Un credo anticommuniste

La commission Pro Deo de l'Entente internationale anticommuniste

Roulin Stéphanie,

2010, 517 pages,   31 €, ISBN:978-2-88901-038-7

Avec l’étude de l’Entente internationale anticommuniste (EIA) et de sa commission officieuse « Pro Deo », cet ouvrage décrypte l’anticommunisme sous un angle négligé par la recherche historique: le facteur religieux. Il analyse les motivations et les initiatives d’un milieu ultra-conservateur issu de la bonne société genevoise qui, associé à un cercle fermé d’exilés russes, développe et coordonne avec un succès inégal plusieurs réseaux politiques et religieux internationaux. Leur objectif: oeuvrer à l’isolement diplomatique, économique et moral de l’URSS afin d’aboutir à la chute du régime soviétique et à l’éradication du communisme dans le monde.

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Description

Avec l’étude de l’Entente internationale anticommuniste (EIA) et de sa commission officieuse « Pro Deo », cet ouvrage décrypte l’anticommunisme sous un angle négligé par la recherche historique: le facteur religieux. Il analyse les motivations et les initiatives d’un milieu ultra-conservateur issu de la bonne société genevoise qui, associé à un cercle fermé d’exilés russes, développe et coordonne avec un succès inégal plusieurs réseaux politiques et religieux internationaux. Leur objectif: oeuvrer à l’isolement diplomatique, économique et moral de l’URSS afin d’aboutir à la chute du régime soviétique et à l’éradication du communisme dans le monde.

Pour y parvenir, la création d’un front commun des chrétiens contre le danger qui menace selon eux la « Civilisation chrétienne » s’impose comme une priorité absolue à partir du tournant des années 1930. L’ouvrage scrute avec attention la manière dont l’argument religieux est mêlé et parfois subordonné aux nécessités politiques à divers moments clés de la période: la dénonciation des persécutions religieuses par Pie XI en 1930, l’accession d’Hitler au pouvoir, la campagne pour l’entrée de l’URSS au sein de la Société des Nations en 1934, la guerre civile espagnole et enfin le difficile tournant de la Deuxième Guerre mondiale.

Presse

Dans la revue Archiv für Sozialgeschichte, 56 (2016)

Voir l’article de Johannes Großmann, « Die ‘Grundtorheit unserer Epoche’? Neue Forschungen und Zugänge zur Geschichte des Antikommunismus » (pp. 549–590), qui se réfère notamment à l’ouvrage de Stéphanie Roulin.

 

Dans la revue les Annales

Stéphanie Roulin présente ici la publication intégrale de sa thèse de doctorat soutenue en 2009 et consacrée aux réseaux religieux liés à l’Entente internationale anticommuniste (EIA), une organisation sise à Genève, active essentiellement de 1924 à 1945. L’auteure s’intéresse également à la commission Pro Deo, fondée en 1933, officiellement distincte de l’EIA mais dont les acteurs, les actions et les réseaux sont similaires. L’auteure a pu bénéficier d’un cadre stimulant, sa recherche s’intégrant à un projet collectif sur l’EIA soutenu par le Fonds national suisse et dirigé par Mauro Cerutti et Jean-François Fayet1. Dans ce contexte historiographique, S. Roulin a clairement défini ses objectifs: d’une part, « enrichir l’analyse de l’anticommunisme de valeurs’ des années 1920 et 1930 en Suisse et en Occident, en montrant comment s’articulent les dimensions religieuse et politique dans [l]es représentations et l’argumentaire » de ces organisations et, d’autre part, « clarifier les positions ainsi que les liens organisationnels et personnels tissés entre les réseaux de l’EIA et de Pro Deo, en [se] concentrant en particulier sur les milieux confessionnels » (p. 427).

Pour répondre il ces questions, l’auteure a exploité le riche fonds d’archives et d’imprimés de l’EIA ainsi que les mémoires du docteur Georges Lodygensky (cofondateur de l’EIA et personnalité clé de Pro Deo) rédigées dans les années 19602. Cependant, au-delà de ces sources produites par les organisations étudiées, S. Roulin a approfondi sa recherche essentiellement dans deux directions. D’un côté, les archives publiques suisses et allemandes permettent de mieux connaître les enjeux politiques des actions de l’EIA et de Pro Deo. D’un autre côté, les archives de certaines institutions religieuses ont été sollicitées. Les archives jésuites en Suisse et à Rome et les archives vaticanes. Ces croisements de sources conduisent l’auteure à des développements très intéressants notamment sur l’Allemagne (sur les liens avec l’Antikomintern financé après 1933 par le ministère de la Propagande) ou les relations avec le Saint-Siège. On regrette cependant que les sources mobilisées ne fassent pas l’objet d’une argumentation plus serrée: le lecteur peut ainsi se demander pourquoi certaines archives genevoises (SDN) n’ont pas été sondées. De même, le choix des archives religieuses étudiées – exclusivement catholiques – n’est pas clairement justifié. Enfin et surtout, le lecteur aimerait savoir si les archives du Komintern (notamment les séries concernant l’Internationale prolétarienne des Sans-Dieu), dont l’EIA ambitionnait d’être un double en négatif, comprennent des éléments sur ces questions politico-religieuses. 

