L’historien, l’historienne dans la cité

Metzger, Franziska, Vallotton, François,

2009, 212 pages, 21 €, ISBN:978-2-88901-021-9

Les relations entre historiens et espace public ont connu une inflexion significative ces dernières années. Après le temps de l’écrivain d »histoire, du professeur savant puis du chercheur semble venue l »époque du praticien ou de l’expert. Une nouvelle fonction qui voit l »historien trouver sa légitimité autant- voire davantage- dans une forme d’autorité sociale que par la cohérence de ses méthodes et de ses observations sur le terrain scientifique.
En contrepoint d ‘approches désormais bien balisées sur le rôle de l’histoire dans la construction de l »identité nationale, cet ouvrage propose un portrait de groupe assez inédit des historiens et historiennes suisses: leur engagement public, leurs réseaux de sociabilité, l »interdépendance entre activité scientifique et activité citoyenne, leurs fonctions d »expertise n’avaient en effet jusqu »ici été que peu abordés. Loin d’être enfermés dans leur tour d »ivoire, les historiens sont des acteurs majeurs du débat public, mais des protagonistes qui, en fonction de leur parcours et de leur inscription académique et scientifique, ne disposent pas des mêmes atouts ni de la même légitimité.

Format Imprimé - 26,00 CHF

Description

Les relations entre historiens et espace public ont connu une inflexion significative ces dernières années. Après le temps de l’écrivain d’histoire, du professeur savant puis du chercheur semble venue l’époque du praticien ou de l’expert. Une nouvelle fonction qui voit l’historien trouver sa légitimité autant-voire davantage-dans une forme d’autorité sociale que par la cohérence de ses méthodes et de ses observations sur le terrain scientifique.
En contrepoint d’approches désormais bien balisées sur le rôle de l’histoire dans la construction de l’identité nationale, cet ouvrage propose un portrait de groupe assez inédit des historiens et historiennes suisses: leur engagement public, leurs réseaux de sociabilité, l’interdépendance entre activité scientifique et activité citoyenne, leurs fonctions d’expertise n’avaient en effet jusqu’ici été que peu abordés. Loin d’être enfermés dans leur tour d’ivoire, les historiens sont des acteurs majeurs du débat public, mais des protagonistes qui, en fonction de leur parcours et de leur inscription académique et scientifique, ne disposent pas des mêmes atouts ni de la même légitimité. 

Table des matières

Introduction (François Vallotton, Franziska Metzger)

Histoire, économie et société

  • Communication de réalités passées-Réflexions sur un modèle de théorie  de la communication de l’histoire de l’historiographie (Franziska Metzger)
  • Le pouvoir par l’histoire? Les hommes politiques suisses et leurs relations du/au passé (Irène Hermann et Nadine Boucherin)
  • Le démon du pouvoir? Idéal scientifique et pratiques politiques. Réflexions sur le cas de Julius Landmann, 1877-1931 (Malik Mazbouri)
  • L’historienne de l’ombre: question de choix, de genre et/ou de génération? (Liliane Mottu-Weber)

Vulgarisation et médiatisation de l’histoire

  • Benjamin Sagalowitz. Une histoire de la Shoah selon une perspective suisse (Zsolt Keller)
  • L’historien Herbert Lüthy face à la Question jurassienne: entre médiation et médiatisation (Claude Hauser)
  • Les historiens et la télévision: quelques remarques à partir du cas de la Seconde Guerre mondiale à la TSR (Andrea Porrini)
  • Une figure oubliée de l’historien dans la cité: l’historien dans l’enseignement secondaire (Charles Heimberg)

Représentations et fonction sociale de l’historien

  • Or, diamant et refoulements. Les historiens suisses et la Seconde Guerre mondiale (Marc Perrenoud)
  • Être l’historien d’un jubilé. Une expérience: Sempach 1386-1986: 600 Jahre Stadt und Land Luzern (Guy P. Marchal)
  • La mémoire est-elle un droit ou un devoir? (Antoon De Baets)

Postface (Olivier Dumoulin)

