A Contrario Vol. 1, No 2

2003, 152 pages, 13 €, ISBN:2-940146-39-X

De l’originalité dans les sciences sociales (D. Meier et A. Pollien)
La « divine drogue »: l’art de fumer l’opium en Occident au tournant des 19e et 20e siècles (A.-J. Rapin)
La figuration de l’élection dans l’espace social d’un roman balzacien: Le député d’Arcis (C. Voilliot, )
Les banques chinoises face à la concurrence internationale (D. Hochraich)
Qui gouverne? Le Forum de Davos et le pouvoir informel des clubs d’élites transnationales (J.-C. Graz)

Format Imprimé - 17,00 CHF

Description

  • De l’originalité dans les sciences sociales (D. Meier et A. Pollien)
  • La « divine drogue »: l’art de fumer l’opium en Occident au tournant des 19e et 20e siècles (A.-J. Rapin)
  • La figuration de l’élection dans l’espace social d’un roman balzacien: Le député d’Arcis (C. Voilliot, )
  • Les banques chinoises face à la concurrence internationale (D. Hochraich)
  • Qui gouverne? Le Forum de Davos et le pouvoir informel des clubs d’élites transnationales (J.-C. Graz)

Presse

Les jours du forum de Davos sont comptés

Dans la première étude scientifique consacrée à la grand-messe grisonne, un chercheur lausannois décortique le rendez-vous cher à Klaus Schwab. Une analyse très critique.

Le Forum de Davos sert-il à quelque chose? La grand-messe trentenaire chère à Klaus Schwab a-t-elle encore un avenir? Est-ce au contribuable suisse, de payer les millions de francs liés à la sécurité d’une manifestation privée? Non, non et non répond Christophe Graz. Ce chercheur à l’Institut d’études politiques et internationales (EEPI) de l’Université de Lausanne (UNIL) vient de publier dans deux revues universitaires britannique et lausannoise « la première publication scientifique spécifiquement consacrée à l’analyse du World Economic Forum (WEF) ». Publications qui s’intègrent dans trois années de travail sur la « Gouvernance commerciale mondiale » soutenues à hauteur de 200 000 francs par le. Fonds national de la recherche scientifique (FNS).

Jean-Christophe Graz s’intéresse depuis longtemps au pouvoir informel des clubs d’élites internationales dont le WEF, selon lui, représente « l’archétype le plus exclusif ». Dans le cadre de sa recherche, il souhaitait d’abord donner la parole aux participants qui, au travers de leurs cotisations (selon, l’ONG Public Citizen, les membres payaient, en 2000, 12 500 dollars de quote-part annuelle et 6250 de taxe d’inscription au meeting, ce qui aurait rapporté 38,5 millions de dollars de rentrées au WEF cette année-là), font vivre le Forum. Il en a contacté, via email, 715 avant que le directeur général du WEF ne l’enjoigne « de cesser immédiatement d’importuner de la sorte les membres du Forum et, vraisemblablement, les dissuadant de donner suite à mon initiative ». Restent alors une quarantaine d’entretiens directs, parfois confidentiels, avec des participants ou des membres de l’organisation.

Absence de résultats concrets

Jean-Christophe Graz constate, d’abord, l’absence de résultats concrets du Forum: « La mission officielle du WEF est « improving the state of the world » (améliorer l’état du monde). Or, les éléments mis en exergue dans l’histoire officielle publiée sur les pages web auraient eu lieu ailleurs si Davos n’existait pas. » Il rappelle aussi que le document sur la « fracture numérique, véritable navire amiral autoproclamé du WEF », soit « l’inclusion des pays pauvres dans la nouvelle ère de l’économie », remis lors du sommet du G7 d’Okinawa en 2000, est resté sans suite.

Ensuite, selon lui, le WEF manque de relais, notamment politiques pour concrétiser les initiatives qui pourraient sortir des réunions. D’où « (…) des difficultés à transformer le Forum en une organisation se situant à un niveau supérieur d’institutionnalisation ». En outre, les tentatives d’ouvrir ce club exclusif (« dans exclusif, il y a exclusion »), dès l’édition 2000, à d’autres acteurs de la société civile se sont soldées par des échecs. L' »homme de Davos » (moins de 10% de femmes lors de l’édition 2003) est, rappelait Public Citizen dans son dernier rapport, avant tout Blanc, Européen (39%), Nord-Américain (36,4% en 2002) ou Asiatique (7,7%).

