Nouvelles Questions Féministes Vol. 23, No 3

Famille-travail: une perspective radicale

Bachmann, Laurence, Golay, Dominique, Messant, Françoise, Modak, Marianne, Palazzo, Clothilde, Rosende, Magdalena,

2004, 160 pages, 13 €, ISBN:2-940146-45-4

Concilier famille et travail est un thème à la mode. Les politicien·ne·s et les employeurs y vont de leur couplet: il faut impérativement prendre des mesures pour permettre aux gens d’harmoniser vie professionnelle et vie privée. En réalité, on sait que les femmes et les mères notamment, paient le prix fort dans cette course d’un univers à l’autre et nous pressentons que les dispositions envisagées (qui au reste se matérialisent rarement, pensons par exemple à l’harmonisation des horaires scolaires ou à l’augmentation du nombre des crèches) visent avant tout à leur permettre de continuer à jouer leur rôle, remis au goût du jour. Autrement dit, tout change pour que rien ne bouge. C’est ce sentiment qui nous a motivées à consacrer un numéro de NQF sur la relation entre famille et travail et les autrices qui nous ont répondu ouvrent de nouvelles perspectives de réflexion et d’action. 

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Description

Concilier famille et travail est un thème à la mode. Les politicien·ne·s et les employeurs y vont de leur couplet: il faut impérativement prendre des mesures pour permettre aux gens d’harmoniser vie professionnelle et vie privée. En réalité, on sait que les femmes et les mères notamment, paient le prix fort dans cette course d’un univers à l’autre et nous pressentons que les dispositions envisagées (qui au reste se matérialisent rarement, pensons par exemple à l’harmonisation des horaires scolaires ou à l’augmentation du nombre des crèches) visent avant tout à leur permettre de continuer à jouer leur rôle, remis au goût du jour. Autrement dit, tout change pour que rien ne bouge. C’est ce sentiment qui nous a motivées à consacrer un numéro de NQF sur la relation entre famille et travail et les autrices qui nous ont répondu ouvrent de nouvelles perspectives de réflexion et d’action. 

Sommaire

 Edito

  • Famille-travail: une perspective radicale? (Laurence Bachmann, Dominique Golay, Françoise Messant, Marianne Modak, Clotilde Palazzo et Magdalena Rosende)

 Grand angle

  • La haine et l’amour, la boîte noire du féminisme? Une critique de l’éthique du dévouement (Pascale Molinier)

  • Entre famille et métier: le travail du care (Geneviève Cresson, Nicole Gadrey)

  • Concilier l’inconciliable? Le rapport des femmes à la notion de « conciliation travail-famille » dans les professions libérales en France (Nathalie Lapeyre, Nicky Le Feuvre)

  • Le nouvel or du monde. Entretien de l’autrice, réalisé et traduit par Laurence Bachmann (Arlie Russell Hochschild)

 Champ libre 

  • La garde partagée des enfants: nouvelles solidarités parentales ou renouveau patriarcal? (Denyse Côté)

 Parcours

  • De la servitude contemporaine: témoignage d’une femme sans-papiers (Magdalena Rosende)

 Comptes rendus

  • Betty Goguikian Ratcliff, Le développement de l’identité sexuée. Du lien familial au lien social (Dominique Golay)

  • Yannick Le Quentrec et Annie Rieu, Femmes: Engagements publics et vie privée (Véronique Bourquin)

  • Madeleine Hersent et Claude Zaidman (éds), Genre, travail et migrations en Europe (Jules Falquet)

  • Sister Outsider d’Audre Lorde: la poésie et la colère (Céline Perrin)

  • Equinoxe: Le genre de la voix (Lorena Parini)

  • Anne et Marine Rambach, La culture gaie et lesbienne (Françoise Armengaud)

  • Geneviève Poujol, Un féminisme sous tutelle. Les protestantes françaises (Elisabeth Bäschlin)

 Collectifs

  • Effe, espace femmes formation emploi…chemin faisant (Marie-Thé Sautebin-Pousse)

Presse

Le foyer et le travail n’ont pas de sexe

Le dernier numéro des Nouvelles Questions Féministes attaque de front la question du travail et de la famille. Où il ne s’agit plus de concilier l’emploi de femmes et les tâches domestiques.

