Une école sans classes
L'éducation scolaire en plein air à Lausanne (1907-2014)
Vaucher, Matthieu,
ISBN:978-2-88901-133-9, 2022, 240 pages, 23€
En 1907, pour lutter contre la tuberculose, la Ville de Lausanne ouvre une école en plein air. Ce projet perdurera bien après l’éradication de la maladie. Ce livre revient sur cette aventure et questionne au travers d’une analyse sociohistorique les enjeux de l’enseignement hors les murs.
Description
Au début du XXe siècle, la tuberculose fait des ravages à Lausanne. Aussi, vers 1907, des élus lausannois visitent une école de plein air à Berlin. À la suite de cette visite, la commune ouvre successivement plusieurs écoles de plein air afin de scolariser ses enfants tuberculeux. Or, dans les années 1970, bien que la tuberculose ne soit plus une préoccupation de santé publique, Lausanne inaugure l’école de plein air de l’Arzillier…
Ce semi-internat permet à la commune de placer ses «inadaptés scolaires», des enfants qui perturbent la bonne marche des classes ordinaires. Mais, dans les années 1990, une logique intégrative visant une scolarisation commune pour tous les enfants – indépendamment de leurs caractéristiques – voit le jour au plan international. Elle entraînera la fermeture de nombreuses classes spéciales, dont celles de l’Arzillier en juillet 2014.
Comment le pouvoir politique lausannois a-t-il légitimé ses premières écoles de plein air? Quels arguments les élus ont-ils avancé afin de transformer un dispositif pour tuberculeux en une institution de rééducation? La logique intégrative a-t-elle été la seule raison de fermer l’institution lausannoise?
Pour répondre à ces questions, cet ouvrage propose un récit historique du plein air à Lausanne, en même temps qu’une analyse de discours politiques, éducatifs et médicaux. Ainsi, le lecteur est invité à s’interroger sur l’école actuelle. Peut-on éduquer tous les enfants ensemble, entre les quatre murs d’une classe?
Matthieu Vaucher est chargé d’enseignement à la Haute école pédagogique du canton de Vaud.
Table des matières
Presse
Mettre les élèves au vert
Dans son étude parue aux Editions Antipodes sous le titre «Une école sans classes», Matthieu Vaucher nous livre une enquête historique sur l’éducation scolaire en plein air à Lausanne de 1907 à 2014. A l’aide de sources politiques, notamment les Bulletins du Conseil communal de Lausanne, les rapports de gestion de la Municipalité et les comptes rendus du Grand Conseil vaudois, l’auteur parvient à mener son enquête historique qui dévoile tous les argumentaires ayant présidé à cet essor des classes en plein air et à l’inscrire dans un contexte européen.
Genève crée aussi des écoles dites de la forêt en 1912 et en 1913. Ces écoles d’un genre nouveau répondent à des impératifs sanitaires. Les promoteurs du mouvement hygiéniste, notamment des médecins, dans un contexte visant à lutter contre la tuberculose, insistent sur la nécessité d’offrir aux enfants chétifs un air plus pur que celui des classes, de les faire bénéficier aussi des rayons du soleil. L’école va être un acteur majeur de cette lutte contre la tuberculose et de la promotion de ces notions hygiénistes. Le règlement scolaire vaudois de 1907 concernant les écoles primaires dévoile cette montée en puissance de l’hygiénisme. Il insiste, par exemple, sur la nécessité d’une luminosité adéquate des classes et sur une bonne aération. L’enseignant est aussi tenu de s’assurer que les élèves soient suffisamment propres et en bonne santé. Il doit renvoyer ceux qui présenteraient un manque d’hygiène ou ceux qu’il estimerait atteints de maladie contagieuse. La classe doit enfin être balayée quotidiennement et l’enseignant doit même veiller à ce que le bâtiment et ses abords soient toujours propres.
Le site de la première école de la forêt du canton de Vaud est fixé aux Etavez, au Mont-sur-Lausanne. Les élèves y seront admis en fonction de leur état de santé et pourront y bénéficier des bienfaits du plein air et notamment du bois des Fougères, qui appartient déjà à la commune de Lausanne et offre un cadre paisible à l’écart de la circulation. La commission chargée de créer cette école de la forêt ne justifie pas la création de ce projet par des raisons pédagogiques, mais insiste sur le fait que, grâce à cette nouvelle institution, des diminutions de dépenses d’assistance et d’hospitalisation de tuberculeux sont envisageables, comme le souligne Matthieu Vaucher. Cette école, qui a accueilli environ 500 enfants à la santé fragile, fermera d’ailleurs ses portes en 1918 pour des raisons financières. Même si l’effet sur la santé des élèves n’a pas toujours été positif. Des jours pluvieux ont parfois ruiné les avantages hygiénistes qu’on en attendait et ont provoqué des cas de bronchite chez plusieurs élèves.
Le mouvement pour les écoles de plein air ne s’arrête pas là : ses promoteurs mettent même sur pied en 1922 le premier congrès international des écoles de plein air où ils défendent leur thèse selon laquelle il faut protéger les jeunes de l’influence délétère de la ville et rompre avec l’école-caserne. En 1920, Jean Dupertuis fonde à Villars-sur-Bex le Bureau international des écoles de plein air, et dans un manifeste de 1922 il critique de nombreux aspects des écoles traditionnelles, notamment des classes trop exiguës, trop sombres, mal aérées: «J’ai rêvé l’action, la liberté, l’enthousiasme, et l’école est toujours l’internat, la soumission, la répétition et la discipline. (…) Nos écoliers sont fixés au banc comme des forçats (…). Dans une atmosphère surchauffée, saturée de sueur, les cerveaux se liquéfient, battant les parois du crâne, noient la pensée, font chavirer les yeux… la classe continue… »
Article de Nicolas Quinche, historien, dans La Côte, 16 septembre 2022