A Contrario Vol. 4, No 2

Littérature et sciences sociales dans l'espace romand

Merrone, Guiseppe,

2006, 176 pages, 13 €, ISBN:978-2-940146-84-0

Ce numéro spécial vise à encourager le dialogue interdisciplinaire entre deux champs d’étude qui se sont longtemps tourné le dos, les sciences sociales et la littérature, afin de réfléchir sur ses modalités dans l’espace romand et sur les profits heuristiques que l’on peut espérer en tirer. Ce dialogue est loin d’être facile à établir, car il se fonde sur un arrière-plan souvent polémique. D’un côté, c’est la littérarité même des oeuvres qui semble d’emblée les soustraire à l’investigation des sciences sociales. D’un autre côté, les chercheurs en sciences sociales peuvent avoir tendance à traiter l’objet littéraire comme n’importe quel objet culturel, sans saisir alors l’intérêt de ce champ d’étude particulier pour leurs propres travaux, notamment sous l’angle de la problématisation des questions concernant l’écriture et la lecture des textes.

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Description

Ce numéro spécial vise à encourager le dialogue interdisciplinaire entre deux champs d’étude qui se sont longtemps tourné le dos, les sciences sociales et la littérature, afin de réfléchir sur ses modalités dans l’espace romand et sur les profits heuristiques que l’on peut espérer en tirer. Ce dialogue est loin d’être facile à établir, car il se fonde sur un arrière-plan souvent polémique. D’un côté, c’est la littérarité même des oeuvres qui semble d’emblée les soustraire à l’investigation des sciences sociales. Pour les littéraires, le texte acquiert sa légitimité en tant qu’objet d’étude par le biais d’un primat donné à la visée esthétique, qui l’extrait du même coup du champ des discours sociaux et lui confère un caractère de singularité irréductible. D’un autre côté, les chercheurs en sciences sociales peuvent avoir tendance à traiter l’objet littéraire comme n’importe quel objet culturel, sans saisir alors l’intérêt de ce champ d’étude particulier pour leurs propres travaux, notamment sous l’angle de la problématisation des questions concernant l’écriture et la lecture des textes.

Ce numéro ne mettra pas d’accord les sourds, ni ne réconciliera les vues partielles et partiales engendrées par les angles morts de chaque discipline. Mais, exemples à l’appui, il souhaite montrer les profits qu’il y a, pour tout spécialiste, à s’affranchir des limites ininterrogées de sa propre boîte à outils.

Sommaire

Editorial

  • Littérature et sciences sociales: dialogue de sourds ou mariage de raison? (Raphaël Baroni, Jérôme Meizoz et Giuseppe Merrone)

Article

  • Les deux cultures des études littéraires (Dominique Maingueneau)
    La littérature romande n’existe pas…sauf en sciences sociales! (Daniel Maggetti)
    Pour une approche ethnocritique de l’œuvre de Ramuz: l’exemple du légendaire (Céline Cerny)
    Ramuz paysan, patriote et héros: construction d’un mythe (Stéphane Pétermann)
    Neutralité et engagement: Denis de Rougemont et le concept de la « neutralité active » (Kristina Schulz)
    Sur un texte énigmatique de Pierre Bourdieu (Jérôme David)
    Fiction, pluralité des mondes et interprétation (André Petitat)
    Écrire et lire les cultures: l’ethnographie, une réponse littéraire à un défi scientifique (Lorenzo Bonoli)
    De l’intrigue littéraire à l’intrigue médiatique: le feuilleton Swissmetal (Raphaël Baroni, Stéphanie Pahud et Françoise Revaz)
  • Document

  • Jean Chauma écrivain: le milieu du banditisme par l’un des siens (Giuseppe Merrone et Ami-Jacques Rapin)
  •  
  • Entretien

  • Littérature française et littérature romande: effets de frontière.
    Entretien mené par Pascale Debruères (Pascale Casanova et Jérôme Meizoz)

Presse

L’ex-voyou et les travailleurs

La revue A contrario réunit plusieurs articles rédigés par des chercheurs de l’UNIL. L’un des textes nous plonge dans le milieu du banditisme.

(…)

Ecrire après la prison

La littérature est (…) chose sérieuse, comme en témoigne un (…) article de la revue A contrario. Il s’agit d’un entretien avec Jean Chauma, ancien braqueur revenu d’un long séjour en prison. Cet article s’inscrit dans le prolongement du roman de Chauma Bras cassés, récemment paru aux Editions Antipodes. Réalisé par deux politologues de l’UNIL, Giuseppe Merrone et Ami-Jacques Rapin, spécialistes des « mondes clandestins », cet entretien « donne la parole à l’acteur, ce qui est très difficile à faire dans ce milieu. »