Presse

Dans Questions de communication

Dirigé par Franziska Metzger et François Vallotton, L’historien, l’historienne dans la cité rassemble les communications présentées lors d’un colloque organisé par le Groupe de recherche en histoire intellectuelle contemporaine (GRHIC) et qui met en contact les chercheurs rattachés à diverses universités helvétiques et étrangères travaillant sur la thématique de l’histoire intellectuelle contemporaine en Suisse. L’ouvrage comprend trois chapitres: « Histoire, économie et société » examine la trajectoire et l’usage de l’Histoire et/ou de l’historien(ne) à travers différents champs communicationnel, politique, économique et social de la société; « Vulgarisation et médiatisation de l’histoire » analyse le traitement de l’histoire d’un point de vue culturel, médiatique et pédagogique;  « Représentations et fonction sociale de l’historien » se concentre sur la question de la mémoire. Questionner le rôle de l’historien et/ou de l’historienne en Suisse est pertinent et les pistes de réflexion nombreuses. Ainsi télévision, enseignement secondaire, politique sont-ils quelques-uns des sujets traités qui, en dépit de leur diversité, sont saisis selon des modalités proches par les auteurs. En effet, tous partent du travail de l’historien pour progressivement glisser vers la prise en compte du contexte dans lequel celui exerce.

La première contribution (Franziska Metzger), un peu en écart par rapport à celles qui suivent, traite de la construction des discours historiques. L’auteure se focalise sur le fonctionnement de ceux-ci, sur les mécanismes discursifs et performatifs de la construction identitaire de groupes tels ceux réunissant les entrepreneurs de mémoire, qu’ils soient témoins ou historiens. Elle montre l’évolution de ces « communautés de communication » en « communautés de savoir » et en « communautés de mémoire » (p.20). Les propos historiques pouvant être relatés dans certains milieux de mémoire « présupposent des processus complexes de sélection de différents stocks de savoirs et de discours sociaux » (pp.24-25). C’est pourquoi le travail de l’historien réside en « l’observation rétrospective » de ces réalités sociales mémorielles par les témoignages, les archives, etc. dans le but de valider ou non ce qui est énoncé. Le travail de l’auteur est donc double : il renvoie à « la mise en parole des représentations sociales » et au « croisement des différents champs discursifs » (p.30).

Après ces propos liminaires, la contribution d’Irène Hermann met en perspective le pouvoir pris par les hommes politiques par rapport à leur « utilisation » de l’Histoire. Ces derniers sont à l’origine d’ouvrages sur le passé qui peuvent contenir des « distorsions » pouvant aller « de l’exemplification à l’occultation en passant par la falsification » (p.39); le tout permettant de qualifier des idées et orientations politiques. Mais si l’auteur montre ces liens, c’est avant tout pour insister sur le rôle primordial de l’historien dans la connaissance du passé. C’est à la sphère économique que s’intéresse Malik Mazbouri, à travers la figure de Julius Landmann, émigré juif d’Europe orientale. Ce dernier s’est intéressé à l’usage de l’histoire dans l’économie suisse et à une instrumentalisation de celle-ci par les pouvoirs publics. D’une part, cette analyse montre l’influence du secteur économique sur le pouvoir d’État; d’autre part, elle met à jour les éventuelles altercations entre histoire et politique quand cette dernière est mise à mal.

La dernière contribution de ce chapitre, celle de Liliane Mottu-Weber, est quelque peu décalée par rapport à celles de ses confrères mais n’en demeure pas moins intéressante. En effet, l’auteure se place sur le terrain de l’autoréflexion, présentant son parcours universitaire pour proposer ensuite une explication argumentée et exemplifiée de l’invisibilité des femmes historiennes. Enfin, Liliane Mottu-Weber soulève la question du genre qui, selon elle, ne serait pas « résolue ». En revanche, elle ne se manifeste plus comme auparavant, les hommes connaissant ddésormais eux aussi des difficultés à trouver un poste à l’université.

