Pages d’accueil

Vingt ans de classes d'accueil post-obligatoires dans le canton

Corbaz, Etienne, Durussel, Chris, Raimondi, Emilie, Schaller, Marisa,

2012, 333 pages, 25 €, ISBN:978-2-88901-044-8

Pages d’accueil rend compte des vingt ans d’existence des classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire du canton de Vaud. L’objectif de ces classes est l’accompagnement de jeunes migrants entre leur arrivée en Suisse et la suite de leur parcours de vie, scolaire ou professionnel.
 Les textes des personnes qui travaillent dans cette école – enseignants, psychologues, infirmière, assistante sociale, secrétaire et doyen – sont accompagnés d’articles de personnes extérieures – anthropologue, géographe, juristes, pédopsychiatre, responsables politiques et institutionnels.
 Vision de l’accueil, de l’enseignement et de l’orientation sont ainsi complétées par une mise en perspective sociale, historique et politique de ce travail et de la question de la migration.
 Des récits biographiques, écrits par des élèves qui ont traversé les différentes époques de cette école, jalonnent l’ouvrage et apportent des témoignages essentiels.

Format Imprimé - 31,00 CHF

Description

Pages d’accueil rend compte des vingt ans d’existence des classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire du canton de Vaud. L’objectif de ces classes est l’accompagnement de jeunes migrants entre leur arrivée en Suisse et la suite de leur parcours de vie, scolaire ou professionnel. Les textes des personnes qui travaillent dans cette école – enseignants, psychologues, infirmière, assistante sociale, secrétaire et doyen – sont accompagnés d’articles de personnes extérieures – anthropologue, géographe, juristes, pédopsychiatre, responsables politiques et institutionnels.

Vision de l’accueil, vision de l’enseignement et de l’orien­tation sont ainsi complétées par une mise en perspective sociale, historique et politique de ce travail et de la question de la migration. Des récits biographiques, écrits par des élèves qui ont traversé les différentes époques de cette école, jalonnent l’ouvrage et apportent des témoignages essentiels.

Table des matières

  • Introduction
: Vingt ans de classes d’accueil post-obligatoires
 dans le canton de Vaud (Étienne Corbaz)

1. Un monde en mouvement, des classes à construire 
(sous la direction d’Étienne Corbaz)

  • Sociétés plurielles pour les générations futures  (Ilario Rossi)
  • Une Europe qui se barricade (Claire Rodier)
  • Immigration et intégration en Suisse : une success-story avec quelques bémols (Étienne Piguet)
  • Du droit d’asile à la gestion de stock humain (Christophe Tafelmacher)
  • Sans-papiers et droit à la formation (Caroline Regamey)
  • L’intégration des jeunes de langue maternelle albanaise
 dans le canton de Vaud (Christophe Blanchet)
  • Guerres en ex-Yougoslavie et classes d’accueil (Bernard Courvoisier)
  • Précarité et accueil, frères-ennemis? (Jean-Claude Métraux)
  • Les CASPO : une histoire qui continue (Gérard Dyens)

2. Une pédagogie de l’accueil, questionnements et état des lieux 
(sous la direction de Christian Rehm)

  • Vers une didactique pour les classes d’acccueil (Christian Rehm)
  • Apprendre le risque pour risquer d’apprendre (Chris Durussel)
  • Identité et apprentissage : la classe d’accueil, lieu protégé (Marisa Schaller)
  • Le plurilinguisme : point de départ ou ligne d’arrivée de l’enseignement? (Laurent Gajo)
  • La langue incarnée, une expérience corporelle  (Émillie Raimondi)
  • Pédagogie interculturelle : ni frères, ni sœurs, ni étranges étrangers, mais tous cousins! (Jacques Depallens)
  • L’éducation physique et sportive comme facteur d’intégration à une nouvelle culture (Emmanuelle Ohl)
  • Dépasser les barrières linguistiques pour accéder au langage du raisonnement (Edlira Zazani)
  • Madame Couture (Brigitte Nicoulaz)  
Un exemple d’activité en arts visuels : autoportrait et identité (Irène Dacunha)

3. Réseau et insertion dans le tissu social
 (sous la direction de Jeanne Marion-Veyron)

  • Vingt ans d’accueil, deux heures de secrétariat (Romaine Vianin)
  • Accompagner l’insertion professionnelle de jeunes migrants : spécificité dans le travail de psychologue en orientation (Federico Durante et Sylvie Favre)
  • Un réseau santé/social pour les classes d’accueil ? (Jeanne Marion-Veyron)
  • Pour un travail en interdisciplinarité dans la rencontre interculturelle (Katharina Guggisberg)
  • L’élève migrant comme acteur de son propre cheminement (Catherine Menzi Cachin)
  • Besoins spécifiques des jeunes allophones dans la formation post-obligatoire (René-Luc Thévoz)

Récits d’élèves sous la direction de Marisol Diz

  • Anvar Hadzikadunic
  • César Lima Ribeiro
  • Diane Nahimana
  • Ergin Zjajo
  • Feven Afeworki
  • Hüsnü Yilmaz
  • Mazyar Yosef
  • Mirsada
  • Nilukshi Ratnarajah
  • Shqipe
  • Vahé Sardaryan
  • Vanessa Cardoso
  • Visar Qusaj

