L’intersubjectivité en questions 

Agrégat ou nouveau concept fédérateur pour la psychologie?

Moro, Christiane, Muller Mirza, Nathalie, Roman, Pascal,

2014, 394 pages, 29€, ISBN:978-2-88901-051-6

Cet ouvrage collectif vient inaugurer la collection Actualités psychologiques, en proposant de faire le point sur la notion d’intersubjectivité qui se trouve au coeur des débats contemporains dans le champ de la psychologie. Contribution exceptionnelle, ce livre est à destination de tous, psychologues praticiens et professionnels de la relation, chercheurs et étudiants en psychologie ou dans des disciplines connexes. Il permet d’approcher l’intersubjectivité au service de la rencontre de l’autre.

Format Imprimé - 37,00 CHF

Description

La notion d’intersubjectivité est au coeur des débats contemporains dans le champ de la psychologie. L’intersubjectivité traverse en effet les différentes approches de la psychologie, des neurosciences à la psychologie sociale, des perspectives développementales aux approches psychoaffectives de la personnalité, des contextes de l’apprentissage à ceux du soin.

Cet ouvrage collectif, premier volume de la collection Actualités psychologiques, se propose de faire le point sur cette notion et d’apporter des pistes actuelles de compréhension aux enjeux de la place de l’autre et de l’altérité dans la construction du sujet. Des chercheurs de renommée internationale, de Suisse et de différents pays européens, apportent ici leur contribution, dans différents domaines théoriques qui sous-tendent la notion d’intersubjectivité et entre les méthodologies qui permettent d’en appréhender la dynamique.

Contribution exceptionnelle, cet ouvrage est à destination de tous, psychologues praticiens et professionnels de la relation, chercheurs et étudiants en psychologie ou dans des disciplines connexes. Il permet d’approcher l’intersubjectivité au service de la rencontre de l’autre.

Table des matières

  • L’intersubjectivité en questions. Introduction (Christiane Moro, Nathalie Muller Mirza et Pascal Roman)

 1. Intersubjectivité et développrement précoce

  • Intersubjectivité chez l’enfant: fondements psychobiologiques de l’apprentissage culturel  (Colwyn Trevarthen, Université d’Edimbourg)
  • Le référent dans l’intersubjectivité secondaire: un objet aussi ignoré que « l’autre face de la lune »? (Christiane Moro, Université de Lausanne)
  • Hiérarchie de la Mimésis et développement sémiotique: les cinq étapes du développement de l’intersubjectivité chez l’enfant (Jordan Zlatev, Université de Lund)

2. Intersubjectivité et apprentissage

  • L’intersubjectivité dans l’étude des processus d’enseignement-apprentissage: difficultés et ambiguïtés d’une notion (Michèle Grossen, Université de Lausanne)
  • La « rencontre entre les esprits », une condition pour apprendre? (Nathalie Muller Mirza, Université de Lausanne)
  • À propos de terre et de toutes sortes d’autres choses… L’apprentissage de la catégorisation chez de jeunes enfants en classe de sciences (Niklas Pramling et Roger Säljö, Université de Göteborg)

3. Intersubjectivité, clinique et psychanalyse

  • La construction de l’intersubjectivité chez le jeune enfant sur la scène du jeu: développements et avatars (Pascal Roman, Université de Lausanne)
  • Du secret structurant au secret pathogène: à propos de la genèse de la subjectivité et de l’intersubjectivité d’un point de vue psychanalytique (Muriel Katz-Gilbert, Université de Lausanne)
  • Le travail de l’intersubjectivité dans les équipes institutionnelles (Jean-Pierre Pinel, Université Paris 13)

4. Intersubjectivité et socialisation

  • Construction identitaire et relations familiales à l’adolescence à l’aune de l’intersubjectivité (Grégoire Zimmermann et Vincent Quartier, Université de Lausanne)
  • Intersubjectivité et agency dans la conversation quotidienne: pratiques de socialisation en contexte (Francesco Arcidiacono, Université de Neuchâtel et HEP-BEJUNE)

Contrepoint

  • L’intersubjectivité: perspectives philosophiques et philosophie des perspectives (Isabelle Thomas-Fogiel, Université d’Ottawa)

Presse

Dans la revue Studies in Communication Sciences (extrait)

On the face of it, the title of this book and its explicit disciplinary focus on psychology might suggest that this work is only addressed to psychologists, mainly in view of a development of this discipline. At a closer look, however, one notices that this title is too narrow to describe the richness of the contents of this volume. […] And yet this collective volume has the merit of opening interesting paths to follow in order to accomplish this task, starting from an understanding of the multifaceted phenomenon of intersubjectivity in its (interrelated) psychological and communicative aspects.

