Profession : créatrice. La place des femmes dans le champ artistique

Fidecaro, Agnese, Lachat, Stéphanie,

2007, 232 pages, 21 €, ISBN:978-2-940146-78-9

Profession créatrice: la juxtaposition de ces deux termes n’est pas toujours allée de soi. Les femmes ont par le passé été exclues de la pratique professionnelle d’un certain nombre d’arts ou ont été reléguées aux échelons inférieurs des hiérarchies qui les organisaient. Leur œuvre a été dévalorisée, leur accès aux filières d’apprentissage obstrué. Sur le plan symbolique, le principe créateur a lui-même souvent été représenté comme étant d’essence masculine. Certes le féminin a pu être valorisé dans l’imaginaire de la création, comme c’est le cas avec la figure de la muse. Mais cette valorisation a-t-elle concrètement permis aux femmes de développer leurs talents de manière aussi poussée que leurs collègues masculins?

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Description

Profession créatrice: la juxtaposition de ces deux termes n’est pas toujours allée de soi. Les femmes ont par le passé été exclues de la pratique professionnelle d’un certain nombre d’arts ou ont été reléguées aux échelons inférieurs des hiérarchies qui les organisaient. Leur œuvre a été dévalorisée, leur accès aux filières d’apprentissage obstrué. Sur le plan symbolique, le principe créateur a lui-même souvent été représenté comme étant d’essence masculine. Certes le féminin a pu être valorisé dans l’imaginaire de la création, comme c’est le cas avec la figure de la muse. Mais cette valorisation a-t-elle concrètement permis aux femmes de développer leurs talents de manière aussi poussée que leurs collègues masculins?

L’on ne s’étonne plus aujourd’hui que les femmes fassent profession de création. Leur visibilité plus grande tend cependant à masquer la persistance d’un certain nombre de difficultés. Comment s’affirmer dans des domaines encore largement dominés par des hommes, ou structurés par des rapports dissymétriques de pouvoir entre les sexes? Quelles sont les difficultés et revendications actuelles? Le questionnement sur le genre-c’est-à-dire sur les rapports sociaux de sexe-a-t-il encore un sens pour les créatrices? Comment se situent-elles par rapport à une histoire dont elles sont largement absentes? De manière plus générale, peut-on encore soutenir que la pratique artistique transcende le genre? Est-elle au contraire aussi une négociation du genre? Et la réflexion féministe contribue-t-elle dès lors à transformer notre compréhension de la création?

Telles sont quelques-unes des questions qui ont pu être soulevées au cours du colloque « Profession: créatrice. La place des femmes dans le champ artistique », qui s’est tenu à l’Université de Genève les 18 et 19 juin 2004, et dont les actes sont rassemblés ici. Largement ouvert sur la cité et donc à vocation généraliste, il a permis de confronter les situations qui prévalent dans des arts aussi différents que la peinture et la sculpture, la photographie, le théâtre, la littérature, le cinéma, la danse ou le jazz. Les articles réunis dans cet ouvrage témoignent de la vitalité de la réflexion sur le genre, du caractère ouvert et actuel du savoir qu’elle produit, et de sa capacité à interroger les pratiques des un·e·s et des autres.

Table des matières

  • Introduction: la création comme profession : perspectives historiques et enjeux contemporains de la recherche sur les femmes artistes (Agnese Fidecaro et Stéphanie Lachat)
  • « Elles deviendront des peintres »: femmes artistes et champ social de l’art (Maria Antonietta Trasforini, traduction: François-Régis Lorenzo)
  • Femmes et création littéraire au 19e siècle: ou comment réconcilier des contraires (Valérie Cossy)
  • La femme invisible: les paradoxes de la révélation surréaliste (Dominique Kunz Westerhoff)
  • « À la mémoire de l’héroïne inconnue… »: éthique et esthétique de l’exception chez Claude Cahun (François Leperlier)
  • Jacqueline Audry, cinéaste pionnière (Brigitte Rollet)
  • Conquêtes et enjeux pour les femmes dans un territoire de paradoxes, la danse (Hélène Marquié)
  • Chanteuses de jazz: femmes sans « qualités »? (Marie Buscatto)
  • Écrire pour le théâtre au féminin: l’héritage/l’écart (Sylviane Dupuis)
  • Praxis et plastique, ou la double fiction (Françoise Collin)