Condamnant la répression contre les manifestants altermondialistes ou ulcérés d’être exclus des réunions clés du WEF, la plupart des représentants des ONG n’ont pas été réinvités ou ont décliné les invitations.

Le chercheur cite aussi le Financial Time, du 1er février 2002 : « Et pourtant il reste difficile de s’extraire du sentiment que, malgré le sérieux des discussions et le nombre de sourcils froncés, ce qu’est vraiment Davos pour la plupart des participants demeure l’occasion de nouer des contacts et de faire des affaires. » Pour l’auteur, « il ne faut pas oublier que c’est toujours le réseau de contacts et la conduite des affaires qui constituent la première motivation à payer le ticket d’entrée aux activités du Forum ». Forum considéré par Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand, comme « un hôtelier qui permet de gagner du temps, un économiseur de voyages d’affaires ». Finalement, Jean-Christophe Graz démontre que le WEF souffre d’un déficit d’image grandissant. Ses excès de croissance dans les années nonante ont accru le sentiment d’opacité et d’affairisme. Plus grave, les altermondialistes l’ont choisi comme « cible privilégiée ». Du coup, les coûts nés à la sécurité des invités ont explosé (quelques centaines de milliers de francs en 1997 contre 14 millions de francs en 2003), coûts assumés aux neuf dixièmes par les pouvoirs publics, au grand dam de l’opinion publique suisse. Tout cela, estime l’auteur, ne va pas sans une désaffection tant qualitative que quantitative des invités et participants: « »L’expression « esprit de Davos » apparaît aujourd’hui comme un mythe social fortement menacé. »

Claude Ansermoz, 24 Heures, 18 novembre 2003.

(…) Un mot d’ordre, pour les auteurs de ce numéro: l’originalité. « L’originalité est un principe qui participe de l’éthique de la recherche », écrivent Daniel Meier et Alexandre Pollien dans leur éditorial.

Uniscope, 5 décembre 2003

A Davos on fait son marché au nom de la paix

Le soutien de l’Etat en faveur du Forum de Davos suscite la discussion. Une recherche consacrée au pouvoir des clubs privés informels conteste l’utilité publique de la manifestation. Les responsables de l’organisation réfutent les critiques.

L’étude de Jean-Christophe Graz-réalisée entre 2000 et 2001 à partir de documents des archives du Forum et d’entretiens avec les organisateurs et les participants-fait partie d’une recherche plus large consacrée à la « Gouvernance commerciale mondiale: entre pouvoirs publics et autorité privée » financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Jean-Christophe Graz, « Qui gouverne? Le Forum de Davos et le pouvoir informel des clubs d’élites transnationales ». a contrario, n°2, Antipodes, 2003.

Jean-Christophe Graz, auteur d’une recherche publiée par la revue a contrario (cf. page ci-contre) sur le World Economic Forum de Davos (WEF), conteste l’engagement financier des collectivités publiques pour la sécurité de la manifestation. Le WEF est avant tout un club privé et exclusif. A l’abri de la station grisonne, on se rencontre en petit comité, on ficelle des stratégies, on ranime des négociations au point mort, on signe des contrats. Bref on fait des affaires comme d’habitude, mais à mille à l’heure, profitant de toutes les opportunités offertes par un séjour au bout des Alpes, avec la police en renfort.