L’ouvrage, rédigé dans une langue efficace et très pédagogique, est clairement structuré. Après une brève introduction, S. Roulin déploie quatre parties, avant de rappeler les apports de sa recherche dans une forte conclusion. La première partie propose une introduction sur l’EIA, organisation souple mais aux ambitions tentaculaires. La deuxième partie est consacrée à l’action religieuse dc l’EIA avant 1933, qui se déploie dans le domaine diplomatique et dans celui de la « propagande », notamment à partir de 1929 lorsque commence la grande campagne internationale de dénonciation des persécutions religieuses en URSS. La troisième partie illustre la naissance de la commission Pro Deo en 1933 sous l’influence des catholiques allemands en lutte contre la libre-pensée prolétarienne. Cette nouvelle organisation, formée de membres des trois principales confessions chrétiennes (l’hypothèse d’une participation de représentants d’autres religions étant rapidement abandonnée), fonctionne surtout comme une plate-forme d’échange d’informations et d’actions. Enfin, la quatrième partie s’intéresse à l’attitude de l’EIA et de Pro Deo face au nazisme et à la Seconde Guerre mondiale: si les années 1930 sont étudiées dans le détail, les années 1940 sont un peu sacrifiées, notamment l’importante question de l’élection du patriarche Serge en 1943, qui inaugure un renouveau de l’action internationale de ce patriarcat. Les annexes, assez succinctes, comprennent notamment la liste des conférences de l’EIA de 1924 à 1939 et celle des sessions de Pro Deo de 1933 à 1938. L’ouvrage est complété par un index des noms de personnes et un autre, intéressant, des organisations. On regrette l’absence de table des illustrations qui aurait facilité le repérage de  la riche iconographie de l’ouvrage. 

Les apports de cette recherche sont variés et montrent tout le profit que l’on peut tirer d’une histoire religieuse qui manie l’histoire politique dans une dynamique à la fois soucieuse des contextes nationaux et des logiques internationales. Trois grands domaines pevent être signalés: l’histoire de l’émigration russe, des relations internationales et de l’anticommunisme. 

En ce qui concerne l’histoire de l’émigration russe, cette recherche apporte de nombreux éléments àla fois sur certaines personnalités (en particulier le docteur Lodygensky qui représente dans les années 1920 la Croix-Rouge russe – ancien régime – à Genève), sur la petite mais active communauté russe orthodoxe de Genève ou encore sur certains mouvements comme le Mouvement des travailleurs chrétiens russes (MITCR) créé en 1931. Au-delà de ces éclairages ponctuels, l’ouvrage illustre les relations entre l’émigration russe et les élites conservatrices européennes, et surtout le rôle de relais joué par certains émigrés dans l’information sur la Russie soviétique et sur les répressions. En plus d’informations directement reçues d’URSS, les membres russophones de l’EIA ont assuré un travail colossal de dépouillement et de traduction de la presse et d’ouvrages soviétiques. 

Quant à l’histoire des relations internationales, cet ouvrage illustre les tentatives diplomatiques de l’EIA et de Pro Deo auprès de la SDN, les pressions exercées dans différents pays européens et aux États-Unis pour empêcher la normalisation des relations (diplomatiques, économiques…) avec l’URSS. L’un des intérêts de la démonstration est d’articuler toujours très fortement ces actions  diplomatiques aux contextes nationaux, notamment en ce qui concerne la Suisse et l’Allemagne. 

Enfin, S. Roulin apporte un éclairage pionnier sur l’anticommunisme religieux. Si, dans le domaine de la propagande, l’action de l’EIA et de Pro Deo a été souvent limitée par un manque de rapidité et de moyens, certaines innovations sont à mettre à son actif comme l’exposition anticommuniste organisée par Pro Deo en 1934 et qui fut imitée tant par  l’Antikomintern allemand que par les jésuites à Rome. Par ailleurs, l’auteure montre bien comment l’EIA et Pro Deo, qui sont des organisations non religieuses, sont parvenues à fédérer des acteurs, personnalités et réseaux religieux capables d’agir en politique et de premier plan, comme le Saint-Siège (toujours asez distant malgré tout), le pasteur néerlandais Frederik Johan Krop ou encore Katharine Stewart-Murray, duchesse d’Atholl, première écossaise au Parlement britannique. 

Cependant, pour des raisons l’EIA et Pro Deo perdent certains contacts religieux dans la seconde moitié des années 1930. L’émergence d’un nouveau danger dans les Églises et la paix en Europe – le nazisme – est en effet alors analysée de façon divergente par les chrétiens, qui s’étaient mobilisés contre le communisme dans les années précédentes. Alors que le pasteur Krop, francophile, prend progressivement conscience des infiltrations nazies au sein de Pro Deo, que la duchesse d’Atholl bascule carrément dans l’antifascisme à l’occasion de la guerre d’Espagne et que le Saint-Siège réfléchit à une condamnation dogmatique conjointe du culte de la race, de l’Etat et du communisme, l’EIA reste fidèle à ses sympathies pour le fascisme et le nazisme. Dans les années 1930, l’EIA ne dénonce jamais les persécutions religieuses en Allemagne et, même lorsqu’en 1940 elle évoque des similitudes entre le bolchevisme et le « national-bolchevisme néopaïen », elle ne remet jamais en cause de façon globale le nazisme (dont les erreurs et les échecs sont imputés à Alfred Rosenberg et à la franc-maçonnerie européenne). Finalement, ce que l’EIA ne parvient jamais à prendre – et en ce sens la conclusion sur la « posture de défense, marquée par la pauvreté du contenu constructif » (p. 439) caractéristique de l’EIA, est tout à fait pertinente -, c’est un tournant « totalitarien » qui lui aurait permis d’affiner sa lecture du système communiste dans une perspective à la fois plus comparatiste et plus constructive. Il conviendrait probablement, pour mieux comprendre cette brisure, de creuser plus nettement la question de l’antisémitisme. 

Laura Pettinaroli, Annales. Histoire, Sciences Sociales, No. 2014/1, pp. 275-277

1. Michel Caillat et al. (éd.), Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse, Zürich, Chronos, 2009.

2. Georges Lodygensky, Face au communisme (1905-1950). Quand Genève était le centre du mouvement anticommuniste international, Genève, Slatkine, 2009. 

