Photo de presse

Usages et pratique

Haver, Gianni,

2009, 278 pages, 23 €, ISBN:978-2-88901-022-6

Consommée au quotidien, la photographie de presse fait partie de notre paysage visuel depuis bien plus d’un siècle. Si elle a été rejointe par d’autres formes de mise en image de la réalité, sa fonction ne s’est pas estompée. La photographie de presse a même gagné en considération: des prix prestigieux lui sont consacrés chaque année et certains de ceux qui étaient autrefois considérés comme de simples artisans jouissent désormais d’une renommée internationale. La plupart des auteurs de cet ouvrage entament leur réflexion à partir de cet objet ultime qu’est le magazine illustré (ou quelquefois la presse quotidienne, désormais illustrée elle aussi). Ils ne se limitent pas à en questionner les qualités formelles et artistiques, mais considèrent en priorité la photographie de presse comme un objet symbolique, socialement inscrit, qui permet de questionner ce qui est montrable et de quelle manière ce qui est montrable est effectivement montré. Cet ouvrage explore également les terrains dans lesquels l’image de presse est réinvestie par d’autres usages, qui la distancient de son usage premier en l’introduisant au musée ou dans une exposition d’art.

Format Imprimé - 29,00 CHF

Description

Consommée au quotidien, la photographie de presse fait partie de notre paysage visuel depuis bien plus d’un siècle. Si elle a été rejointe par d’autres formes de mise en image de la réalité, sa fonction ne s’est pas estompée. La photographie de presse a même gagné en considération: des prix prestigieux lui sont consacrés chaque année et certains de ceux qui étaient autrefois considérés comme de simples artisans jouissent désormais d’une renommée internationale.

La plupart des auteurs de cet ouvrage entament leur réflexion à partir de cet objet ultime qu’est le magazine illustré (ou quelquefois la presse quotidienne, désormais illustrée elle aussi). Ils ne se limitent pas à en questionner les qualités formelles et artistiques, mais considèrent en priorité la photographie de presse comme un objet symbolique, socialement inscrit, qui permet de questionner ce qui est montrable et de quelle manière ce qui est montrable est effectivement montré.

Cet ouvrage explore également les terrains dans lesquels l’image de presse est réinvestie par d’autres usages, qui la distancient de son usage premier en l’introduisant au musée ou dans une exposition d’art.

Table des matières

  • Introduction (Gianni Haver)
  • L’interview photographique d’Eugène Chevreul: une entreprise journalistique avant-gardiste (Thierry Gervais)
  • Pré-voir l’actualité. La notion d’événement redéfinie par la photographie de presse (Sylvain Maresca)
  • La presse illustrée en Suisse, 1893-1945 (Gianni Haver)
  • La poétique de l’événement: réflexions autour de Hans Steiner (1907-1962) (Philippe Kaenel)
  • L’essor de la photographie médicale dans la presse illustrée (Vincent Pidoux, Francesco Panese)
  • Des people dans la peau. Quand les stars deviennent des icônes du tatouage (Valérie Rolle)
  • Quand la présence policière fait événement. Quelques usages visuels de la police dans la presse illustrée (Michaël Meyer)
  • La photographie de presse au service de l’humanitaire : rhétorique compassionnelle et iconographie de la pitié (Valérie Gorin)
  • Arts plastiques et presse people. D’Andy Warhol à Paris Hilton (Marco Costantini)
  • Le photojournalisme, un paradigme formel de la création contemporain (Gaëlle Morel)
  • De la dépêche au musée, quelques enjeux muséographiques (Séverine Pache)
  • Photo de presse et projets urbains. Étude de dispositifs journalistiques de visualisation (May Du)
  • « Tous journalistes ? » Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs (André Gunthert)
  • La photographie de sport dans la presse française : une mise en image contrastée de la Libération à la fin des années 1950 (Michaël Attali, Gilles Montérémal)
  • Photographie d’art, photographie de presse : des vases communicants (Philippe Pache)
  • Considérations sur l’outil du photoreporter (Jean-Marc Yersin)
  • Maîtriser l’image: du clic à la rotative (Jean-Luc Iseli)