Nouvelles Questions Féministes refuse de réconcilier l’emploi féminin avec la vie de famille selon le modèle sponsorisé par l’économie. Le temps partiel des femmes avec des perspectives de carrière réduites et des postes subalternes soulage à moindres frais le marché en mal de main-d’oeuvre disponible. Le sacrifice tout naturel des mères et des épouses à la cause du foyer peut ainsi se perpétuer. Avec l’accord des femmes, d’un côté, qui croient entrevoir l’émancipation promise. Et le soutien des patrons, de l’autre, qui comptent déjà les dividendes de l’opération en passant pour des progressistes éclairés.

Or, il faut contester le caractère naturel du dévouement féminin. Pascale Molinier, maître de conférence à la Chaire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers de Paris, démasque la haine des malades ou des enfants au coeur même de l’amour dit « spontané » et « instinctif » des femmes en charge des soins dans les familles et les établissements médico-sociaux. L’abnégation féminine n’a rien de normal. L’agressivité latente, occultée de gré ou de force, refait surface dans les témoignages des soignantes. Même si le mythe de la femme aimante tient bon en public, reproduit par les travailleuses elles-mêmes, pétries de culpabilité. Seule solution: déféminiser les soins. Injonction peut-être naïve mais salutaire et qu’il faut répéter à l’envi.

L’exploitation des femmes par les femmes

Le travail des femmes ébranle leur destin domestique quand il s’affranchit du diktat patriarcal qui veut ménager-ou manager-la mère et l’employée. Nathalie Lapeyre et Nicky Le Feuvre de l’Université de Toulouse identifient un modèle en embryon de partage unisexe des tâches. Leur enquête sur la place des femmes dans les professions libérales en France, à côté de la schizophrénie conciliatrice et de l’image de la femme virile, discerne la tentative, minoritaire pour l’heure, de vivre au-delà des sexes. Autrement dit, l’harmonisation de la carrière avec les contraintes domestiques concerne autant les hommes que les femmes. Le monopole féminin sur la famille perd ainsi son évidence. L’homme rentre au foyer. Et délaisse le bureau ou l’usine.

Mais avant, car ce n’est que musique d’avenir, il faut se rappeler que le travail des femmes occidentales s’appuie sur l’engagement de migrantes dont on exploite à bas prix l’amour maternel. Arlie Russel Hochschild, professeure de sociologie à l’Université de Californie, dénonce un phénomène en augmentation qui sépare mères et enfants des pays pauvres au nom de l’autonomie féminine chère au monde riche. La confession à mi-mots d’une ressortissante colombienne sans-papiers, établie à Genève, ébauche enfin les contours et l’étendue de la servitude contemporaine des femmes. Trop souvent muette.

md, Domaine public 1622, 5 novembre 2004 

Les féministes se seraient-elles trompées de cible?

A trop se battre pour l’intégration professionnelle des femmes, les féministes auraient oublié les rapports de pouvoir dans la famille. La revue NQF pose la question de la conciliation « famille-travail » au masculin.

« Pour beaucoup de femmes de ma génération, la mère au foyer constituait un modèle effrayant et nous nous sommes dirigées tout droit vers le monde de la carrière professionnelle. Nous voulions être égales aux hommes. Très bien. Mais ce désir soulève d’importantes questions: égales à quoi? Egales sous quelles conditions? » Rapportés dans une interview de la revue Nouvelles questions féministes (NQF), les propos d’Arlie Hochschild, professeure de sociologie à Berkeley en Californie, questionne la manière dont s’effectue la répartition des activités domestiques et familiales dans le couple et sa répercussion sur les rapports de pouvoir.