 

Dans la revue en ligne H-Soz-u-Kult

Das Bild auf dem Einband dieses Buches transportiert eine klare Botschaft: Ein von Hunger gezeichneter, körperlich und seelisch gebrochener Mensch, ein Märtyrer mit gesenktem Haupt, hängt an einem Kreuz aus Hammer und Sichel. Es waren solche Bilder, mit denen die Kommission « Pro Deo » während der dreißiger Jahre ihr « antikommunistisches Glaubensbekenntnis » in die Öffentlichkeit trug und gegen die antireligiöse Propaganda der sowjetischen Machthaber und ihrer (vermeintlichen) Sympathisanten Stellung bezog. In der ungekürzten Druckfassung ihrer 2009 an der Universität Fribourg verteidigten Dissertation zeichnet Stéphanie Roulin diese vielschichtige ideologische Auseinandersetzung mit akribischer Sorgfalt nach. Ihre Studie ist die erste von mehreren geplanten Darstellungen, die aus einem vom Schweizerischen Nationalfonds geförderten Forschungsprojekt zur Geschichte der « Entente Internationale Anticommuniste » (EIA) hervorgehen sollen.1

Die EIA wurde offiziell 1924 in Paris unter dem Namen « Entente Internationale Contre la Troisième Internationale » (EICTI) gegründet. Unter der Führung des Genfer Rechtsanwalts Théodore Aubert und des in die Schweiz emigrierten früheren zaristischen Delegierten beim Internationalen Roten Kreuz, Georges Lodygensky, verschrieb sich die fortan in Genf ansässige EIA dem Kampf gegen die Propaganda der Komintern und eine internationale Anerkennung der Sowjetunion. Bis Ende der 1920er-Jahre entwickelte sich die Organisation trotz chronischer Finanznot zu einer in konservativen Kreisen durchaus einflussreichen politischen Lobbygruppe und gewann über die Schweiz hinaus sogar in Japan und Lateinamerika Unterstützer.

Religiöse Argumentationsmuster gehörten von Beginn an zum ideologischen Repertoire der EIA. Die Absicht des Protestanten Aubert und des Orthodoxen Lodygensky, ein interkonfessionelles Bündnis gegen die antikirchliche Politik der sowjetischen Regierung und die in zahlreichen europäischen Ländern aktive « Gottlosenbewegung » zu schmieden, stieß jedoch bei katholischen Geistlichen und Politikern zunächst kaum auf Resonanz. Erst mit der Annäherung der EIA an den im März 1930 von namhaften deutschen Aristokraten und Politikern gegründeten, gleichermaßen im protestantischen Konservatismus und im politischen Katholizismus verankerten « Bund zum Schutz der abendländischen Kultur » entwickelte sich Religion zu einem zentralen Thema der Propagandaarbeit. Im Oktober 1933 entstand schließlich die formell unabhängige, personell und organisatorisch jedoch eng mit der EIA verflochtene Kommission « Pro Deo », die sich mit kirchlicher und politischer Unterstützung zu einem europaweiten transnationalen Netzwerk entwickelte.

Stéphanie Roulin betrachtet die von ihren ideologischen Gegnern als eine Art « Schwarze Internationale » (S. 227) beäugte Kommission « Pro Deo » unter drei Gesichtspunkten. So fragt sie erstens nach dem tatsächlichen Einfluss ihrer Propagandakampagnen. Durch direkte Intervention bei politischen Entscheidungsträgern, durch Verteilung von Printpropaganda, insbesondere aber durch eine 1934/35 in mehreren europäischen Ländern gezeigte und von über 80.000 Besuchern gesehene Wanderausstellung (S. 265-300) konnte « Pro Deo » zwar durchaus kleinere Erfolge in ihrem Bemühen um eine Sensibilisierung der diplomatischen Eliten und der europäischen Öffentlichkeit gegenüber den kirchenfeindlichen Exzessen in der Sowjetunion erzielen. Hinter dem Anspruch, einen schlagkräftigen Gegenapparat zur Komintern aufzubauen, blieben die EIA und « Pro Deo » aber deutlich zurück.

Im Zentrum der Analyse steht zweitens der interkonfessionelle Charakter von « Pro Deo ». Wie Roulin zeigt, entsprang der von der Kommission propagierte Interkonfessionalismus in erster Linie taktischem Kalkül, konnten ihre Protagonisten sich auf diese Weise doch glaubhaft als « religiöses Gewissen der Politikwelt » (S. 345) präsentieren. Dementsprechend war es in erster Linie das Feindbild des Bolschewismus, das die protestantischen, katholischen und orthodoxen Mitglieder von « Pro Deo » verband, während theologische Fragen bewusst ausgeklammert wurden. Die beschränkte Tragweite dieses « pragmatischen Interkonfessionalismus » (S. 435) wurde an der Zurückhaltung der katholischen Amtskirche ebenso deutlich wie daran, dass vereinzelte Überlegungen zu einer Einbindung von Muslimen, Juden oder freikirchlichen Vertretern nie konkrete Formen annahmen.

Der dritte und aus deutscher Perspektive wohl interessanteste Schwerpunkt der Studie liegt auf dem Verhältnis von « Pro Deo » zu den « Rechtstotalitarismen » der 1930er-Jahre. Denn seit 1933 arbeitete die EIA eng mit der vom Reichspropagandaministerium getragenen Antikomintern zusammen (S. 303-344). Mit Hilfe der EIA, die sich in offensichtlicher Doppelmoral jeglicher Kritik an den antikirchlichen Maßnahmen und den neuheidnischen Anwandlungen der Nationalsozialisten enthielt, konnte die Antikomintern in Kontakt mit andernfalls kaum für die nationalsozialistische Propaganda empfänglichen Kreisen in Frankreich, Großbritannien und Lateinamerika treten. Im Gegenzug bewilligte die Antikomintern der EIA finanzielle Unterstützung für die Fortführung und den Ausbau ihrer internationalen Aktivitäten. Konnte bereits « Pro Deo » selbst als ein Produkt dieser Zusammenarbeit gedeutet werden, so galt dies umso mehr für die im November 1934 konstituierte Deutsche Pro-Deo-Kommission (DPK), die von der Antikomintern gezielt zur Bindung kirchlicher und konservativer Kräfte an das nationalsozialistische Regime instrumentalisiert wurde.

