On ne monte pas sur les barricades pour réclamer le frigidaire pour tous

Wicki, Julien,

2007, 245 pages, 21 €, ISBN:978-2-940146-94-9

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le Parti socialiste vaudois tente de survivre à une scission qui, en 1939, l’avait amputé de l’immense majorité de ses membres. Menacé par le jeune POP, il mène une lutte contre ce meilleur ennemi qui lui conteste son rang de parti des travailleurs. Peu à peu, il l’emporte…et entame, dès 1947, une progression fulgurante. Il s’en prend alors à un Parti radical hégémonique mais vieillissant. En jouant sur le double tableau de la participation gouvernementale et de l’alternative aux partis en place, doté de quelques fortes têtes comme Charles Sollberger, Serge Maret et surtout Pierre Graber, il devient rapidement l’une des principales forces du canton.

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Description

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le Parti socialiste vaudois tente de survivre à une scission qui, en 1939, l’avait amputé de l’immense majorité de ses membres. Menacé par le jeune POP, il mène une lutte contre ce meilleur ennemi qui lui conteste son rang de parti des travailleurs. Peu à peu, il l’emporte…et entame, dès 1947, une progression fulgurante. Il s’en prend alors à un Parti radical hégémonique mais vieillissant. En jouant sur le double tableau de la participation gouvernementale et de l’alternative aux partis en place, doté de quelques fortes têtes comme Charles Sollberger, Serge Maret et surtout Pierre Graber, il devient rapidement l’une des principales forces du canton.

Comment le Parti socialiste vaudois parvient-il à ce résultat? Parallèlement à sa progression dans les urnes, sa structure évolue: création d’une base solide de militants, autonomisation d’une classe de cadres et système de financement tirant profit des victoires électorales sont trois des principaux piliers qui font du PSV un outil électoral capable d’assumer son rôle de premier plan.

Peu à peu, au fil des procès-verbaux et des articles de presse, au gré des joutes électorales et des congrès, on voit comment se comporte une petite formation face à ce que l’historien Jacques Droz appelle « la contradiction profonde dans laquelle se débat la social-démocratie », l’intégration progressive à un système que l’on s’était promis d’abattre.

Presse

Dans la revue électronique Dissidences

Julien Wicki est licencié en Histoire contemporaine à Lausanne; il s’intéresse ici, dans cet ouvrage issu d’une recherche équivalente au Master, au parti socialiste vaudois (PSV). Le dépaysement est de courte durée, puisque l’évolution dudit parti s’inscrit, de 1945 à 1971, dans les rythmes politiques et sociologiques du socialisme européen. Pour autant, le détour vaudois vaut qu’on s’y attarde, ne serait-ce que par le titre de l’ouvrage, emprunté à un slogan de 1963, ornant la couverture d’une nouvelle revue socialiste, Domaine Public.

En fait, c’est l’histoire d’une intégration du PSV aux majorités bourgeoises que narre l’ouvrage, le PSV perdant peu à peu le cœur de son électorat populaire. Face à une concurrence de gauche (POP), le PSV puise peu à peu sa légitimité-et les raisons de sa survie-dans l’exercice des exécutifs, manne financière par le biais des mandats. On retrouve dans ce rapport au pouvoir, comme le note Julien Wicki, une topique commune au socialisme européen (SPD, SFIO, Labour Party notamment). L’évolution se marque aussi sociologiquement, le PSV se muant d’un parti ouvrier à un parti de cols blancs. Pour le lecteur étranger aux arcanes de la politique suisse, il y a là des repères, des éléments à méditer pour se saisir de la dynamique proprement interne d’un parti mené par la main de fer de Graber. Le réalisme pragmatique guide l’évolution d’un PSV finalement peu attentif à la modernité sociale dès lors que celle-ci ne mord pas sur le terrain électoral (ainsi du féminisme). L’auteur conclut sur une interrogation: « pourquoi la Suisse n’a-t-elle pas connu de gouvernement de gauche? », à laquelle il répond par l’addition des erreurs du PSV et l’absence des conditions sociales propices à la prise du pouvoir.
Je voudrai conclure autrement cette courte recension. D’abord en invitant à lire cette monographie, en regard notamment de la société des socialistes français étudiée par Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre. L’évolution du PSV souscrit à l’hypothèse formulée par ces derniers d’une notabilisation accrue du parti, peu à peu vidé de toute substance intellectuelle et militante. Julien Wicki, qui clôt son enquête en 1971, évoque ainsi l’oligarchie que représentent les cadres du parti. Pour autant, à suivre une analyse sociologique, on perd de vue ce qui construit également le militantisme, soit l’idéologie, les cercles intellectuels. Si la proximité affirmée du PSV avec la SFIO puis le PS français tient, comme Julien Wicki l’affirme, on voit peu dans sa monographie se découper sur le fond d’un horizon sociologique, des réseaux intellectuels, des cercles, des revues, sinon dans la courte évocation de la naissance de Domaine Public. Le PSV connut-il des phénomènes proches de la deuxième gauche? Des courants de pensées semblables aux courants critiques du parti socialiste français (CERES, poperenistes…) dans les années 70*? Car, à conclure sur l’évolution du PSV face à la lame de fond de la sociale démocratie européenne illustrée par Tony Blair et Ségolène Royal (p.204), l’auteur invite à une lecture rétrospective de son analyse où le manque d’un développement plus fourni sur les débats intellectuels-ou leur absence-ne permet pas de diagnostiquer l’épuisement militant du point de vue des cultures politiques, de l’idéologie. Le pragmatisme réformiste s’accommode de la révolution conservatrice qui traverse les sociétés européennes**. C’est là le seul tort d’une monographie de qualité que de vouloir lui faire dire plus qu’elle ne dit, une fois la dernière page refermée.

