Revue historique vaudoise 125/2017

Migrations

2017, 312 pages, 40 CHF, 28 €, ISBN:978-2-88901-140-7

Ce 125e numéro de la Revue historique vaudoise consacre son dossier spécial à l’histoire de l’immigration en terre vaudoise et en Suisse romande. Cette livraison de la RHV s’intéresse non seulement à l’histoire de plusieurs communautés étrangères, mais aussi à la mémoire de l’immigration à travers le récit de plusieurs auteurs eux-mêmes issus de la migration.

Format Imprimé - 40,00 CHF

Description

Ce 125e numéro de la Revue historique vaudoise consacre son dossier spécial à l’histoire de l’immigration en terre vaudoise.

Ce dossier spécial expose dans toute sa diversité l’histoire de l’immigration dans le canton de Vaud et en Suisse romande. Réunissant une dizaine d’auteurs issus autant du monde académique que de la société civile ou de l’immigration, ce numéro offre des contributions originales et inédites sur l’histoire de plusieurs vagues migratoires jusqu’alors peu étudiées, à l’exemple de la migration fribourgeoise sur les rives du Léman, le souvenir du Refuge huguenot dans de nombreuses familles vaudoises, l’histoire des associations italiennes à Lausanne ou encore la représentation des travailleurs saisonniers par la Télévision Suisse Romande dans les années 1970 et 1980.

Cette livraison de la RHV s’intéresse non seulement à l’histoire de plusieurs communautés étrangères, mais aussi à la mémoire de l’immigration à travers le récit de plusieurs auteurs eux-mêmes issus de la migration.

Ainsi, ce numéro de la Revue historique vaudoise allie recherche historique et questionnements sur un thème d’actualité.

À lire également dans ce numéro:

  • Les Helvètes en marche: confrontation de sources.
  • Réforme observante et emprise territoriale: l’éphémère implantation du Tiers-Ordre régulier de Saint-François à Savigny, diocèse de Lausanne, 1491-1531.
  • Comptes rendus des ouvrages d’histoire vaudoise et romande publiés de 2015 à 2017 (30 titres).

Table des matières

  • Éditorial (David Auberson)

Migrations

Migrants d’hier et d’aujourd’hui

  • Gypsiers, tonneliers, charpentiers et domestiques: l’immigration à Aubonne durant le XIXe  siècle (Laurence Marti)
  • L’implantation fribourgeoise en terre vaudoise: le cas des verriers de Semsales transférés à Saint-Prex (1914-1948) (Georges Andrey)
  • Alexandra Tegleva (1883-1955), une femme dans l’ombre (Irina Ivanova)
    Mrengo)
  • Les associations italiennes à Lausanne: une géographie en mouvement entre mémoire et avenir (Angela Alaimo)
  • Paroles de travailleurs étrangers à la Télévision Suisse romande (1960-1986) (Diolinda Hajda)

Cahier Hélène Tobler

  • Entre guerre et asile: des réfugiés de l’ex-Yougoslavie sous l’objectif d’Hélène Tobler (Joëlle Bonard)

Mémoire·s de l’immigration

  • La mémoire de l’origine: familles vaudoises, immigration et identité huguenote (Jean-Pierre Bastian)
  • Un musée comme lieu de mémoire de l’immigration (Ernesto Ricou)
  • Le récit des origines (Madeleine Knecht-Zimmerman)

Archéologie

  • Les Helvètes en marche: confrontation de sources (Michel Aberson, Anne Geiser, Thierry Luginbühl)

Mélanges

  • Réforme observante et emprise territoriale: l’éphémère implantation du Tiers-Ordre régulier de Saint-François à Savigny, diocèse de Lausanne, 1491-1531 (Jean-Pierre Bastian)

