Jean d’Enhaut. Mémoires d’un ouvrier graveur, membre de la Fédération jurassienne

Racine, Charles-Edouard,

1998, 171 pages, 17 €, ISBN:2-940146-08-X

1929. Un vieil homme termine son existence, retiré sur un alpage jurassien, à l’écart du monde. Pour ses neveux et nièce, seuls liens qu’il conserve avec le monde moderne, il entreprend de réunir ses souvenirs. Et c’est un univers encore proche qui ressurgit: ouvriers horlogers, anarchistes, sectes protestantes rigoristes, patrons oscillant entre paternalisme et aristocratie. Revivent aussi dans ces pages, en filigrane, des personnages comme James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel, Mikhaïl Bakounine, Karl Marx. Avec l’évocation du passé viennent les interrogations. Où se situe l’essentiel? « On ne peut jamais savoir, on fait ce qu’on croit être juste, on tente d’être en accord avec soi-même, et l’important est de pouvoir se dire qu’on n’a jamais triché, même si l’on s’est trompé. »

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Description

1929. Un vieil homme termine son existence, retiré sur un alpage jurassien, à l’écart du monde. Pour ses neveux et nièce, seuls liens qu’il conserve avec le monde moderne, il entreprend de réunir ses souvenirs. Et c’est un univers encore proche qui ressurgit: ouvriers horlogers, anarchistes, sectes protestantes rigoristes, patrons oscillant entre paternalisme et aristocratie. Revivent aussi dans ces pages, en filigrane, des personnages comme James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel, Mikhaïl Bakounine, Karl Marx. Avec l’évocation du passé viennent les interrogations. Où se situe l’essentiel? « On ne peut jamais savoir, on fait ce qu’on croit être juste, on tente d’être en accord avec soi-même, et l’important est de pouvoir se dire qu’on n’a jamais triché, même si l’on s’est trompé. »

Presse

Jean Racine est un écrivain aguerri, pourtant pratiquement inconnu. Une bonne raison à cela: il est Suisse. Son œuvre, déjà fournie, est éditée dans ce dernier pays. Espérons que son talent va être reconnu en France, grâce à ce dernier livre qui le mérite amplement.
Il s’agit d’une œuvre romanesque, mariant histoire, mémoire et sociologie compréhensive. Jean d’Enhaut, le narrateur de cette fiction, est un vieil ermite qui veut transmettre son expérience à ses neveux et nièces. A la fin des années 20, le bruit du fascisme résonne au fin fonds des montagnes helvétiques. Alors, il raconte son passé de membre de la Fédération jurassienne, branche suisse de l’Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale. Lui, l’ouvrier horloger, va faire ressurgir de sa mémoire les faits et les acteurs de cette histoire méconnue. La Commune de Paris, les manifestations d’ouvriers horlogers, Bakounine, James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel, autant de moments, d’hommes que le romancier fait revivre.
L’intérêt du livre réside dans ce travail d’inscription dans notre mémoire de l’histoire de ces hommes, ouvriers anarchistes, mêlant utopie sociale et rigorisme protestant. Mais au delà, il s’agit également du pur plaisir d’une écriture achevée. Jean Racine se joue et joue avec notre bonne foi de lecteur, brouillant les pistes de son récit, allant jusqu’à écrire « je ne suis pas en train d’écrire un roman » (p.47). Ecriture en abîme, enchâssant fiction et histoire, ce récit se prête à de multiples lectures. Cet ouvrage consiste en une fiction accompagnant la lecture du plus académique travail de Mario Vuilleumier, Horlogers de l’anarchisme. Émergence d’un mouvement: la Fédération Jurassienne paru chez Payot en 1988.

Georges Ubbiali, Dissidences. Bulletin de liaison des études
sur les mouvements révolutionnaires, 6/2000

 

Jadis en Suisse romande. Le temps des anarchistes

Roman historique placé sous le signe du temps, celui qui s’écoule, avec lenteur, et accompagne toute vie, et celui qui caractérise chacune des saisons. Jean d’enhaut est l’un de ces livres rares capables de procurer un vrai moment de bonheur. Nous sommes début mars 1929, dans le Jura suisse. L’hiver « retarde », il neige encore. Un ancien artisan horloger, aujourd’hui vieillard solitaire retiré dans son alpage, entreprend d’écrire ses souvenirs sur un cahier, à l’intention de ses petits neveux.