Vincent Chambarlhac, Dissidences.net

*Pour la SFIO agonisante, on vit se multiplier les revues externes au parti, visant toutes, comme Domaine Public, à revivifier le parti, les militants. Cf. Vincent Chambarlhac et alii, Histoire documentaire du parti socialiste, tome III: Les centres socialistes, Dijon: EUD, 2006.

**A l’image, par exemple des intuitions développées par Didier Eribon (D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, 2007. Egalement chroniqué sur Dissidences).

 

Une success story sur fond de renonciation

Agonisant, le Parti socialiste vaudois entame dès 1945 une course vers le pouvoir, dont le prix sera l’abandon de son projet de transformation du capitalisme.

Au fond, c’est une success story. Une histoire dont l’acteur central est le Parti socialiste vaudois (PSV). Cliniquement mort en 1945, il devient, en un quart de siècle, la deuxième force du canton, adversaire respecté de la droite. Quant à l’artisan de cette refondation, Pierre Graber, il trône depuis 1969 au Conseil fédéral, une première pour les socialistes vaudois et romands. L’historien Julien Wicki raconte cette ascension dans un ouvrage qui paraît ces jours aux Éditions Antipodes. Une ascension qui a aussi le goût amer de la renonciation idéologique. Le PSV gouverne certes, mais il sacrifie progressivement son idéal de transformation radicale du capitalisme. En même temps que sa base sociale s’éloigne des classes populaires.

Il est vrai que, en 1945, tout n’est pas rose pour le PSV. Comme en France, un souci pointe à sa gauche. À l’époque, les communistes du Parti ouvrier et populaire (POP) sont une puissante organisation avec laquelle le PSV prend vite ses distances. Débute ainsi sous la férule du syndic de Lausanne, Pierre Graber, une reconquête de la classe ouvrière dans les urnes. Avec succès. Le PSV accroît ses élus dans les communes et au canton. La droite, elle, prend l’eau, désunie face à des socialistes qui s’érigent comme seule force d’opposition et placent un deuxième élu au Conseil d’État en 1955. Un âge d’or qui dure jusqu’à la fin de la décennie.

Le Parti à la rose connaît par la suite ses premiers revers électoraux et une stagnation du nombre de ses membres. Les critiques à l’égard du clan Graber, accusé de verrouiller le parti, surgissent et les courants s’affrontent, avec de jeunes loups comme André Gavillet ou Pierre Aguet. L’élection de Pierre Graber au Conseil fédéral sonne alors comme une recomposition des forces de la gauche vaudoise. Au seuil des années 70, le PSV et le POP s’apparentent à nouveau. Peu à peu, le premier s’ancre solidement dans l’appareil politico- institutionnel vaudois.

Avec ce livre, Julien Wicki détaille un PSV en pleine mutation sociologique. Très tôt, les bas revenus sont presque absents des cadres du parti, avant de quitter sa base au fil des années 60. Dans les communes et le canton, sa participation à tous les échelons de l’État-gouvernement, parlement et tribunaux-permet la défense de la cause…et le financement du parti. Sans ses mandataires, le PSV n’aurait pas survécu. À mesure que le parti s’implante dans les législatifs, la critique du capitalisme s’oublie au fond des cartons. Le programme de législature remplace le projet de société. Et avec lui, le moteur de l’action politique carbure à la gestion des affaires courantes.

Yves Steiner, L’Hebdo, 16 mai 2007

 

Issu d’un mémoire de licence dont le titre évocateur est emprunté à Domaine public, l’ouvrage traite un sujet qui n’a guère été étudié, sinon par la bande ou dans de brèves synthèses. Relevons d’emblée les qualités méthodologiques de ce travail bien structuré, dont les hypothèses et les formulations soulèvent cependant quelques remarques et objections.