Presse

 Dans la revue Travail, genre et sociétés

Ce livre, Actes du colloque de l’Université de Genève (les 18 et 19 juin 2004), rassemble onze contributions de spécialistes d’études artistiques et culturelles, sociologues et artistes qui interrogent les conditions de possibilités pour les femmes d’accéder à la profession de créatrice sur laquelle pesait jusqu’au XXe siècle un interdit symbolique et social très fort. Ce colloque a permis de faire se confronter, tous champs artistiques confondus (peinture, sculpture, photographie, cinéma, danse, jazz…), les situations qui prévalent pour les femmes en croisant approche interdisciplinaire et de genre comme il est précisé dans la brillante introduction de l’ouvrage. Ce parti pris, ouvrant au comparatisme entre les disciplines et les hommes et les femmes, permet de saisir en pratique comment, alors que les représentations associent « création et féminité dans l’imaginaire », la réalité traduit le contraire; la conquête des territoires artistiques demeure, en effet, difficile pour les femmes. L’un des intérêts majeurs de cet ouvrage, et son originalité, consiste à mettre en avant une analyse socio-économique des professions croisées avec les apports de la nouvelle histoire de l’art (Maria-Antonietta Trasforini). Cette combinaison des approches et des points de vue implique, comme le notent les autrices, « une démystification du champ artistique » en parlant de métier, de formation, de carrière, de marché et pas seulement d’œuvre, pour comprendre comment opèrent de manière différenciée, pour les hommes et les femmes, l’accès et le déroulement d’un parcours d’artiste. La dimension féministe de l’ouvrage évite le piège d’une « histoire additionnelle » des femmes traitée comme « appendice » pour « comprendre au contraire, pour transformer, conformément au projet politique féministe, les mécanismes qui ferment les voies de la reconnaissance et de la postérité ». Sont en effet mises en perspectives croisées tant les formes de résistances opposées aux femmes dans les différents secteurs artistiques, que les stratégies déployées par ces actrices de l’histoire de l’art pour faire leur place dans ces espaces. De sorte que cet ouvrage est certes un apport aux sciences sociales mais il rappelle, comme le souligne les responsables de cet ouvrage, que « faire profession de création, c’est alors s’instituer sujet d’une pratique qui se dit libre, dans un acte performatif qui, ne tire sa légitimité que de lui-même » (p.21).