Comptes rendus

  • Laurent Auberson (dir.): Les chartreuses et leur espace. Actes du colloque tenu à Arzier (canton de Vaud, Suisse), en 2008 et études diverses, Lausanne: Cahiers d’archéologie romande; Société d’histoire de la Suisse romande, 2016, (Gilbert Coutaz)
  • Florian Chamorel: « Ad partes infidelium », La croisade d’Amédée VI de Savoie (juin 1366-juillet 1367), Lausanne: Université de Lausanne, 2016 (Nicolas Baptiste)
  • Franco Morenzoni: Marchands et marchandises au péage du Villeneuve de Chillon (première moitié du XVe siècle), Lausanne: Université de Lausanne, 2016 (Gilbert Coutaz)
  • Sylvie Aballéa (dir.): Châteaux forts et chevaliers, Genève et la Savoie au XIVe siècle, Genève: Musée d’Art et d’Histoire de Genève, 2016 (Nicolas Baptiste)
  • Gilbert Coutaz: Archives en Suisse. Conserver la mémoire à l’ère du numérique, Lausanne: PPUR, 2016 (Barbara Roth-Lochner)
  • Guillaume Poisson: 18 novembre 1663. Louis XIV et les cantons suisses, Lausanne: PPUR, 2016 (Alain-Jacques Tornare)
  • Bronislaw Baczko, Michel Porret, François Rosset (éds), Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières, Genève: Georg, 2016 (Éric Monin)
  • Michèle Robert: « Que dorénavant chacun fuie paillardise, oisiveté, gourmandise… » Réforme et contrôle des moeurs: la justice consistoriale dans le Pays de Neuchâtel (1547-1848), Neuchâtel: Alphil, 2016 (Aline Johner)
  • Séverine Huguenin, Timothée Léchot (éds): Lectures du Journal helvétique 1732-1782, Actes du colloque de Neuchâtel 6-8 mars 2014, Genève: Slatkine, 2016 (Éric Monin)
  • Léonard Burnand, Stéphanie Genand, Catriona Seth (dir.): Germaine de Staël et Benjamin Constant. L’esprit de la liberté, Paris: Perrin; Genève Fondation Martin Bodmer, 2017 (Olivier Meuwly)
  • Pierre Rime (éd.): Pierre Léon Pettolaz: Correspondance 1789-1799, Fribourg: Société d’histoire du canton de Fribourg, 2016 (Georges Andrey)
  • Grégoire Gonin: Redécouvrir la porcelaine de Nyon (1781-1813). Diffusion et réception d’un artisanat de luxe en Suisse et en Europe du XVIIIe siècle à nos jours, Neuchâtel : Alphil, 2017 (François Jequier)
  • Daniel Tröhler: Pestalozzi. Au coeur du tournant pédagogique, Lausanne: Antipodes, 2016 (Olivier Meuwly)
  • Séverine Pacteau de Luze: Alfred de Luze un négociant en vins à Bordeaux (1797-1880), Bordeaux: Éditions confluences, 2016 (François Jequier)
  • Georges Andrey, Alain-Jacques Tornare: L’Acte de Médiation. Socle d’une nouvelle Suisse, Bière: Cabédita, 2017 (Denis Tappy)
  • Landry Charrier, Anne-Sophie Gomez, Fanny Platelle (dir.): La Suisse, entre consensus et conflits: enjeux et représentations, Reims: Épure, 2016 (Nicolas Gex)
  • Ariane Devanthéry: Itinéraires. Guides de voyage et tourisme alpin, 1780-1920, Paris: Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2016, (Laurent Tissot)
  • Olivier Meuwly (dir.): Charles Monnard (1790-1865) un libéral atypique, Lausanne: Bibliothèque historique vaudoise, 2016, (François Jequier)
  • François-David Noir: Journal de voyage. Lausanne-Chabag-Odessa. 1822-1825, présenté et annoté par
  • Jean-Pierre Bastian, Bière: Cabédita, 2016 (Nicolas Gex)
  • Brigitte Studer, Gérald Arlettaz †, Regula Argast: Le droit d’être Suisse, Lausanne: Antipodes, 2013 (Sylviane Klein)
  • AA.VV., Fribourgeois: Un dictionnaire des anonymes, des inconnus, des oubliés, 1840-2016, Fribourg:
  • Société d’histoire du canton de Fribourg, 2016 (Georges Andrey)
  • Jérôme Guisolan: Capitaine Cérésole (1836-1881), un officier suisse au service de France, Pully: Centre d’histoire et de prospective militaires, 2016 (Christophe Vuilleumier)
  • Pierre Streit: Henri Guisan (1874-1960). Un général suisse face à la Seconde Guerre mondiale, Nancy: Le Polémarque, 2017 (Dimitry Queloz)
  • Grégory Quin: L’Odyssée du sport universitaire lausannois, Paris: Glyphes, 2016 (Philippe Vonnard)
  • Michel Caillat: L’Entente internationale anticommuniste de Théodore Aubert. Organisation interne, réseaux et action d’une internationale antimarxiste 1924-1950, Lausanne: Société d’Histoire de la Suisse romande, 2016 (Olivier Meuwly)
  • Jean-Philippe Chenaux: Robert Moulin et son temps (1891-1942), Gollion: Infolio, 2016 (Pierre Streit)
  • Pierre Jeanneret: Michel Buenzod. L’homme engagé, l’écrivain (1919-2012). Une biographie, Vevey: Éditions de L’Aire, 2016 (Gilbert Coutaz)
  • Daniel Maggetti, Stéphane Pétermann (coor.), sur une idée d’Isabelle Falconnier, dessins de Fanny Vaucher: Lausanne. Promenades littéraires. Poètes, cafés, romancières, polars, voyageurs, écoles, éditeurs, BD, églises, hôtels, spectacles, humour, jardins publics, Lausanne: Les Éditions Noir sur Blanc, 2017 (Ariane Devanthéry)
  • Jérôme Berthoud, Grégory Quin, Philippe Vonnard: Le football suisse: des pionniers aux professionnels, Lausanne: PPUR, 2016 (Olivier Meuwly)
  • Jean-Pierre Pastori: Robert Piguet. Un prince de la mode, Lausanne: La Bibliothèque des Arts, 2015 (Élisabeth Fischer)
  • Nicolas Gex: La Fondation Hardt, sous la dir. de Pierre Ducrey, avec les contributions de Christine Amsler, Térence Le Deschault de Monredon, Vandoeuvres: Fondation Hardt, 2016 (Justin Favrod)