In methodischer Hinsicht handelt es sich bei der Studie um eine transnationale Geschichte par excellence. So arbeitet Roulin erstens die Bedeutung nichtstaatlicher Akteure in den internationalen Beziehungen der Zwischenkriegszeit überzeugend heraus, wobei sie die EIA und « Pro Deo » weder isoliert betrachtet, noch in ihrer Handlungsfähigkeit überschätzt, sondern gerade in ihrer dynamischen Interaktion mit staatlichen und internationalen Einrichtungen erfasst. Zweitens differenziert Roulin zwischen unterschiedlichen räumlichen Untersuchungsebenen, bezieht die lokalhistorische Perspektive des multikonfessionellen Genfer Stadtmilieus ebenso ein wie die nationale Verankerung der einzelnen « Pro Deo »-Sektionen und die internationale Dimension der von der EIA und « Pro Deo » verfolgten Aktivitäten. Drittens wechselt Roulin souverän zwischen unterschiedlichen methodischen Zugriffen. Ihre Studie ist Organisationsgeschichte, Kollektivbiographie und Milieustudie zugleich, verbindet gewinnbringend diplomatie-, ideen- und religionsgeschichtliche Perspektiven.

Dass Roulin diesen differenzierten methodischen Zugang nicht in einer ausführlicheren Einleitung erläutert, ist vielleicht die größte Schwäche des Buches. An manchen Stellen hätte man sich außerdem eine breitere zeitliche und inhaltliche Kontextualisierung gewünscht. So hätten Verweise auf ähnliche Organisationen, wie das 1870 entstandene und ebenfalls in Genf ansässige Comité de Défense Catholique2, helfen können, die Spezifika von « Pro Deo » herauszuarbeiten. Auch eine Gegenüberstellung des von « Pro Deo » propagierten Interkonfessionalismus mit den Anfängen der ökumenischen Bewegung3 wäre wünschenswert gewesen. Alles in allem aber handelt es sich um eine sorgfältig recherchierte, gut lesbare Studie, die unser Wissen über die strukturelle Bedeutung und die Organisationsformen des Antikommunismus im Europa der Zwischenkriegszeit deutlich erweitert und zahlreiche Anknüpfungspunkte für künftige Forschungen zum Antikommunismus vor und nach 1945 bietet. Dem Buch ist daher auch und gerade im deutschsprachigen Raum eine breite Rezeption zu wünschen.

Marc Buggeln, H-Soz-u-Kult, 21 juin 2012, <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/rezensionen/2012-2-195>

Anmerkungen:
1. Zur Verortung des Gesamtprojekts siehe Michel Caillat u.a. (Hrsg.), Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse – Geschichte(n) des Antikommunismus in der Schweiz, Zürich 2009 (siehe auch: Brigitte Studer: Rezension zu: Caillat, Michel; Cerutti, Mauro; Fayet, Jean-François; Roulin, Stéphanie (Hrsg.): Histoire(s) de l’anticommunisme en Suisse – Geschichte(n) des Antikommunismus in der Schweiz. Zürich 2009, in: H-Soz-u-Kult, 21.09.2009, <http://hsozkult.geschichte.hu-berlin.de/rezensionen/2009-3-218> [01.06.2012]).
2. Siehe Emiel Lamberts (Hrsg.), The Black International 1870-1878. The Holy See and Militant Catholicism in Europe, Leuven 2002.
3. Vgl. z.B. Jörg Ernesti, Kleine Geschichte der Ökumene, Freiburg im Breisgau 2007.

Dans les Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier 

L’Entente internationale anticommuniste (EIA), plus connue sous le nom de « ligue Aubert », est créée en automne 1924 sous la houlette d’un petit groupe de Genevois, parmi lesquels l’avocat Théodore Aubert et le docteur Georges Lodygensky, Russe blanc exilé à Genève, mais aussi Lucien Cramer, René Hentsch, Guillaume Favre, Jacques Le Fort, Rodolphe de Haller, Eugène Gaulis, plus tard Raymond Deonna… On le constate, les élites libérales-conservatrices sont bien représentées. Le livre de Stéphanie Roulin offre sur ce point une vue assez saisissante des fantasmes de ces milieux qui, par ailleurs, financent généreusement dès ses débuts le bureau d’information anticommuniste que l’Entente ambitionne d’être, signe tangible du fait que leur crainte du communisme n’est pas que rhétorique.

Le « Bureau » est le centre névralgique de la nouvelle organisation. À partir surtout d’articles tirés de journaux ou de livres de propagande soviétiques, il cherche à démontrer le caractère foncièrement mauvais, la noirceur essentielle du communisme, tels qu’il se donne à voir dans ses propres productions. Il choisit les textes, les traduit, les diffuse dans la presse; les réinterprétant pour les faire entrer dans son cadre idéologique, il en fait des éléments de démonstration et de preuve qui sous-tendent le discours anticommuniste inlassablement répété dans les brochures et les petites revues que l’Entente édite, dans les cours de formation et dans les conférences qu’elle organise. Si la diffusion d’information anticommuniste constitue son rôle essentiel, le « Bureau » sait aussi jouer de ses réseaux pour pratiquer un intense lobbying politique parfois. Pas toujours avec succès du reste, puisqu’il ne pourra empêcher ni la reconnaissance diplomatique de l’URSS par plusieurs grands pays européens ni son entrée à la Société des Nations.