Par ses bonnes mises en contexte, Jean Wicki témoigne d’une solide culture politique. Il évite ces anachronismes de la pensée qui sont trop souvent le lot des jeunes historiens. On regrettera cependant que, succombant aux modes du jour, il utilise l’adjectif « étasunien » alors que, pendant la période considérée, tout le monde parlait, pour le vanter ou le vouer aux gémonies, de modèle ou d’impérialisme « américain ». Péché véniel…On saura gré à l’auteur de s’être plongé-entreprise ingrate-dans les finances du parti. Corroborant les conclusions des classiques, Roberto Michels et René Duverger, il souligne l’importance du nombre de militants (donc de cotisations) et de mandataires, qui restituent une part de leurs jetons de présence à un parti socialiste ne bénéficiant pas de la manne des entreprises. Il a été sensible aussi au langage politique, notamment dans ses analyses subtiles du discours véhiculé par le journal Le Peuple/La Sentinelle. On appréciera ses touches d’humour bienvenues, dans un travail plutôt austère, à propos du style fleuri de La Nouvelle Revue expliquant que l’adhésion au radicalisme procède de l’âme, voire de la « race » vaudoises! Wicki fait une place à l’histoire orale et aux témoignages (dont il aurait éventuellement pu tirer davantage de substance); il a bien saisi l’importance du lieu, de l’époque et des circonstances de l’énonciation d’un discours par essence subjectif (dénonciation, autojustification, etc.). Le meilleur de l’ouvrage réside à mes yeux dans les analyses de cas particuliers qui, loin d’être anecdotiques, sont au contraire révélateurs des relations inter-partis et des rapports de force au sein même du PSV: on relèvera par exemple la convaincante présentation de l’élection puis de l’éviction de Charles Sollberger (chap. 3.3.1. et 4.3.4.).

Rares sont les véritables lacunes dans cette étude. A propos des « nouvelles pistes thématiques » du PSV à la fin des années 50 (chap. 4.2.2.), en particulier de la démocratisation des études, il aurait fallu signaler l’impulsion donnée par le MDE (Mouvement démocratique des étudiants), dont plusieurs membres étaient d’ailleurs socialistes.

Wicki affirme explicitement sa volonté de construire son travail sur une approche sociologique. Ses recherches, menées avec rigueur et soin, montrent cependant leurs limites et aboutissent parfois à des truismes: ainsi à propos du « décalage important entre la composition sociale des membres du PSV et de ses dirigeants ». Or la validité de la fameuse théorie des cercles concentriques de Duverger (électeurs, sympathisants, membres, cadres)-avec leurs différences dans le recrutement social – a été démontrée à satiété dans la description des divers partis de gauche. Par ailleurs, la détermination de l’auteur-à qui on ne saurait reprocher en tout cas de succomber à l’impressionnisme subjectiviste ou à la facilité!-de se fonder sur des données chiffrées le conduit à sous-estimer un peu le rôle des individus, par exemple de ces « locomotives » locales dont la présence ou l’absence explique largement le succès, le déclin, voire la disparition d’une section. Cependant la personne de Pierre Graber, suscitant l’adhésion chez les uns, la fronde chez les autres, et son contrôle de l’ appareil du parti, sont très bien mis en évidence par J. Wicki.

Même si l’auteur se distance, dans son introduction, de l’école de René Rémond (présentée de façon un peu caricaturale dans une citation), c’est bien à l’histoire des idées qu’il a recours pour expliquer la montée de la contestation anti-Graber-d’ailleurs fort bien décrite-au sein du PSV des années 60. De façon absolument convaincante, J. Wicki a choisi le problème aigu et sensible des rapports avec le POP comme pierre de touche d’une évolution qui s’achève avec le Congrès d’Epalinges de 1971 et sa décision d’accepter l’apparentement électoral avec les « communistes ». Cette date corrobore la cohérence de la périodisation avancée par l’auteur.

C’est la thèse fondamentale de l’ouvrage-d’ailleurs contredite ici et là par Wicki lui-même!-qui fait problème. Peut-on vraiment parler d’un parcours qui mènerait le PSV de l’opposition à l’intégration, alors même que dès 1946 Arthur Maret entre dans un Conseil d’Etat totalement dominé par les partis bourgeois, et qu’Epalinges voit la victoire, en tout cas momentanée, du courant « de gauche », moins consensuel, incarné notamment par Pierre Aguet et les actives Jeunesses socialistes? Faut-il de surcroît lier la mort, en 1971, du journal Le Peuple/La Sentinelle à cette problématique? Le cas d’autres journaux démontre à l’envi les ambiguïtés fondamentales de la presse partisane (que Wicki relève pertinemment) et ses difficultés économiques.