Rapports d’activité

  • Société vaudoise d’histoire et d’archéologie
  • Le Cercle vaudois d’archéologie (CVA) 1962-2016
  • Cercle vaudois de généalogie

Les auteur·e·s 
Index
Source des illustrations

Presse

Dans la revue Passé simple

Depuis quelques années, la Revue historique vaudoise a modernisé son look, devenu moins austère. Et l’image a pris une place importante. Le dernier numéro est essentiellement consacré aux migrations,thème d’actualité et polémique s’il en est. Cependant, ses aspects les plus récents ne sont pas abordés, sans doute par manque de distance. Son traitement relève de l’histoire longue: un article savant ne confronte-t-il pas les sources relatives aux migrations des Helvètes? On relèvera que sept des onze contributions sont dues à des femmes. Principalement axés sur les XIXe et XXe siècles, les articles évoquent notamment l’immigration piémontaise à travers l’intégration et l’ascension sociale d’une famille, la migration interne d’ouvriers fribourgeois à Saint-Prex, la perception par la télévision romande de la question des travailleurs étrangers ou encore de l’ascendance hugenote de bonnes familles libristes vaudoises, qui tient souvent du mythe valorisant.

Pierre Jeanneret, Passé simpleNo 31, janvier 2018.

Huguenots?

La Revue historique vaudoise a consacré le thème principal de son numéro de 2017 aux Migrations. Cela nous vaut une série d’études, de qualité inégale, sur des sujets très divers. On va de l’immigration artisanale à Aubonne au XIXe siècle au tableau des associations italiennes à Lausanne, en passant par une collection de photos d’Hélène Tobler sur les réfugiés d’ex-Yougoslavie et par une savoureuse présentation, due à M. Georges Andrey, de l’immigration de verriers fribourgeois de Semsales installés à Saint-Prex par Henri Comaz en même temps qu’il y déplaçait la fabrique dont il avait fait l’acquisition peu auparavant (et depuis lors on appela le quartier nord de Saint-Prex « Comazville »). Nous nous arrêterons particulièrement à l’article substantiel de M. Jean-Pierre Bastian intitulé La mémoire de l’origine: familles vaudoises, immigration et identité huguenote.