Presse

Des élèves du monde, une école à Lausanne

« Nous sommes arrivés en Suisse par hasard, c’était la destination du camion qui nous transportait. Je savais juste que c’était un petit pays qui fabrique des montres. Mon premier souvenir en sortant du camion est une belle odeur de fleurs et un paysage de montagnes. »

« Mon papa est mort pendant la guerre au Sri-Lanka. Ma maman a choisi de venir en Suisse, car c’est un pays de paix. J’ai découvert la Suisse grâce à un livre que m’a donné l’ambassadeur, un pays très froid. Dès mon arrivée, j’ai oublié la guerre mais je suis tombée malade à cause du climat. »

« Le premier jour de cours, j’ai dû effectuer des tests d’évaluation de niveau. Cela ne s’est pas très bien passé car une des seules choses auxquelles j’ai pu répondre était mes données personnelles : nom, prénom… »

« On a appris à se présenter en français et à dire quelques mots. En fin de matinée, on est rentrés à la maison avec l’impression de faire partie d’une équipe qui partait à la découverte d’un nouveau pays et d’une nouvelle langue, tous ensemble! »

Ces quatre citations sont tirées de l’ouvrage Pages d’accueil et proviennent de récits d’élèves ayant fréquenté les classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire du canton de Vaud, en Suisse. Ces classes, basées à Lausanne, reçoivent des adolescents âgés de seize à vingt ans, provenant du monde entier. L’objectif est d’accompagner leur arrivée en Suisse, notamment par l’apprentissage du français et le renforcement d’autres branches scolaires, en parallèle de la préparation à la suite de leur parcours de vie, scolaire et professionnel.

Les professionnels travaillant dans cette école ont choisi d’en célébrer les vingt ans d’existence par l’élaboration d’un livre, témoignage et transmission de la spécificité de leur expérience de travail avec de jeunes migrants. L’ouvrage est structuré en trois parties distinctes, composées de vingt-six articles en tout. Une première partie est consacrée, par des contributions de spécialistes extérieurs à la structure, à définir le contexte général de la migration en Suisse (mondialisation, politique migratoire européenne et suisse, droit d’asile, problématique des sans-papiers notamment), dont la compréhension est indissociable à un travail adéquat avec cette population. Des questions de pédagogie composent la deuxième partie. L’approche interculturelle dans le travail sur la santé et l’insertion professionnelle est discutée dans la troisième.

Des récits d’élèves, tels que nous en avons cité quelques extraits ci-dessus, ponctuent l’ouvrage. Ils rappelent à la fois la complexité, voire la dureté, de leurs parcours, mais témoignent également de leurs aspirations importantes.

Une pédagogie spécifique

« Au début, on avait l’impression d’être sur une autre planète, on ne comprenait rien, on essayait seulement de lire les expressions sur les visages, on observait et on entendait une drôle de langue tout à fait inconnue… »

« J’avais le sentiment d’être arrachée à mon pays natal, l’Érythrée, et à mes proches. Lorsque les cours ont débuté, j’ai commencé à me sentir mieux car, en voyant d’autres élèves dans la même situation que moi, ça m’a réconfortée. »

« Nous avons monté avec le Théâtre Sévelin 36 un spectacle de danse. Nous avons travaillé la rencontre de l’autre, sans parler, mais en s’exprimant avec le corps. Extraordinaire! »

L’enseignement à de jeunes migrants nécessite une approche pédagogique spécifique. La première spécificité, évidente mais importante à relever, vient de la définition même des classes d’accueil qui ne regroupent que des élèves allophones. Les articles de Marisa Schaller et de Chris Durussel, enseignants de français et de mathématiques, relèvent que la classe devient alors un lieu protégé, propice à l’apprentissage sans jugement, au sein duquel l’erreur est possible. La confiance ainsi acquise peut être transférée dans les expériences à venir.

La question de l’apprentissage du français est centrale pour ces élèves. Ils bénéficient d’un enseignement spécifique à cette matière mais également de cours en français dans d’autres branches (mathématiques, connaissance de la Suisse, arts visuels, activités créatrices sur textiles, travaux manuels, musique, sport). Christian Rehm, enseignant de français et chargé d’enseignement à la Haute École Pédagogique de Lausanne, théorise par ce double apport la didactique de l’apprentissage du français dans ces classes. Une contribution supplémentaire sur ce thème se trouve dans l’article de Laurent Gajo, linguiste et directeur de l’École de langue et de civilisation françaises de l’Université de Genève, qui aborde l’apport du plurilinguisme dans l’apprentissage d’une nouvelle langue.

L’ouvrage se poursuit sur le témoignage d’enseignantes d’arts visuels, d’activités créatrices sur textiles, de mathématiques et de sport quant à leur expérience pédagogique avec les élèves des classes d’accueil, ce qui permet d’envisager chaque didactique sous l’angle de l’interculturalité. Émilie Raimondi, enseignante de français, complète ce panel de pratiques scolaires en relatant une expérience originale d’apprentissage de la communication en français par la création d’un spectacle en collaboration avec une troupe de Community Dance. Nous en avons lu un témoignage dans les extraits cités ci-dessus.

