Nouvelles Questions Féministes Vol. 27, No 1 

A qui appartiennent nos corps? Féminisme et luttes intersexes

Gosselin, Lucie, Guillot, Vincent, Kraus, Cynthia, Perrin, Céline, Rey, Séverine,

2008, 168 pages, 13 €, ISBN:978-2-88901-007-3

Qu’est-ce que l’intersexualité et comment les personnes intersexes sont-elles traitées en Occident? Entre les années 50 et 90, lorsqu’un·e enfant naissait intersexe, c’est-à-dire avec des organes génitaux définis médicalement comme « ambigus » (le terme impliquant que le sexe est flou et non qu’il s’agit d’une simple variation anatomique), l’état d’urgence était déclaré. La santé de l’enfant nouveau-né·e n’étant presque jamais en danger, l’urgence était moins médicale que sociale, celle de déterminer le plus rapidement possible le « vrai » sexe de l’enfant: était-ce un garçon ou une fille? Depuis une dizaine d’années, le temps de réaction s’est rallongé, mais l’impératif culturel de déterminer une fois pour toutes de quel sexe est l’enfant demeure et l’équipe médicale ne parle toujours pas d’intersexualité aux parents.

Format Imprimé - 17,00 CHF

Description

Qu’est-ce que l’intersexualité et comment les personnes intersexes sont-elles traitées en Occident? Entre les années 50 et 90, lorsqu’un·e enfant naissait intersexe, c’est-à-dire avec des organes génitaux définis médicalement comme « ambigus » (le terme impliquant que le sexe est flou et non qu’il s’agit d’une simple variation anatomique), l’état d’urgence était déclaré. La santé de l’enfant nouveau-né·e n’étant presque jamais en danger, l’urgence était moins médicale que sociale, celle de déterminer le plus rapidement possible le « vrai » sexe de l’enfant: était-ce un garçon ou une fille? Depuis une dizaine d’années, le temps de réaction s’est rallongé, mais l’impératif culturel de déterminer une fois pour toutes de quel sexe est l’enfant demeure et l’équipe médicale ne parle toujours pas d’intersexualité aux parents.

Sommaire

Edito

  • Démédicaliser les corps, politiser les identités: convergences des luttes féministes et intersexes (Cynthia Kraus, Céline Perrin, Séverine Rey, Lucie Gosselin et Vincent Guillot)

Grand angle 

  • Lettre à Herculine Barbin suivie du Fils du vent, extraits choisis (Arthur Cocteau)

  • Nous sommes des merveilles (Camille Lamarre)

  • L’enfant de la Lune (Ollie)

  • Intersexes: ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions (Vincent Guillot)

  • La réinvention de la sexualité chez les intersexes (Loïc Jacquet)

  • Reconstituer son « histoire ». Une approche anthropologique des parcours de vie des personnes « intersexuées » (résumé) (Antoine Bal)

  • Le personnage intersexué: voie de renouvellement de l’imaginaire des sexes/genres? (Isabelle Boisclair)

Champ libre 

  • Les enjeux d’une bicatégorisation par « sexe » dans le champ sportif: l’exemple du test de féminité (Anaïs Bohuon)

  • Inégalités racistes et sexistes dans l’accès à l’emploi en France (Ariane Pailhé)

  • Leçon de thèse de Léo Thiers-Vidal, Lyon le 26 octobre 2007. « Adieu Léo »  (Léo Thiers-Vidal)

Parcours

  • Un ange passe: entretien avec Julien (Vinciane Constantin, Katia Darioly, Marianne Jossen, Viviane Morey, Joëlle Rochat)

 Comptes rendus

  • Emergence de la parole intersexe francophone, de la Conférence internationale de Montréal sur les droits humains LGBT aux Premières universités d’été des intersexes et intergenres d’Europe (Lucie Gosselin)

  • Françoise Armengaud, « Je veux dire à Tullio le tout venant de la clarté » (Ghaïss Jasser)

  • Efi Avdela, Le genre entre classe et nation. Essai d’historiographie grecque (Séverine Rey )

  • Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici,  Femmes artistes, artistes femmes (Françoise Armengaud)

Collectifs

  • Emergence et activités de l’Organisation internationale des intersexué·e·s (Vincent Guillot)

  • Manifeste trans’: Notre corps nous appartient (Jihan Ferjani et Lalla Kowska)

Presse

«Les médecins ont décidé que je serai une fille»

Dans notre société, la norme ne prévoit que deux possibilités: être un homme ou être une femme. Pourtant, comme Daniela, près de 4% des enfants naissent avec des organes génitaux qui ne sont pas clairement définis. Et, comme elle, nombre d’entre eux ont été, et sont encore, opérés sans leur consentement pour en faire de « vraies » filles ou de « vrais » garçons.

« On a fait de moi une fille. Et moi, j’ai essayé de jouer ce rôle qu’on m’avait attribué de force. » Daniela Truffer est née avec des chromosomes masculins et des caractéristiques sexuelles à la fois féminines et masculines. « Ce sont les médecins qui ont choisi mon sexe », raconte-t-elle. En enlevant, à coup d’opérations chirurgicales, les signes apparents de sa masculinité. D’abord les testicules, quelques mois après sa naissance, puis un micropénis, à l’âge de 7 ans.