Anarchiste convaincu, mais conscient d’avoir perdu le combat mené des années auparavant avec ses compagnons de la Fédération jurassienne, le vieil homme passe en revue les principales étapes de sa vie : sa rencontre déterminante, aux alentours de 1868, avec le révolutionnaire suisse James Guillaume qui « va prendre en charge [son] éducation », et l’influence parallèle d’une autre figure marquante de l’anarchisme celle du grand théoricien russe Mikhaïl Bakounine.

Jean revit son adhésion enthousiaste à la section locale de l’Association internationale des travailleurs, la flambée d’espoir suscitée par la Commune de Paris, les luttes menées avec les frères syndicalistes, leur vie faite de rigueur et d’organisation, non de désordre et de violence comme le veut la légende. Il se souvient de leur lucidité prophétique face aux dérives du communisme, de leur bataille contre Marx « et son salon de Londres où l’on tramait l’exclusion des défenseurs du socialisme libertaire ». Il souffre d’avoir dû un jour dresser ce constat: la Fédération jurassienne était « devenue vieille sans le savoir », ils n’avaient pas su prévenir la « décomposition de l’idéal anarchiste ».

Méditation sur la révolution, sur la solitude, la vieillesse et la quête du bonheur, sur l’échec aussi, Jean d’enhaut de Charles-Edouard Racine se lit comme un long poème. Les chapitres tournent comme les aiguilles d’une horloge, repartent pour un tour, le balancier oscille et fait battre un cœur, celui de la pendule au même rythme que celui du vieil homme. Dehors, les saisons se succèdent, Jean l’ouvrier redevient paysan pour décrire ses montagnes, avec des mots simples, émerveillés mais remplis de nostalgie à l’idée de ce qui a été et n’est déjà plus, de ce qu’il lui va falloir bientôt quitter. Le temps, toujours le temps… Pour goûter la vie, faudrait-il se débarrasser de ce « moulin du diable » que constitue une montre? Le narrateur le croit. « Il faut avoir été horloger, (et ne plus l’être!) pour réaliser à quel point le temps des montres mange la vie et nous impose sa loi (…).Ouvrez une montre: ces rouages, ces ponts, ces pignons sont à l’image du monde des fabriques qu’on nous a peu à peu imposé: une chose à la fois, chaque chose à sa place, l’ancre ne laisse passer qu’une seule dent de la roue! »

Jean d’Enhaut arrive au bout de son histoire quand l’hiver revient. Il n’a proposé, dans son récit, ni modèle, ni réponse, ni vérité, « pas même des phrases dignes d’être recopiées… ». Mais lui, le militant, le syndicaliste, l’anarchiste jurassien, qui a donné sa vie à une cause occultée dans les livres d’histoire, garde un espoir: « Si on se soucie encore de nous dans l’avenir, on nous jugera comme des utopistes rêveurs et peu efficaces, ce qui sera doublement faux. Nous aurons peut-être eu raison trop tôt, mais comment le prouver? »

Florence Beaugé, Le Monde diplomatique, août 1998

 

Jean d’Enhaut

Charles-Edouard Racine est un trublion des lettres romandes qui déteste Jacques Chessex et ne cesse de le clamer haut et fort. Il lui arrive aussi d’écrire et son dernier roman Jean d’Enhaut ne mérite pas le silence qui l’entoure. Jugez plutôt.

Au soir de sa vie, un vieil ouvrier horloger entreprend de rédiger ses Mémoires à l’intention de son neveu et de sa nièce. Nous sommes en 1929, l’avenir a une sale tête et le passé un drôle d’air. Jean d’Enhaut, ainsi nommé depuis son installation dans une ferme retirée sur l’alpage du Crêt, a perdu quelques illusions mais ne renie aucune de ses positions libertaires. Dans sa jeunesse il a milité à La Fédération Jurassienne, ces anars qui invitèrent Bakounine au Locle. La Commune, l’arrivée des Bourbaki, les luttes contre les « autoritaires » groupés autour de Karl Marx sont évoquée en filigrane mais ce qui finit par s’imposer au lecteur c’est le parcours de ce graveur, fier d’un savoir-faire qui disparaît dans les multiples crises de l’horlogerie. Charles-Edouard Racine dit la vie monotone de ces polisseuses qui s’esquintaient les doigts et les poumons en frottant les pièces à la poudre de Tripoli. Il évoque les guillocheurs, les remonteurs, les cabinotiers et les dispositeurs, ces métiers qui ne sont plus que des noms mystérieux. En même temps, entre révolte et devoir, entre le café et le temple, entre le révolutionnaire déçu et son frère fondateur d’une secte et petit patron, l’auteur raconte ce Jura du début du siècle qui est loin d’avoir disparu. Plus prosaïquement, comme son récit se déroule de mars à octobre, l’auteur dresse aussi un portrait météorologique des Montagnes, en vingt-six petits bulletins qui font le tour du baromètre.