D’un monde en mouvement à un nouveau pays, terre d’accueil ou de précarisation?

« C’était la première fois que je rencontrais des personnes d’autres continents. L’Africain que j’avais vu à la télévision était devenu un bon camarade de classe. Une partie de moi devenait kosovare, une autre tamoule, portugaise, kényane… »

« Les premiers jours, j’essayais d’imaginer la vie dans une langue et dans un pays étrangers. Je ne savais pas à quoi ressemblaient les Suisses, ces étrangers que je devais découvrir. »

« Dans le jargon, on nous appelait les MNA, les requérants d’asile mineurs non accompagnés. Comme eux, je suis venu seul et, comme la plupart, j’ai été livré à une solitude insupportable et parfois à un désœuvrement pouvant déboucher sur toutes les dérives. »

« J’ai été débouté. Avec ma famille, nous sommes censés quitter la Suisse. Un élan de solidarité s’est mobilisé autour de nous, aussi bien au gymnase1, à l’OPTI2, que parmi tous les amis que nous avons rencontrés en Suisse. L’issue est encore incertaine. »

L’entrée dans le XXle siècle marque une importante croissance des flux migratoires, conséquence notamment de la mondialisation des marchés économiques. Ilario Rossi, anthropologue à l’Université de Lausanne, propose une analyse de ce phénomène, qui s’illustre très concrètement par une augmentation élevée, ces dernières années, des demandes d’inscription dans les classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire vaudoise.

Une des principales causes de cette augmentation vient de la migration européenne, notamment de pays en situation d’instabilité économique comme le Portugal ou l’Espagne. Claire Rodier, juriste française et militante pour le droit des migrants, détaille la mise en place de la politique migratoire européenne liée à la construction de l’Union, de l’ouverture qu’elle accorde à la libre circulation de ses membres, à la fermeture et à la dureté qu’elle impose aux autres.

Les trois articles suivants se rapprochent de la Suisse pour en détailler les politiques en lien avec les migrants. Étienne Piguet, professeur de géographie des mobilités à l’Université de Neuchâtel, analyse de manière critique le succès de l’intégration des étrangers en Suisse, l’associant étroitement avec une insertion par le travail. Le démantèlement du droit d’asile est dénoncé par Christophe Tafelmacher, avocat et militant dans la défense des réfugiés et des immigrés. L’exposé porte sur le durcissement des lois suisses, en réaction notamment à la politique migratoire européenne, et le passage de droits humanitaires à une « gestion de stock humain ». La contribution de Caroline Regamey, sociologue et chargée de politique et recherche sociales au Centre social protestant Vaud, présente la problématique des sans-papiers et les incohérences actuelles, quant à leurs droits, suivant la formation qu’ils souhaitent intégrer (en école ou en entreprise).

Selon les paroles d’élèves citées en tête de paragraphe, on perçoit l’important espoir qui accompagne leurs parcours dans la découverte d’un nouveau pays et de nouvelles cultures. On ressent également la violence de la confrontation à des lois parfois peu clémentes en matière d’autorisation de séjour, ainsi que la réalité d’une précarité administrative entravant une mobilité en constante augmentation. La connaissance des contextes socio-politiques migratoires est donc indispensable pour pouvoir accompagner ces élèves dans les réalités qu’ils côtoient.

Accompagner les élèves

« Je n’allais pas aussi bien que je le souhaitais. Je n’avais pas vraiment d’amis. J’étais stressée, nerveuse, je perdais mes cheveux. Je me sentais seule et triste. En plus, j’ai pris des kilos, une catastrophe de plus dans ma vie! »

« J’imagine mon avenir en Suisse, près de ma famille. Je ne veux pas retourner au Sri-Lanka, je veux vivre dans la paix, avoir un travail, trouver un mari et avoir des enfants. »

« Actuellement, je suis en possession d’un CFC3 de dessinateur en génie civil et je travaille toujours dans le même bureau en tant qu’employé qualifié. »

Au regard des situations complexes et difficiles que peuvent connaître les élèves, l’apport d’une équipe pluridisciplinaire, en soutien au corps enseignant, est clairement essentielle dans une perspective de santé publique et d’autonomisation sociale. Les élèves des classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire vaudoise bénéficient donc de l’accompagnement d’une psychologue scolaire, d’une infimlière et d’une assistante sociale, ainsi que de psychologues conseillers en orientation professionnelle. 

L’approche de ces intervenants, détaillée dans plusieurs articles, converge vers un travail en réseaux interdisciplinaires autour des élèves et de leurs familles, en collaboration avec les communautés (par le biais d’interprètes médiateurs culturels notamment), les enseignants, les futurs employeurs et les professionnels extérieurs, tels que médecins, éducateurs, service de protection de la jeunesse ou de tutelle par exemple.

Federico Durante et Sylvie Favre, psychologues conseillers en orientation, détaillent dans leur contribution les spécificités de leur accompagnement. En présentant plusieurs vignettes cliniques, ils définissent trois idées-clés relatives à l’aide à l’insertion professionnelle de jeunes migrants, non seulement en construction identitaire entre l’adolescence et l’âge adulte mais également entre leur pays d’origine et la Suisse.