 Delphine Naudier, Travail, genre et sociétés no 25, avril 2011, p.165

 Dans la revue Sociologie du travail

Ce livre est une édition des actes d’un colloque organisé par le département des études de genre de l’université de Genève (facultés des sciences économiques et des lettres) les 18 et 19 juin 2004. Centrant l’attention sur les figures de femmes artistes, les dix contributions retenues dressent un premier panorama, en langue française, des recherches en pleine effervescence autour du genre, du féminisme et de l’art menées en Europe et dans le monde anglo-saxon.
Une série de contributions exhume de l’oubli des figures singulières. François Leperlier retrace l’ambition éthique et esthétique des Écrits autobiographiques de Claude Cahun (1894-1954), « héroïne inconnue »; Valérie Cossy analyse les œuvres d’Élisabeth Barrett Browning et de Georges Eliot, romancières anglaises du XIXe siècle et leur réception; Brigitte Rollet restitue l’histoire semée d’embûches de Jacqueline Audry, réalisatrice, dans les années 1940-1950, de nombreux films d’adaptation littéraire (Colette, la Comtesse de Ségur… ). Ils montrent comment chacune de ces femmes créatrices parvient, à sa manière, à subvertir dans son œuvre les stéréotypes de genre qui postulent l’incompatibilité du génie et de la féminité.
Dominique Kunz Westerhof explore les figures féminines issues de l’imaginaire des surréalistes. Il montre le paradoxe de leur surreprésentation et de leur invisibilité dans l’œuvre des artistes masculins (André Breton et d’autres) et le retournement critique, parodique, dans l’ œuvre des femmes, à l’instar des portraits photographiques de Dora Maar.
Trois autres contributions dessinent des portraits de groupe.
Maria Trasforini, sociologue et historienne de l’art italien, analyse les évolutions de la composition sexuée des artistes plasticiens ayant exposé dans les grands salons parisiens de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe. À partir de comptages précis, elle montre la progression de la présence des femmes (14 à 22%) puis leur retrait. Elle interprète ce dernier (avec d’autres) comme l’expression d’une exclusion de concurrentes par des hommes contrôlant mieux l’accès à la profession et à la reconnaissance. Elle donne l’exemple d’une forte baisse de 1880 à 1881 liée au changement dans le mode d’organisation de l’évènement qui passe de la ville de Paris aux mains des artistes.
Marie Buscatto et Hélène Marquié centrent leur regard sur les figures de femmes de l’art contemporain, qui inventent ou négocient une place dans un monde professionnel qui continue à leur être peu favorable, en dépit de ses valeurs affichées de liberté et de transgression et de la grande visibilité des femmes, telles les chanteuses de jazz observées, durant dix ans, par la première ou les danseuses et chorégraphes contemporaines étudiées par la seconde.
L’ouvrage offre des analyses stimulantes et novatrices des inégalités de carrière dans le champ de l’art et au-delà. Il ne se limite pas à ajouter une page à une histoire ou à une sociologie de l’art mais propose des pistes de compréhension des mécanismes plus généraux qui ferment aux femmes (et à d’autres dominés) les voies de la création, de la reconnaissance, de la postérité mais aussi de ceux qui permettent l’ouverture. Les portraits de pionnières (romancières, cinéastes, chorégraphes) qui émaillent la plupart des contributions alimentent une sociologie des destins improbables, établie autour de l’entrée des femmes dans d’autres métiers masculins (techniciennes, ingénieurs, avocates…). On retrouve des éléments bien identifiés de la transgression tels une éducation dans un milieu intellectuellement ouvert et l’absence d’hommes dans la famille (filles uniques ou n’ayant que des sœurs) ou sur le marché du travail, notamment du fait des guerres. L’histoire de Jacqueline Audry, évoquée par Brigitte Rollet, réunit tous ces ingrédients. Le départ forcé de certains assistants réalisateurs juifs dans les années 1940 lui a sans doute permis d’être la première femme à apprendre le métier de réalisatrice à l’école (elle a été étudiante au Centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJ) de 1940 à 1943) et dans le poste d’assistante de réalisation.