Même s’il est à la fois son cœur en son cerveau, le « Bureau » n’est toutefois pas le seul organe de l’Entente. Sur le modèle à la fois envié et craint du Komintern, l’organisation genevoise se dote peu à peu de plusieurs sous-ensembles, comme la « section jeunesse », la « section féminine » ou l’Institut antirmarxiste, à la vie souvent fluctuante et incertaine. En 1933, la création du comité Pro Deo participe de cette même logique de bourgeonnement et de spécialisation.

Depuis la fin des années vingt, la persécution religieuse a pris de l’importance en URSS, suscitant des protestations qui restent faibles. Mais en 1930, le pape Pie XI lance le poids du Vatican dans la bataille. L’EIA voit tout de suite l’intérêt qu’il pourrait y avoir à se rapprocher de ce combat religieux pour l’intégrer à son argumentaire. Par l’intermédiaire de l’un ou l’autre de ses amis italiens, elle tente de se faire remarquer à Rome, mais sans grand succès, car on se méfie d’une entreprise jugée trop politique. Pro Deo aura donc pour tâche de contourner cette réticence, puisque son comité prétend s’être constitué dans le seul souci de défendre les chrétiens persécutés en URSS, sans aucune arrière-pensée politique. Alors même qu’il en est une émanation, alors même que plusieurs de ses dirigeants sont à la fois membres des deux organisations, Pro Deo se défendra toujours d’entretenir des liens étroits avec l’EIA. Il s’agit de capitaliser l’indignation spirituelle et morale soulevée par la lutte anti-religieuse relancée par Staline et de jouer sur un anticommunisme de valeur sans effaroucher par des considérations politiques.

La principale réalisation de Pro Deo est une grande exposition itinérante contre les Sans-Dieu, qui amalgame la répression antireligieuse soviétique et l’athéisme militant occidental, dans une perspective qui relève plus de la théorie du complot intérieur et du conformisme conservateur que du combat contre la dictature. Pro Deo s’efforce par ailleurs de multiplier les contacts. Elle tente de s’attirer les bonnes grâces de la hiérarchie catholique qui, à l’exception de quelques jésuites alémaniques, restent distante, tout comme restent distantes les Églises protestantes. La défense de la religion persécutée permet quelques ouvertures avec des organisations suivant des buts semblables à l’étranger, notamment en Allemagne où Pro Deo flirte jusqu’en 1939 avec le Gesamt Verband deutscher antikommunistischer vereinigung, proche du Ministère de la propagande de Goebbels. Avec beaucoup de finesse, Roulin décrit également les rapports, parfois tendus, internes au comité. Car Pro Deo représente les trois courants principaux du christianisme: catholique, protestant et orthodoxe. Au début, tout à leur combat anticommuniste, les promoteurs ne semblent pas avoir mesuré le caractère novateur de cet assemblage insolite pour l’époque, mais les réactions qu’il suscite chez certains interlocuteurs les forcent à en prendre conscience. Il serait pourtant exagéré de parler ici d’œcuménisme, car l’expérience interconfessionnelle n’est que de circonstance.

Richement documentée et minutieusement menée, écrite d’une plume alerte, qu’entrave parfois un brin le scrupule du détail, l’étude de Roulin documente à partir d’un exemple précis la diversité et l’intensité des solidarités internationales d’un anticommunisme en s’attardant sur le processus pratique de construction et de mise en œuvre d’un large réseau: les approches, les tentatives de coopération et les apprivoisements, les réticences et les ambitions, les détournements, les manipulations et les calculs stratégiques, autant que les susceptibilités et les rivalités, esquissent les contours d’une comédie humaine étriquée dans ses ambitions intellectuelles, mais dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle n’est pas caractéristique des seuls milieux examinés ici.

 Alain Clavien, Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, no. 27/2011, pp. 135-137

Dans la Revue suisse d’histoire

Dans sa thèse de doctorat, Stéphanie Roulin montre comment l’Entente internationale anticommuniste (EIA) utilise la religion comme levier dans sa lutte contre la IIIe internationale. Elle s’intéresse donc aux acteurs qui sont d’une part les promoteurs de ce credo, non seulement au sein de l’EIA, mais également de sa branche dédiée à la question religieuse, et d’autre part les membres des réseaux du christianisme en Europe. Elle examine les modes d’organisation adoptés par ces acteurs, la nature de leurs actions et leurs cibles privilégiées. L’auteure veut découvrir non seulement ce que fait l’EIA, mais également comment elle est perçue par ses partenaires éventuels. Elle s’est donc donné les moyens de cette ambition en allant dépouiller les archives de ces derniers, au Vatican et en Allemagne notamment.

Le livre offre ainsi une vue d’ensemble d’une nébuleuse de l’anticommunisme religieux qui dépasse les frontières européennes, et qui se donne comme objectif l’élimination de la doctrine communiste et surtout la fin du régime soviétique. Mais pour l’EIA et Pro Deo, qui prend la suite du combat de la première sur le terrain religieux, mobiliser les réseaux et convaincre se révèle être une mission difficile, notamment parce que les gouvernements occidentaux ne souhaitent pas renoncer à leurs relations économiques avec l’URSS.

Roulin montre également le double jeu auquel se livrent l’EIA et Pro Deo en dénonçant les persécutions religieuses en URSS, mais en gardant le silence sur celles qui ont cours en Allemagne nazie. Ainsi, elles font un large usage de l’encyclique papale Divini redemptori et passent sous silence Mit Brennender Sorge qui critique l’idéologie national-socialiste. Sur le front des relations internationales, la question de l’entrée de l’URSS à la S.d.N. pousse l’EIA à mettre l’organisation internationale dans sa ligne de mire.

L’ouvrage est divisé en quatre parties dont les troisième et quatrième sont plus particulièrement consacrées à Pro Deo, la commission ad hoc de l’EIA sur les questions religieuses.