Tout d’abord, considérer les élèves dans leurs contextes de vie (familial ou communautaire) et en identifier les attentes est essentiel. En effet, la notion de libre choix individuel provient d’une vision occidentalisée du parcours de vie. Dans la plupart des autres cultures, les décisions se prennent de manière concertée avec les membres de l’entourage, voire directement par ceux-ci pour des jeunes. Ne pas prendre en considération ces éléments risque de mettre en échec l’aide à la construction d’un projet professionnel.

Ensuite, il est important de s’intéresser aux motifs de la migration des élèves et de leur famille. En effet, toute migration est porteuse d’un projet, de changement dans un parcours de vie. C’est avec ces éléments, parfois motivants, parfois décourageants, parfois irréalistes, que les élèves vont aborder leur insertion professionnelle en Suisse. Les aider dans cette réflexion pour parvenir à quelque chose de réalisable, en gardant un lien avec leur histoire, leur permettra de se projeter dans l’avenir.

Finalement, il faut être attentif à ne pas interpréter les comportements ou les prises de position des élèves, mais plutôt à chercher leurs significations. Une interprétation se fait au travers de son propre système de références, de valeurs et de croyances. Nous ne sommes pas neutres dans la compréhension de l’autre. En cherchant ces significations, cela permet de ne pas tomber dans le piège de l’interprétation erronée, du malentendu, du biais de communication entre cultures et par là même de poursuivre l’échange avec la personne en cherchant à comprendre ce qu’elle veut réellement exprimer, sans jugement.

D’autres articles complètent encore la richesse de cet ouvrage, mais il était difficile de tous les mentionner dans ce compte-rendu. L’ensemble des contributions de ce livre en fait une belle oeuvre de référence sur la migration en général, et plus spécifiquement sur la prise en charge scolaire de jeunes migrants en vue de leur insertion sociale et professionnelle, grâce à une approche pluridisciplinaire, à une vision kaléidoscopique de la problématique et à une abondance d’horizons différents.


Federico Durante, L’orientation scolaire et professionnelle, vol. 42, N° 4, 2013, pp. 535-539

1. Équivalent du lycée français dans le canton de Vaud.
2. Organisme pour le perfectionnement scolaire, la transition et l’insertion professionnelle, dont dépendent les classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire du canton de Vaud.
3. Certificat fédéral de capacités, diplôme secondaire de formation professionnelle suisse.
 


Accueil des jeunes migrant·e·s étranger·ères·s dans l’école vaudoise: vingt ans de classes d’accueil et quel avenir?

J’ai le souvenir, lors de la visite d’une des premières classes, d’accueil en 1990-1991, d’un lieu privilégié où de jeunes migrant·e·s, en majorité demandeur·euse·s d’asile, étaient reçu·e·s avec humanité et un grand respect des conditions difficiles dans lesquelles ils/elles vivaient leur exil. Le mot d’ordre de l’époque était de permettre à ces jeunes d' »atterrir » dans ce pays, d’accepter tant que faire se pouvait cet exil forcé, et d’entrer dans une autre phase de reconstruction dans ce lieu privilégié. J’avais été enthousiasmée par ce qui y était entrepris: on y considérait ces jeunes dans l’entier de la problématique vécue: les difficultés dans le pays d’origine, l’arrachement à un pays, une culture, une famille… La réception froide et administrative des employés du Service de la population, la solitude pour les mineurs non accompagnés, la révolte contre les parents responsables (pour elles et eux) de cet exil, et enfin l’arrivée dans cet étrange lieu d’accueil scolaire où la mission semblait d’apprendre, au milieu d’autres migrant·e·s aussi perdu·e·s qu’elles et eux. Pas de ghetto cependant: les jeunes se mêlaient aux autres élèves du collège, en tant qu’élèves à part entière, élèves auxquel·le·s il s’agissait d’apprendre à la fois les règles de l’école et des rudiments de français, de calcul, de connaissance du pays d’accueil.

Vingt ans plus tard, à fin 2012, j’ai à nouveau rendu visite au doyen actuel des classes d’accueil vaudoises, Etienne Corbaz, et ai également retrouvé avec bonheur Bernard Courvoisier, le fondateur des classes d’accueil, le doyen de la première heure. Nous nous sommes entretenus des classes d’accueil actuelles, des problèmes et des perspectives d’avenir. C’est grâce à leurs réponses à tous deux, à divers documents officiels et surtout au livre Pages d’accueil que j’ai pu écrire ces lignes.

Ces jeunes, qui sont-ils/elles?

145 jeunes fréquentent actuellement les classes d’accueil de l’OPTI. Agés de seize à vingt ans, ils/elles ne maîtrisent pas suffisamment le français pour suivre un apprentissage, une école professionnelle ou de maturité.

La première classe d’accueil du canton a vu le jour en 1988 à Lausanne, sur le modèle genevois. On assistait alors à un afflux d’immigrés portugais et yougoslaves, certains bénéficiant d’une bonne formation scolaire mais freinés par le barrage de la langue. Or l’économie était en plein boom et avait besoin de main-d’œuvre qualifiée. Une demande qui a joué un rôle important dans la création de ces classes.