Autre analogie avec les travaux menés sur la féminisation des professions: le rôle central de l’accès à la formation académique et de la « banalisation » du métier. L’ouverture aux jeunes filles des beaux-arts dans la deuxième moitié du XIXe siècle (évoquée par M. Trasforini) ou celle, beaucoup plus tardive, des écoles publiques de cinéma (B. Rollet) combinée à l’extension du marché des biens artistiques permettant aux artistes de faire de leur travail un métier, ont fait affluer les femmes aux portes du métier. Mais cette féminisation relative, là comme ailleurs, n’a pas fait disparaître les obstacles plus invisibles qui limitent leur reconnaissance et leur progression dans la carrière. Certains d’entre eux semblent originaux et assez spécifiques au domaine de l’art. C’est le cas par exemple du travail de mémoire accompli pour les hommes, et beaucoup moins pour les femmes, par les critiques d’art et par des épouses, sœurs ou filles d’artistes.
Une autre piste très suggestive est celle des liens entre le corps, le travail et le genre.
Les stéréotypes et inégalités sexués semblent particulièrement tenaces dans des métiers impliquant directement un travail du corps et sur l’imaginaire des corps. C’est ce que montre bien Hélène Marquié à propos de la danse contemporaine qui peine à échapper à la recomposition des stéréotypes de genre, y compris lorsqu’elle tente de  « neutraliser » les corps: « Ce corps « neutre » » ou androgyne, chez Merce Cunningham par exemple…, correspond au corps masculin et au corps féminin amputé de sa sexuation (pas de sein, cheveux courts…). Le féminin reste donc le sexe à gommer, le masculin pouvant représenter le neutre » (p.157). Marie Buscatto évoque aussi l’ambivalence des rapports de séduction entre les chanteuses de jazz, les instrumentistes (masculins) et le public. Cette séduction, qui peut être source de plaisir et une ressource pour leur carrière (quand leur conjoint est un musicien de jazz), est aussi un piège qui les empêche de se voir reconnues comme de « vraies » professionnelles: leur voix, à la différence de celles des hommes, qui sont aussi le plus souvent instrumentistes, n’est pas un instrument.
Mémoire collective et corps sont des dimensions qui ne jouent pas seulement pour les femmes, le sexe ou le genre. Ce livre offre aux sociologues du travail et des professions une piste innovante de questionnements.
Ce même point de vue de sociologue du travail conduit à émettre, pour conclure, une réserve, un regret. Le fil rouge annoncé dans le titre de l’ouvrage Profession: créatrice n’est pas complètement suivi, en dépit d’une introduction très élaborée des éditrices, Agnese Fidecaro et Stéphanie Lachat. La réflexion ouverte par la sociologie de l’art, par Raymonde Moulin en France, Harrison et Cynthia White ou Howard Becker aux États-Unis autour de l’art comme travail, profession, marché, évoquée dans l’introduction est peu sollicitée par la suite. La plupart des contributions laissent dans l’ombre la division et l’organisation collective du travail artistique, dont la dimension sexuée est tellement forte. La variété des domaines artistiques, des époques traitées et surtout des approches disciplinaires mobilisées (critique littéraire, histoire de l’art, sociologie), rendaient sans doute difficiles une telle ambition. Ce livre donne envie aux sociologues intéressés par l’art, le travail et le genre de la poursuivre.