Les quelques réserves exprimées ci-dessus, loin de constituer une critique globale du mémoire de Julien Wicki, entendent en souligner au contraire l’intérêt. Ne se contentant pas d’une approche descriptive, son travail est riche d’analyses et d’hypothèses qui, si elles n’entraînent pas toutes forcément l’adhésion, invitent en tout cas au débat!

Pierre Jeanneret (Grandvaux VD), Traverse 2007/1

 

«On ne monte pas sur les barricades pour réclamer le frigidaire pour tous!»: Nos « contradictions profondes » sous la loupe des historiens

Points Forts socialistes: Quelles ont été tes motivations initiales à entreprendre ce travail de recherche sur le Parti socialiste vaudois?

Julien Wicki: Par conviction, je désirais travailler sur un sujet relevant de l’histoire ouvrière… Ceci dit, j’étais persuadé que les histoires des grandes forces de gauche en Suisse avaient déjà été écrites et je réfléchissais à un sujet plus particulier. C’est en discutant avec mon directeur de mémoire que nous avons constaté que l’attention avec laquelle avait été étudiée telle organisation était inversement proportionnelle au poids qu’elle avait eu sur les scènes politique ou syndicale suisses. J’ai essayé de privilégier une approche multiple en ne me bornant pas, par exemple, à une analyse des différentes échéances électorales. C’est pourquoi, notamment, je donne une place assez importante à la composition sociale du PSV ou à son système de financement. Examiner ces différents aspects aident à expliquer, en grande partie, les choix politiques du parti au fil de son histoire.

Ton livre retrace donc l’histoire du PSV de 1945 à 1971. Si le choix de la première date paraît évident, pourquoi t’être limité à 1971?

1971 marque une rupture pour le PSV, et ce à plusieurs égards. C’est notamment la date de la disparition du dernier quotidien romand socialiste, Le Peuple-La Sentinelle (résultat de la fusion du Peuple valdo-genevois et de La Sentinelle neuchâteloise) qui ne réussit pas sa mue d’organe partisan à journal d’opinion de gauche. C’est aussi, et surtout, la fin du long règne de Pierre Graber qui est clairement celui qui a remonté un parti moribond en 1945 mais aussi celui qui l’a ensuite contrôlé d’une poigne de fer pendant plus de vingt ans. Son départ au Conseil fédéral, en 1969, permet à l’opposition de gauche du PSV de ruer dans les brancards et de remporter quelques-unes des luttes internes au parti… jusqu’au congrès décisif d’Epalinges en 1971. Celui-ci est le premier à accepter, depuis 1946, une candidature unique de la gauche au Conseil des Etats-le socialiste Morier-Genoud, qui ratera son élection pour quelques centaines de voix-et un apparentement pour le Conseil national avec le POP.

Qu’a amené de nouveau cette étude? Qu’a-t-elle permis de mettre en évidence?

Cet ouvrage fournit quelques balises utiles, me semble-t-il, quant au développement du socialisme international de l’après-guerre. On voit comment une formation, aussi locale soit-elle, subit les influences diverses des grandes forces socialistes européennes, suédoises, anglaises, allemandes ou françaises. De plus, l’histoire du PSV est bien entendu liée à celle des autres forces politiques et il est très intéressant de voir les relations qu’il entretient, en pleine guerre froide, avec son meilleur ennemi, le POP. Il est aussi révélateur de voir comment se comportent les partis bourgeois face à la montée du PSV: jusqu’alors, leur suprématie cantonale n’avait jamais été remise en question!

Quel regard portes-tu sur le PSV, au terme de ce travail de recherche?

Au niveau de l’action politique générale, ce qui est passionnant avec la social-démocratie, c’est d’examiner comment celle-ci arrive à se comporter face à ce que l’historien Jacques Droz appelle « la contradiction profonde dans laquelle [elle] se débat ». En effet, les différentes forces social-démocrates ont toutes choisi d’évoluer dans un système capitaliste qu’elles rejettent et qui les rejettent également, ceci pour dépasser ce système ou pour l’aménager suivant de quelle force et de quelle période l’on parle. Dès ce choix originel, la social-démocratie se trouve en tension permanente entre ses idéaux et les moyens qu’elle possède pour y parvenir. Une étude d’une situation particulière a permis d’aborder cette tension sous différents angles…

Le titre du livre en a surpris plus d’un. Pourquoi ce choix?

Le titre devait créer le débat… ce qu’il a fait plus d’une fois semble-t-il! C’est en fait, comme on l’apprend au fil de la lecture, un extrait de l’édito du premier Domaine Public qui paraît en 1963. Il a un double sens évident: « le PS est devenu un parti qui, à force de compromission, n’est plus bon qu’à réclamer le frigidaire pour tous » est l’une des lectures possibles. L’autre, c’est d’ailleurs celle que DP choisit, souligne les nouveaux défis auxquels le PS est confronté dans une société qui évolue rapidement et dans laquelle les rapports de classe ne sont plus aussi clairs. Je laisse le/la lecteur/trice trancher entre ces deux lectures….