M. Bastian a publié en 2012 un ouvrage approfondi et original sur Une immigration alpine à Lavaux aux XVe et XVJe siècles (BHV 137) où il montrait que la population de cette contrée, décimée par la peste, s’était partiellement reconstituée par l’apport d’immigrés des montagnes de Lombardie, du Faucigny et du Chablais. Or quel ne fut pas son étonnement de constater la surprise de membres de grandes familles de Lavaux, qui croyaient être les héritiers d’héroïques réfugiés huguenots et se découvraient descendre en réalité de miséreux paysans d’incultes vallées alpines. J’ai entendu moi-même, au sein d’une bonne famille de Lavaux, déclarer dans un même souffle qu’elle y cultivait la vigne depuis cinq siècles, depuis la venue d’un lointain ancêtre réfugié lors de la révocation de l’Edit de Nantes – ce qui implique un léger anachronisme d’un siècle et demi … Ici et là, on affabule donc innocemment, tant est présent et respectable le souvenir du Refuge. D’où l’intérêt de s’interroger sur la mémoire qu’on entretient dans nos familles de cet épisode fameux de l’histoire, en légende et en vérité.

L’importance qu’on accorde au Refuge tient largement, selon M. Bastian, aux événements de 1845, avec le totalitarisme des révolutionnaires radicaux qui voulaient s’assujettir l’Eglise, la résistance d’une moitié des pasteurs suivis par les fidèles de tradition aristocratico- bourgeoise ou de conviction libérale et la création de l’Eglise libre en 1846. La « persécution » radicale (il n’y eut tout de même pas de dragonnades!) ravivait le souvenir de la persécution des huguenots après 1685 (révocation de l’Edit de Nantes), encore bien présente dans la mémoire des familles du Grand Refuge (qui se retrouvent bien sûr à l’Eglise libre, mais n’en constituent qu’une petite minorité); la référence historique conférait une dimension fondamentale à la résistance des libristes face au régime de Druey.

La noblesse de l’attitude huguenote allait de pair avec le prestige d’une élite: combien de pasteurs, de médecins, de professeurs, d’hommes d’affaires à succès dans ces familles, qu’elles fussent effectivement réfugiées ou qu’elles appartinssent à la haute société autochtone! On y entretenait d’ailleurs des relations avec des parents ou des amis de France, notamment à Paris jusqu’au XIXe siècle dans les milieux de la chapelle évangélique de la rue Tait bout; ce qui conduit M . Bastian à parler d’une « internationale libriste », qui s’exprimait aussi bien sur le plan religieux ou intellectuel que sur celui des affaires ou des alliances matrimoniales.

Dans notre Canton, les familles du Refuge, fières de leur passé, n’ont pas manqué de le mettre en valeur dans des études historiques, dès le début du XIXe siècle. Des familles vaudoises d’ancienne souche n’ont pas hésité à s’associer à cette mémoire illustre dès lors qu’un mariage avec une demoiselle de lignée huguenote les introduisait dans ce milieu. L’aura du Refuge était telle qu’un membre de la famille Burnand, tout ce qu’il y a de plus enracinée de vieille date dans la terre de la Haute Broye, discernait une sensibilité « provençale » dans la peinture d’Eugène Burnand, parce que son arrière-grand-mère maternelle était une Johannot originaire d’Ardèche par son père, réfugié pour cause de religion…

Si la légende a donc amplifié le fait historique, il n’en reste pas moins que la venue des huguenots quittant la France pour conserver leur foi a compté dans notre histoire et que les « vrais » descendants des familles du Refuge – les Bersier, les Bonnard, les Couvreu, les Manuel, les Mercier, les Rivier pour n’en citer que quelques-unes – ont brillamment honoré leurs origines et servi le pays qui est devenu le leur.

Jean-François Cavin, La Nation,  N° 2088 du 19 janvier 2018. 

 

Raz de marée fribourgeois sur la verrerie

SAINT-PREX Des ouvriers fribourgeois ont émigré en masse pour travailler à l’usine, au début du XXe siècle. La Revue historique vaudoise relate ce passé méconnu.

