Un monde qui avait perdu sa réalité… Survivants juifs de l’Holocauste en Suisse

Gross, Raphael, Lezzi, Eva, Pavillon, Sophie, Richter, Marc R.,

2003, 237 pages, 23 €, ISBN:2-940146-35-7

« J’appelle cette image « Ma biographie ». Elle pourrait être la biographie de chaque survivant de la Shoah. Nous avons ici la moitié supérieure, qui est vide. On voit que les lettres sont tombées, l’ordre est annihilé. C’est ainsi que j’explique l’époque de Hitler, les années 1933 à 1945 (…). L’Alef en haut à droite regarde en grande partie hors du cadre dessiné. Il a donc pu se sauver du chaos, de la Shoah. Mais son pied est dedans. Cela va le poursuivre durant toute sa vie. Il croit qu’il a pu se sauver. Il est vrai qu’il s’en est sauvé par le corps, mais il s’y trouve toujours par la pensée. » (Extrait de l’entretien avec Fischel Rabinowicz, auteur du tableau figurant en couverture de ce livre.)

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Description

« J’appelle cette image « Ma biographie ». Elle pourrait être la biographie de chaque survivant de la Shoah. Nous avons ici la moitié supérieure, qui est vide. On voit que les lettres sont tombées, l’ordre est annihilé. C’est ainsi que j’explique l’époque de Hitler, les années 1933 à 1945. Nous avons Alef, tout en haut dans le coin. Je reviendrai encore là-dessus. Les 21 lettres qui restent sont tombées, et dans cette chute, sept de ces 21 lettres se sont retournées. Elles sont en miroir. Elles sont marquées avec la couleur grise. Les autres sont en noir, dans leur position correcte. Les sept en couleur grise ont une signification particulière. Si elles étaient à l’endroit, elles auraient le sens de Bejt pour la Connaissance, de Gimel pour la Richesse, de Dalet pour la Procréation, de Kaf pour la Vie, de P pour la Force, de Rejsch pour la Paix et de Tav pour la Grâce. Mais elles peuvent aussi signaler leur contraire, soit l’Ignorance, la Pauvreté, la Stérilité, la Mort, l’Agonie, la Guerre et l’Ignominie. Il s’agit là d’une interprétation Kabbalistique que j’ai tirée de l’œuvre de Sefer Jetzirah. L’Alef en haut à droite regarde en grande partie hors du cadre dessiné. Il a donc pu se sauver du chaos, de la Shoah. Mais son pied est dedans. Cela va le poursuivre durant toute sa vie. Il croit qu’il a pu se sauver. Il est vrai qu’il s’en est sauvé par le corps, mais il s’y trouve toujours par la pensée. »

(Extrait de l’entretien avec Fischel Rabinowicz, auteur du tableau figurant en couverture de ce livre.)

Cet ouvrage rassemble les témoignages de onze juifs d’Europe rescapés de la Shoah. Neuf de ces personnes vivent aujourd’hui en Suisse, car deux sont décédées entre-temps

Table des matières

  • Introduction (Raphael Gross, Eva Lezzi, Marc C. Richter)

  • « Penser a été la seule chose qui me soit restée. Personne n’a pu me l’interdire ». Entretien avec Jan Noach Trajster (aujourd’hui décédé)      

  • « Avec cette solitude totale… j’ai erré à travers le monde ». Entretien avec Golda L.      

  • « C’était un monde qui avait perdu sa réalité ». Entretien avec Josef H.      

  • « J’ai toujours considéré que la Suisse était ma patrie ». Entretien avec Reine Seidlitz (aujourd’hui décédée)      

  • « La Suisse n’avait pas d’autre choix que de collaborer et elle a collaboré… ». Entretien avec Roland Kirilovsky     

  • « Le monde doit savoir ». Entretien avec Fischel Rabinowicz     

  • « J’ai toujours été une étrangère, depuis ma naissance ». Entretien avec Theodora D.     