Presse

Dans la revueLe Temps des médias

Publié sous la direction de Gianni Haver, professeur de sociologie à l’Université de Lausanne, Photo de presse, usages et pratiques se propose d’apporter une contribution aux études sur la photographie de presse, objet incontournable du paysage visuel et médiatique depuis plus d’un siècle, dont la place dans l’historiographie reste pourtant modeste. Au vu des difficultés à cerner cet objet multiforme et à la croisée des champs d’étude et des disciplines, il se propose de sortir de la seule analyse du photoreportage – et de la mise en valeur exclusive de l’auteur, héritée de l’histoire de l’art – au profit d’une étude plus large qui intègre les processus de diffusion de l’image de presse. « La forme finale, celle qui se matérialise lors de la publication » est donc au cœur de l’analyse, qui s’articule autour des deux notions clés de « support » et « d’auteur ».

L’ambition affichée de l’ouvrage semble très vaste. Elle est mise en œuvre à travers dix-sept contributions extrêmement variées, qui se distinguent tant par le champ disciplinaire auquel se rattachent leurs auteurs (sociologie, histoire, histoire de l’art, journalisme, esthétique, sans négliger trois contributions issues des réflexions de praticiens de la photographie) que par la distance focale de l’approche (panorama diachronique, étude de corpus iconographiques d’ampleur variable). La diversité naît également de la coexistence d’articles – la moitié environ – se fondant sur des exemples directement relatifs à la Suisse, et d’autres s’intéressant à la France ou, dans de rares cas, à d’autres zones géographiques. Enfin, la période chronologique envisagée est vaste, de 1886 à 2008, avec une concentration d’articles portant sur des problématiques contemporaines.

À défaut d’une structuration affichée de l’ouvrage, le lecteur découvre au fil de son parcours la logique de son organisation. Conformément au programme défini en introduction, les premiers articles mettent en valeur le support de la presse illustrée et la place qu’y prend le médium iconographique, depuis la fin du XIXe siècle (Thierry Gervais: « L’interview photographique de Chevreul: une entreprise avant-gardiste ») jusqu’au milieu du XXe (entre autres, Gianni Haver: « La presse illustrée en Suisse, 1913-1945 »). Cinq autres articles interrogent, dans une perspective plus structurale et sur des périodes plus récentes, les contenus iconographiques, en se fondant sur l’analyse approfondie de corpus définis par rapport à un thème. On peut citer l’étude de Valérie Rolle intitulée « Des peoples dans la peau. Quand les stars deviennent des icônes du tatouage », ou celle de Valérie Gorin, « La photographie de presse au service de l’humanitaire: rhétorique compassionnelle et iconographique de la pitié », qui s’attache à étudier la question toujours complexe de la réception.

Les deux articles suivants, signés Gaëlle Morel et Séverine Pache-Alliman, opèrent un glissement vers le « réinvestissement » de l’image de presse hors du contexte pour lequel il a été produit – celui de la page magazine – comme objet d’exposition artistique ou comme collection patrimoniale. Les deux contributions de May Du et André Gunthert se penchent, à travers des exemples récents, sur la place de la photographie de presse dans la pratique de la citoyenneté contemporaine, et abordent, elles aussi, les questions relatives à la réception: par exemple, lorsque – comme ce fut le cas, partiellement, pour les attentats de Londres en 2005 – producteurs et récepteurs de l’image sont les mêmes personnes. L’ouvrage se conclut sur la contribution de trois photographes, Philippe Pache, Jean-Marc Yersin et Jean-Luc Iseli, qui apportent leur point de vue sur des questions relatives au processus de production de la photographie.

L’amplitude du projet, sans définition plus précise de la problématique d’ensemble qui en aurait facilité l’appropriation, rend parfois difficile la perception de l’unité de l’ouvrage par-delà la multiplicité des contributions, et ne laisse guère de place à la synthèse. Toutefois, l’ensemble laisse le sentiment d’un foisonnement qui nourrit la curiosité intellectuelle du lecteur intéressé par ces questions.