En un temps où les divers types d’exils accaparent les Unes des médias, y compris sous les formes les plus tragiques, on tend à oublier que le phénomène ne relève en rien d’une spécificité contemporaine. La récente publication du volume 2017 de la Revue historique vaudoise, consacré à l’histoire de la migration en Suisse, vient le rappeler à juste titre, en mettant, par exemple, en lumière des épisodes peu connus, y compris sur le plan local.

« Un moment unique dans les annales de l’industrie »

Chargé de cours émérite à l’Université de Fribourg, le professeur Georges Andrey s’est penché, à ce titre, sur un cas d’implantation fribourgeoise en terre vaudoise, en l’occurrence le transfert d’ouvriers de la verrerie de Semsales, rachetée, après 130 ans d’existence, par Henri Cornaz, fondateur de celle de Saint-Prex, en 1911. « L’apport d’une main-d’oeuvre hautement spécialisée, contribution d’un modeste canton en développement à l’essor d’un grand voisin économiquement plus avancé, illustre un moment probablement unique dans les annales de l’industrie », relève Georges Andrey. La période 1914-1948, prise en considération par l’historien, « caractérisée par l’arrivée massive et soudaine d’une population allogène fait figure de choc à multiples dimensions, pour la modeste commune de La Côte, affectant l’équilibre général de la société. ».

Croissance démographique sans précédent sur La Côte

L’éclatement de la guerre mondiale, avec le départ des derniers ouvriers étrangers, appelés à servir dans les armées de leurs pays respectifs, accélère, à ce titre, le phénomène d’exode intérieur. Le basculement est d’abord démographique. L’installation de l’imposante cohorte des verriers et de leurs familles fait passer la population de 883 à 1364 habitants. En l’espace de six ans, de 1914 à 1920, et après des siècles de progression lente et continue, Saint-Prex s’enrichit de 481 âmes supplémentaires (54%). Georges Andrey est formel: « Sur La Côte, entre Morges et Nyon, aucune commune ne connaît une croissance aussi rapide. »

Bienvenue à Cornazville!

À la même époque, Gland croît, en effet, de 16%, contre 3% pour Nyon et 2% seulement pour Morges. Corollaire de cette nouvelle donne, l’économie et la physionomie lacustre et agri-viticole et du village, ainsi que sa géographie, changent, du fait du passage à l’ère industrielle. Un quartier d’habitation, construit par Henri Cornaz – ce qui lui vaut l’appellation, par dérision, de « Cornazville », voire pour certains journaux extrémistes de « Bagne à Cornaz » –, accueille les salariés en cols bleus et blancs. Significativement, les anciens et les nouveaux habitants d’une localité scindée en deux par le chemin de fer, qui fait figure de frontière, se côtoient peu.

Radicale et catholique grâce aux Fribourgeois

L’engagement en politique des Fribourgeois, nombreux à être actifs par ailleurs au sein des sociétés locales, créées grâce à Cornaz, telles la fanfare ou le foot, donne lieu ensuite à un autre séisme. Le radical Cornaz entre en 1921 à la Municipalité, mettant fin à la domination des libéraux du bourg grâce au vote, dit-on, de ses employés. « Le raz de marée vert », expression utilisée par Georges Andrey, n’épargne pas le Conseil communal. Ce schéma se reproduit dans le domaine religieux, lorsque Cornaz offre, en 1917, un terrain pour une église catholique. La paroisse, née en 1924, est alors plus vaste que celles de Morges et de Rolle. Les enfants sont cependant envoyés à l’école publique, complétant l’intégration des familles.

« Aujourd’hui, conclut Georges Andrey, Cornazville n’est plus qu’un souvenir lointain, alors que la verrerie, toujours cantonnée dans la même zone, continue de tourner à plein régime. » ?

Martine Rochat, La Côte9 janvier 2018.

 

La Revue historique vaudoise 125/2017 se consacre aux migrations

Un dossier riche et rigoureux qui témoigne de l’actualité de l’histoire

Depuis quelques années, la Revue historique vaudoise, éditée par Antipodes, a renouvelé son look, pour le plus grand bonheur de ses lectrices et lecteurs. Celui-ci est devenu moins austère et plus moderne. En outre, la revue accorde désormais une place relativement importante à l’image.

