Nouvelles Questions Féministes Vol. 30, No 1

 La production d'enfants

Messant, Françoise, Modak, Marianne, Praz Anne-Françoise,

2011, 144 pages, 21 €, ISBN:978-2-88901-052-3

La réflexion critique sur la maternité et, plus généralement, sur la production d’enfant a été désinvestie ces dernières années. Ce nouveau numéro de Nouvelles Questions Féministes aborde ces thématiques complexes qui ainsi ressassées, appellent selon nous de nouvelles problématisations de la part des féministes, en regard des contextes familiaux et professionnels actuels. Notre société continue de considérer la question de la production d’enfants, et finalement de son propre devenir, comme relevant centralement de la sphère privée et dépendant des rapports de pouvoir intra-familiaux encore largement défavorables aux femmes.

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Description

Il y a une certaine ambivalence, voire de la méfiance, chez les féministes radicales face à la question des enfants, et ceci pour de bonnes raisons: d’une part, la production d’enfants est l’obstacle principal à l’égalité entre les sexes; d’autre part, la maternité a été historiquement construite comme étant incompatible avec la participation à la sphère publique, renvoyant ainsi les femmes au privé. Par ailleurs, tant les positions essentialiste que celles du sens commun, font de la maternité leur argument massue, à la fois preuve de l’existence d’une différence biologique entre les femmes et les hommes à l’avantage des premières, et justification du maintien de leur situation spécifique complémentaire dans l’ordre hétérosexuel existant.

Cette méfiance légitime des féministes radicales a eu pour conséquence un relatif désengagement de la réflexion critique sur la maternité et, plus généralement, sur la production d’enfant, laissant ainsi le champ libre à des débats peu pertinents. Relevons la vulgate psy sur la prétendue crise d’identité des femmes déchirées entre désir d’enfant et aspirations professionnelles; le sempiternel discours de la « conciliation  travail – famille » qui incomberait aux seules femmes; des considérations quasi-réactionnaires sur le pouvoir abusif des femmes, capables d’infliger ou de refuser une paternité aux hommes, de monopoliser le pouvoir sur les enfants en cas de divorce, qui sont autant de manières d’occulter le travail fourni par les femmes dans cette fonction maternelle et les limites très concrètes que celle-ci impose à leur autonomie. On pense aussi au soi-disant irrépressible désir d’enfants chez ces dernières, que les différentes méthodes de procréation assistée et autres adoptions se chargeraient de combler.

Ces thèmes ressassés appellent selon nous de nouvelles problématisations de la part des féministes, en regard des contextes familiaux et professionnels actuels. A titre d’exemple, la revendication du « choix » d’avoir ou non des enfants pourrait être réactualisée. Alors que le féminisme des années 1970, avec le slogan « un enfant si je veux quand je veux », a mis fin à l’idée de la maternité comme destin, ce message reçoit une réception mitigée. Si le contrôle de la fécondité est un droit acquis – quoique la vigilance à ce propos soit de mise – l’identité féminine semble toujours et encore dépendre de la maternité, alors que l’identité masculine reste, elle, indépendante du statut paternel. Or, les conditions de réalisation du projet d’enfant sont toujours plus difficiles à réunir; on n’évoquera pas ici la question récurrente du « partage » des tâches entre les sexes, mais surtout le fait que notre société continue de considérer la question de la production d’enfants, et finalement de son propre devenir, comme relevant centralement de la sphère privée et dépendant des rapports de pouvoir intra-familiaux encore largement défavorables aux femmes.

Table des matières

Edito

  • « Produire des enfants » aujourd’hui: un défi pour l’analyse féministe (Anne-Françoise Praz, Marianne Modak, Françoise Messant)

Grand angle

  • Les maternités dites tardives en France: enjeu de santé publique ou dissidence sociale? (Laure Moguérou, Nathalie Bajos, Michèle Ferrand, Henri Leridon)

  • N’est pas mère qui veut. 
Le paradoxe de l’adoption internationale (Fenneke Reysoo, Pien Bos)

  • L’injonction à l’homoparentalité, cache-sexe de l’éros lesbien (Hélène Joly)

  • Du désir de procréer: des cultures plus naturalistes que la Nature? (Priscille Touraille)

Champ libre

  • Maternité et rapports intergénérationnels en Suisse: un essai d’économie féministe (Mascha Madörin)

  • À la mémoire de Michèle Causse, une grande figure du lesbianisme politique (Françoise Armengaud)

Parcours

  • Entretien avec Karine Clerc, travailleuse sociale de proximité (Marianne Modak, Françoise Messant)

 Comptes rendus

  • Florence Degavre, Martine Chaponnière, Mélanie Jouitteau, Bérengère Marques-Pereira, Françoise Messant-Laurent, Christine Delphy

 Collectifs

  • Feministische Arbeitshefte zur Politik -  »Olympe » 
Cahier féministe politique suisse alémanique

Presse

Dans la revue Reiso

Les pressions économiques et sociales sont si bien rôdées qu’elles parviennent à culpabiliser et à discriminer les femmes avec ou sans enfants, avec ou sans travail salarié, avec ou sans conjoint, hérérosexuelles ou lesbiennes. Des exemples éloquents dans ce livre.