Cet entretien passionnant, restitué dans un style très proche du parler oral, témoigne d’une connaissance intime du banditisme et d’un jugement lucide porté d’une voix forte sur ce monde sans paroles. « Chez les voyous, on ne dit jamais les crimes, on ne nomme jamais la faute. Personne ne va faire une phrase sur le meurtre. » On pense plusieurs fois au terrorisme quand Chauma évoque « l’autre monde » qui n’est jamais pris en considération lors d’un braquage. « J’étais intrusif et m’autorisais à peser brutalement sur les autres », observe-t-il. Ou encore: « J’ai compris que la faute, c’était de s’immiscer dans la vie des gens qui ne vous ont rien demandé. » Voir les autres comme de simples figurants, sans aucune empathie. Mais cette attitude témoigne aussi d’une aliénation qui empêche le braqueur de se percevoir lui-même comme un être humain complet. « »e suis scandalisé d’avoir fait autant d’années de prison. Si j’ai pu me faire ça à moi-même, c’est que je ne connaissais pas l’autre moi-même », témoigne-t-il. Et aussi: « Si on réfléchit aux conséquences, on ne le fait pas », mais le voyou ne s’imagine pas au tribunal, il ne perçoit pas le monde extérieur. Le terroriste, songe-t-on, est dans la même « logique »: pour lui, il n’y aura pas de conséquence puisqu’il sera mort. Et pour les ados qui ont mis le feu à ce bus marseillais en piégant une jeune femme à l’intérieur?

On devrait proposer à Chauma une tournée des écoles. Et le rétribuer pour cela. Il y a urgence à écouter un homme qui dit avoir et avoir enfin vu l’autre en lui-même.

Nadine Richon, Uniscope no 523, novembre-janvier 2006-2007

Dialogue de sourds ou mariage de raison?

Littérature et sciences sociales se sont souvent tourné le dos. Pourtant leur dialogue peut s’avérer fécond, comme le prouve le dernier numéro de A contrario: sous la direction de Raphaël Baroni, Jérôme Meizoz et Giuseppe Merrone, « Littérature et sciences sociales dans l’espace romand » explore au fil d’une dizaine d’articles leurs apports mutuels. Quelques exemples.

Outre le fait qu’en Suisse romande, les oeuvres sont tissées d’expression locales qui sont autant de signes d’une réalité socioculturelle particulière, les pratiques mêmes d’écriture et de lecture ou le phénomène de fétichisation des auteurs et des œuvres gagnent à être abordés du point de vue sociologique. Ainsi la lecture ethnocritique de Céline Cerny montre comment Ramuz se réapproprie des légendes valaisannes pour les transformer: son œuvre résonne d’une véritable polyphonie culturelle, où la littérature intègre les discours folkloriques et populaires. Stéphane Pétermann met en lumière le processus de « pétrification » qui a fait du même Ramuz un mythe national. Quant à Kristina Schulz, elle éclaire les contradictions des écrivains romands pendant la Seconde Guerre mondiale, tiraillés entre la posture de l’écrivain engagé et la neutralité suisse. Un dilemme résolu par Denis de Rougemont et son concept de « neutralité active ».

Les travaux sur l’énonciation, la structure et la réception des textes se révèlent pertinents pour aborder des phénomènes sociaux: le discours médiatique est ici analysé à travers le traitement du « feuilleton Swissmetal » par les quotidiens romands. Plus généralement, la lecture ou l’écriture donnent forme à notre expérience du quotidien: l’article d’André Petitat montre la réversibilité des mondes fictionnels et réels.

La revue donne également la parole à Jean Chauma, dont le roman Bras cassés porte un regard original sur le milieu du banditisme auquel il a appartenu. Avant de s’achever par un dialogue entre Pascale Casanova et Jérôme Meizozi sur les rapports entre littérature française et littératures de Suisse.

APD, Le Courrier, 24 février 2007. 

Littérature et sciences sociales

Si les sciences sociales boudent la littérature, et inversement, ce numéro de la revue A Contrario, dirigé par Raphaël Baroni, Jérôme Meizoz et Guiseppe Merrone plaide pour une plus grande ouverture et propose à la fois d’analyser la littérature avec les outils des sciences sociales et d’étudier la société à travers la littérature qui la reflète. Stéphane Pétermann y propose une analyse du mythe de Ramuz, où comment la mémoire de l’écrivain est exploitée à des fins littéraires et identitaires: Kristina Schulz montre comment Denis de Rougemont se rattachait à son espace social, réagissant à la Seconde Guerre mondiale alors qu’il vivait dans un pays neutre, développant une posture de « neutralité active ». A l’inverse, le discours médiatique est envisagé avec les outils de l’analyse littéraire: Raphaël Baroni, Stéphanie Pahud et Françoise Revaz s’intéressent au traitement par les médias de la grève des ouvriers de Swissmetal, à Reconvilier.

J. B., 24Heures, 27 mars 2007.

Littérature et sciences sociales dans l’espace romand, à propos d’un numéro de la revue A Contrario:

http://contextes.revues.org/document268.html

François Provenzano, Contextes

«Littérature et sciences sociales dans l’espace romand»

Ce numéro spécial de A contrario a comme objectif le croisement entre littérature et sciences sociales, dans une perspective interdisciplinaire qui permet d’interroger les différents points de convergence entre les deux disciplines. Si le titre est orienté sur l’espace romand, le numéro est partagé entre contributions axées sur la réception de la littérature suisse romande sous un aspect sociologique et entre articles consacrés à la fiction en tant que type d’écriture.