Points forts socialistes no 9, Juin-juillet 2007

Histoire Vivante

S’il est un exercice qui peut vous « foutre le bourdon », c’est bien celui de lire un bouquin d’histoire où vous êtes cité. Suis-je donc si vieux ? Peut-être, mais encore vivant…puisque mon égo en est flatté.

Julien Wicki, licencié en histoire contemporaine de l’UNIL et par ailleurs rédacteur de Pages de gauche vient de publier un livre dont le titre est particulièrement significatif. Il l’a emprunté au premier édito de Domaine public: « On ne monte pas sur les barricades pour réclamer le frigidaire pour tous ». C’est l’histoire sociale et politique du parti socialiste vaudois de 1945 à 1971.

Bon nombre de militants encore actifs vont avoir un immense plaisir à suivre ce quart de siècle, à partager cette analyse, à se souvenir de quelques combats épiques auxquels ils ont participé, à prendre conscience de la trop lente progression d’un parti qui, quoique le premier depuis longtemps, a dû jouer les seconds rôles parce que les règles du jeu étaient signées Gabriel Despland.

Pour les plus jeunes qui sont actuellement « au front », ces quelque 200 pages leur permettront de prendre conscience, ce qui est difficile à toutes les générations, que le parti qu’ils animent a été construit avant même leur naissance, que l’instrument qui va leur permettre d’améliorer la justice sociale dans ce pays leur a été transmis après des efforts de longue haleine, hérissés d’échecs retentissants, mais aussi fleuris de belles victoires.

L’attitude machiste du PSV et des syndicats de cette époque, la naissance ou la renaissance d’un parti dont le 86% des membres était allé fonder le POP en 1939, la longue « dictature » de Pierre Graber qui a tenu ce PSV comme sa propre entreprise, les élections épiques d’un premier, puis d’un deuxième et enfin d’un troisième conseiller d’Etat socialiste en la personne de Charles Sollberger sont évoqués sans passion, avec le talent et la précision que permet la longue fouille des procès-verbaux et des archives et la relecture du Peuple-La Sentinelle, de la Voix Ouvrière, de la Nouvelle Revue, de la Gazette de Lausanne, enfin de la Feuille d’Avis de Lausanne qui avait un peu de concurrence à cette époque.

Pierre Graber a construit l’identité du parti sur l’image d’un rempart contre le communisme pourtant représenté chez nous par un POP fort peu doctrinaire. Le même s’est fait élire à la syndicature de Lausanne en faisant alliance avec un POP qu’il n’a cessé de mépriser toute sa vie. Charles Sollberger a été élu parce que la bourgeoisie n’en avait pas peur, c’était l’ami des popistes. La disparition des seules archives qui évoquent les deux années où « l’équipe Graber » a perdu son pouvoir sur un mouvement « enfin devenu démocratique » sont autant de témoignages qui m’ont rappelé une époque à la fois pénible et exaltante.

Un regret personnel: une brève description de ce qu’est devenu le parti dans les années qui ont suivi sa grande mutation au début des années 70 m’aurait particulièrement intéressé puisque j’y ai consacré toutes mes forces de fin 1970 à mars 1983. Ce sera le travail d’un autre chercheur. Un militant, ça ne se r2fait pas. Dès lors, je profite de ces lignes pour adresser un appel à tous ceux qui auraient encore les PV ou des échanges de lettres avec le secrétariat de 1968 à 1970. Nous pourrions compléter les archives qui me semblent avoir été « boycottées ».

Enfin, commandez ce livre aux éditions Antipodes ou tout simplement au secrétariat. L’évocation d’un passé même récent permet le recul nécessaire à l’exercice d’un regard critique sur son engagement présent. Bonne lecture.

Pierre Aguet, Points forts socialistes no 9, Juin-juillet 2007

 

Le socialisme vaudois n’est peut-être pas épique; son histoire est sans barricade, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Julien Wicki, mais plus liée qu’on ne l’ imagine à l’histoire mondiale. Si Pierre Graber, qui pendant vingt ans dirigea avec une fermeté autoritaire le PSV, intransigeant envers le communisme, a signé comme ministre des Affaires étrangères les accords d’Helsinki au côté de Brejnev, la dernière momie du stalinisme, cette rencontre fut fortuite, mais pas la cohabitation et la confrontation du socialisme vaudois avec l’idéologie. En 1939, Léon Nicole qui, rédacteur du Droit du Peuple, influençait fortement les partis genevois et vaudois approuva le pacte germano-soviétique. La réaction du comité directeur du PSS fut sans concession. Léon Nicole fut exclu du parti et les membres eurent à confirmer leur fidélité aux valeurs démocratiques.