Premier exemple des pressions insidieuses exercées sur les femmes : le discours alarmiste du Haut Conseil de la famille sur les maternités tardives en France. L’organisme public s’inquiète de la récente augmentation des grossesses tardives. Mais les démographes et sociologues Laure Moguérou, Nathalie Bajos, Michèle Ferrand et Henri Leridon démontrent que, en prenant des proportions plutôt que des chiffres absolus, la hausse n’est ni ample ni récente. Elle s’explique en grande partie par l’entrée des femmes sur le marché du travail et par l’arrivée – il y a plus de quarante ans – de la pilule contraceptive.

Le Haut Conseil s’alarme aussi devant l’émergence d’un nouveau problème de santé publique. Le hic? Les démographes montrent que les risques sanitaires des maternités tardives sont connus depuis longtemps et que les progrès médicaux les ont fortement réduit. Tant et si bien que les médecins qui étudient pourquoi des complications surviennent lors d’une grossesse ont établi que l’âge de la mère était un critère moins déterminant que la pénibilité ou non de son emploi!

Où sont passés les pères tardifs?

Ces exemples d’injonctions publiques sont donc scientifiquement infondées. D’autres injonctions sont manipulatrices. Ainsi, le discours officiel préconise d’informer les femmes sur les risques d’infertilité liés à l’avancée en âge. Or l' »horloge biologique » est une formule si souvent utilisée que l’on se demande bien pourquoi il faudrait encore insister sur cette notion. La réponse des auteur-trices de l’article: parce que les autorités politiques veulent conjurer le spectre de la dénatalité. Le fait de responsabiliser les femmes sur cet enjeu démographique réussit souvent et efficacement à les culpabiliser si elles tardent à enfanter.

Les discours publics ne disent pas un mot sur une information pourtant intéressante, soulignée par la revue Nouvelles Questions Féministes (NQF): les risques de malformations du fœtus et de handicap à la naissance augmentent autant avec l’âge du père qu’avec celui de la mère. Or les pères tardifs sont plus nombreux que les mères tardives… Pas non plus de mise en garde officielle sur le rôle de l’hérédité paternelle dans l’autisme ou certains troubles neurologiques.

Les injonctions à avoir des enfants sans attendre sont adressées aux femmes. Et elles sont généreusement relayées par les médias et les éditeurs de livres de développement personnel: la maternité n’y est-elle pas souvent présentée comme « la » source d’épanouissement féminin et de réalisation de soi? Mais où sont les pères dans cette littérature?

Le droit détourné pour les parents riches

Et où sont les mères biologiques dans l’adoption internationale? Fenneke Reysoo et Pien Bos, anthropologues, ont rencontré les mères indiennes forcées d’abandonner leur bébé. Les témoignages recueillis dans les organisations de « bienfaisance » du Tamil Nadu montrent les pressions que subissent ces mères en détresse. Accueillies avec beaucoup d’égard et de gentillesse, elles sont d’emblée considérées comme consentantes à se séparer de leur enfant et poussées à le faire sans envisager d’autre choix et sans prendre en compte la douleur de cet acte. Si elles sont mariées sans l’approbation des parents, elles seront présentées comme célibataires pour qu’il n’y ait aucun problème avec les contrôleurs internationaux! La Convention de la Haye de 1993 affirme le « droit de l’enfant à une famille ». Mais il faut reconnaître que le droit des couples riches du Nord à avoir un enfant l’emporte largement sur les droits élémentaires des femmes du Sud.

Les maternités tardives, le marché international de l’adoption et les autres thèmes traités par la revue semblent à première vue disparates. Il n’en est rien. Tous les articles ont en effet choisi un même angle: analyser les conditions de production des enfants et les « conseils » délivrés aux femmes pour qu’elles enfantent. Dans ce livre, les formules « production d’enfant », « élevage », « parentage » peuvent choquer. Mais elles sont utilisées avec la rigueur scientifique exigée pour souligner les inégalités et les rapports de force économiques si souvent passés sous silence. Car notre société est habituée à considérer l’enfant comme le pur produit du désir et de l’amour. Une vision attendrissante de la réalité. Mais une vision trop souvent débordante de conservatisme.

Marylou Rey, Reiso, 25 mars 2011