Dans la première partie, l’auteure esquisse les structures de l’EIA et dresse un tableau de ses principaux animateurs. Tirant ses origines dans la notabilité genevoise d’une part et dans les cercles de l’émigration russe d’autre part, l’EIA dès ses débuts est menée par deux personnalités: Georges Lodygensky et Théodore Aubert. Ce dernier marque à ce point l’organisation qu’elle est parfois appelée « la Ligue Aubert ».

L’affaire Conradi, le meurtre de Vatzlav Vorovsky, délégué soviétique à la Conférence de Lausanne en 1923, par Maurice Conradi, un Suisse d’origine russe, fournit à Aubert et Lodygensky l’occasion de faire leurs premières armes contre leur nouvel ennemi, le communisme, et constitue le moment fondateur de l’EIA. Roulin montre ensuite comment la jeune organisation envisage son expansion à travers la mise en place de points d’appuis constitués davantage de partenaires, que de sections ou de bureaux étrangers.

Dans la deuxième partie, l’auteure se concentre sur les stratégies de l’Entente pour investir les réseaux religieux au nom de la lutte contre le communisme, les sans-Dieu et les persécutions religieuses en URSS. Elle montre comment l’EIA entend se faire le chantre de la défense de la « civilisation chrétienne ». La religion doit ainsi servir de porte d’entrée pour atteindre certains milieux et tenter de les gagner à la cause anticommuniste.

Les troisième et quatrième parties, se concentrent davantage sur Pro Deo. Formée à la fin de l’année 1933, Pro Deo tire son origine dans une commission religieuse qui se réunit lors de la 9e Conférence internationale de l’EIA en octobre 1933, sur l’initiative d’Aubert et de Lodygensky. Elle s’inscrit dans une continuité avec d’une part d’autres actions de l’EIA des années 1932–1933 contre le courant de la libre pensée et, d’autre part, des efforts de l’organisation anticommuniste pour tisser un réseau dans les milieux religieux.

Dans la troisième partie, Roulin livre une enquête très minutieuse sur ces réseaux religieux en Europe et les tentatives de Pro Deo d’établir des liens et des coopérations. Elle fait un large usage des biographies des principaux animateurs de ces réseaux et des potentiels partenaires de l’EIA pour illustrer les milieux dont il est question. L’objectif principal avoué de Pro Deo est le soutien aux victimes des persécutions religieuses. S’appuyant sur ses recherches, Roulin montre cependant que l’aide accordée par la commission religieuse n’est sans doute jamais d’ordre matériel ou humanitaire, mais remplit une fonction propagandiste.

Par ailleurs, l’Allemagne occupe une place importante dans l’ouvrage puisqu’elle a également été une cible privilégiée de l’EIA dans un premier temps, puis de Pro Deo. En effet, l’établissement de relations privilégiées avec des correspondants dans ce pays devient un des objectifs de l’EIA sur lequel elle concentre ses efforts dès 1929, avant de pouvoir le réaliser notamment par le biais de l’Antikommintern. Cette organisation est aussi très proche de l’EIA dans son mode de fonctionnement (travail d’information par la lecture attentive de la presse soviétique, rédaction de rapports, etc). Roulin analyse finement également l’utilité de l’EIA pour l’organisation allemande anticommuniste en ce qu’elle lui a permis d’atteindre des milieux qui lui seraient restés fermés sans cette collaboration. Encore une fois, l’historienne a su consulter les sources qui lui ont permis de documenter la relation de façon bilatérale.

Deux des réalisations concrètes de Pro Deo et de l’EIA: l’exposition sur les sans-Dieu et l’organisation d’un congrès mondial anticommuniste sont analysées tant dans leur portée locale qu’européenne. La première est inaugurée à Genève en janvier 1934 dans un cercle très fermé et voyage ensuite en Europe. La seconde, organisée par l’Antikomintern avec l’aide de Lodygensky, réunit une quarantaine de participants, parmi lesquels des représentants de l’EIA et ses proches, près de Munich en 1936 dans une ambiance tout aussi secrète.

La croisade contre les sans-Dieu se poursuit dans les années 1930, notamment par des actions contre les congrès des libres penseurs entre 1936 et 1938. Roulin continue de suivre dans cette période la progression de l’organisation anticommuniste basée à Genève et de sa section religieuse, jusqu’au déclanchement de l’opération Barbarossa. Pendant la guerre, l’internement de militaires soviétiques en Suisse donne à nouveau l’occasion à l’EIA de faire usage du levier religieux pour atteindre ce public sous prétexte de fournir un secours spirituel aux soldats. L’analyse qui se termine avec la fin du conflit est complétée par un épilogue sur l’incapacité de l’EIA de s’en relever.

Dans cet ouvrage qui couvre une large période en se concentrant sur les aspects religieux de la lutte anticommuniste menée par l’EIA, Roulin montre également les principaux obstacles rencontrés, notamment la question de son caractère trop politique, qui constitue souvent un motif de refus de collaboration pour les milieux sollicités. L’historienne montre aussi les difficultés rencontrées par Pro Deo pour établir un équilibre religieux en son sein.

Il s’agit d’une recherche menée minutieusement, très bien documentée par de nombreuses sources, dont on voit par le matériau exploité la volonté de la chercheuse de suivre les réseaux et leurs traces dans les archives afin de saisir cette nébuleuse de l’anticommunisme religieux. L’usage de la bibliographie sur le communisme et sur l’URSS permet d’éclairer le lecteur sur les événements qui sont exploités par l’EIA pour nourrir son discours. Elle s’appuie également sur des travaux réalisés sur certains aspects de l’action de l’EIA ou sur les rapports de cette dernière avec certaines aires géographiques, ainsi que sur la thèse en cours de Michel Caillat qui a pour objet l’EIA. 