Hormis ses rubriques traditionnelles, ce numéro est essentiellement consacré à un problème d’une singulière actualité, celui de l’immigration, perçue dans sa dimension historique.

Laurence Marti se penche sur le cas d’Aubonne au XIXe siècle, et cela à travers un exemple emblématique, celui de la famille piémontaise Locca. Comme nombre de ses compatriotes qui ont effectué à pied, par le Grand-Saint-Bernard, 250 kilomètres de route, Pietro Locca va travailler dans la bourgade vaudoise comme gypsier. Son patron Giacomo Zanetti, Piémontais lui aussi, engage comme ouvriers ses compatriotes. Par un mariage avec une Vaudoise et la fondation d’une petite entreprise, les Locca s’intègrent dans la vie locale.

La première vague d’immigrés à Aubonne – suisses ou étrangers (avant la révision de la Constitution fédérale de 1874, le droit absolu d’établissement intercantonal n’existait pas) – est composée d’artisans. C’est une population essentiellement masculine. Les femmes, peu nombreuses, servent surtout comme domestiques. Puis cette immigration se diversifie. A la marge, l’auteure signale le cas de quelques privilégiés, un comte hongrois ou une comtesse russe qui s’installent dans la localité.

Georges Andrey s’intéresse, lui, à l’implantation fribourgeoise en terre vaudoise, à travers le cas des verriers de Semsales transférés à la verrerie de Saint-Prex (1914-1948). Cela depuis le rachat de l’entreprise fribourgeoise périclitante par un patron vaudois dynamique, Henri Cornaz, et le transfert de la production sur les bords du Léman. « Bon patron », certes paternaliste, radical « progressiste » ou potentat local asservissant son personnel, les avis divergent sur le personnage… Toujours est-il que cette arrivée massive de travailleurs fribourgeois accroît de manière significative l’effectif de la population et change grandement la composition démographique du village. En fait, on assiste à la juxtaposition de deux villages: l’ancien bourg d’une part, « Cornazville » et sa verrerie d’autre part. En revanche, la coexistence confessionnelle entre les anciens habitants protestants du village et la nouvelle population catholique se passe sans conflits majeurs.

Irina Ivanova nous parle d’une de ces « inconnues de l’histoire » trop longtemps restées dans l’ombre. Alexandra Tegleva (1883-1955), issue d’une famille noble d’origine tatare, fut gouvernante des enfants du tsar Nicolas II et donc très proche de la famille impériale, dont elle partagea les tribulations après 1917 et faillit subir le sort tragique. Pourtant son nom n’a pas laissé de trace dans les archives, jusqu’à une époque récente. Elle fut emmenée en Suisse et sauvée par un personnage bien connu, lui, Pierre Gilliard, précepteur des enfants du tsar, qui l’épousa en 1922. Elle vécut alors, jusqu’à sa mort, dans l’ombre de son mari. Son histoire méconnue est donc aussi l’histoire individuelle d’un exil, douloureusement vécu, qui s’inscrit dans celle, très vaste, des Russes ayant fui le régime bolchevique.

Trois chercheuses ont consacré une étude à l’immigration italienne dans le canton de Vaud.

Marina Marengo a fondé la sienne sur de nombreux témoignages. A côté des motivations économiques des migrants, on remarquera le cas de travailleurs engagés à gauche (dans le parti communiste) et donc ostracisés dans leur pays. On notera aussi que leur discours pratique souvent une autocensure, masquant ainsi les humiliations ressenties par ces « Ritals » perçus comme « sales », victimes d’une xénophobie à connotation raciste. Une partie intéressante de l’article concerne le « mythe du retour », qui n’intéresse plus les immigrés de la seconde génération et qui, même chez les « anciens » provoque un déchirement: faut-il privilégier le retour à la terre natale ou l’intégration dans un pays où l’on a fait sa vie et élevé ses enfants?