Pourtant, les élèves qui occupent ces bancs ne sont pas forcément ceux/celles auxquel·le·s on s’attendait au départ. Lorsque les classes d’accueil sont officiellement crées, en 1992, la crise économique est là, et les nouveaux·elles arrivant·e·s sont plutôt issu·e·s de milieux défavorisés.

A cela s’ajoute l’embrasement de la guerre en Bosnie, puis au Kosovo. Les jeunes qui arrivent sont traumatisés, parfois bloqués dans des situations « d’apprentissage impossible », relate Etienne Corbaz. « C’était très difficile, en premier lieu pour les élèves, ensuite pour les enseignants. Il a fallu d’abord bricoler par nos propres moyens, alors qu’aujourd’hui nous pouvons faire appel à des psychologues, des infirmières et des assistants sociaux. »

Pourquoi les classes d’accueil?

C’est que l’accueil des migrant·e·s n’est jamais allé de soi, même si certains tendent à le croire ou à le faire croire. Comme le dit Etienne Corbaz: « Je crois beaucoup à l’idée d’un premier lieu d’accueil en Suisse. Dans nos classes, on apprend, et en même temps on réfléchit à l’identité, au rapport avec le pays d’accueil et avec le pays d’origine. Les parcours sont très divers: un élève porteur d’un baccalauréat de Buenos Aires peut se retrouver avec un Sierra Léonais qui n’est jamais allé à l’école, avec un enfant de sans-papiers travaillant dans l’hôtellerie, et même parfois avec un fils de cadre de multinationale qui a des difficultés scolaires. Je défends notre objectif, qui est de permettre à ces jeunes de s’intégrer, c’est-à-dire de se retrouver eux-mêmes, socialement et professionnellement, dans leur pays d’accueil. » Et ceci, qui est fondamental: « Je m’inscris en faux contre l’idée pédagogique qui voudrait à tout prix les assimiler dans des classes ordinaires. La prétendue « immersion » devient bien souvent une « submersion ». Par manque de suivi et d’accompagnement, ces élèves risquent de se retrouver automatiquement dans la filière la moins exigeante. Alors que les classes d’accueil leur permettent de se préparer au niveau qui correspond à leurs compétences et à leur potentiel. »

L’officialité et la classe d’accueil

Selon le site internet de l’Etat de Vaud, « Une année de scolarité est offerte à des jeunes gens et jeunes filles arrivés récemment en Suisse et dont les connaissances du français ne sont pas suffisantes pour commencer une formation professionnelle, s’insérer directement dans le monde du travail ou, exceptionnellement, poursuivre des études. Il s’agit d’une année scolaire pendant laquelle les élèves étudient le français, les mathématiques ainsi que d’autres branches utiles à leur orientation et à la connaissance du pays dans lequel ils vivent (connaissances de la Suisse, dessin, dessin technique, travaux manuels (TM), activités créatrices textiles (ACT), sport). L’objectif des classes d’accueil est également d’aider les élèves à construire un projet (travail, école ou formation). »

On le voit, la littérature officielle ne mentionne pas les traumatismes vécus par les jeunes migrant·e·s venu·e·s en Suisse, traumatismes auxquels il conviendrait de répondre par un environnement et une pédagogie adéquates.

Il y est question avant toute autre chose de l’antienne largement rebattue sur tous les fronts de la politique migratoire: « La connaissance du français est prépondérante ». De bonnes connaissances du français oral et écrit sont en effet devenues la condition sine qua non, le sésame obligé du début de la véritable acceptation de l’étranger par notre pays, ses habitant·e·s et ses autorités… Et pourtant on le sait bien, c’est d’autres compétences qui sont recherchées par les patrons engageant des travailleur·euse·s non qualifié·e·s…

La position éclairante des autorités politiques

Aujourd’hui encore, la Suisse ne respecte que peu ses engagements internationaux. En effet, la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, bien qu’elle ait été signée et ratifiée par la Suisse, n’est que partiellement appliquée dans notre pays. Cela explique pourquoi les classes d’accueil n’ont pas suscité d’enthousiasme, ni au début ni maintenant. A l’heure où les positions xénophobes et le rejet des migrant·e·s et surtout des demandeur·euse·s d’asile gagnent quasiment tous les partis, une certaine crainte se fait jour dans les propos du doyen des classes d’accueil: « On assiste à un grignotage: beaucoup de classes d’accueil ferment. Pourtant, nous croulons sous les demandes, notamment sous l’effet de la croissance démographique et des accords de libre circulation avec l’Union européenne. Jusqu’à l’année passée, nous avons pu répondre à toutes les demandes, mais aujourd’hui, je suis en souci pour l’avenir. »

Il y a de quoi être en souci

La ministre Anne-Catherine Lyon répondait ainsi aux questions d’un journaliste lors de la sortie de Pages d’ accueil:

Par certains chapitres, notamment sur la politique d’asile du canton, ce livre est militant. Est-ce opportun?

ACL: Il peut en effet, surtout par ses témoignages, montrer l’utilité de ces classes à ceux qui sont sceptiques, même si, dans l’ensemble, elles sont bien accueillies au niveau politique. Le canton et sa population sont ouverts et familiers de la multiculturalité, qui fait partie de tout le paysage scolaire, de l’enfantine au post-obligatoire.