  • « Comment venir à bout de cette fureur? ». Entretien avec Judith Meyer-Glück   

  • « Si le Messie venait maintenant, il serait bien incapable de nous retrouver ici ». Entretien avec Eduard Kornfeld     

  • « Je suis juif au plus profond de mon cœur. On ne peut pas me l’enlever, pas même Auschwitz. » Entretien avec Otto Klein     

  • « Nous les survivants, nous ne devrions pas laisser les morts seuls… ». Entretien avec B-8326     

Presse

Dans la Revue juive

En cette fin de cycle commémoratif des septante ans de la libération des camps et de la défaite du nazisme, la parole de celles et ceux ayant survécu à cette période résonne de manière particulière. Surtout lorsque, aujourd’hui presque tous morts, c’est en Suisse, où ils avaient (finalement) pu élire domicile. Qu’ils avaient accepté de se confier, souvent pour la première fois. Comme le fait remarquer Sophie Pavillon dans la postface de ce remarquable ouvrage collectif paru en 2003, même si des gens comme le socialiste Pierre Graber dénonçait dès le 13 août 1942 (dans La Sentinelle) la « Saint-Barthélemy moderne » que demeure la rafle du Vél d’Hiv, la Confédération avait pratiqué une politique d’accueil très restrictive et (bien que les toutes premières informations du Congrès juif mondial sur les camps soient parties de Genève) sévèrement « contrôlé » toutes les nouvelles sur ce qui se passait alentour.

Mais, aujourd’hui, non seulement les témoignages ou récits recueillis en 1997 continuent à nous en apprendre énormément sur « les choses humaines et la valeur de la vie ». Avec en toile de fond les interrogations sur tout ce qui entoura les fameux fonds juifs « en déshérence », leur recueil et publication a marqué un tournant dans la prise de conscience collective. C’est donc avec une attention particulière qu’il faut lire ou relire les propos de Jan Noach Trajster, Golda L., Josef H., Reine Seidlitz, Roland Kirilovsky, Fischel Rabinowicz, Theodora D., Judith Meyer-Glück, Eduard Kornfeld, Otto Klein et B-8326. Premier de ces survivants à témoigner sur la réalité concentrationnaire comme sur l’accueil suisse, Jan Noach Trajster (aujourd’hui décédé) dit: « Penser a été la seule chose qui me soit restée. Personne n’a pu me l’interdire. » Il venait de la ville polonaise de Kielce (Pologne) et y avait été arrêté en tant que Juif dès 1933. Déjà célèbre pour l’antisémitisme qui y sévissait, cette ville s’est encore illustrée par son pogrom de… 1946. De quoi faire dire au 3e intervenant, déporté à Sachshausen, la phrase ayant donné son titre à ce livre collectif. Sans ressentiment mais sous le signe de la lucidité et sans oublier d’autres aspects de la réalité décrite dans des récits comme, par exemple, celui de la très helvétique passeuse d’enfants juifs Anne-Marie Im Hof-Piguet. […]

Olivier Kahn, Revue juive, No. 4, 11 septembre 2015

De Gerschom Scholem BHL via les ex-réfugiés juifs en suisse

Après des films comme Nuit et Brouillard, Shoah ou Sobibor, bien après des livres comme ceux de Robert Antelme ou Primo Levi (et les autres…), on pouvait croire la cause de la Shoah définitivement « entendue ». La publication en français, par les Editions Antipodes récemment créées par le Lausannois Claude Pahud, des témoignages de 11 survivants juifs à la Shoah en Suisse montre qu’il n’en était rien. Et qu’un livre peut parfois faire bien plus que bouleverser.