C’est pourquoi, alors que le parti socialiste avait avant-guerre occupé des positions fortes dans les villes, notamment à Lausanne avec une majorité socialiste de 1933 à 1937, il fut nécessaire de le reconstruire entièrement. L’étude de Wicki, qui couvre la période 1945- 1971, le met clairement en évidence. Section par section, qui passent de14 à 50, le parti fut non pas refondé, mais recomposé. Et il le fut sur une base essentiellement ouvrière. C’est un apport original des recherches de l’historien de l’avoir démontré. Je me souviens, autre preuve, du nombre de camarades qui n’avaient pas congé le samedi après-midi, d’où l’obligation de tenir les congrès le dimanche, quelquefois toute la journée, dans une ambiance que réchauffaient les consommations prises sur place. Si les relations avec le POP furent si tendues, c’est qu’elles n’étaient pas qu’un problème d’alliance. Les dirigeants de ce parti, quels qu’aient été leur engagement désintéressé et leur dévouement, restaient fidèles à l’obédience à l’URSS, même après les répressions sanglantes comme celle de Budapest en 1956.

Le deuxième repère pour lire l’histoire du PSV est la lente érosion du parti radical à laquelle il contribua. Et d’abord en mettant en échec la prétention des radicaux de conserver la majorité absolue au Conseil d’Etat. Le signe fort de ce tournant fut en 1956 l’élection, au second tour, de trois socialistes au Conseil d’Etat dont un ouvrier, René Villard de Sainte-Croix. On a peine à imaginer aujourd’hui ce que signifiait le noyautage radical de tous les postes-clé et même des emplois mineurs, si bien que les tracts socialistes dénonçant l’assiette au beurre avaient le succès qu’obtient celui qui dit tout haut ce que chacun pense tout bas.

Le troisième repère pour lire l’histoire du partiest celui de la participation des socialistes au Conseil fédéral. Les péripéties (démission de Max Weber, invention de la formule magique) étaient vécues intensément, et avec insistance était posée la question d’un programme minimum de gouvernement.

La solide étude de Wicki permet d’assurer la continuité de la mémoire socialiste, mais aussi de mesurer les évolutions. Sociologiques-le recrutement des militants, démographiques-le vieillissement de la population, médiatiques-les médias devenant le principal support du débat politique. Et encore de faire apparaître les thèmes nouveaux: écologie, Europe, mondialisation. Et enfin d’ancrer transgénérationnellement les valeurs socialistes: à savoir que la plus-value que fait surgir le travail de tous doit solidairement profiter en bien-être et en autonomie à ceux qui la créent.

André Gavillet, Points forts socialistes no 9, Juin-juillet 2007

 

Julien Wicki consacre un livre stimulant à l’évolution du Parti socialiste vaudois, dans son contexte européen et suisse.

Le grand bond vers le frigidaire

Il y a eu des monographies scientifiques de partis cantonaux. C’est une première raison de se laisser tenter par le titre aguicheur du livre de Julien Wicki: On ne monte pas sur les barricades pour réclamer le frigidaire pour tous. Sa recherche aboutit à un texte stimulant sur l’histoire du Parti socialiste vaudois (PSV) de 1945 à 1971.

Le mérite de l’historien est d’autant plus grand qu’il existe peu de sources permettant cette reconstruction. Les archives du parti sont très lacunaires et ne disent pas grand-chose de l’évolution de sa pensée politique. C’est donc avant tout la presse locale et surtout le matériau vif des acteurs interrogés par Julien Wicki-Bernard Meizoz, Serge Maret, Jean-Claude Vautier et Pierre Aguet-qui alimentent sa démarche.

Ceux qu’une étude si étroitement régionale rebuterait doivent savoir que celle-ci ne se limite pas à l’histoire politique vaudoise. Les événements qui rythment la vie du parti sont replacés dans leur contexte européen et suisse, ce qui donne de l’épaisseur intellectuelle à ce texte bref.

Très influencé par la France, le PSV se situe traditionnellement à gauche du Parti socialiste suisse (PSS), comme les autres partis romands qui ont à faire face à une extrême gauche très active. Mais cela n’a pas empêché les socialistes vaudois de « s’embourgeoiser », selon le mot de Wicki. La base largement ouvrière de l’immédiat après-guerre se métisse peu à peu avec l’arrivée de nombreux fonctionnaires et « cols blancs » du privé, ce qui s’explique bien sûr en partie par la tertiarisation de l’économie.