Myriam Chermette, Le Temps des médias, 2011/1 (n° 16)

Dans la revue Annales

Le propos de cet ouvrage est ambitieux, en premier lieu à cause du caractère polymorphe et quelque peu équivoque de son objet, la photographie de presse, dont l’acception est plus large que le seul photo-reportage. Un des principaux objectifs de l’ouvrage est d’interroger la notion d’auteur, en mettant en perspective le travail de ce dernier dans une chaîne éditoriale dont il n’est qu’un des acteurs, mais aussi celle de support, indispensable pour appréhender le rôle et l’histoire de la photo de presse depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Les illustrations publiées dans les journaux suisses et français sont les principales sources analysées, mais la réflexion porte également sur les photographies de presse qualifiées de « dénaturées » (p.9), c’est-à-dire transposées sur d’autres supports, en particulier aux cimaises des musées. Les dix-sept contributions relèvent de différentes disciplines comme la sociologie, l’histoire de l’art, l’histoire technique, sociale et culturelle. Le point fort de cet ouvrage est de mettre en parallèle ces disciplines avec des points de vue académiques et non académiques en incluant les témoignages de professionnels engagés dans les processus de création ou de diffusion de la photographie de presse aujourd’hui. L’approche de cet ensemble aurait néanmoins été facilitée s’il avait été structuré autour d’un plan défini et explicite.

L’article de Thierry Gervais, qui ouvre le recueil, analyse une des étapes de l’introduction de la photographie dans la presse illustrée à travers un épisode souvent utilisé par les historiens de la photographie, l’interview photographique du savant Eugène Chevreul en 1886. Sa contribution, minutieusement documentée, prend en compte la démarche des créateurs des images, Nadar père et fils, et les attentes du lectorat. Il démontre que contrairement à l’opinion qui a longtemps prévalu dans l’historiographie, l’adoption de la photographie dans la presse illustrée ne relève pas du modèle de l’invention mais qu’elle a suivi un processus long et complexe, freiné pour des raisons à la fois techniques et culturelles (1).

Si la réflexion autour de l’œuvre de Hans Steiner illustre les avancées réalisées ces dernières années dans la mise en valeur et l’analyse des travaux de photographes suisses, Gianni Haver attire l’attention sur un domaine de recherche encore peu exploré, la presse illustrée helvétique, dont les titres se distinguent pourtant par leur nombre, leur variété et leur inventivité. La presse suisse est un objet de recherche d’autant plus prometteur qu’elle a été traversée par des influences française, allemande, mais aussi britannique. C’est done une source privilégiée pour étudier la dimension internationale de ce phénomène, dimension fondamentale tant au niveau technique que culturel dès le début du XXe siècle (2). On pourrait notamment s’interroger sur les partis pris et les influences choisies par les organes de presse des différentes régions francophones, alémaniques et italophones de Suisse lors des périodes de conflit en Europe. Il est dommage qu’aucune réflexion spécifique ne soit consacrée à la dimension internationale de ce phénomène dans cet ouvrage qui a pourtant, de fait, une dimension et une approche européennes.

Différents thèmes de société traités par la photo de presse font l’objet de plusieurs contributions: photographies médicales, de célébrités, de forces de police, l' »iconographie de la pitié », ou encore la médiatisation des projets urbains. Elles reflètent les façons dont la photographie de presse peut être investie par différents acteurs de la société, et ses impacts potentiels au niveau politique, économique et social.

Les transformations culturelles engendrées par l’introduction de la photo de presse dans le monde de l’art sont abordées à travers les articles de Gaëlle Morel, historienne de l’art et commissaire indépendante, et de Séverine Pache-Allimann, conservatrice au musée suisse de l’Appareil photographique. Elles évoquent l’histoire des relations entre la photographie de presse et la création artistique (apparue dans les années 1920 avec les expérimentations dadaïstes reposant sur le détournement et la récupération de clichés publiés dans les journaux), dont la confrontation tend aujourd’hui à se généraliser, et témoignent des pratiques et enjeux curatoriaux actuels. Des articles rédigés à partir d’entretiens menés avec des photographes et un photographe-rédacteur en chef nous livrent le regard d’autres professionnels engagés dans la création photographique. Leurs témoignages apportent un aperçu des contraintes, tâtonnements, ambitions des photographes travaillant pour la presse, mais aussi l’histoire de leurs gestes et de leurs adaptations face aux outils à disposition depuis la fin du XIXe siècle. La contribution de Jean-Luc Iseli permet de mieux contextualiser le travail du photographe en l’inscrivant dans la chaîne de création d’un journal, notamment dans sa collaboration avec les journalistes et la « face littéraire » de la profession. Il nous livre une réflexion sur le rôle du directeur artistique ou du responsable d’édition, décrit comme un traducteur, un passeur entre le photographe imprégné de l’événement qu’il a vécu sur le mode sensible et les attentes des lecteurs auxquels s’adresse le journal. Sa contribution fait aussi état des bouleversements engendrés par l’essor du numérique. Les doutes qui assaillent les professionnels ces dernières années face à ces bouleversements dans les pratiques éditoriales sont aussi évoqués par André Gunthert qui bat en brèche une idée reçue: une analyse fine de l’introduction de la photographie amateur dans les médias montre que ce phénomène est relativement marginal, même si certains professionnels le perçoivent comme une vive menace.