La deuxième partie de l’ouvrage déplace le regard en traitant ou bien d’une personnalité particulière, ou bien en convoquant une autre discipline. Par exemple, Zsolt Keller traite de la Shoah selon la vision qu’en donne le juriste et journaliste Benjamin Sagalowitz. Le propos montre l’importance de la médiatisation de l’histoire sur des évolutions politiques. Une nouvelle fois, on constate le poids de l’histoire sur les décisions politiques. En effet, l’auteur présente la « professionnalisation des mesures de défense juives » (p.90) avec, par exemple, la création de la commission « Aide et construction » de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) qui joua un rôle de meneur spirituel pour les Juifs en Europe après la guerre, ou encore l’assouplissement de l’État suisse quant à sa politique d’admission des réfugiés face à l’Allemagne nazie. Le métier d’historien est ensuite analysé au prisme de deux aspects. Claude Hauser s’intéresse à Herbet Lüthy qui se retrouva au centre d’un débat entre séparatistes et anti-séparatistes, à propos du territoire jurassien. Ainsi le chercheur montre-t-il qu’il est difficile pour un historien de s’en tenir à une seule position si l’on prend en compte « la variété et le contexte de ses interventions dans la cité ainsi que ses propres réactions face aux résonances publiques de ses réflexions ou engagements » (pp.120-121). Andrea Porrini propose ensuite une réflexion sur la médiatisation télévisuelle des historiens et de leurs discours sur la Seconde Guerre mondiale. Son étude montre une « corrélation entre la position de la chaîne dans l’espace médiatique, la place occupée par les historiens et le type d’histoire diffusée » (p.132). Pour lui, la médiatisation est synonyme de vulgarisation puisque les historiens sont, selon ce qu’ils présentent, catégorisés comme étant des « vieux » ou des « nouveaux ». La télévision suisse tendrait à donc à dévaloriser certains de leurs propos. D’où une argumentation sur l’utilité de la mémoire dans la justification de l’histoire à des fins politiques, avec un exemple, celui de Georges-André Chevallaz qui aurait joué sur trois statuts: celui d’officier vétéran-témoin-,de conseiller fédéral-homme d’État-et d’historien. Comment pourrait-on alors le contredire?

Un peu en décalage par rapport aux contributions précédentes, Charles Heimberg s’intéresse à un autre type d’historien: l’enseignant d’histoire dans le secondaire. En surface, il en critique la profession et remet en question l’enseignement de « l’histoire de tous » qui met plusieurs aspects en tension: la nature même de l’histoire scolaire; la mémoire et l’identité. Pour Charles Heimberg, l’histoire doit être une discipline enseignée par « élémentation », c’est-à-dire « une déconstruction des savoirs historiques et une reconstruction de ceux-ci en fonction des modalités d’apprentissage des élèves » (p.141). Mais l’enseignement de l’histoire est difficile car il doit « permettre aux élèves de voir le monde avec davantage de sens critique » (ibid.). En définitive, l’auteur critique la formation actuelle des enseignants qu’il juge « insuffisante » et propose d’instaurer l’enseignement de l' »élémentation », en mettant en contact enseignement et recherche, en histoire comme en didactique.

Pour introduire la section concernant ce qui a trait à la représentation et à la fonction sociale de l’historien, Marc Perrenoud se fonde sur les débats de la fin du XXe siècle portant sur le génocide des Juifs d’Europe et les relations avec les nazis. Son propos reste très, ou trop, théorique: rappel de trois études, présentation de cinq processus, liste des six catégories de protagonistes et une chronologie de sept phases historiques entre 1996 et 2002, et aurait mérité une étude de cas. Néanmoins, il se révèle fort utile pour comprendre l’évolution de l’importance des historiens suisses dans les débats liés à la « question juive » en Suisse. La proposition de Guy P. Marchal s’inscrit directement dans cette logique puisque ce dernier propose une autoréflexion sur le rôle civique de l’historien vis-à-vis d’une commémoration. En effet, ce dernier a été contacté pour être impliqué dans le jubilé (1986) de la bataille de Sempach, intitulé « 600 ans ville et campagne de Lucerne ». Son travail a engendré de vives réactions de la part d’autres historiens car il a renvoyé aux légendes un personnage important, un certain Winkelried qui, pour ses pairs, est incontournable dans l’histoire de ladite bataille. Cet exemple montre le décalage entre les acquis des sciences historiques et la conscience historique dans l’opinion publique.