Sara Greco, Studies in Communication Sciences,  vol. 15/1, pp. 161-162

Moi, c’est les autres

Notre identité est tissée, dès notre naissance, par nos interactions avec un monde rempli de sujets et d’objets… La notion d’ »intersubjectivité », en plein essor dans les sciences de la psyché, est au coeur d’un ouvrage dirigé par trois chercheurs de l’Université de Lausanne.

Il faut moins d’une heure, après sa venue au monde, pour qu’un nouveau-né commence à tirer la langue en imitant sa mère, ou pour qu’il se mette à bouger la tête en suivant une balle colorée qu’on présente, en mouvement, à son regard. Capturées en vidéo et analysées par le psychologue et biologiste écossais Colwyn Trevarthen, ces images montrent les tout premiers pas du développement d’une nouvelle personne sur Terre. Elles révèlent, aussi, à quel point ce développement se construit, dès l’instant zéro, dans ce qu’on appelle, à la suite de Trevarthen, « intersubjectivité ».

Le terme, si on veut, est peu engageant dans sa technicité. Tant pis. Il est précieux, car il indique un changement majeur dans la façon de comprendre ce que nous sommes. Notre identité, depuis son commencement, est tissée par les interactions dans lesquelles nous sommes engagés. Révolution copernicienne, ou pas loin. Car autrefois, l’affaire semblait pliée: le monde était le monde, et moi, c’était moi. On était entiers, séparés, dans un rapport frontal. Le monde avec ses gens et ses objets. Moi avec mon psychisme à trois étages (Ça, Moi, Surmoi) et mon cogito ergo sum qui m’instituait comme sujet pensant face à la vaste étendue de non-Moi qu’était l’univers extérieur.

Comme les neurosciences avec la notion de « cerveau social » et la découverte des neurones miroirs détectant le ressenti d’autrui, la psychologie échafaude désormais un modèle du psychisme fondé sur la relation. C’est la mise en rapport avec autrui, et avec la matérialité du monde investie par des significations humaines, qui détermine mon monde intrapsychique. L’ »intra » se forme dans le sillage de l’ »inter », comme disent, familièrement, les experts. Trois de ceux-ci, chercheurs à l’Université de Lausanne, rassemblent aujourd’hui un faisceau d’études en un ouvrage collectif, d’une lecture relativement ardue mais d’une richesse extrême, qui inaugure la collection « Actualités psychologiques » aux Éditions Antipodes.

Nous sommes constitués par les interactions et par le partage psychique, donc. Évident? Peut-être. Mais « en psychologie, ce positionnement reste un peu provocateur », relève Nathalie Muller Mirza, codirectrice du livre avec Christiane Moro et Pascal Roman. Pourquoi? « La psychologie, dans son acception classique, c’est la discipline qui s’occupe de l’individu. Poser la question de l’intersubjectivité remet en cause cette représentation régie par le monopole de l’intrapsychique. » Adopter le paradigme de l’intersubjectivité signifie admettre que « le sujet se développe dans un va-et-vient entre ses compétences propres et ses relations à autrui – les autres personnes, mais aussi la société, la culture, les objets matériels. C’est une inversion par rapport aux positions de Kant et de Descartes, au « Je pense, donc je suis », explique Christiane Moro. « Je te suis, tu me suis, donc nous pensons », pourrait dire Nasira, petite prématurée qui partage, un mois après sa naissance mais deux mois avant le terme, « un dialogue fait de petits roucoulements » avec son père, qui la tient sous sa chemise « en position kangourou » dans une autre image épinglée par Colwyn Trevarthen. « Dès la naissance, le nouveau-né et l’adulte communiquent de manière extrêmement raffinée avec des gestes et des regards, tout à fait en synchronie les uns avec les autres », commente Christiane Moro.