Ce système doit faire face à l’explosion démographique. En a-t-il les moyens?

ACL: Le système de formation a toujours été bien soutenu financièrement par les autorités et il est accoutumé à cette réalité fluctuante. Par exemple, en 2011, une classe de français intensif s’est ouverte au gymnase, qui regroupait ceux qui en avaient le niveau. Peut-être y en aura-t-il deux en 2013…

Et quelle réponse immédiate pouvez-vous donner aux huitante jeunes1 qui restent sur le carreau?

ACL: Que l’école est obligatoire jusqu’à 15 ans. Le reste est à bien plaire. Et que ce n’est donc pas la responsabilité première de l’Etat.

Et pourtant, voici ce que dit la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant, ratifiée par la Suisse le 26 mars 1997: elle garantit le droit à la formation pour « tout être humain de moins de 18 ans ». Son article 28 prévoit notamment que:

• Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, et en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances:
• Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous.
• Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant générales que professionnelles, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant…
• Ils assurent à tous l’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés…

Et comme en écho, voici ce que disent trois des anciens élèves de classes d’accueil (dans le livre Pages d’accueil):

Kayanza, Lausanne (extrait):

« Pour moi la classe d’accueil m’a ouvert beaucoup de portes et m’a montré le chemin à suivre pour ma vie en Suisse. Les gens que j’ai rencontrés pendant l’année scolaire m’ont soutenue pendant les moments les plus difficiles de mes démarches pour rester en Suisse et obtenir, enfin, mon permis de séjour après sept ans. Ils m’ont à leur tour présenté d’autres personnes. C’est ma famille de cœur d’ici maintenant, qui m’aide, m’apporte le soutien moral et l’amour de tous les jours. »

Ergin Zjajo (extraits):

« La guerre est arrivée dans ma ville de Bosnie-Herzégovine en mai 1992. Ce jour restera gravé dans ma mémoire à jamais. Mon monde d’adolescent, si parfait et si innocent, s’est écroulé en quelques minutes, laissant une blessure si profonde que j’en porterai la cicatrice jusqu’à la fin de mes jours. (…) Un mois plus tard j’ai demandé l’asile en Suisse. Après une semaine au centre d’enregistrement de Genève, je me suis retrouvé au centre de Vennes, à Lausanne. Seul. J’avais peur de tout le monde. Je ne faisais confiance à personne. (…) Les classes d’accueil nous ont permis d’apprendre le français, certes, mais elles ont été plus qu’une classe d’école ordinaire. Les élèves étaient si différents de par leur culture, leur nationalité, leur langue maternelle, les habitudes, le niveau scolaire, le comportement, la notion du respect, de l’amitié, de l’école. Dans un contexte si mosaïque, je me suis lié d’amitié avec les assistantes sociales, les professeurs, les élèves et les autres réfugiés. La sympathie et la compréhension des professeurs en ont marqué plus d’un. Ils nous ont donné le sentiment d’être quelqu’un. (… ) Ils étaient plus que nos professeurs et ont joué par moments le rôle de nos parents. Ensemble nous avons rigolé pour oublier. »

J’ai gardé pour la fin quelques passages du témoignage d’Hüsnü:

« Mes premiers pas, je les ai faits en classe d’accueil. (…) J’étais heureux d’être entouré par ces enseignants expérimentés qui travaillaient chaque année avec des élèves de différents pays. J’aimais leur curiosité intellectuelle, leur intérêt pour nos parcours de vie, nos cultures, notre manière de penser. (…) L’Africain que j’avais vu à la télévision était devenu un bon camarade de classe. (…) J’apprenais chaque jour quelque chose sur l’Europe, les guerres aux Balkans, sur les Tamouls, sur l’Afrique et sur l’Amérique latine. » Mais à la fin de son témoignage, des années plus tard, Hüsnü s’interroge: « En quatorze ans, je suis terrifié de voir à quel point le pays que j’ai connu ou cru connaître durant mon année en classe d’accueil s’est transformé. (…) « Avec le temps, la Suisse s’illustre trop souvent à mes yeux par son exclusion sociale, par la montée galopante de l’extrême-droite et du racisme. (…) Si je pense à cette Suisse d’aujourd’hui, c’est le désespoir pour l’avenir de ce pays qui envahit mon cœur. »

Puissent ces témoignages vous convaincre et convaincre nos autorités de l’absolue nécessité des classes d’accueil. Puissent-ils aussi vous convaincre et convaincre nos édiles de l’absolue nécessité de réviser de fond en comble nos politiques d’asile et de migration, non pas uniquement dans un objectif sécuritaire et restrictif, mais dans un esprit d’ouverture et de respect d’autrui.

1 Aux dernières nouvelles (24Heures du 25.02.2013), ils sont 102.

Marianne Waeber, sos asile, bulletin 106, 1er trimestre 2013

L’accueil postscolaire vaudois conte ses 20 ans

Un livre retrace, et illustre par des témoignages, l’histoire des classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire vaudoise, créées en 1990 à Lausanne

Shqipe, Michele, Padmakala, Has­san… Autant de prénoms qui fleu­rissent les Pages d’accueil, un livre dont l’idée est née en 2010 à l’occa­sion des 20 ans des classes d’accueil de la scolarité post-obligatoire vaudoise. Une structure destinée à aider les jeunes étrangers arrivés en Suisse après l’âge de 16 ans.

