Celeste, l’enfant du placard
La migration italienne en Suisse
Bortune, Pierdomenico, Bozzoli, Cecilia,
ISBN: 978-2-88901-221-3, 2022, 56 pages, 23€
Cette bande dessinée évoque la rencontre de Léane, adolescente d’origine italienne, et de sa voisine, Celeste. Fille de saisonnier italien et enfant cachée dans les années 60/70, Celeste a vécu les conséquences du statut de son père qui interdisait le regroupement familial. À travers les yeux de Léane, c’est l’histoire passée de l’immigration italienne en Suisse qui est évoquée.
Description
Combien d’expériences, vécus, privations, rêves et espérances se cachent derrière le mot immigration ?
C’est grâce à un devoir de vacances pour les cours de langue et culture italienne qu’elle fréquente, que Léane, adolescente d’origine italienne mais née et ayant grandi à Neuchâtel, rencontre sa voisine Celeste. En passant la frontière à dix ans avec son père saisonnier, cachée dans le coffre d’une voiture, Celeste fut l’une des nombreux·ses “enfants caché·e·s” de la Suisse des années soixante.
Ses passionnants souvenirs aideront la jeune Léane à affronter des moments tout aussi difficiles et à réfléchir pour la première fois sur le sens et la richesse de sa propre histoire.
Une rencontre inattendue scellera cette nouvelle amitié et Léane, qui rêve de devenir journaliste, peut être fière de sa première enquête !
Histoire de fiction inspirée d’expériences vécues, Celeste, l’enfant du placard donne un regard sur le passé de la Suisse et des immigrés italiens au cours des années 60/70, particulièrement durant la période des initiatives Schwarzenbach, politicien suisse à l’origine de l’initiative contre la surpopulation étrangère à la fin des années 1960.
La bande dessinée se termine par un volet historique pour mieux comprendre le contexte social et politique de cette époque.
Textes de Pierdomenico Bortune
Dessins signés Cecilia Bozzoli
Traduction en français de Celeste, bambina nascosta (2021).
Presse
«SOIS SAGE, SINON SCHWARZENBACH VIENDRA TE CHERCHER!»
En Suisse, durant les Trente Glorieuses, quelque 50 000 filles et fils de saisonniers ont vécu des mois, voire des années, dans la clandestinité et la peur d’être expulsés. Une bande dessinée revient sur ce sombre épisode de notre histoire.
Son titre: «Celeste, l’enfant du placard»
Il est des pans honteux de notre histoire que l’on souhaiterait ignorer. C’est le cas des enfants du placard, ces filles et ces fils de saisonniers qui ont dû vivre dans la peur et la clandestinité pendant des mois, voire des années, à cause d’une loi scélérate qui interdisait tout regroupement familial aux travailleurs immigrés bénéficiant d’un permis A.
Trop longtemps relégué aux oubliettes, cet épisode peu reluisant sort à présent de l’ombre. Parce que les principaux intéressés, devenus adultes, exigent désormais reconnaissance et réparation, et que des chercheurs et des journalistes commencent sérieusement à s’y intéresser. Il y a même une BD qui traite de ce sujet. Publiée cet été, elle s’intitule Celeste, l’enfant du placard.
«C’est le fruit d’une commande du Com.it.es (le Comité des Italiens à l’étranger, ndlr) de Berne, Neuchâtel et Fribourg qui voulait faire une bande dessinée sur l’immigration italienne à l’occasion des 50 ans de l’initiative Schwarzenbach», précise la dessinatrice et illustratrice Cecilia Bozzoli. Mais le Covid est passé par là et le projet a été différé de deux années.
ENFANCES VOLÉES
Le temps pour le scénariste Pierdomenico Bortune, professeur de langue et culture italiennes à Neuchâtel, de ficeler un scénario qui tienne la route. «C’est une fiction, mais tous les éléments qui s’y trouvent sont basés sur des faits réels, nous n’avons rien inventé!» Le style réaliste de Cecilia Bozzoli apporte une touche supplémentaire d’authenticité à ce récit. Et le choix du noir-blanc et du sépia ajoute un effet dramatique à l’ensemble. Une réussite!
L’histoire? Celle de Celeste qui raconte à sa jeune voisine Léane, une adolescente d’aujourd’hui, les affres de sa vie d’enfant du placard durant les années 1970: son passage de la frontière planquée dans le coffre d’une voiture, son impossibilité de sortir ou d’aller à l’école, ses interminables journées passées dans la solitude d’une pauvre mansarde, son désir de liberté et d’évasion…
50 000 ENFANTS DU PLACARD
«Les parents disaient à leurs enfants: Ne fais pas de bruit, sois sage, sinon Schwarzenbach viendra te chercher! C’était affreux, horrible!» Ce qui a encore frappé notre interlocutrice, c’est l’ampleur du phénomène: «Je connaissais l’existence des enfants du placard, mais je suis tombée des nues en apprenant que cela concernait des dizaines de milliers de gosses.» Rien que durant les Trente Glorieuses, d’après une récente étude de l’Université de Genève, ce sont quelque 50 000 bambini (il s’agissait avant tout de jeunes Italiens) qui ont subi pareil calvaire!