Pascal Helle, Journal du centre culturel neuchâtelois, n° 249, octobre-novembre 1998 

 

Chez les anarchistes jurassiens

« Tout pour le peuple et par leur peuple » était l’une de leurs devises. Ils voulaient liquider l’Etat et le remplacer par des fédérations librement organisées de bas en haut.

C’est un peu par hasard que Charles-Edouard Racine découvre les artisans horlogers de la Fédération jurassienne. Ils l’ont impressionné; il les a étudiés. Son imagination d’écrivain a créé Jean, un ouvrier graveur qui nous emmène dans ce petit monde aux grandes idées.

Un jour de mars 1929, le vieux Jean prend la plume. Pour ses petits neveux de la ville. « Je me dis que la vie d’un ouvrier graveur du Jura en vaut bien une autre et que, pour vous, la voix de votre vieil oncle devrait compter autant que celle des manuels scolaires, qui ne mentionnent même plus notre Fédération. » La Fédération, la fédération jurassienne, bien sûr. Il y a cru, Jean, que anarchisme était la solution pour un monde meilleur et juste. Il s’est battu, Jean, pour que le sol et les machines appartiennent à ceux qui y travaillent. En vain, mais sans regrets, ni nostalgie: « On ne peut jamais savoir, on fait ce qu’on croit être juste, on tente de rester en accord avec soi-même, et l’important est de pouvoir se dire qu’on n’a jamais menti, même si l’on s’est trompé », pense celui qui est devenu Jean d’Enhaut, loin du monde et de son agitation.

Lorsque Jean raconte sa vie, c’est l’histoire des Montagnes jurassiennes qui défile. On revit ces temps, vers 1860, où La Chaux-de-Fonds comptait de si nombreux petits ateliers d’horlogerie. Bakounine, le grand révolutionnaire russe est là, aux côtés des locaux: Guillaume et Schwitzguébel. « J’aimerais que vous compreniez combien l’enthousiasme révolutionnaire pouvait être exaltant et communicatif », écrit Jean a à sa jeunesse chérie. Malgré cela, le printemps des idées ne connaîtra pas l’été. Les Américains ont déjà regroupé tous les artisans de la montre sous le même toit. Jean a compris: « Ouvrez une montre: ces rouages, ces ponts, ces pignons sont à l’image du monde des fabriques qu’on nous a peu à peu imposé, et nous n’y avons vu que du feu: une chose à la fois, chaque chose à sa place, l’ancre ne laisse passer qu’une seule dent de la roue! Et tant pis s’il y des moments où l’on se sentirait capable de faire mille choses à la fois. »

Concentration, chômage, l’ouvrier est maté…Jean se retrouve même à mendier du travail au patron honni de l’usine détestée. Le contestataire est-il vaincu? Non, car « la lutte est la seule attitude digne tant que les affaires humaines resteront ce qu’elles sont ».

Stéphanie Lachat, L’Evénement syndical, 9.3.99

 

Des gens fascinants

-Qu’est-ce qui vous a fasciné chez les hommes de la Fédération jurassienne?

-Charles-Edouard Racine: « J’ai lu James Cuillaume et beaucoup de choses en lui m’ont fasciné. Son intelligence tout d’abord, ainsi que son talent pédagogique (je suis prof moi aussi). De plus, ce qu’il dit du mouvement syndical me paraît singulièrement actuel, notamment qu’il ne faut pas dissocier la politique et l’économie. De manière générale, les gens de la Fédération avaient un esprit critique assez extraordinaire. Ce dont la Suisse manque singulièrement. »

-Jean est-il totalement un personnage de fiction?

-C.-E. R.: « Il n’a pas existé, mais je lui ai prêté de temps en temps un peu de poids historique. Lorsqu’il est envoyé par les anarchistes auprès de la Commune de Paris, cela correspond à un épisode qui a réellement eu lieu. De plus, il accumule l’expérience qui est celle de l’auteur. Il finit graveur, la distance est courte entre le graveur et l’écrivain… »

-De la fiction ou de l’histoire, qu’est-ce qui l’emporte?