La plupart des articles du recueil sont documentés par des corpus iconographiques soigneusement choisis qui étayent la réflexion et rendent compte du travail d’analyse à effectuer pour décrypter les discours véhiculés par les photographies publiées dans la presse, en retraçant notamment les différentes phases de leur élaboration. Ils répondent à l’objectif de l’ouvrage qui est de souligner combien ce sujet est vaste et se prête à des approches variées.

Ce livre foisonnant montre en effet un objet complexe, mouvant, en perpétuelle évolution depuis son apparition, en raison des modifications techniques, des interventions et pratiques des acteurs de toute la chaîne de fabrication des documents, des photographes aux directeurs des journaux, et des multiples façons dont les sociétés s’en emparent. On regrette néanmoins que ces réflexions ne soient pas accompagnées d’une bibliographie et d’une historiographie sur le sujet plus développées qui auraient permis de mieux en cerner les enjeux.

Ce recueil donne quelques clefs pour mieux comprendre l’élaboration et la construction d’informations iconographiques diffusées aujourd’hui, lesquelles ont une incidence majeure sur la façon dont les sociétés imaginent et réinventent le monde au quotidien.

Estelle Sohier, revue Annales, no 6-2010,  pp.1513-1515

1 – Ce point est l’un des objets de sa thèse: Thierry Gervais, « L’illustration photographique. Naissance du spectacle de l’information, 18431914 », thèse de doctorat d’histoire, EHESS, 2007.

2 – Comme le montrent par exemple les travaux de Myriam Chermette, « Du New York Times au Journal. Le transfert des pratiques photographiques américaines dans la presse quotidienne française », Le Temps des Médias, 2-11, 2008, pp.98-109.

 

Dans le Monde diplomatique

En plaçant l’acte photographique au début du processus de création de l’image, les auteurs partent du postulat que « la photo de presse se définit principalement par sa forme finale, celle qui se matérialise lors de la publication »; ils offrent un tour d’horizon de ses multiples usages et évolutions. Sous couvert de proposer une reproduction « mécanique » -donc objective- du monde, la photographie tend à naturaliser ce qu’elle donne à voir et à en offrir une interprétation unique, participant ainsi à la construction de l’événement médiatique autant qu’à sa réception. L’une de ses réussites importantes (et des images produites par les médias en général) « est d’introduire dans notre vie quotidienne les standards d’un réalisme auquel on se réfère pour comprendre des situations et des comportements »; dès lors, on perçoit mieux l’impact qu’elle a sur notre perception du monde. Plus que nous le montrer, les clichés le façonnent.

Lucien Lung, Le Monde diplomatique , no 671, février 2010

Dans M-magazine

Un passionnant livre retrace la place qu’a prise, depuis un siècle, la photographie dans la presse illustrée jusqu’à l’arrivée du numérique. Photographes de presse, imprimeurs, typographes ou journalistes, ce recueil d’articles devrait intéresser de nombreux membres de notre syndicat. Il tente par exemple de répondre à cette question: pourquoi, s’il est possible de publier des photogravures en 1886, la presse illustrée attend-elle la fin du siècle pour s’emparer de cette nouveauté?

Yves Sancey, m-magazine , no 1, janvier 2010

Sur Le clin de l’oeil: La voix des professionnels: notes méthodologiques

Audrey Leblanc, Le clin de l’oeil , 20 décembre 2009

« En droit d’en avoir l’image »

Un passionnant livre retrace la place qu’a prise, depuis un siècle, la photographie dans la presse illustrée. Rencontre avec Gianni Haver, coordinateur du projet et professeur de sociologie de l’image à l’Uni de Lausanne.