Quant à Antoon De Baets, il propose une réflexion sur la question « La mémoire est-elle un droit ou un devoir ? ». Cette dernière contribution interroge l’historien qui serait caché en chacun. Pour l’auteur, la mémoire est un droit et non un devoir, car l’imposer comme un devoir violerait les droits. Il précise que tous les devoirs envers les morts sont marqués par la mémoire et que trois groupes défendent ce devoir. Mais s’il présente ceux-ci de façon positive, c’est pour mieux les critiquer ensuite. Il en contrecarre les idées tout en concluant par trois exceptions au devoir de mémoire: soi-même, les historiens et les gouvernements. En dernier ressort, Antoon De Baets explique que le droit à la mémoire et le droit à l’histoire sont détenus à la fois par les personnes et par la société toute entière, puisque, d’un côté, à titre individuel, il y a le désir d’oublier ou de se remémorer Pour conclure l’ouvrage, Olivier Dumoulin reprend l’essentiel des contributions et fait émerger l’idée qu’il y a toujours eu une interdépendance entre histoire et société ; ce qui a permis à la confédération helvétique de se construire au fil du temps. Il met également en avant l’évolution socio-politico-historique caractérisant « le monde de la science et celui de l’instrumentalisation publique » (p.206). Si ces études concernent la Suisse, on comprend à leur lecture l’intérêt qu’elles représentent pour d’autres nations. Ainsi pourraient-elles s’appliquer à la société française, voire, offrir les termes d’une comparaison entre les deux pays…

Anthony Michel, Questions de communication, 17, 2010, pp.352-354

Dans Le cartable de Clio

Quelles sont les relations entre les spécialistes et l’espace public? Variées au fil du temps, elles ont connu ces dernières années une inflexion : le chercheur se trouve investi d’une forme d’autorité sociale et morale (voir le Rapport Bergier) et est plus demandé. Ces constats ont généré un colloque d’universitaires suisses et étrangers.

Souvenir e(s)t politique

Les contributions s’agencent en trois volets. On s’interroge tout d’abord sur les liens d’interdépendance entre histoire et société. À quels usages du passé ont recours les responsables de l’État?

Franziska Metzger note que les « communautés de communication se fondent sur des codes, des symboles, des discours communs et sur leur liens socioinstitutionnels » (p.17). Le souvenir est un mécanisme de sélection, une utilisation de la mémoire qui obéit à un effet de multiplication d’une perception pluridimensionnelle; ces facteurs de complexité sous-estimés sont bâtis dans un discours synthétique, mais dont la réalité est absente. Irène Hermann et Nadine Boucherin s’attachent aux rapports entre actes des politiciens helvétiques et quête de l’antériorité. Dans les publications, elles cernent un but didactique, moral, mais aussi la volonté de publier un manifeste. Malik Mazbouri, proche par le questionnement, s’attache à Julius Landmann (1877-1931), un historien et économiste, lequel, dans ses écrits sur les règles du marché, a exposé une philosophie de l’État. Songeant à son parcours, Liliane Mottu constate que ses travaux sont liés à son engagement politique et elle juge la place de la femme à l’Université. Mère de famille, elle a été plus une chercheuse… qu’une historienne ou une enseignante !

Enquête et enseignement

La deuxième partie porte sur les axes de la vulgarisation, les liens entre recherche et pédagogie.

Zsolt Keller, au sujet de la Shoah vue de Suisse, s’interroge sur les difficultés rencontrées par Benjamin Sagalowitz (1901-1970), un journaliste né à Vitebsk, puis fixé dans notre pays, qui n’est jamais parvenu à publier ses travaux dans une forme aboutie…Claude Hauser, familier de la question jurassienne, observe que la démarche inquisitoriale est particulièrement liée à la dimension identitaire. Herbert Lüthy (1918-2002) l’intéresse. Alors que les qualités de compétence, discrétion, et liberté de tout engagement sont plus que jamais exigées, ce familier des archives s’est distingué par son souci, en plus de l’exploration du passé, de suggérer une issue pour l’avenir : deux demi-cantons pour le Jura. Mais, face à des tentatives de récupération, il s’est toujours refusé à une instrumentalisation de l’histoire. L’image donnée de la Seconde Guerre mondiale dans les années 1980 par la TSR occupe Andrea Porrini. Il y voit comme une « normalisation »: c’est une affaire d’hommes; s’il y a des historiens, l’affaire est souvent réservée aux journalistes. Pour débattre, le chercheur « joue dans le terrain avec les règles qui lui sont imposées »! (p.136).