Sorti fin septembre sous l’im­pulsion d’enseignants, le recueil donne la parole à ceux qui ont créé ces classes, qui y travaillent ou qui y ont étudié. Ces derniers y racontent l’exil, le déracinement ou la guerre. Et la sérénité qu’ils ont re­trouvée grâce à cette année d’école qui vise à leur apprendre la langue, mais aussi à trouver des repères dans ce pays étranger.

Le livre invite également des spécialistes à se prononcer sur la migration. En toute franchise, ils disent la difficulté de l’intégration, de regroupements familiaux en 1990, à qui il fallait « juste » appren­dre la langue, les élèves sont deve­nus des jeunes avec un « parcours collectivement traumatisant », pour la plupart des Bosniaques fuyant la Yougoslavie en guerre.

« On a commencé en amateurs; en professionnels de l’enseigne­ment mais sur un terrain qu’on ne connaissait pas », raconte-t-il. Et d’évoquer leur professionnalisation et la création d’un réseau (as­sistant social, psy, infirmier), pour répondre à une demande crois­sante et toujours plus complexe.

De deux classes en 1990, on est passé à 145 élèves. Auxquels il faut ajouter huitante dossiers « en souf­france ». « Jusqu’en 2011, on a pu répondre à toutes les demandes, témoigne Etienne Corbaz, doyen. Mais avec la libre-circulation et l’augmentation démographique, la rentrée 2013 est déjà complète. » Un constat qui inquiète le doyen. « Si ce premier passage ne se fait pas, cela risque de péjorer l’intégration sociale et professionnelle de ces jeunes. Alors que l’on sait qu’on peut la réussir si on s’en donne les moyens. »

Cécile Collet, 24Heures, 28 novembre 2012

Interview d’Anne-Catherine Lyon

« Le canton de Vaud est familier de la multiculturalité »

Vous signez la préface de Pages d’accueil. Quelle lecture en avez­ vous faite?

Déjà, je dis chapeau! Marquer un anniversaire par un livre était une bonne idée, encore fallait-il la concrétiser. Ce recueil, par ses témoignages pas censurés, donne un éclairage concret sur la réalité de ces jeunes, sur l’importance d’un lieu d’ancrage pour ceux qui sont déracinés. Et permet à ceux qui ont instauré ce dispositif en 1990 d’en vérifier la pertinence.

Par certains chapitres, notamment sur la politique d’asile du canton, ce livre est militant. Est-ce opportun?

Il peut en effet, surtout par ses témoignages, montrer l’utilité de ces classes à ceux qui sont sceptiques, même si, dans l’ensemble, elles sont bien accueillies au niveau politique. Le canton et sa population sont ouverts et familiers de la multiculturalité, qui fait partie de tout le paysage scolaire, de l’enfantine au post-obligatoire.

Ce système doit faire face à l’explosion démographique. En a-t-il les moyens?

Le système de formation a toujours été bien soutenu financièrement par les autorités et il est accoutumé à cette réalité fluctuante. Par exemple, en 2011, une classe de français intensif s’est ouverte au gymnase, qui regroupait ceux qui en avaient le niveau. Peut-être y en aura-t-il deux en 2013…

Et quelle réponse immédiate pouvez-vous donner aux huitante jeunes qui restent sur le carreau?

Que l’école est obligatoire jusqu’à 15 ans. Le reste est à bien plaire. Et que ce n’est donc pas la responsabilité première de l’Etat.

Propos recueillis par Cécile Collet, 24Heures, 28 novembre 2012

« Nous croulons sous les demandes »

Les enfants de la crise économique affluent sur les bancs d’école. Etienne Corbaz, doyen et coauteur d’un livre sur les classes d’accueil, revient sur l’histoire de cette structure scolaire pas comme les autres.

Comment accueillir et former de jeunes adultes vivant un déracinement? Depuis 1992, les classes d’accueil de l’OPTI (Organisme pour le perfectionnement scolaire, la transition et l’insertion professionnelle) tentent de répondre à ce défi auprès de migrants âgés de seize à vingt ans. Pages d’accueil retrace les vingt ans d’histoire de cette structure dans le canton de Vaud, en donnant notamment la parole à d’anciens élèves. Entretien avec Etienne Corbaz, doyen des classes d’accueil et coauteur du livre.

Vos élèves doivent à la fois se familiariser avec le pays d’accueil et avec des camarades de provenances très diverses. Comment le vivent-ils?

Etienne Corbaz: Je crois beaucoup à l’idée d’un premier lieu d’accueil en Suisse. Dans nos classes, on apprend, et en même temps on réfléchit à l’identité, au rapport avec le pays d’accueil et avec le pays d’origine. Les parcours sont très divers: un élève porteur d’un baccalauréat de Buenos Aires peut se retrouver avec un Sierra-Léonais qui n’est jamais allé à l’école, avec un enfant de sans-papiers travaillant dans l’hôtellerie, et même parfois avec un fils de cadre de multinationale qui a des difficultés scolaires. Il arrive que cela crée des conflits, mais c’est rare.