Le plus étonnant, c’est que cette Valaisanne qui vit à Zurich est loin d’être un cas isolé. Elle a confié son histoire la semaine dernière dans le cadre d’un débat sur l’intersexualité organisé à l’Université de Lausanne par la revue Nouvelles Questions Féministes.

Les personnes dites « intersexes », nées avec des organes génitaux « ambigus » (lire l’encadré), représenteraient entre 1,7 et 4% de la population. Pourtant dans notre société où la norme ne prévoit que deux possibilités, être un homme ou être une femme, on n’en parle jamais.

L’intersexualité est un tel tabou qu’elle a été réduite pendant longtemps presque exclusivement à une pathologie, une malformation. A partir des années 50, les interventions chirurgicales se systématisent. Dans les hôpitaux, les médecins considèrent qu’il faut « corriger » ce que la nature n’a pas achevé et faire rapidement de ces enfants de « vraies » filles ou de « vrais » garçons. Quitte à choisir un sexe plutôt qu’un autre, à leur insu et de façon irréversible.

« Mes parents n’ont pas été informés de la castration. Les médecins leur ont menti. Ils leur ont raconté que j’avais des ovaires sous-développés, mais que j’étais une fille! », révèle Daniela, qui se bat aujourd’hui pour qu’on laisse le choix à chacun de suivre sa voie: « Ces opérations chirurgicales faites sans consentement sont contraires aux droits de l’homme. C’est une cruauté physique et psychique comparable à de la torture. »

Des mutilations

Imposées, ces interventions sont perçues comme des mutilations par beaucoup de ceux qui les ont subies. Leurs conséquences physiques et psychiques sont souvent douloureuses. Il y a les cicatrices visibles, pénibles et parfois esthétiquement insatisfaisantes. Mais aussi les séquelles invisibles de cette identification sexuelle forcée.

« J’ai beaucoup souffert psychologiquement, confie Daniela. Petite déjà, je me suis renfermée sur moi-même pour supporter la peur et le fait d’être seule, de ne pas savoir. Physiquement aussi, j’ai eu mal. J’ai refoulé beaucoup de choses, comme l’opération, que j’ai effacée de ma mémoire. C’était trop dur. »

Daniela est passée par une psychanalyse: « Ma libération s’est faite petit à petit. A 35 ans, j’ai commencé à faire des recherches sur Internet et j’ai découvert l’existence d’associations. Ça m’a beaucoup aidé. » Aujourd’hui présidente de l’ association Intersexuelle Menschen e.V., Daniela a décidé de briser le silence et de militer pour le respect des personnes intersexes. Pour qu’on n’opère plus systématiquement les enfants et qu’on leur laisse la possibilité de choisir, plus tard. « Si j’avais pu décider moi-même, ça aurait été complètement différent. Et si j’avais été informée des conséquences, je n’aurais probablement pas choisi la castration, car aujourd’hui je suis obligée de prendre des hormones de substitutions qui ne sont pas bonnes pour mon corps. »

Un témoignage rare et courageux: « Peu de personnes intersexes osent se montrer. L’une des pires choses que les médecins nous ont faites, c’est d’avoir semé au plus profond de nous la peur et la honte de notre propre corps. »

Ce n’est que récemment que les personnes intersexes ont commencé à défendre ouvertement leur cause. Entamée aux Etats-Unis au milieu des années 90, la mobilisation s’est étendue. Mais même si elle a permis une prise de conscience dans certains hôpitaux, comme au CHUV, nombre d’établissements opèrent toujours la plupart des enfants, les condamnant souvent à vivre dans la honte et le secret, seuls face à leurs interrogations.

« Encore aujourd’hui, la plupart des médecins, des psychologues n’ont pratiquement aucune formation là-dessus et n’y connaissent rien », regrette Daniela, qui se fiche qu’on essaie de la mettre dans une catégorie: « Ça m’est égal. Je ne suis pas une femme, je ne suis pas un homme. »

Des organes sexuels ambigus

L’intersexualité peut être définie comme une ambiguïté des caractéristiques sexuelles. Parfois cette ambiguïté est visible, lorsqu’un enfant naît avec des organes génitaux caractérisés par des éléments à la fois masculins et féminins. Par exemple, le nouveau-né possède des testicules et un appareil génital féminisé; un vagin partiellement développé, ainsi qu’un micropénis ou un macroclitoris. Mais les cas varient énormément. Parfois, l’ambiguïté n’est pas immédiatement visible. C’est le cas notamment des personnes atteintes du syndrome de Klinefelter, qui possèdent une apparence masculine, mais un chromosome X supplémentaire (donc XXY). Les différences des caractéristiques sexuelles apparaissent alors à l’adolescence, mais le diagnostic est souvent posé plus tard, lorsque ces personnes, stériles, réalisent qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants.

Une Allemande poursuit son chirurgien

La lutte des personnes intersexes s’est également engagée sur le plan légal. Christiane V., une Allemande de 48 ans, a porté plainte contre le chirurgien qui l’avait opéré à l’âge de 18 ans et lui avait enlevé ses organes sexuels féminins, utérus et ovaires, pourtant intacts. A sa naissance, les médecins avaient considéré que son clitoris, hors norme, était un pénis. En février dernier, le tribunal de première instance de Cologne a jugé que l’opération constituait un acte chirurgical illégal! Le médecin a recouru contre cette décision.

Geneviève Comby, Le Matin Dimanche, 17 mai 2008