Et la plupart de ces mômes sont sortis traumatisés de cette expérience, honteux également d’avoir dû vivre cachés comme des pestiférés de crainte d’être expulsés. «Des gens se sont ouverts à nous durant les séances de dédicaces, ils ont enfin osé partager leur vécu, c’était très émouvant.» Le travail de mémoire de Cecilia Bozzoli et Pierdomenico Bortune réveille les souvenirs et délie les langues. «Nous espérons qu’il contribuera aussi à ce qu’une telle histoire ne se reproduise plus.»
STATUT DE LA HONTE
Durant les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de travailleurs, principalement des Italiens, ont émigré vers le présumé Eldorado helvétique. Grâce au statut de saisonnier instauré dans notre pays en 1934, les entreprises ont ainsi pu recruter une main-d’oeuvre corvéable à merci et bon marché.
Au cours de séjours limités à neuf mois, les saisonniers étaient logés dans des baraquements en bois tout juste salubres et trimaient souvent plus de cinquante heures par semaine pour un salaire inférieur en moyenne de 15% à celui versé usuellement. En sus, ils avaient l’interdiction de changer d’employeur et de domicile. Et si leur épouse était aussi saisonnière, ils n’avaient pas le droit de faire venir leurs enfants, lesquels étaient donc condamnés à rester au pays (soit chez un membre de leur famille, soit dans des pensionnats italiens proches de la frontière) ou à séjourner illégalement en Suisse.
Il a fallu attendre 1991 pour que la Confédération ouvre enfin les portes des écoles à ces filles et ces fils d’immigrés et 2002 pour qu’elle abolisse officiellement le statut de saisonnier. En tout, ce sont plus de six millions de permis A qui ont été délivrés à ces ouvrières et ces ouvriers de l’ombre qui ont largement contribué à la richesse et à la prospérité de notre pays.
Un article de Alain Portner dans l’Événement syndical n°50 du 14 décembre 2022.
Quand la Suisse refusait les familles de ses saisonniers
«Céleste, l’enfant du placard» est un album qui revient sur l’interdiction de regroupement familial qui a poussé de nombreux étrangers à cacher leur progéniture.
L’accord signé en 1948 entre la Suisse et l’Italie sur les travailleurs immigrés entraîne un afflux de main-d’œuvre étrangère. Entre 1960 et 1980, près de 5 millions d’Italiens ont ainsi vécu et travaillé en Suisse. Mais si la Confédération a besoin de bras, elle ne veut pas d’une immigration durable. Déjà la peur du grand remplacement? Toujours est-il que le regroupement familial est interdit à ses travailleurs saisonniers.
Mais pour certains, il est trop difficile de laisser les siens derrière soi au pays, Alors, clandestinement, ils font venir leurs enfants, cachés dans le coffre des voitures ou sous une couverture. Une fois arrivés, ceux-ci ne sortiront quasi-pas du logement où ils vivent, de peur qu’on les découvre. On les appellera les enfants du placard. On estime leur nombre à 10 à 15 000, mais cela ne serait qu’une extrapolation pour la seule décennie 1970-1980, selon Toni Ricciardi, sociologue à l’Université de Genève.
«Céleste, l’enfant du placard» est une bande dessinée qui revient sur ce sombre épisode de l’histoire suisse, qui ne s’est réellement terminé qu’en 2002, moment où le statut de saisonnier a été définitivement aboli avec les accords bilatéraux. Le scénario est signé par Piedomenico Bortune, professeur de culture italienne à l’Université de Neuchâtel. Au dessin, Cecilia Bozzoli, qui est née d’un père italien qui vivait clandestinement en Suisse et faisait lui-même des fumetti, ces BD italiennes. Elle a grandi à Lausanne et a fait du dessin de presse ainsi que les croquis d’audiences des tribunaux pour «Le Temps».
À travers les yeux d’une enfant d’aujourd’hui
Leur récit n’est pas une histoire vraie, mais inspirée évidemment de situations réelles. La subtilité narrative est de faire voir cette période passée à travers les yeux d’une enfant aujourd’hui, puisqu’une jeune fille qui suit l’école italienne de Neuchâtel reçoit comme devoir de vacances d’interviewer ses grands-parents sur leur expérience de l’émigration. Mais ses grands-parents étant décédés, elle va interroger la dame qui vit au-dessus. Et qui se révèle avoir été une enfant du placard.
Album d’une grande sensibilité, avec un très beau dessin noir et blanc ainsi que sépia, ce «Céleste» ne manque pas de nous interroger sur nos rapports à l’immigration. Dur d’imaginer, ou de se souvenir pour les moins jeunes, qu’Italiens ou Espagnols aient été aussi mal perçus à l’époque, tant ils sont désormais intégrés et font partie du quotidien de la Suisse. D’autres leur ont succédé, toujours en suscitant méfiance, rejet ou carrément haine, avant d’à leur tour faire partie du paysage. Et cela va sans doute continuer.