Un comptoir plutôt qu’un directoire

Le mythe social affiché par le Forum ressasse son rôle irremplaçable pour le bien-être de l’humanité. A défaut de résultats véritables-la guerre froide n’a pas pris fin à Davos-le WEF peine à incarner l’intérêt général. »C’est le business qui paie pour tous les autres invités »,selon l’aveu d’un ancien comptable du Forum rapporté par Jean-Christophe Graz. Les invités-présidents, ministres, responsables d’ONG, capitaine d’industries, qui font la une des médias-serrent des mains et avardent aimablement des grandes questions qui agitent la planète alors que les autres, la majorité, rentabilisent les rendez-vous de la semaine. Malgré ses airs d' »organisation vouée à la seule planification stratégique du capitalisme (…) », le chercheur estime que le Forum se rapproche bien davantage d’un comptoir que d’un think thank débouchant sur « des transformations d’envergure à l’échelle mondiale ». Par-dessus « la vanité d’individus » surestimant leur pouvoir, c’est son illégitimité qui saute aux yeux. Et que le mythe tend à occulter au nom d’une conscience universelle à but non lucratif, logée à 1500 mètres d’altitude, au frais des grandes sociétés multinationales. Voilà pourquoi le soutien de la Confédération suscite tant de débats et devrait lui être refusé, conclut Jean-Christophe Graz, malgré la crainte de son déménagement. Or, l’Etat préfère financer un club privé informel, au lieu de le confronter à son pouvoir légitime et démocratique. ll renonce ainsi au contrôle des activités et des résolutions d’un directoire autoproclamé.

MD., Domaine Public, no 1585, 19 décembre 2003

Le mythe de Davos touche à sa fin. Trois questions à Jean-Christophe Graz

Le Forum de Davos a été créé en 1971 pour regrouper les élites mondiales publiques et privées dans le but « d’améliorer l’état du monde ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

Ce slogan du Forum correspond à ce que ses organisateurs appellent « l’esprit de Davos », cette atmosphère particulière de club qui autorise des négociations discrètes, permises par un accès exclusif, mais dense, à un réseau de décideurs publics et privés en matière politique, stratégique et économique. Plus prosaïquement, les gens qui viennent à Davos ont des motivations plus utilitaristes: faire du business, prendre l’air du temps, nouer des contacts clés ou impromptus, etc. C’est une auberge espagnole où les rencontres contribuent à améliorer le bien commun de l’humanité sont marginales. De plus, l’esprit de club, censé garantir un accès sans discrimination à tous les membres, a été cassé par le gigantisme des réunions. Les petits maîtres du monde ont du mal à obtenir des rendez-vous avec les grands. Et comme l’explique Jacques Attali, le meilleur moyen d’utiliser Davos est de prendre plus de rendez-vous qu’il n’est possible d’en honorer et de choisir au dernier moment !

La contestation de ces rencontres par les altermondialistes a-t-elle eu des effets?

Des effets importants. Le Forum a désormais lieu dans une atmosphère de forteresse, contraire à l’image qu’il veut donner d’un lieu ouvert où l’on discute de tout. Les membres s’en plaignent d’ailleurs, et plusieurs dirigeants privés s’interrogent sur leur participation future. De même, les hommes politiques, désormais obligés de justifier leur présence à leur opinion publique, se demandent si le jeu en vaut la chandelle. En 2001, les organisateurs ont invité une trentaine de leurs critiques, y compris des leaders altermondialistes comme le Malais Martin Khor ou l’Américaine Lori Wallach. Le courant n’est pas passé. Quand ces dirigeants ont posé quelques conditions à leur future participation, comme par exemple le droit de manifester contre le Forum, les organisateurs ont refusé. Résultat: l’année suivante, une partie d’entre eux n’a pas été réinvitée, tandis que les autres déclinaient l’invitation. Le dialogue avec les opposants a échoué et la contestation continue.

Vous dites que l’avenir du Forum est désormais incertain.

Le Forum n’arrive pas à résoudre ses problèmes de gigantisme, de dégradation d’image, de contestation externe et de désaffection possible des politiques et des dirigeants privés. D’une part, ses organisateurs cherchent à renforcer la sécurité à tout prix, mais cela nécessite des moyens toujours plus grands qui commencent à faire débat. En plus de la masse habituelle de policiers, la Suisse va mettre 6500 soldats à disposition pour le Forum 2004! D’autre part, ils ont créé un nombre important de groupes de travail, censés proposer des projets concrets pour résoudre les problèmes du monde. Ceux-ci n’ont rien donné, ou bien ont eu des effets très mineurs. Un exemple de réussite souvent mis en avant est le groupe de travail sur la fracture numérique mondiale, dont les conclusions ont été reprises par le G7 en 2000. Mais depuis, on n’en a plus entendu parler…

Ch. Ch., Alternatives économiques, no 221, janvier 2004