Charles Heimberg a des soucis plus pédagogiques. Observant une tension entre récits linéaires et approches problématisées, il procure des voies plus fertiles : tout d’abord des activités de comparaison et de périodisation. À l’histoire d’être investigatrice. D’autres pistes sont dessinées: questionnements de l’histoire sur la société qu’elle étudie (par exemple sur la mort); reconstruction des « présents du passé », une reconstitution des horizons d’attente; considération des échelles temporelles. Il faut développer les mécanismes de la déconstruction.

Une figure publique

L’ultime volet s’articule autour de la représentation de l’historien, des controverses sur sa fonction sociale.

Marc Perrenoud, du Département fédéral des affaires étrangères, étudie la tâche du professionnel en contexte de crise (questions des réfugiés, de la neutralité, du monde de la finance). Chroniquer implique un lien avec la cité. Guy Marchal évoque son mandat autour de l’anniversaire de la bataille de Sempach, en 1986. Ses enquêtes, qui l’ont amené à relativiser cet épisode dans la formation du canton de Lucerne, ont visiblement dérangé; il s’est retrouvé en décalage par rapport à la conscience historique dominante. La mémoire, droit ou devoir? L’énigme est posée par Antoon de Baets, issu du monde académique néerlandais. Après un argumentaire circonstancié, il suggère que le droit est le propre des individus et que le devoir relève de l’État.

En guise de synthèse, voici un extrait de la postface d’Olivier Dumoulin: « Derrière l’objectif commun se cache un divorce profond sur la nature de l’écriture de l’histoire, ses procédures d’accréditation et les modalités de son efficacité sociale. Plutôt que de lire là les traces d’un échec, j’y décerne au contraire la qualité et l’exigence d’une rencontre. » (p.209)

Un cercle à ouvrir?

Dans ce recueil aux contenus riches, au choix d’articles construit et équilibré, chaque personne intéressée par l’enseignement de l’histoire pourra trouver de l’intérêt, des perspectives nouvelles, des idées pour son travail. Le recueil donne aussi une bonne « photographie » de l’état de la recherche à la fin des années 2000.

On peut néanmoins regretter que les propos ne soient pas toujours assez concrètement exemplifiés et que la forme reste fort érudite. Au vu de ses objectifs, et sans renoncer à aucune ambition intellectuelle, cette publication, visiblement centrée autour des Universités et des Hautes Écoles pédagogiques, aurait mérité d’être destinée à un public plus élargi, que ce soit en direction d’enseignants d’histoire en Suisse, qui ont une formation de base seulement, ou en tendant la main vers d’autres cercles du monde francophone. Par ce jeu des comparaisons concrètes, des explicitations, l’on aurait ainsi pu mieux encore atteindre l’un des objectifs essentiels pour l’enseignant d’histoire, fort bien défini d’ailleurs par l’un des contributeurs.

Pierre Jaquet, Le cartable de Clio , 10, 2010

 

Dans M-magazine

Cet ouvrage propose un portrait de groupe assez inédit des historiens suisses. Leurs fonctions d’expertise n’avaient en effet jusqu’ici été que peu abordés alors qu’ils sont des acteurs majeurs du débat public comme l’a rappelé le Rapport Bergier. Autre exemple analysé ici, celui du méconnu Julius Landmann, à la fois historien et expert de la finance helvétique, père de l’Association suisse des banquiers et auteur du premier projet -torpillé par ses derniers- de loi sur les banques. Réguler les banques, quelle idée!