Initialement parus en allemand chez Limmat Verlag (1999), ces 11 témoignages ont été réunis au sortir de la crise des fonds en déshérence par une équipe pour qui, manifestement, histoire ne rime pas qu’avec devoir de mémoire en forme de grimoire mais au moins autant avec sens à donner aux temps présent et à venir. Provenant du 3e témoignage, le titre du livre a plus qu’une valeur d’indication mais, tout signifiant et bien choisi qu’il est, ne résume évidemment pas tout des incroyables et pourtant bien réels parcours confiés. Ni la malheureusement fascinante variété des réactions engendrées pendant (et après) ces événements. Des comportements qui vont de la lucide et syndicalement comme politiquement courageuse intelligence des situations d’un Jan Noah Trajster (aujourd’hui décédé) à la sorte de dédoublement qu’exprime parfois un M. Klein n’ayant hélas que peu à voir avec le personnage du 7e art mais beaucoup de souvenirs du côté de Mengele. Idem avec les ravages de la solitude ressentie par les uns et ceux de la promiscuité subie par les autres, du sadisme ou de l’indifférence de beaucoup et du dévouement de certains.

Un tel livre ne se résume bien évidemment pas (au passage on remarquera simplement qu’il compte 3 fois plus de pages en plus petits caractères que les quelque 80 représentant la transcription de l’heure et demie « Sobibor, 14 octobre 16 Heures… »). Plus important: par le dit des 11 personnes ayant accepté de se confier, à travers un questionnement aussi respectueux et discret que ferme et précis, ce que l’on voit et entend dépasse très largement le cadre du témoignage. Pour aboutir à une sorte d’anthropologie des comportements des protagonistes et ce, quels que soient leur bord ou origine. Certains des témoins-acteurs se sont sentis renforcés dans leur judéité. D’autres, au contraire, s’en sont éloignés. En fermant ce livre, on n’est pas près d’oublier l’indifférence, voire le refus d’accueil, d’une certaine Suisse qui n’avait rien à envier au reste de l’Europe. Il reste en travers de la gorge mais rend encore plus lumineux le courage de ceux qui se comportèrent ou tentèrent de se comporter en justes. De là à s’interroger sur le sort réservé aux requérants et réfugiés de notre si cher début de XXIe siècle, il n’y a qu’un pas, discrètement encouragé (entre autres) par la Migros et Pro Helvetia…

Olivier Kahn, Revue juive, novembre 2003.

Paroles de victimes

Onze rescapés de la Shoah établis en Suisse évoquent leur itinéraire et portent des jugements contrastés sur notre pays avec ses zones d’ombre et de lumière.

Quatre ans plus tôt, ce livre édité par Raphael Gross, Eva Lezzi et Marc R. Richter aurait sans doute été immédiatement un enjeu de débats historiques et philosophiques. La vigueur des discussions sur les travaux de la Commission Bergier portant sur l’attitude de notre pays durant la Seconde Guerre mondiale et toute la polémique autour de l’affaire des fonds en déshérence auraient concouru pour que ces témoignages de juifs survivants du génocide établis depuis des décennies en Suisse enrichissent le débat.

Rien de tel aujourd’hui, comme, si le couvercle des années noires avait été refermé, avec soulagement. Ironiquement, l’effet de mode intellectuelle passé, c’est peut-être la chance de cet ouvrage de s’inscrire dans la durée.

En donnant la parole à ces survivants du génocide, les auteurs montrent la diversité de leurs attitudes, leur manière singulière de se reconstruire, de se confronter à la barbarie, leurs liens aussi avec, la Suisse, indiquant par là même comment leur parole est rétive à toute récupération politique. Cela s’explique par l’itinéraire de vie singulier de ces hommes et de ces femmes, leur milieu d’origine et leur engagement (religieux, athée, communiste).

Cette hétérogénéité se donne à lire aussi par la manière dont chacun se situe par rapport à son propre témoignage: ainsi, certains préfèrent demeurer anonymes, un autre ne livre que son prénom et la première, lettre de son nom de famille comme un personnage de Kafka, un troisième indique, son matricule d’Auschwitz, comme s’il avait fait sienne cette identité imposée par les nazis, d’autres encore accompagnent leur nom de photos. Une pluralité d’attitudes qui souligne la diversité des stratégies de survie adoptées après le traumatisme de l’expérience concentrationnaire.