Dominique Maingueneau ouvre le recueil avec un article intitulé « Les deux cultures des études littéraires », qui réfléchit sur les postulats de la critique littéraire d’aujourd’hui. Dans sa lignée, l’article de Daniel Maggetti cherche à harmoniser les différentes approches du texte littéraire suisse romand, en défendant et valorisant la complémentarité des critiques, qu’elles soient de type « strictement littéraire » ou alors orientées d’après les sciences sociales (« La littérature romande n’existe pas…sauf en sciences sociales! »). Trois contributions illustrent les spécificités d’une approche sociologisante, mettant ainsi en évidence les croisements entre le texte et la société. Dans « Un regard ethnocritique sur l’œuvre de Ramuz: l’exemple du légendaire », Céline Cerny travaille sur l’interculturalité de l’imaginaire alpin développé par certains romans de Charles Ferdinand Ramuz, dont La Grande Peur dans la montagne (1926). Cet article est complété par une étude sur la construction du mythe Ramuz, qui montre avec pertinence les étapes et les mécanismes mis en place (par la critique, par les institutions étatiques aussi) afin de sacraliser une œuvre qui serait fondatrice d’un champ littéraire romand autonome (Stéphane Petermann, « Ramuz paysan, patriote et héros: construction d’un mythe »). Enfin, Kristina Schulz aborde le concept de « neutralité active » et ses paradoxes dans l’œuvre de Denis de Rougemont (« Neutralité et engagement: Denis de Rougemont et le concept de « neutralité active »). Soulignons, dans la suite de ces articles sur la littérature de Suisse romande, l’article de Lorenzo Bonoli qui réfléchit sur le croisement entre texte ethnographique et texte littéraire (« Écrire et lire les cultures: l’ethnographie, une réponse littéraire à un défi scientifique »), ainsi que l’entretien entre Pascale Casanova et Jérôme Meizoz (« Littérature française et littérature romande: effets de frontière »).

Ce croisement entre littérature et sciences sociales est ainsi traité avec un esprit de réflexion aigu, cherchant à établir des pistes, à pratiquer les divergences pour favoriser la multiplicité des approches: en atteste la très belle contribution de Jérôme David, « Sur un texte énigmatique de Pierre Bourdieu », qui s’attache à l’un des articles de Pierre Bourdieu, soit un commentaire d’un poème d’Apollinaire inclus dans Alcools. Dans sa re-lecture de cet article de Bourdieu (publié en 1995), J. David délie peu à peu les liens tissés entre littérature et sociologie tels qu’ils apparaissent chez Bourdieu: « La littérature va donc jusqu’à « inviter » le sociologue à préciser ses hypothèses, à affiner les catégories de son enquête et à réinterpréter les données empiriques déjà récoltées, ou les observations déjà faites ». De fait, une réflexion à la fois dynamique et profonde sur le rapport, toujours présent, toujours ailleurs, entre la littérature et le monde. Pensons à cette belle formule: « Les morts nous laissent en quelque sorte l’héritage toujours actuel de leur rapport à la mort ».

Les contributions suivantes traitent plus particulièrement de la fiction: c’est avec l’excellent article d’André Petitat que le lecteur peut se familiariser avec le terme de fiction: « Fiction, pluralité des mondes et interprétation» problématise en effet la « réalité sociale » telle que ce concept est défini par la sociologie et rappelle l’importance du monde fictionnel. Soulignons en particulier la pertinence du développement sur l’interprétation de la fiction, prenant comme exemple un conte et ses diverses interprétations. Retenons peut-être l’expression de « pont verbal » entre les mondes qu’est la fiction: la contribution co-signée par Raphaël Baroni, Stéphanie Pahud et Françoise Revaz analyse les rapports de construction et de séparation à l’œuvre dans le feuilleton médiatique, en prenant comme exemple un cas spécifiquement romand (« De l’intrigue littéraire à l’intrigue médiatique: le feuilleton Swissmetal »). L’expression de « pont verbal » exprime par ailleurs idéalement le travail de réécriture fourni par Giuseppe Merrone et Ami-Jacques Rapin à partir d’un entretien avec Jean Chauma, ex-braqueur de banques devenu, à sa sortie de prison, un écrivain de polars. Un texte magnifique, hommage à la lecture puis à l’écriture, ponts entre des rives, entre soi-même et la société.

Ce qui émane des différentes contributions du présent numéro de A contrario, c’est le souci de dégager et de définir l' »imaginaire » de la littérature, et de redynamiser, grâce à l’apport d’un dialogue interdisciplinaire entre littérature et sciences sociales, un concept trop souvent perçu, avec une certaine méfiance, comme peu fiable, voire inutilisable. Un dialogue qui puisse produire « un véritable ébranlement réciproque ».

Sylvie Jeanneret, Variations – Literaturzeitschrift der Universität Zürich, N° 15, Peter Lang, 2007