Angela Alaimo s’est penchée sur les associations italiennes à Lausanne et leur évolution. Rappelons que la Casa d’Italia (à laquelle Claude Cantini avait déjà consacré un article en 1999) fut créée en 1933 sous l’égide du régime fasciste et financée par lui. Elle devint en 1943, à sa chute, la Colonia italiana libera. Si cette organisation joua un rôle important dans l’accueil et l’intégration des travailleurs italiens lors de la grande vague migratoire des Trente Glorieuses, elle s’est vue supplantée, dès les années 1970, par l’essor des associations à vocation régionale. Surtout, elle a connu et connaît encore une véritable crise associative, les jeunes de deuxième et de troisième génération n’y trouvant plus leur espace d’expression. Mentionnons en passant que l’assemblée générale annuelle de la Société vaudoise d’histoire et d’archéologie s’est tenue le 25 novembre 2017 dans les locaux « historiques » de l’association, voués à leur remplacement par un immeuble moderne plus grand, ce qui est malgré tout un signe de vitalité renouvelée.

Enfin Diolinda Hajda a consacré son mémoire de licence aux « Paroles de travailleurs étrangers à la Télévision suisse romande (1960-1986) ». Il s’agit donc encore ici, mais plus uniquement, de la migration italienne. La chercheuse s’est basée sur un corpus de 39 émissions pour dégager l’évolution du discours des – et sur les – travailleurs étrangers. Au fur et à mesure que les années passent, on constate une attention croissante aux aspects humains de l’immigration, liés notamment au statut – inhumain lui – des saisonniers, en particulier à l’absence du droit de faire venir leurs enfants.

Au milieu de la revue, un cahier de photographies montre le travail d’Hélène Tobler dans l’ex-Yougoslavie ravagée par la guerre civile et auprès de familles réfugiées en Suisse. Visages graves, inquiets, certes en partie soulagés après leur accueil dans notre pays, mais gardant au fond des yeux l’amertume de l’exil forcé et le souvenir des horreurs du conflit: voilà un reportage contenant une belle charge d’humanité.

Puis Jean-Pierre Bastian consacre un texte très érudit à l’identité huguenote, souvent mythique, de familles vaudoises. Il est évidemment plus valorisant de se dire descendant des exilés de 1685, après la révocation de l’Edit de Nantes, qu’issu d’un village des Alpes savoyardes… Cette ascendance huguenote est cependant bien réelle dans un certain nombre de « bonnes familles » libérales, ayant adhéré en 1845 à l’Eglise libre, suite à la révolution radicale et à la mainmise du nouveau régime sur l’Eglise vaudoise officielle. C’était, d’une certaine manière, perpétuer l’esprit de résistance à l’Etat. Cette filiation avec l’exil du XVIIe siècle a longtemps constitué une référence, qui la distingue du vulgum pecus, pour une élite sociale, financière et intellectuelle.

Ernesto Ricou présente le trop peu connu Musée de l’immigration, ouvert à Lausanne en 2005. Celui-ci, fort modeste encore, devient progressivement un lieu de mémoire. Il a aussi une vocation pédagogique, cherchant à améliorer le dialogue intercommunautaire.

Madeleine Knecht-Zimmermann est l’auteure d’une oeuvre littéraire mémorielle, tout entière consacrée à l’histoire de sa famille, dans ses diverses ramifications. Sa plume alerte lui a valu un succès légitime auprès du public. Elle démonte ici quelques mythes familiaux. On ne s’étonnera pas d’apprendre que la « légende familiale » est toujours valorisante: ainsi l’exemple de cette parente dont on a dit longtemps qu’elle était morte en 1942 sous les bombardements allemands de Londres, alors qu’elle avait succombé à un cancer dans la campagne anglaise, un décès évidemment moins « héroïque »…

Enfin, dans sa partie traditionnellement dévolue à l’archéologie, la Revue historique vaudoise, sous la plume de Michel Aberson, Anne Geiser et Thierry Luginbühl, confronte les sources à propos de migrations, elles, beaucoup plus anciennes: celles des Helvètes avant et après la guerre des Gaules.

Pierre Jeanneret, Domaine public, 2188, 13 décembre 2017