En effet, quand le mouvement féministe des années septante prônait l’investissement de la sphère professionnelle par les femmes, il ignorait probablement que, trente ans plus tard, le maître mot du travail féminin serait la « conciliation » ou comment mener de front une carrière professionnelle et des responsabilités familiales. Aujourd’hui, NQF, dans une série d’articles, se distance d’une vision unique axée sur la force d’autonomie financière que représente le travail rémunéré pour les femmes. « Il ne suffit pas de rétorquer que l’emploi salarié est par principe un vecteur d’émancipation pour les femmes. »

Conciliation pour tous

Aujourd’hui, le discours sur la conciliation avantage tout le monde sauf, a priori, les femmes. Une étude menée par deux chercheuses françaises, Nathalie Lapeyre et Nicky le Feuvre, montrent que la féminisation des professions libérales ne conduit pas nécessairement à une répartition plus égalitaire du travail domestique et éducatif. « J’avoue que j’ai un mari qui participe quand même beaucoup (…). Mais en revanche dès que je m’arrête dans la semaine, les rôles sont inversés. Ça c’est extraordinaire », témoigne une femme médecin, mariée et mère de deux enfants.

Deux cas de figure se présentent généralement. D’abord celui où l’on reconnaît à la femme certaines qualités « innées » fiées à la gestion des contraintes domestiques et familiales. Logiquement, cette approche conclut que la conciliation est une préoccupation d’ordre féminin. Le second modèle veut que la femme carriériste soit forcément une « femme virile », c’est-à-dire qu’elle adopte les modes de fonctionnement social habituellement réservés aux hommes.

Contre ces deux perspectives, les chercheuses prônent une « indifférenciation sexuée des enjeux de la conciliation travail-famille », en résumé, une implication égale des hommes dans les tâches domestiques et familiales. « L’idée de l’aide apportée à une femme ne m’intéresse pas…car je ne considère pas que la tâche ménagère soit une tâche de femme », explique une femme médecin, mère de trois enfants.

Sur le dos des femmes du Sud 

L’étude montre, par ailleurs, comment l’entrée des femmes dans les professions cadres est acceptée dans la mesure où elle ne bouleverse pas les règles établies. Ainsi, si certaines professions sont de plus en plus accessibles aux femmes (dans l’étude, les métiers du droit et de la médecine), leur mode d’exercice n’en est pas moins sexué. Les femmes sont par exemple sur-représentées dans le salariat. D’un autre côté, elles sont sous-représentées dans certaines spécialisations: en médecine, dans les domaines où l’appareillage technique est lourd; en droit, dans tout ce qui ne relève pas du droit général. Finalement, elles connaissent des avancements moins rapides et sont moins bien payées que leurs collègues masculins.

Si une réflexion sur la conciliation met en lumière la place des femmes dans un mode professionnel masculinisé, elle permet surtout d’aborder les rapports de pouvoir au sein de la famille et dans les activités domestiques. Aujourd’hui, les activités liées à la prise en charge de personnes sont encore majoritairement féminines du fait d’aptitudes « innées » des femmes à leur pratique. Or s’ils sont professionnalisés, ces métiers sont dévalorisés.

Geneviève Cresson et Nicole Gadrey, montrent dans un article comment « la transposition du rôle traditionnel féminin dans le monde du travail, débouche sur des métiers dont la société a absolument besoin (… ), mais qu’elle ne valorise pas et ne rémunère pas ». En Suisse romande, par exemple, la formation d’éducatrice de la petite enfance est menacée de déclassement par la création d’un apprentissage d’assistant socio-éducatif. Si les chercheuses soutiennent la professionnalisation des métiers liés aux soins, elles affirment qu’elle n’est pas forcément synonyme d’émancipation, « et ce d’autant plus que la dynamique qui s’amorce se fait sur le dos de celles qui sont peu ou pas qualifiées. » En effet, la problématique se déplace, mais ne se résout pas, du fait que ce sont souvent les femmes sans statut légal qui accomplissent le travail domestique traditionnellement dévolu aux femmes du Nord, laissant derrière elles famille et enfants. Le cas de Maria, colombienne, membre du Collectif genevois des travailleurs sans statut légal, contrainte de vivre quatre ans en Suisse sans sa fille est en cela exemplaire.