-C.-E.R.: « Celui qui écrit un roman historique se fait toujours blâmer. Les historiens trouvent que la fiction est superflue; les littéraires jugent mon roman ennuyeux car trop politique. Moi, en tant que romancier, j’ai esayé d’être cohérent avec mes personnages, de les suivre. Jean parle souvent du temps qu’il fait. C’est normal, en tant que fils de paysan, de se préoccuper du temps, non? Ce mélange entre histoire et fiction permet au lecteur non-historien de réfléchir aux questions de société du XIXe. »

Stéphanie Lachat, L’Evénement syndical, 9.3.99

Jean d’Enhaut

(…) A travers ce personnage fictif, c’est l’horlogerie à une période cruciale qui nous est présentée. D’artisanale qu’elle était, elle se mécanise de plus en plus. L’auteur maîtrise l’aspect technique de cette mutation, il s’est documenté à bonne source. Concernant le mouvement libertaire, il s’appuie sur des écrivains reconnus: Marc Vuilleumier, James Guillaume et son « Internationale » (deux gros volumes). De dimensions modestes, l’ouvrage de Charles-Edouard Racine est une excellente initiation à l’anarchisme jurassien dans ses rapports avec l’horlogerie.

Jean Rérat, Le Jura Libre, 25.3.99

Jean d’Enhaut

Ce roman de Charles-Edouard Racine, publié aux Editions Antipodes, à Lausanne, porte en sous-titre: Mémoires d’un ouvrier graveur membre de la Fédération jurassienne.

Jean d’Enhaut, est emprunté d’une chanson de Michel Bühler et la « Fédération jurassienne » désigne les sections de l’Association Internationale des Travailleurs qui se constituèrent dans le Jura bernois et les Montagnes neuchâteloises au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

En 1929, Jean d’Enhaut, le narrateur, parvient au terme de sa vie d’ouvrier graveur en horlogerie; presque octogénaire et resté célibataire, il rédige au jour le jour, pour ses petits-neveux et nièce, ses souvenirs d’horloger, de syndicaliste membre d’une « caisse de résistance » et surtout de socialiste libertaire. Il s’est retiré depuis longtemps sur un alpage de ce Vallon marqué certes par un protestantisme rigoriste, mais aussi par la fougue révolutionnaire de ceux dont la devise anti-autoritaire fut: Ni Dieu, ni Maître!

Il s’agit d’une fiction, puisque Jean d’Enhaut est un personnage créé par l’auteur, mais le milieu et les faits qu’il décrit sont historiques: on y rencontre des figures marquantes du courant anarchiste de cette époque et de ces lieux. Qui connaît un peu l’histoire du mouvement ouvrier des années 1850 et suivantes appréciera l’étendue et la qualité des recherches effectuées à cet égard par le romancier (qui a pris le soin d’annexer à son texte des références bibliographiques et un petit lexique de termes techniques et locaux).

Charles-Edouard Racine nous dit être venu à son roman parce qu’il voulait mieux connaître son grand-père maternel, Samuel, un petit patron horloger de Tavannes qui fonda aussi sa propre chapelle, l’Assemblée des Frères-la même, probablement que celle de Sainte-Croix. Il échoua dans sa démarche (« ce village me repoussait, le passé familial restait opaque »), mais il découvrit, en généreuse compensation, le monde des artisans horlogers et ces hommes admirables de la Fédération jurassienne, qui finalement furent marginalisés par le courant autoritaire de Karl Marx. Qu’eût été l’Histoire en notre siècle, s’ils l’avaient emporté?

Le récit évoque une période-charnière pour l’horlogerie jurassienne, qui passa du travail dit « en parties brisées » à l’industrialisation. Combien de propriétaires d’ateliers purent-ils alors acquérir les machines permettant la production en séries, combien de travailleurs durent-ils se soumettre à un recyclage professionnel radical, subir les crises cycliques de la branche et le chômage qui leur est lié, abandonner graduellement le travail à domicile? A cette époque, le paysan-horloger jurassien se transforma en ouvrier d’usine.

La brève présentation de ce roman serait incomplète si l’on passait sous silence le talent avec lequel l’auteur décrit le cours des saisons non loin du Moron; son récit débute au mois de mars et se termine en automne, on y voit donc la nature s’éveiller, fleurir au plein de l’été, flamboyer du feu des feuilles des foyards en octobre. Le narrateur évoque aussi l’hiver jurassien: sans lyrisme excessif-tel n’est du reste pas le tempérament, parfois un peu terne, des habitants de ces lieux-mais avec la précision et le souci du détail qui siéent à un ancien ouvrier graveur, il nous dévoile la nature intime de son coin de pays, comme le font aussi nos meilleurs peintres du Jura.

Bernard Viret, Journal de Sainte-Croix, 16 juillet 1999