Alix Heiniger, Revue suisse d’histoire, Vol. 61, 2011, Nr. 2, pp.262-264

 

Dans la revue Vingtième siècle

Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, Stéphanie Roulin s’attache à la question complexe des liens entre politique et religion dans les milieux anticommunistes. Centrée sur la commission Pro Deo de l’Entente internationale anticommuniste (EIA), cette étude détaille minutieusement la constitution d’un réseau qui se veut interconfessionnel mais qui peine, mal- gré une activité d’une vingtaine d’années, à fédérer un large mouvement dépassant le petit cénacle de l’EIA. Véritable pendant religieux de l’EIA, Pro Deo fonctionne depuis 1924 comme groupe de pression officieux et ne rate pas une occasion de dénoncer les crimes menés contre les chrétiens en URSS. Pour y parvenir, Pro Deo devient un véritable observatoire des publications soviétiques, qui sont recensées et traduites de manière systématique, faisant des archives de l’EIA une source extrêmement riche que l’auteure exploite avec intelligence.

La première partie de ce travail est consacrée au développement de l’EIA durant l’entre-deux-guerres, avec une attention marquée apportées aux acteurs. Parmi ceux-ci, signalons le Dr Georges Lodygensky, Russe qui part en exil dès 1920 et s’installe à Genève où il deviendra le pivot de Pro Deo. Stéphanie Roulin retrace avec prcision les réseaux dans lesquels Lodygensky est actif, mettant ainsi en lumière les ramifications européennes de l’organisation. La seconde partie du livre présente les actions et valeurs défendues par l’EIA et Pro Deo. La dénonciation des crimes communistes occupe activement Pro Deo qui ne parvient toutefois pas à ses fins, à savoir l’isolement diplomatique de l’URSS. En effet, le fanatisme (même si l’auteure se garde bien d’employer ce mot) des responsables de Pro Deo l’en- fonce dans une ligne solitaire. Le bilan de son activité reste mitigé, et ni la SDN ni le Vatican ne répondent à ses appels. Un certain optimisme souffle pourtant sur Pro Deo à partir de 1933 : l’EIA voit en l’Allemagne nazie l’alliée par excellence de la lutte contre le bolchevisme, comme le détaille la troisième partie de l’ouvrage. Mais, prise dans des contradictions internes, aveuglée par son anticommunisme, la commission Pro Deo s’affaiblit et la quatrième partie du livre insiste sur les ambiguïtés de son combat. Obsédée par le danger bolchevique qui menacerait la chrétienté, les dirigeants de l’EIA ne parviennent pas à négocier le virage de la Seconde Guerre mondiale et ne comprennent pas qu’avec sa participation à l’écrasement de l’Allemagne, l’URSS a désormais une nouvelle image sur la scène internationale. En 1950, la commission Pro Deo est liquidée alors que ses principaux animateurs, comme Lodygensky, continuent à voir dans le fascisme l’allié de l’anticommunisme.

L’ouvrage, accompagné d’un index qui recense les nombreux protagonistes de cette histoire, est très dense, et l’on peut regretter l’absence de synthèse à la fin des chapitres. Il s’agit d’un petit bémol à cette thèse de doctorat qui offre une analyse très complexe d’un des plus grands réseaux anticommunistes de l’entre-deux-guerres. En s’appuyant sur des fonds d’archives allemands, américains, suisses ainsi que sur les archives du Vatican, Stéphanie Roulin dépasse en effet la monographie d’un groupuscule basé à Genève pour en démonter les réseaux s’étendant à toute l’Europe. Ce travail s’inscrit dans une historiographie de l’anticommunisme en plein développement mais qui a jusqu’ici relativement ignoré l’aspect religieux pour cette période. La lecture de ce livre montre combien les dimensions religieuse et politique d’un même phénomène peu- vent s’interpénétrer à tel point qu’il devient par- fois difficile de les séparer.

Pauline Milani, Vingtième siècle, 2011/4, N°112, pp. 193-236

Dans Le cartable de Clio

Un credo anticommuniste retrace l’histoire d’une commission interreligieuse, issue d’une initiative de l’Entente internationale anticommuniste (EIA) prétextée par les persécutions religieuses en URSS des années 1930. Son auteure décrit minutieusement les acteurs de ce projet, leurs motivations, leurs actions et leurs conséquences dans le contexte politique général et en relation avec l’EIA, à l’origine de cette  commission Pro Deo au mois d’octobre 1933. Elle étudie le vaste réseau de pression que tentent de créer les trois initiants de cette « Internationale noire » (p.227), Georges Lodygensky, Jacques Lefort et l’abbé Henri Carlier, représentant respectivement les confessions orthodoxe, protestante et catholique.