Mais c’est au niveau des organes dirigeants et législatifs que l’évolution sociologique est la plus marquée: s’installe une « oligarchie » qui met le cap vers le centre. La ligne politique du parti s’infléchit parallèlement, ce qui permettra à ses dirigeants de saisir quelques manettes du pouvoir. La participation aux gouvernements devient d’ailleurs à cette époque l’alpha et l’oméga de la stratégie du parti suisse. Adieu lutte des classes, adieu affrontements radicaux. Le dépassement du capitalisme, notamment par la démocratisation de l’économie privée, n’est plus un objectif. A l’heure de la société de consommation, la satisfaction des besoins matériels des classes moyennes devient la priorité.

Le bilan? Wicki laisse la question ouverte. Mais il montre bien que cette politique a porté des fruits en termes électoraux, mais aussi de réformes comme la création d’un réseau d’assurances sociales dignes de ce nom. Mais, nuance-t-il, « il y a une question qu’il est intéressant de poser: pourquoi la Suisse est-elle le seul pays, en Europe, à n’avoir jamais connu un gouvernement de gauche? Même au niveau régional, il n’y a que le canton de Neuchâtel à s’être récemment doté d’une double majorité de gauche ». Le PSV et le PSS ont-ils gagné un peu pour perdre beaucoup? Wicki ne répond pas directement à la question mais nous lance sur une piste plutôt sociologique: « La Suisse n’a pas connu plusieurs centres industriels importants au sein desquels construire un mouvement ouvrier organisé, mouvement d’autant plus difficile à bâtir en raison du fédéralisme ».

L’ouvrage vaut aussi pour ses reproductions d’affiches électorales dont certaines sont d’une originalité, d’une audace et d’une qualité esthétique qu’on ne trouve plus depuis longtemps lors des campagnes politiques helvétiques.

Un petit regret tout de même: l’édition du livre a été soutenue par le Parti socialiste vaudois et le parti socialiste lausannois. Mais il faut noter que ce soutien a le mérite d’être explicite, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’édition romande. Et rien n’indique qu’il ait entamé l’esprit critique de l’historien.

Xavier Pellegrini, Le Temps, 16 juin 2007

 

Les métamorphoses du Parti socialiste vaudois (1945-71)

C’est toujours un peu délicat de rendre compte d’un livre d’un ami, d’autant plus lorsqu’il est également membre de la rédaction de Pages de gauche; pourtant, après lecture du livre de Julien Wicki sur l’histoire du parti socialiste vaudois de 1945 à 1971, il nous semblait justifié et important de revenir ici sur les mérites et les apports de son étude.

Tout d’abord, et c’est assez paradoxal, le principal parti de gauche suisse, le PSS ou ses sections cantonales, reste relativement peu étudié d’un point de vue historique, alors que d’autres petites organisations, situés plus à gauche, ont fait l’objet d’analyses plus nombreuses et importantes. Rien qu’à ce titre, le livre de Julien Wicki comble en partie un vide. D’autre part, la mémoire d’une organisation ou d’un parti politique, souvent négligé, constitue un apport important pour mieux comprendre d’où il vient et où il va…

L’ouvrage montre bien comment l’évolution de cette section cantonale s’inscrit d’une part dans le contexte global de la période étudiée (période de croissance d’après-guerre, guerre froide, évolution de la social-démocratie européenne, etc…) et renvoie d’autre part aux spécificités du canton de Vaud et du parti.

Par exemple, et les jeunes lecteurs ne le savent sans doute pas, le parti socialiste vaudois sort laminé de la seconde guerre mondiale, en raison principalement de la scission du PSV en 1939, après le soutien de Léon Nicole au Pacte gérmano-soviétique. Suite à la scission, le parti perd 85% de ses membres et n’en compte plus que 200. Durant la guerre, les tentatives de réunification entre le POP et le PSV échoue, et le PSV compte moins de 500 membres alors que le POP en compterait environ 2000 en 1945. L’histoire d’après-guerre du PSV est donc aussi l’histoire d’une ascension et d’une reconquête face à son « concurrent » popiste et face aux partis de droite. Cette dynamique ascendante est marquée par la poigne de fer de Pierre Graber, président de la section pendant plus de dix ans (1950-62), après avoir été syndic de Lausanne (1946-49) et avant d’être élu au Conseil d’Etat en 1962 jusqu’en 1970, puis au Conseil fédéral.

Outre les nombreux éléments factuels qu’on apprend à la lecture des 200 pages, deux axes importants sont particulièrement développés tout au long de l’ouvrage. Tout d’abord, l’orientation politique et programmatique du parti et ses rapports, souvent conflictuels, avec la Parti ouvrier populaire (POP). Partant d’une vive rivalité, marquée par la scission de 1939 et par un anti-communisme très prononcé du PSV, les « frères ennemis » se rapprochent pour signer des alliances électorales, mais seulement à partir de la fin des années 1960 et après que le PSV se soit clairement affirmé comme principale force de la gauche, dès la fin des années 1940.