Si l’on suit Trevarthen, la culture, le langage et les modes d’expression artistiques prennent leur source dans les vocalisations et les mouvements qui tissent ce lien. Le psychisme individuel, de son côté, prend sa source dans la culture qui se trouve inscrite dans les modalités de ce même lien… Jolie dynamique qui tourne en boucle, enracinée dans la biologie qui lance notre cerveau dans la relation et ouverte sur un univers de possibilités nouvelles. « Je ne résiste pas à faire référence à ce que disait le psychanalyste et anthropologue Georges Devereux: le psychisme, c’est de la culture introjectée et la culture, c’est du psychisme projeté. Très belle formulation pour penser ces articulations », observe Pascal Roman.

Après six à huit mois de vie, à l’intersubjectivité entre sujets, dite « primaire », vient s’ajouter un objet. Tout inanimé qu’il soit, ce dernier est, lui aussi, un vecteur d’intersubjectivité. Il s’introduit en effet dans le monde du bébé par l’intermédiaire d’un adulte – un autre sujet – et il est déjà investi d’un sens et d’un mode d’emploi. Petit camion chargé de plots (« Là, là, poussin, non, là »), anneaux à empiler sur une tour (« On essaie avec le jaune, bravooo »), biberon et dînette pour une poupée (« Voilà, comme ça, tu vois? »): aucun objet n’a une existence seulement objective, purement physique. L’environnement dans lequel on vient au monde est innervé, irrigué par l’intersubjectivité.

Quelles sont les implications pratiques? Dans un chapitre décoiffant, Nathalie Muller Mirza se penche sur les mécanismes de l’apprentissage, via le remake d’une expérience célèbre de Jean Piaget: on remplit deux récipients identiques avec des quantités égales d’un liquide; on vide l’un des deux dans un troisième, plus large; et on demande aux enfants si ce dernier contient « la même chose beaucoup » que l’autre… Conclusion piagétienne: on observe là l’entrée – ou pas – de l’enfant dans la « période de l’intelligence opératoire ». Conclusion intersubjectiviste: « Les enfants répondent à la situation non seulement en fonction de leur capacité à évaluer le récipient et le liquide, mais aussi à partir de ce qu’ils comprennent de l’environnement, de l’attitude de l’adulte, de la routine scolaire en général. » Des malentendus s’ensuivent. Si l’enseignant dit « bien » ou « OK », l’élève interprète cela comme une validation, conformément au rituel assimilé lors des interrogations, plutôt que comme une ponctuation signifiant tout bêtement « On continue »… Il en résulte que l’apprentissage peut se trouver en échec s’il ne prend pas en compte l’intersubjectivité.

Les enjeux se trouvent, aussi, dans le domaine de troubles tels que l’autisme. « La psychologie mainstream considère généralement qu’il y a deux développements, l’un cognitif et l’autre communicationnel, comme deux routes qui ne se croisent pas. Cela empêche de voir des solutions éducatives qu’on peut élaborer lorsqu’on reconnaît la connexion entre les deux », explique Christiane Moro. Vases communicants: « On peut créer des significations communes, construire des accords et renforcer ainsi le niveau de la communication, qui dans l’autisme se trouve en difficulté, via les pratiques intersubjectives qui s’inscrivent dans les objets et dans leur usage. »

Les enjeux touchent enfin la psychologie en tant que discipline. « À l’Université de Lausanne, la psychologie est plurielle: elle inclut des neurosciences, du cognitivisme, du culturel, de la psychanalyse… L’Institut de psychologie fait partie par ailleurs de la Faculté des sciences sociales et politiques – ce qui n’avait pas manqué de me questionner lorsque je suis arrivée », se souvient Christiane Moro. Le changement de paradigme s’accompagne en quelque sorte d’un retour à la maison. « La psychologie s’était écartée des autres sciences sociales – anthropologie, sociologie, sciences de l’éducation… En retravaillant l’inter, on bouge à nouveau vers elles. »

Et si tout cela paraît compliqué à saisir, relevons enfin qu’on peut se rassurer en constatant que la philosophie a également de la peine à appréhender le phénomène. Christiane Moro: « C’est le sujet du dernier chapitre, dû à Isabelle Thomas-Fogiel, de l’Université d’Ottawa. On y découvre que l’intersubjectivité est difficile à penser. Cela nous réconforte, d’une certaine manière, d’apprendre que les philosophes sont encore un peu emmêlés, eux aussi, avec l’intersubjectivité. »

Nic Ulmi, Le Temps, 7 octobre 2014