Où en est le photojournaliste aujourd’hui, cent ans après son entrée dans le monde de la presse?

Un exemple. Lors des attentats de Londres en 2005, la presse anglaise a publié les photos prises par une victime avec son téléphone mobile. Floues, peu lisibles, elles sont surtout chargées de réalité. Aujourd’hui, nous sommes saturés d’images de mauvaise qualité.

On consomme de plus en plus les photographies sur l’écran d’un iPhone ou d’un ordinateur. Qu’est-ce que cela change?

Nous sommes des blasés de l’image! On se dit que les photographes des années 1920 avaient la tâche facile pour surprendre le spectateur. Presque un siècle plus tard, tout a été essayé. C’est dur d’être scotchés par une image dans un magazine. En même temps, on s’est tellement habitués à la banalité que, si l’image est bonne, elle nous captive quand même.

Que pensez-vous de l’usage actuel des photos dans la presse?

Quand un article parle de Nicolas Sarkozy, on publie systématiquement sa photo. C’est une habitude qui occupe de la place dans le journal et qui n’apporte rien… On devrait faire un pas en arrière. Retrouver des images qui marquent par leur exceptionnalité. Parfois, nous sommes plus étonnés en feuilletant un magazine des années 1930 que le dernier Paris Match. Et encore, ce n’est pas le pire. Il y a une césure entre les magazines qui montrent de belles photographies, mais décalées de l’actualité, et la presse quotidienne qui ne juge pas utile d’avoir de très bons clichés. Dans les années 1930, Lire ou Vu raisonnaient à la fois en termes de contenu et d’images.

Ces derniers temps, en Suisse, deux événements font la une de la presse: les otages en Libye et l’affaire Polanski. Or, dans les deux cas, les photos font défaut …

C’est très gênant pour certains médias, comme la télé. Pour elle, pas d’images, pas d’infos! Dans le cas de Polanski, un journal peut toujours prendre une photo d’archive, avec le risque que son contexte original soit détourné. Pour les otages, la presse ira chercher des portraits intimes chez des proches. Mais il manquera quand même la photo de Polanski en menottes ou les otages derrière leurs barreaux… Cela montre que nous nous considérons en droit d’avoir des images de tout! Quoi qu’il se passe, il va de soi d’en avoir des représentations! Ce qui fait que nous sommes moins étonnés de la présence de photos de tout. En ce sens, les attentats du 11 septembre sont une exception dans l’histoire de la photographie.

Peut-on parler de photographie citoyenne, comme on parle de journalisme citoyen?

En préambule, je rappellerai que la photographie est née comme un objet privé, dans les années 1840. Elle ne devient un objet médiatique qu’à la fin du XlXe siècle. Quand Obama fait campagne, il livre à la presse des photos de lui adolescent jouant de la guitare. Ces images, qui n’étaient pas destinées à être publiées, trouvent soudain un sens. Cela dit, si l’on considère que tout le monde possède un appareil photo dans sa poche, le photojournalisme citoyen devient inévitable! Il y aura toujours quelqu’un pour prendre la photo d’un conseiller fédéral en costume de bain sur une plage! C’est une réalité technologique…

La majorité de ces images d’amateurs a une esthétique pauvre, qui contamine la qualité générale des images de presse…

Ce n’est pas nouveau, les paparazzi pratiquent cette esthétique depuis les années 1950. Une « belle » photo arrachée ne fonctionnerait pas, car son sens n’est pas le même. Dans un magazine people, vous ne trouverez pas de belles photos! Dans Closer par exemple, plus la photo dessert le sujet, plus elle permet de contrecarrer l’image contrôlée par la star. L’esthétique de la photo moche s’est développée avec la presse people. Le même genre de transformation visuelle a eu lieu à l’arrivée de la photo instantanée. Après des décennies de photos posées, la photo en mouvement a aussi heurté la sensibilité d’un public formé à la peinture ou au dessin. Aujourd’hui, si un photographe peut faire un gros plan d’une star ou d’un personnage politique avec une expression qui le dessert, les journaux n’hésiteront pas à le publier. 