Dans les rapports à la Suisse, la même pluralité d’opinions se retrouve. « C’est comme si j’habitais un hôtel de luxe », dit Joseph qui préfère parler suisse-allemand, parce que l’allemand « lui arrache presque la bouche ». Reine Seidlitz « a toujours considéré que la Suisse était sa patrie », mais ne peut effacer de sa mémoire cette lettre des autorités helvétiques, datée du 24 janvier 1941, qui affirmait que « la venue en Suisse de ses parents n’est actuellement pas désirable », les condamnant indirectement à la déportation et à la mort, Jan Noach Trajster jette un regard nuancé: « La Suisse a refoulé beaucoup de gens à la frontière. Mais quel pays était prêt, à accepter les juifs alors ? » Golda redoute « la résurgence de l’antisémitisme » avec le débat en Suisse sur les années de guerre. D’autres encore évoquent, au détour d’un épisode de leur vie, l’action du Comité international de 1a Croix-Rouge, qui leur a sauvé la vie ou, au contraire, a fermé les yeux sur leur drame. Par cette diversité même d’opinions et de trajectoires, ce livre-traduit avec finesse par Sophie Pavillon-renvoie en creux l’image d’un pays complexe avec ses zones d’ombre et de lumière.

Pierre Hazan, Le Temps, 10 janvier 2004

Paroles de survivants

En Suisse, des victimes juives du national-socialisme ont sauvé leur vie en parvenant à se réfugier en Suisse. Certes moins nombreuses qu’il aurait fallu, arrivées malgré de multiples obstacles, aidées parfois par la chance et le hasard, elles ont refait leur vie sans toujours témoigner de ce qu’elles avaient vécu. D’autres sont aussi venues en Suisse plus tard. Onze témoignages recueillis en 1997 viennent d’être traduits. Parmi eux, celui d’une femme accueillie toute jeune en Suisse et qui, plus tard, ne voudra plus retourner chez son père rescapé d’Auschwitz parce qu’il ne parlait pas et lui faisait peur. Celui de cette autre femme qui a pu échapper aux horreurs nazies mais n’ose pas imaginer ce qui est arrivé à ses amis d’enfance: « Quand j’entends parler de réunions de classes, c’est un mot qui m’est étranger, je sais où sont passés mes camarades d’école. » Celui encore de cette jeune fille déjà admise en Suisse qui ne parvint pas à trouver un passeur pour faire venir ses parents avant qu’ils soient déportés à Auschwitz (voilà deux vies humaines qui ne comptent pas dans la vaine polémique actuelle sur le nombre exact des refoulements de réfugiés juifs par la Suisse).

Mais d’autres rescapés ont traversé les pires souffrances-déportation, convois, sélections, expériences médicales… »C’était déjà beaucoup d’avoir survécu à la journée et on ne savait vraiment pas ce que la minute suivante nous réserverait »-avant d’arriver en Suisse, parfois bien après la guerre. Ils ont encore subi pour la plupart toutes sortes de tracasseries avant de pouvoir s’installer vraiment. Certains évoquent leur immense difficulté à parler d’expériences épouvantables: « Mais j’ai essayé de faire comme si de rien n’était. On ne peut pas en parler sans arrêt. » Il est vrai qu’après un séjour au camp, « on ne peut plus jamais être naïf et tenir l’être humain en haute estime ». Il est vrai aussi qu’on ne voulait pas non plus les entendre. Ces récits poignants nous donnent directement ou indirectement, un aperçu de l’horreur nazie et de ce qui peut arriver dans une société qui perd ses valeurs et néglige la démocratie. Aussi ne peuvent-ils pas nous faire oublier ce qui est arrivé à beaucoup de ceux que la Suisse a refoulés.

Charles Heimberger, Le Courrier, 17 janvier 2004