d’autant plus qu’aujourd’hui l’anesthésie par péridurale est extrêmement bien maîtrisée. Je fais plutôt l’hypothèse que le retard pris en obstétrique, par rapport à d’autres spécialités médicales, renvoie à une résurgence archaïque de l’inégalité entre hommes et femmes. Les douleurs qui ne touchent que les femmes ont été largement négligées jusqu’à peu. On retrouve cela dans des textes du XIXe siècle, où des chirurgiens sont persuadés que les femmes supportent bien mieux les opérations douloureuses que les hommes, comme s’il existait une forme de disposition des femmes à « endurer ». Il s’est donc développé une sorte de négligence, de fatalité, et soulager cette souffrance n’a pas été prioritaire. Aujourd’hui, on entend encore dire que, bon, toute douleur est insupportable, mais celle de l’accouchement est tout de même particulière…

-Alors que, par ailleurs, nous vivons dans la hantise de la douleur.

-Oui, depuis les années septante, en France, un peu plus tard en Suisse, s’est installé un discours violemment antidoloriste, surtout pour les douleurs dites « inutiles », soit celles qui, comme l’accouchement justement, n’ont pas fonction de prévenir d’un dysfonctionnement. Des centres de consultation contre la douleur se sont créés, engendrant un discours sur le « scandale de la douleur », le « droit de l’homme à ne plus souffrir ».

-Quels arguments invoque-t-on sur l’exception de l’enfantement?

-D’une part, on dit que ces douleurs relèvent d’un processus naturel, puisque l’accouchement n’est pas une maladie. Il faudrait donc ne pas devoir intervenir. D’autre part, il s’agit d’ordinaire d’un événement heureux et tout se passe comme si les douleurs, par métonymie, devenaient heureuses elles aussi. Il y a une pression sociale à ne retenir que le côté heureux de l’événement. Evidemment, ce raisonnement est spécieux: on pourrait très bien dire que les douleurs postopératoires annoncent une guérison, qu’elles sont naturelles et heureuses elles aussi. Pourtant on estime qu’elles sont intolérables et qu’il faut les soulager.

-Il reste des femmes à vouloir vivre cette douleur…

-Certainement. Mais cela relève purement de la conviction personnelle: une femme peut voir là l’expérience ultime de sa féminité ou alors une résistance contre la médicalisation d’un acte que l’on peut considérer comme intime. Jusqu’à il y a peu aussi, la douleur marquait l’entrée d’une femme dans la galaxie maternelle, c’était le premier acte sacrificiel de sa vie de mère.

-Une sorte d’initiation?

-Oui. Mais, socialement, ce rôle n’a plus guère de valeur. Dans les sociétés qui fonctionnent avec des rituels forts, le prestige de l’exploit est unanimement reconnu. Or, il ne se trouve aujourd’hui plus personne pour dire: « Ah, oui, ce sont des braves, elles ont réussi l’épreuve! » A contrario, d’autres épreuves gardent un caractère initiatique, comme le service militaire. Les hommes peuvent passer des soirées entières à en parler, dans une assemblée d’hommes et de femmes. En revanche, imaginez seulement des femmes détaillant leur accouchement en public…

Propos recueillis par Renata Libal, L’Hebdo, 28 janvier 1999