La Suisse ne serait pas ce qu’elle est devenue sans notamment les Italiens. Et dire que l’initiative Schwarzenbach en 1970, qui est rappelée dans l’album, a failli entraîner le départ de 300 000 étrangers, nous privant de leur richesse culturelle. Et sans sens de l’accueil, que reste-t-il d’un peuple?
L’auteure en dédicace le 27 août
Parue initialement en italien, cette BD vient d’être traduite en français aux éditions Antipodes. Et la dessinatrice, Cecilia Bozzoli, la dédicacera samedi 27 août de 10 h à 13 h dans le cadre de la manifestation Lire à Lausanne qui se déroule au Forum de l’Hôtel de Ville et au théâtre Boulimie du 23 au 27 août.
Article de Michel Pralong, dans lematin.ch, 26 août 2022
L’immigration italienne en Suisse racontée en BD
HISTOIRE «Céleste, l’enfant cachée» est l’histoire de la fillette d’un saisonnier des années 1960. Signé Pierdomenico Bortune et Cecilia Bozzoli, l’ouvrage sera distribué dans les écoles aux élèves de langues modernes.
Objet de nombreux reportages et articles ces dernières années, l’immigration italienne en Suisse est pour la première fois transposée en une bande dessinée en noir et blanc qui vient de sortir en italien sous le titre de Celeste, bambina nascosta.
Une version française est d’ores et déjà prévue aux Editions Antipodes, traduite «Céleste, enfant du placard». On y parle de ces enfants arrivés en Suisse clandestinement et obligés de vivre pendant des mois cachés à la maison, dans le vain espoir d’obtenir le permis de séjour et la peur d’être découverts puis renvoyés à la frontière. Conséquence directe du statut de saisonnier qui interdisait le regroupe-ment familial.
Histoire d’une intégration réussie
Tirée à mille exemplaires qui seront distribués en Suisse dans les cercles italiens ainsi qu’aux élèves des cours de langue et culture italiennes, descendants des premiers immigrés, cette BD raconte l’histoire de la fillette d’un saisonnier du sud de l’Italie. A la mort de sa femme, le père de Céleste se voit contraint de l’emmener avec lui en Suisse. Aux abords de la douane de Chiasso, Céleste doit se cacher dans le coffre de la voiture et, par chance, passe la frontière sans encombre.
Elle vivra dans la clandestinité, sans pouvoir aller à l’école, puis s’intégrera. Au fil des pages, le récit transporte le lecteur jusqu’en 2020, où une Céleste désormais sexagénaire et parfaitement intégrée est interviewée par une jeune adolescente, Léane, elle-même petite-fille d’immigrés italiens originaires de la même région. Céleste raconte à Léane son passé de petite immigrée marqué par les campagnes xénophobes de l’époque Schwarzenbach.
«L’initiative de cette bande dessinée émane de la présidente du Comité des Italiens à l’étranger de Berne, Neuchâtel et Fribourg, Mariachiara Vannetti, et le projet a été financé par le Ministère italien des affaires étrangères et l’ambassade d’Italie à Berne», explique Cecilia Bozzoli, illustratrice de la BD, elle-même fille d’un dessinateur italien immigré en Suisse dans les années 70.
Un parcours dans la mémoire
«Ce projet dont j’ai été chargée avec l’auteur Pierdomenico Bortune a été un véritable défi pour moi», explique la dessinatrice. Neuf mois de travail et de recherches ont été nécessaires: «J’ai dû me documenter sur les visites sanitaires de l’époque à la frontière, les conditions de vie dans les baraquements des saisonniers, les manifestations. Notre BD sera présentée au festival de la bande dessinée de Rome, Romics, en avril 2022.»
Auteur de récits sur l’émigration, Pierdomenico Bortune, enseignant de langue et culture italiennes dans le canton de Neuchâtel, s’est établi en Suisse il y a deux ans seulement. Il n’a donc pas vécu lui-même l’expérience typique de l’émigré mais la rédaction de Celeste, bambina nascosta a été pour lui un parcours dans la mémoire familiale. Pierdomenico est le petit-fils de Biagio, un saisonnier de Corsano, petit village du Salento dans les Pouilles, lequel au milieu des années 50 avait émigré à Lucerne pour travailler dans le bâtiment. «Mon père me disait que, lorsqu’il rentrait au pays, mon grand-père ne défaisait jamais sa valise, raconte-t-il. Il ne parlait pas de sa vie d’émigré mais sa figure a inspiré celle du papa de Céleste dans la BD.»
«La grand-maman de ma compagne, Teresa, originaire des Abruzzes, arrivée en Suisse romande toute jeune, s’est parfaitement intégrée. Elle m’a donné l’idée du personnage de Céleste adulte», précise l’auteur de la BD. «Un bel exemple, comme celui de mon grand-père qui préférait le silence, ce silence, comme l’a dit l’ambassadeur d’Italie à Berne, qui a long-temps accompagné les travailleurs italiens en Suisse.»
Article de Gemma d’Urso, Le Temps, 4 janvier 2021