Vous reproche-t-on parfois de placer les élèves étrangers dans une sorte de ghetto?

Oui. On m’a traité de tous les noms, en m’accusant de faire la politique de Berlusconi ou de l’UDC. Mais je défends notre objectif, qui est de permettre à ces jeunes de s’intégrer, c’est-à-dire de se retrouver eux-mêmes, socialement et professionnellement, dans leur pays d’accueil. Je m’inscris en faux contre l’idée pédagogique qui voudrait à tout prix les assimiler dans des classes ordinaires. La prétendue « immersion » devient bien souvent une « submersion ». Par manque de suivi et d’accompagnement, ces élèves risquent de se retrouver automatiquement dans la filière la moins exigeante. Alors que les classes d’accueil leur permettent de se préparer au niveau qui correspond à leurs compétences et à leur potentiel.

Le canton de Vaud projette-t-il de fermer les classes d’accueil pour transférer les élèves dans des classes ordinaires?

Non, pas à ma connaissance. Mais on assiste à un grignotage: beaucoup de classes d’accueil ferment. Pourtant, nous croulons sous les demandes, notamment sous l’effet de la croissance démographique et des accords de libre circulation avec l’Union européenne. Jusqu’à l’année passée, nous avons pu répondre à toutes les demandes, mais aujourd’hui, je suis en souci pour l’avenir.

Vous avez beaucoup d’élèves européens?

Ils constituent deux tiers de nos effectifs. Ce sont avant tout des Portugais et des Espagnols. Nous sommes face à une migration nouvelle, provoquée par la crise économique européenne. Alors qu’auparavant, les hommes venaient souvent seuls, les familles arrivent ensemble, ce qui a un fort impact sur le système scolaire. Elles sont étranglées de dettes par le système bancaire, après avoir pris des prêts pour monter un petit négoce ou acheter une maison.

D’autres jeunes n’ont pas de statut légal et risquent à tout moment d’être expulsés…

C’est vrai, nous avons aussi des élèves dans des situations précaires, soit que l’asile leur a été refusé, soit qu’ils vivent clandestinement en Suisse, soit qu’ils n’ont pas obtenu le regroupement familial. La loi sur les étrangers de 2006 a été une catastrophe pour nos élèves, car elle rend extrêmement difficile le regroupement familial des enfants entre douze et dix-huit ans.

Comment faites-vous pour gérer cette contradiction avec l’objectif d’intégration?

Je reçois toutes les familles qui s’intéressent à nos classes et je leur explique que les élèves peuvent être mis dans une situation schizophrénique. Un service de l’Etat fait parfois tout pour rendre leur situation impossible, alors que dans le bureau d’à côté, on leur demande chaque matin comment ils vont et on les prépare à construire l’avenir.

En 2009, l’expulsion vers l’Italie d’Abdirashid, un Somalien mineur fréquentant vos classes, avait fait grand bruit. Y a-t-il eu d’autres épisodes du genre?

Depuis Abdirashid, il n’y a plus eu d’expulsion en cours d’année. Cela arrive parfois ultérieurement. Un de mes élèves de l’année passée, qui est au gymnase, craint quotidiennement d’être enfermé à la prison de Frambois. Quant à Abdirashid, il habite maintenant à Vincenza et a trouvé un petit job.

Propos recueillis par Michaël Rodriguez, Le Courrier, 24 novembre 2012

A l’origine, la pénurie de main-d’œuvre…

Cent quarante-cinq jeunes fréquentent actuellement les classes d’accueil de l’OPTI. Agés de seize à vingt ans, ils ne maîtrisent pas suffisamment le français pour suivre un apprentissage, une école professionnelle ou de maturité. La formation, qui dure une année à plein-temps, fait la part belle à l’apprentissage de la langue mais inclut aussi des cours de mathématiques, de « connaissance de la Suisse », d’activités créatrices et de sport.

La première classe d’accueil du canton a vu le jour en 1988 à Lausanne, sur le modèle genevois. On assistait alors à un afflux d’immigrés portugais et yougoslaves, certains bénéficiant d’une bonne formation scolaire mais freinés par le barrage de la langue. Or l’économie était en plein boom et avait besoin de main-d’œuvre qualifiée. Une demande qui a joué un rôle important dans la création de ces classes.

Pourtant, les élèves qui occupent ces bancs ne sont pas forcément ceux auxquels on s’attendait au départ. Lorsque les classes d’accueil sont officiellement crées, en 1992, la crise économique est là, et les nouveaux arrivants sont plutôt issus de milieux défavorisés.

A cela s’ajoute l’embrasement de la guerre en Bosnie, puis au Kosovo. Les jeunes qui arrivent sont traumatisés, parfois bloqués dans des situations « d’apprentissage impossible », relate Etienne Corbaz. « C’était très difficile, en premier lieu pour les élèves, ensuite pour les enseignants. Il a fallu d’abord bricoler par nos propres moyens, alors qu’aujourd’hui nous pouvons faire appel à des psychologues, des infirmières et des assistants sociaux. »

Michaël Rodriguez, Le Courrier, 24 novembre 2012

Emission Babylone, 11 octobre 2012, de la Radio Télévision Suisse: Un monde en mouvement, des classes à construire