Catherine Marry, Sociologie du travail no 51, 2009, pp.303-305

 Dans les Cahiers du Genre

Cet ouvrage réunit toutes les recherches (sauf-une) communiquées lors du colloque de l’Université de Genève, qui s’est tenu en juin 2004, sur un aspect particulièrement stratégique de la question des femmes artistes, celui de leur professionnalisation. Agnese Fidecaro et Stéphanie Lachat précisent en effet dans l’introduction que ce choix répond justement à « la démarche des études genre [qui] implique une démystification du champ artistique » parce que « parler de métier, de carrière, de formations à propos de l’art, c’est l’envisager comme un marché, non pas seulement des œuvres, mais aussi du travail, auquel hommes et femmes accèdent selon des critères différenciés ». L’approche féministe offre, dans ce sens, de nouveaux outils d’analyse à l’histoire des arts, non seulement en élargissant l’étude des œuvres à celle de leur contexte de production, mais aussi en les associant. Les différents articles de cet ouvrage en donnent un éventail pertinent, malgré l’inégalité de certains textes, par la pluridisciplinarité et la diversité méthodologique.

Maria Antonietta Trasforini, dans une version plus développée de l’article traduit dans le présent numéro, pose ainsi la nécessité d’aborder le problème de l’absence des femmes dans l’histoire de l’art et dans l’art par le prisme de la notion bourdieusienne de « champ social de l’art […] con[çu] comme un espace social dans lequel interagissent de façon conflictuelle divers acteurs sociaux, porteurs et propriétaires de différents capitaux symboliques et d’intérêts qui leur sont associés ». Cette approche ne peut donc que soumettre l’histoire à une relecture et à une réécriture. Deux méthodologies se sont ainsi imposées et associées: l’addition et la déconstruction. La première, lancée par les travaux de Linda Nochlin et d’Ann Sutherland Harris, vise à suppléer les manques et oublis de l’histoire académique, à formuler une « nouvelle » histoire de l’art par la redécouverte des artistes femmes oubliées. La seconde, illustrée par les travaux de Griselda Pollock et de Rozsika Parker qui, en utilisant des concepts issus d’autres champs disciplinaires tels que la psychanalyse, la sémiotique ou le marxisme, ont pour ambition de « soumettre à une déconstruction minutieuse l’ensemble des discours et des pratiques de l’histoire elle-même» afin de « comprendre la raison profonde de l’oubli dans lequel furent plongées les femmes artistes ». Ce principe méthodologique, celui de penser selon la notion de champ social de l’art, caractérise la direction générale de cet ouvrage avec des approches différentes, certains articles partant d’une approche purement sociologique, d’autres des œuvres et des artistes, toutes cherchant à déconstruire-avec plus ou moins de succès-la catégorisation du féminin dans la création.

Dans cette première perspective, Maria Antonietta Trasforini, en s’appuyant sur les salons de peinture du XIXe siècle, démontre, d’une part, comment la structure du milieu marginalise les femmes artistes qui ont accédé à la profession artistique et, de l’autre, comment le filtre genré de la mémoire les exclut de l’histoire jusqu’aux années 1970, décennie qui permet de leur redonner une visibilité perdue.

Dans un autre domaine, Hélène Marquié retrace une histoire sociale de la danse à partir de l’idée selon laquelle « [s]a catégorisation […] comme féminine n’a […] aucun support biologique ou psychologique universel, [et qu’] elle résulte d’une construction culturelle, dans des contextes historiques et géographiques précis ». Dès lors, du XIXe au XXe siècle, la figure de la ballerine évolue vers celle de la danseuse, en passant ainsi de l’exécution soumise au mythe de l’éternel féminin monté de toute pièce par les hommes, à « l’incarnation de la femme qui danse, pense, parle, écrit, et remet en cause les normes qui assignent aux femmes un corps, une place, un genre ». Toutefois, malgré l’importance de grandes danseuses iconoclastes, « le préjugé selon lequel la danse serait d’essence féminine reste fortement ancré » et l’ensemble de la profession, des pratiques et du discours reste majoritairement dominé par le sexe masculin.

Marie Buscatto, quant à elle, propose une étude sur la hiérarchisation négative des chanteuses de jazz à partir de «la difficile reconnaissance de leurs savoirs professionnels du fait d’une extrême ‘naturalisation’ de savoirs exprimés par et à travers leur corps». Enfermées dans un stéréotype corporel de séduction, les chanteuses travaillent de façon quasi naturelle l’expression scénique dans cette intention. Elles sont ainsi replacées dans l’image de la femme séductrice, l’homme étant ici le public. Le phénomène de dévalorisation par la naturalisation se poursuit avec la voix, corps invisible de la chanteuse: Si elle est le fruit d’un très long apprentissage, les instrumentistes la jugent comme une chose naturelle, déconsidérant son travail et refusant de lui accorder le statut d’instrument, alors que les vocalistes transgressent à cette fin le rôle mélodique qui leur est généralement assigné.