Christophe Dutoit, La Gruyère , 21 novembre 2009

«Entre l’artisan et l’aventurier»

Quelle était la pratique de la photographie de presse à la fin du XIXe siècle?

A l’époque, la gravure prime encore sur la photographie, qui ne se généralise que dans les dernières années du XIXe siècle. Les photographes ont des appareils lourds et ils utilisent des plaques en verre qui ne permettent qu’une seule prise de vue à la fois. Ils ne devaient pas rater la photo! La pratique la plus courante est celle du portrait. Le moment culminant d’un événement est souvent traité par un dessin, comme un incendie ou un déraillement de train.

Les choses vont se transformer avec l’arrivée d’un matériel plus léger et l’usage du film à plusieurs poses. La Première Guerre mondiale est un tournant. On y retrouve à la fois des photographes au service de l’armée, qui travaillent avec des appareils sur trépied et qui font des photos très officielles. Et d’un autre côté, la pratique photographique sur le front, avec des petits appareils donnés aux Poilus, qui œuvrent dans le vif des combats. Cette double présence va montrer que la photo peut être visuellement moins propre, mais très accrochée à l’exceptionnalité de l’événement.

C’est le début des instantanés …

Oui. Le Vest Pocket Kodak a un viseur primitif, mais son maniement est infiniment plus simple. Surtout, les photographes ne font plus poser les gens, mais prennent les actions là où elles se passent.

Cette époque fait-elle figure d’âge d’or du photojournalisme?

L’entre-deux-guerres voit la naissance d’une série d’hebdomadaires illustrés qui basent leur philosophie non sur la photo comme un accessoire des éléments écrits, mais comme un élément indispensable au reportage. Vu en France ou Life aux Etats-Unis sont des magazines de photos de l’information. Ils envoient sur le terrain des photoreporters renommés et publient leurs travaux, par ailleurs signés. Ces photographes ne cherchent plus l’image qui collera à l’article d’une bonne plume! Mais ils sont partie prenante dans la construction de l’événement. A ce moment-là, le métier acquiert une nouvelle reconnaissance.

Cette époque voit surgir les premiers artistes…

Robert Capa ne se sent pas artiste au moment où il prend des photos de la guerre d’Espagne. Il deviendra artiste le jour où ses photos seront exposées dans les musées et qu’elles auront atteint un statut au-delà de leur simple information. Henri Cartier-Bresson vivra la transformation tout au long de sa carrière. Tous deux se situent entre l’artisan, le journaliste et l’aventurier. D’ailleurs, leurs photos ont été quelque part dénaturées par notre regard actuel, car on est plus attentifs à des éléments formels, secondaires par rapport à leur utilisation à l’époque.

Christophe Dutoit, La Gruyère , 21 novembre 2009 

 Aux origines de la photo médicale de presse

Dès leur création, les magazines illustrés accordent une large place à la médecine. Cette passion accompagnerait les débuts d’une nouvelle obsession, celle du corps et de sa santé. Décodage par deux chercheurs de l’UNIL.

La médecine est photogénique. Aujourd’hui, on ajouterait même télégénique, tant les magazines et séries liés de près ou de loin à la santé ont envahi le petit écran. Le professeur Francesco Panese et le doctorant Vincent Pidoux ont enquêté sur la naissance dans la presse de cette passion visuelle. Leur support? La photographie, le premier média d’image à s’être amouraché des opérations chirurgicales et autres appareils annoncés comme révolutionnaires. Pour comprendre ce phénomène, les spécialistes se sont immergés dans un magazine illustré très populaire en France, le mensuel Réalités (1946-1978). Dans le cadre de l’ouvrage collectif Photo de presse, les deux chercheurs de l’UNIL en études sociales des sciences et de la médecine, viennent de publier le compte rendu de leur travail, axé sur les années 1950-1960. Plongée au cœur de la photographie médicale de presse, porteuse de rêves et d’espoir, mais aussi témoin de la diffusion de la culture médicale auprès d’un public profane.

Comment est né le goût de la presse illustrée pour le monde médical?

Vincent Pidoux: Après la Seconde Guerre mondiale, on investit beaucoup de moyens et de significations dans la médecine. A cette période apparaissent d’importantes innovations diagnostiques et thérapeutiques, notamment en chirurgie. De là naissent d’immenses espoirs.