Yves Sancey, m-magazine, no 1, janvier 2010

 

L’histoire suisse: cinq processus, six catégories, sept phases

A force de fouiller l’histoire suisse récente, Marc Perrenoud en maîtrise parfaitement le résumé, ce qui n’est pas donné à tous les spécialistes. On lit donc avec beaucoup d’intérêt son article « Or, diamant et refoulements. Les historiens suisses et la Seconde Guerre mondiale » dans le recueil publié en janvier chez Antipodes, L’historienne, l’historienne dans la cité.
Pour avoir écrit une thèse sur les banquiers et les diplomates entre 1938 et 1946 et avoir participé aux travaux de la Commission Bergier, Perrenoud a une bonne vue d’ensemble des étapes du questionnement sur l’histoire en Suisse à la fin du XXe siècle. A la manière chinoise, il ordonne les années 1990 en cinq processus historiques, six catégories d’acteurs et sept phases de débat.
Les processus déclenchent « la crise la plus profonde dans le rapport des Suisses avec leur passé ». Ce sont:

1. La fin de la Guerre froide, qui prive la, Confédération de son rôle d’honnête courtier dans les relations internationales.

2. L’expansion de la place financière qui lui permet de gérer un tiers de la fortune privée internationale mais irrite considérablement ses concurrents.

3. Le rejet de l’adhésion à l’Espace économique européen en 1992 qui d’un côté l’isole et de l’autre renforce la légende rose de l’indépendance nationale diffusée par l’UDC pour son meilleurprofit.

4. Les changements générationnels, qui, portent des interrogations nouvelles sur son passé et vont forcer le débat à l’extrême.

5. L’activisme d’organisations juives américaines qui exploitent avec un grand succès médiatique la question des avoirs en déshérence.

Dans l’inquiétude créée par le chevauchement ou le croisement de ces circonstancès historiques, différentes catégories d’acteurs vont intervenir, chacune avec leurs motivations, leurs rythmes et leurs priorités.

1. Les autorités politiques, qui assurent la continuité d’une vision satisfaisante du passé. En 1989, elles rendent hommage à la génération de la mobilisation de 1939 et confortent l’idée que la Suisse a traversé la guerre avec rectitude. C’est pour mieux le faire comprendre aux critiques étrangers que les deux Chambres créent en 1996 une commission indépendante d’experts, dirigée par Jean-François Bergier.

2. Les entreprises, en partictilier les banques, qui sont propriétaires d’archives et donc de réponses aux questions posées, et qui vont devoir, malgré elles, prêter leur concours au travail collectif.

3. Les témoins, qui entrent en scène massivement: victimes racontant leur expérience suisse et demandant leur dû aux banques; ou soldats de la mob dont les souvenirs seront exploités comme la « revanche de l’oral »: « l’histoire, c’est moi ».

4. Les historiens dans les universités ou les sociétés d’histoire, qui chercheront à reprendre la main devant ce tumulte, souvent contre la Commission Bergier.

5. Les chercheurs en archives qui fouilleront de nouvelles sources ou construiront de nouvelles perspectives pour élaborer un discours scientifiquement plus fiable.

6. Les journalistes, libérés de la tradition comme des contraintes du métier d’historien, qui interviendront dans un lien beaucoup plus direct avec le public, attisant et multipliant par là même les polémiques.

« C’est dans ces conditions, dit Marc Perrenoud, que de 1996 à 2002, les différences, les connexions et les collusions entre ces démarches hétérogènes ont généré un renouvellement des perspectives et des mémioires.

Après le lancement de la commission d’experts en 1996-1ère phase d’attente plus ou moins sceptique-, la publication des 11000 pages de son rapport entre 2001 et 2002-5e phase un peu atone par rapport aux polémiques précédentes-, les eaux, dans une 6e phase, se referment avec le retour à un discours officiel auto-justificatif de Kaspar Villiger en mai 2005.

Tout ce travail pour rien? Non, ce qu’ont laissé les recherches de la commission est ténu mais quand même perceptible: « Dans une société pluraliste, de nombreuses visions de l’histoire cohabiteront toujours .. » a admis le président. Il ouvrait ainsi sans le savoir la 7e phase, combien importante, du travail plus libre, du débat plus ouvert dans une cité un peu plus décoincée. Nous y sommes.

Joëlle Kuntz, Le Temps, 18 avril 2009