Stéphanie Roulin, dans une enquête approfondie, met également en évidence les décalages qui existent entre les intentions prônées et diffusées publiquement par ce triumvirat initial et la réalité de leurs actions. La tâche n’est pas aisée car, pour ce Dans le cas ou vous assumez dans votre capacite mentale comme toute autre aspect musculaire de la machine puis vous vous rendrez compte combien la formation est essentiel pour garder le match d’esprit. faire, il faut éprouver les informations souvent apologétiques données par le fonds de l’EIA et par les mémoires ou écrits des acteurs de Pro Deo. La première contradiction apparaît dans les statuts mêmes de la commission. En effet, celle-ci, pour sauver l’apparence des institutions religieuses, qui ne veulent pas se compromettre en figurant comme des acteurs politiques, se présente comme une entité indépendante vis-à-vis de l’Entente. L’historienne dément par ailleurs le positionnement strictement spirituel et caritatif des campagnes contre les « sans-Dieu » qu’arbore Pro Deo et révèle la portée politique de sa propagande, qui est en adéquation avec la lutte de l’EIA contre l’admission de l’URSS à la Société des Nations ou toute autre relation établie avec ce « régime bolchevique ». En se penchant sur le contexte historique, l’auteure voit d’ailleurs dans la réation de Pro Deo un moyen de lutter contre les succès de la franc-maçonnerie et des idéaux communistes en Europe. L’annonce des persécutions religieuses qui se font jour en URSS depuis 1929 vient à point nommé pour mobiliser les hauts dignitaires religieux dans leur lutte contre le pouvoir de l’URSS et de ses alliés. Toute autre persécution imputée au « communisme international », comme les violences envers l’Église catholique au début de la guerre civile en Espagne ou la famine en Ukraine vont être utiles à l’argumentaire de Pro Deo. Son indignation est cependant sélective, car elle se garde bien de dénoncer les violences perpétrées par Franco auprès des protestants ou des prêtres basques. Stéphanie Roulin constate encore que, malgré l’argumentaire humanitaire arboré par Pro Deo en faveur des populations persécutées en Russie, qui se traduit par des récoltes de fonds, leur campagne n’a en réalité jamais débouché sur des actions concrètes. Les sommes encaissées ont été réinvesties dans la propagande de l’organisation…

Le microcosme que représente Pro Deo contribue dans un cadre plus général à éclairer les rapports que l’Église entretient avec les représentants du pouvoir politique et ses actions contre le communisme au cours des années 1930. En reconstituant le recrutement et les méthodes d’un large réseau de collaborateurs en faveur du credo anticommuniste de Pro Deo en Espagne, au Portugal, en Allemagne, en France, en Angleterre, en Italie, mais aussi en Europe de l’Est et aux États-Unis, l’historienne se confronte à des zones d’ombres. Les méthodes troubles de rapprochement avec l’Allemagne nazie, en lien avec l’Antikomintern, ou l’Espagne franquiste sont ici éloquentes.

Les activités de Pro Deo témoignent également d’une présence expansive dans l’espace public local. Par des interventions ponctuelles dans la presse, par l’organisation de conférences publiques, la commission procède également à certaines campagnes ciblées en fonction du pays concerné.

D’autre part, Pro Deo s’est également lancée dans une mission pédagogique comme la préparation d’un manuel de 560 pages contre les « sans-Dieu ». Ce travail, réalisé par des collaborateurs jésuites, publié en 1936 chez un éditeur parisien, est une version opposée au manuel antireligieux publié en 1933 par le Conseil central de l’Union des sans-Dieu militants d’URSS.

Enfin, parmi les multiples exemples d’actions de propagande de Pro Deo, présentées dans Un credo anticommuniste, nous retiendrons le recours privilégié à la pratique de l’exposition, cette stratégie nous renvoyant justement à la problématique de l’usage politique des « mises en récits » muséales dont il est question dans le présent volume. Une fois encore, l’auteure montre que cette initiative s’inscrit en réponse aux méthodes soviétiques et elle mentionne la création en 1929 d’un Musée central antireligieux à Moscou, présentant les méfaits de la religion au public. La muséographie de ces expositions, qui seront itinérantes et se tiennent dans des appartements privés, est extrêmement modeste et artisanale, contrairement à son modèle allemand, l’exposition permanente de l’Antikomintern à Berlin. Axée sur des déclinaisons du thème central des « sans-Dieu », elle se décline sur le mode d’un défilé panoramique d’affiches et de brochures accrochées aux murs. Comme le précise l’auteure, Pro Deo fait de son exposition un événement privé. Le public est soigneusement sélectionné, il y accède sur invitation personnelle. Néanmoins, la fréquentation semble importante, si l’on en croit les archives de l’EIA, qui mentionnent que, de janvier 1934 à mai 1935, les expositions en Suisse ont accueilli 82221 visiteurs. En revanche, sa réception est contrastée. À Genève, encore marquée par la tragique fusillade du 9 novembre 1932, la presse se fait l’écho de ces convocations et la nature des expositions sur les « sans-Dieu » est questionnée par le Conseil d’État à majorité socialiste, qui n’est pas dupe et accuse les organisateurs de faire usage du sentiment religieux à des fins politiques. Des militants communistes et socialistes organisent des visites impromptues et protestent contre ses contenus. Les membres de Pro Deo ou de l’EIA se défendent en invoquant le caractère privé de l’exposition, qui n’enfreint aucune loi. Si Lausanne et Fribourg accueillent positivement l’exposition, à Bâle, elle est qualifiée par la presse de gauche de provocation fasciste et de propagande hitlérienne. L’exposition voyage ensuite en Angleterre, en Irlande, en France, en Belgique et en Yougoslavie jusqu’en 1938. Stéphanie Roulin retrace l’organisation de ces expositions, dont la gestion est davantage assurée par l’EIA que par Pro Deo.

L’auteure pointe également les résultats souvent médiocres et les dysfonctionnements au sein de cette commission qui se voulait interreligieuse. D’une part, l’emprise des catholiques dans cette « internationale noire » a généré d’importantes dissensions internes qui ont amoindri la force de Pro Deo. D’autre part, nous dit Stéphanie Roulin, « Pro Deo s’est singularisée par des interventions bruyantes. Elle n’a pas compris l’importance de la distinction des sphères et le risque inhérent au franchissement des domaines réservés [religieux-politique] » (p.432).

Dans cette thèse doctorale, réalisée à l’Université de Fribourg, Stéphanie Roulin a mobilisé le fonds d’archives de l’EIA (Genève), qu’elle a croisé avec de multiples autres archives à Fribourg, Berne, Zurich, Rome, Berlin, New York et Stanford, qui font toute la richesse de ses réflexions. Ce travail s’insère dans le cadre d’un fonds national sur l’EIA impliquant plusieurs chercheurs en Suisse.

Mari Carmen Rodríguez, Le cartable de Clio, N°11/2011