Deuxièmement, les transformations de la composition socio-professionnelle des membres du parti et de ses dirigeants. Le nombre de membres est passé de moins de 500 en 1945 à près de 2500 en 1971. L’analyse minutieuse de la composition sociale du parti, à partir de la liste des membres de certaines sections importantes montre comment, partant d’une base principalement ouvrière, le PSV s’est élargi aux classes moyennes.

Soulignant pertinemment les contradictions fondamentales dans lesquelles se trouve la social-démocratie (ou le socialisme réformiste), comme à la fois porteur d’un dépassement du capitalisme et d’acteur politique assumant des responsabilités de pouvoir dans ce système, l’ouvrage de Julien Wicki pourrait plus explicitement souligner la contribution de la social-démocratie à la transformation même du capitalisme. La société capitaliste du 19e siècle n’est plus la même que celle de la période des « trente glorieuses » et la social-démocratie a contribué de manière importante à ces changements, et en particulier à l’amélioration du sort des plus défavorisés, par le développement des assurances sociales. Cela ne justifie aucunement le reniement des valeurs de base du socialisme, mais permet de mieux de comprendre la trajectoire « plus réformiste » des partis sociaux-démocrates.

En tout les cas, il s’agit d’une lecture stimulante, très enrichissante et qui fait réfléchir sur le sens de ses propres engagements politiques.

André Mach, Pages de gauche no 58, Juillet-août 2007

 

Pas de barricades pour les frigidaires

Intitulant son étude avec un emprunt à l’hebdomadaire socialiste Domaine public, qui explique sans ambages « on ne monte pas sur les barricades pour réclamer le frigidaire pour tous », Julien Wicki donne le sens de son travail: suivre l’intégration du Parti socialiste vaudois dans les institutions et la société vaudoises de 1945 à 1971. L’emphase sur les lendemains qui chantent est alors reléguée au magasin des accessoires, le pragmatisme des petits pas prend le relais. Ce potentiel d’adaptation et de normalisation, La Nouvelle revue radicale l’avait perçu très tôt: « Nous le démontrions ici même l’autre jour. Il y a un fossé toujours plus large entre la doctrine socialiste et son application. Partout où les socialistes détiennent une partielle du pouvoir, ils pratiquent une politique de modération soutenant presque constamment les ‘majorités bourgeoises ». (30 janvier 1948).

Le maître d’œuvre de cette intégration sera le futur conseiller fédéral Pierre Graber. Peu soucieux de démocratie interne, souvent autoritaire et cassant, le syndic de Lausanne mettra en place une direction échappant à tout contrôle et un système de financement passablement opaque. Le « clan » Graber allait rétablir la prééminence du PSV sur le POP et conquérir définitivement deux sièges socialistes au Conseil d’État, faisant de ce parti une force politique de premier rang dans le canton. Au prix d’un renoncement à toute prétention sérieusement réformatrice, pour ne pas parler de la bouillie idéologique servie dans ce restaurant ouvrier à cuisine bourgeoise.

L’intérêt de l’ouvrage de Julien Wicki est de relier cette histoire proprement politique à l’évolution sociale du parti lui-même, dans lequel la présence de membres de la classe ouvrière s’amenuise, phénomène évidemment amplifié au niveau des organes de direction. Il est toutefois regrettable que l’évolution de la société vaudoise soit lue à travers le prisme de la statistique officielle, qui scinde les secteurs d’activités en trois secteurs (primaire, secondaire, tertiaire). La prolétarisation du canton est alors cherchée dans la seule croissance du secondaire, ce qui est un contresens manifeste: l’industrialisation entraîne la croissance des services publics, dont certains de ses membres sont tout autant ouvriers que les travailleurs en usine. Julien Wicki le perçoit du reste bien, puisque dans sa statistique sociale du PSV, il met sur le même pied ouvriers du privé et du public.

Par ailleurs, si les relations avec le POP sont légitimement considérées comme une pierre de touche de cette histoire, elles auraient pu être lues à travers une conception plus pertinente, celle de la lutte pour l’hégémonie dans la direction politique du mouvement ouvrier, qui alors aurait inclus la bataille contre les membres du POP dans les syndicats menée durant les années 50. Et ouvert la porte à une analyse comparative avec le processus similaire, mais plus tardif, en cours dans le canton de Genève.

Nonobstant ces deux remarques, l’ouvrage de Julien Wicki, agréable à lire malgré son objet de prime abord peu aguichant, est une bonne contribution à la compréhension de la social-démocratie réellement existante.

Daniel Süri, Solidarités, N° 111, 11 juillet 2007, p. 19