Dans une approche différente, les autres communications placent les œuvres et les artistes comme symptômes du milieu de l’art, dans une perspective historique pour en dégager les rapports sociaux de sexe selon les périodes et les arts (littérature, théâtre, arts plastiques, cinéma). L’œuvre et l’artiste apparaissent ainsi comme une projection de ce « champ social ». Selon cette orientation, Valérie Cossy choisit deux textes d’auteures anglaises du XIX siècle afin « d’illustrer une nécessité de la critique littéraire pratiquée dans une perspective de genre: celle d’historiciser, de définir et redéfinir les rapports sociaux de sexe pour chaque période littéraire donnée, pour chaque genre littéraire […] quand ce n’est pas par rapport à chaque œuvre ». Elle cherche ainsi à montrer, notamment avec le poème épique d’Elizabeth Barrett Browning, Aurora Leigh (1856), comment l’Angleterre victorienne mure les femmes dans la sphère privée, leur interdisant toute aspiration à une quelconque activité publique. Son héroïne décide, au contraire, de vivre sa vocation littéraire et aspire ainsi à l’idéal romantique de l’universalisation de la subjectivité. Dans une perspective additionnelle, Brigitte Rollet met en évidence, à partir du parcours de la cinéaste Jacqueline Audry, comment la construction d’une carrière de femme dans le milieu cinématographique connaît, à travers les époques, les mêmes questions liées au milieu lui-même (accès à la formation, affirmation, oubli) et travaille sa production (sources, signification, manière, thèmes). Première femme pour laquelle on féminise le mot ‘réalisateur’, Jacqueline Audry a détourné une morale dominante en imposant, par exemple, des personnages féminins et des problématiques contraires aux stéréotypes en vigueur ou en s’appropriant le genre du cinéma à costumes. Pour sa part, Sylviane Dupuis croit, non pas à un art de femme, mais à « une construction sociale du masculin et du féminin en permanente évolution/redéfinition et rejaillissant, à chaque époque, sur l’art, sa définition et sa pratique, et d’autre part, [à] une libre créativité à l’œuvre dans l’art et l’écriture qui renvoie chaque créateur à sa subjectivité et à ses inventions propres, en matière de sexualité comme dans tout autre domaine de l’expérience ou de l’imagination ». La dramaturge, en se fondant sur son parcours et son expérience, en vient ainsi à interroger l’écriture théâtrale comme l’un des derniers lieux de la création littéraire à s’être vus appropriés par les femmes. En retraçant l’ histoire de cette conquête, elle justifie ce retard, notamment par la dimension politique-et donc publique-du texte théâtral qui exclut les femmes, valorisées dans l’enfantement et non pas dans le fait de « donner vie à des êtres de fiction porteurs d’un discours sur le monde ou sur l’homme ». La femme ne cesse donc d’être un idéal, comme le démontre Dominique Kuntz Westerhoff. L’auteure opère un retour sur les « textes et […] l’iconographie du mouvement [surréaliste], en montrant en quoi un dispositif s’y élabore autour du concept de ‘la femme visible’, qui détermine une utopie du féminin ». Structure même du mythe fondateur du groupe surréaliste, la révélation féminine se constitue, en réalité et non sans contradiction, sur le mode «d’une nécessaire invisibilité du féminin», image même du désir et de son impossibilité. De cette lecture, l’auteure s’attache ensuite à pointer la masculinité à partir d’œuvres des femmes surréalistes qui dénoncent « ce qui s’est précédemment joué dans le paradigme de l’apparition féminine, soit la mort du féminin dans sa désidentification figurale ».

François Leperlier poursuit cette analyse avec l’exemple de Claude Cahun qui a traversé le mouvement surréaliste. Il s’appuie sur la question de la singularité et de l’exception qui fondent l’œuvre de Claude Cahun, pour interroger la valeur-comprise comme étant posée par la communauté masculine. Il interroge finalement la nature transgressive de la démarche de Cahun qui repose sur l’invention d’un soi-même mythique dont seule l’œuvre rend compte.

Enfin, partant de la dissymétrie profonde entre l’histoire de l’art et la place qui y est laissée aux femmes, Françoise Collin voit dans l’articulation art/féminisme telle qu’elle se joue dans les années 1970, la possibilité d’un rééquilibre. À partir de la notion aristotélicienne de la praxis, elle démontre comment l’art, parce qu’il est travaillé par le féminisme, donne lieu, non pas à la table rase, mais à une « politique de la re-forme »-à l’image de la société-puis à une véritable esthétique. Mais la philosophe termine avec l’idée que, si l’artiste parvient à dépasser une rigidité sociale, voire un interdit, l’œuvre reste soumise à l’autorité du commentaire, qui « contribue tout à la fois à la fiction du ‘genre’ et à sa transgression ».

    Perin Ernel Yavuz, Cahiers du Genre, n°43, 2007