Francesco Panese: On assiste aussi à la convergence de la biologie et de la médecine. La biomédecine s’affirme en lien avec de grands projets de santé publique, comme le traitement du cancer. Des fonds américains vont alimenter en Europe le développement de la recherche dans ce secteur. Au niveau politique, la santé devient un enjeu majeur, ce que traduit de manière large et optimiste l’Organisation mondiale de la santé, dont la Constitution entre en vigueur en 1948. La presse se fait donc à la fois le symptôme et le relais de toutes ces évolutions.

Selon vous, la photo médicale de presse, de sa naissance à aujourd’hui, représente cependant plus qu’un simple « miroir » du réel. Expliquez.

F.P.: La presse illustrée ne se contente en effet pas de relater ce qui se fait dans le domaine médical. On voit naître dans la revue Réalités ce qu’on appelle le « souci de soi », le souci de son corps et de sa santé, hissant la médecine très haut dans les intérêts des lecteurs. Il s’agit d’un phénomène socioculturel majeur, dont la revue Réalités offre un témoignage de premier ordre, et qui se généralisera jusqu’à nous. Pensez par exemple à Femina ou à Psychologies Magazine

V.P.: Les images produites par les sciences médicales et relayées par la presse illustrée vont également forger des comportements de prévention et donc, un nouveau rapport au corps.

Un exemple?

F.P.: Le cancer. Parler de cette maladie au début du XXe siècle, c’est la signaler comme problème de santé publique, mais aussi encourager sa prévention. Une situation que l’on retrouvera dans le traitement public de thèmes comme le cholestérol, la fumée ou le stress… Ainsi, le boum médiatique des sciences médicales va de pair avec une volonté politique. Tous deux ont favorisé l’émergence d’une lecture sanitaire de la société et la promotion de nouveaux comportements individuels de prévention de la maladie. De plus, cette presse a contribué à façonner la figure du « patient expert » qui, fort de compétences acquises par elle, voudra de plus en plus négocier son traitement, et moins se le voir imposer sans explications par son médecin.

Y a-t-il une corrélation entre les photos médicales à usage scientifique et celles des magazines?

V.P.: Certainement. L’exemple de la radiographie le montre bien. Elle a eu un usage médical fulgurant dès sa découverte en 1895, et en même temps un usage social, médiatique et de divertissement jusqu’aux années 1950, où la toxicité des rayons X devient largement reconnue.

F.P. : L’histoire de la médecine montre que l’image a toujours été au cœur même de sa production de connaissances, des premières planches d’anatomie à l’imagerie contemporaine. De son côté, la presse illustrée, par son développement technique, produit après 1945 des images à moindre coût et à très grand tirage. La pratique très visuelle de la médecine et cette évolution technique ont donc aussi joué un rôle dans ce croisement.

En quoi le cadrage des premières images médicales de magazine rappelle-t-i le travail de l’ethnologue, comme vous le remarquez?

V.P.: Dans notre corpus, des lieux et des pratiques de la médecine sont souvent traités comme des univers exotiques. Comme l’ethnologue, le reporter offre un accès aux blocs opératoires ou à l’intérieur des asiles, mais aussi au quotidien du médecin de campagne, décrit à la manière d’un roman-photo.

F.P.: L’altérité n’est donc ici pas une tribu africaine, mais le monde médical, qui symbolise la modernité même. C’est pour cela que nous parlons d' »anthropologie du contemporain ».

Avec l’exemple de photos de cellules, vous soulignez que les magazines d’hier et d’aujourd’hui montrent parfois des objets scientifiques que personne ne comprend réellement. Quel est leur rôle?

F.P.: Leur fonction est phatique, car ces images indiquent autre chose que ce qu’elles montrent. Elles attirent l’attention du lecteur vers un monde qui lui échappe, un monde complexe, réservé au spécialiste, mais souvent aussi mis en scène comme beau et mystérieux. Ces images sont donc faites pour être vues plutôt que lues par le profane. Elles mettent en branle l’imagination, symbolisent le progrès, la merveille, la peur, l’espoir…

Sandrine Perroud, Uniscope, 549, 30 novembre-31 décembre 2009