Pour les chercheuses, la situation est claire: une alternative au modèle professionnel masculin passe, par une réflexion sur le travail domestique. « Mais le risque le plus grand serait de faire l’éloge du « care » sans lutter pour qu’il obtienne une reconnaissance sociale et qu’il devienne l’affaire des hommes aussi. »

Virginie Poyetton, Le Courrier, 30 novembre 2004

La nounou mondiale

Comme nounou aux Etats-Unis, une Philippine gagne plus que si elle était médecin dans son pays. Conséquence, 70% des émigrés de ce pays sont des femmes. Ainsi se dessine ce qu’une chercheuse américaine, Arlie Russell Hochschild appelle la « mondialisation des mères », évoquant « l’extraction des ressources émotionnelles » des pays pauvres par les pays riches. Il faut bien quelqu’un pour s’occuper de tout ce que nie l’économie du travail en Occident, dit Arlie Russell Hochschild: la naissance, l’éducation, la maladie, la mort…

Le secteur du « care » (soin à la personne) représente 20% des emplois aux Etats-Unis. Dans leur pays d’adoption, ces mères migrantes, qui ont souvent laissé leurs propres enfants entre les mains des grands-parents, s’occupent avec affection des enfants qui leur sont confiés. Les parents occidentaux ont l’impression que l’amour de la nounou, une chance (de plus) pour leur rejeton, est un « produit naturel de la culture du tiers-monde ».

Sachant que l’écart de richesse entre pays pauvres était de 1 à 20 en 1960 et qu’il atteint aujourd’hui 1 à 46, à votre avis, la mondialisation des mères va-t-elle s’arrêter?

Dominique Louise Pélegrin, Télérama no 2862, 17 novembre 2004

Le mouvement féministe est loin d’avoir abandonné son onde propulsive, si l’on en juge par la teneur du dernier numéro de NQF. Depuis quatre ans, cette revue phare initiée par Simone de Beauvoir, qui succède à Questions féministes créée en 1977, est éditée par une équipe franco-suisse (Christine Delphy, CNRS, Patricia Roux, Université de Lausanne) aux éditions Antipodes. Numéro après numéro, NQF illustre un point de vue radical, ainsi que le titre de ce dossier le rappelle, en matière de recherches sur le genre, à l’articulation des théories issues du mouvement féministe et des recherches les plus avancées en sciences sociales.

Famille-travail : une perspective radicale concerne plus particulièrement la question du care, c’est-à-dire, l’aide, l’assistance, considérée comme des attributs du féminin, dans le cadre du travail. Pourtant, argumente Pascale Molinier, cet amour que les femmes développent dans les soins cache une autre dimension générée par le travail, à savoir la haine en particulier envers les personnes dépendantes. Geneviève Cresson et Nicole Gadrey présentent les différentes dimensions de ce travail du care (extension des compétences acquises dans la sphère domestique ou réelle possibilité de qualification professionnelle?). D’autres articles s’articulent autour de cette réflexion sur la spécificité des métiers féminins. Mais l’article le plus remarquable figure hors du dossier central. Il s’agit d’une présentation (très) critique des nouveaux modes de garde des enfants, la garde partagée, dont Denyse Côté démontre qu’elle n’est jamais qu’une nouvelle manifestation d’un patriarcat new look. Dans la partie parcours est présenté le témoignage d’une femme sans papiers, qui illustre les formes modernes de la servitude à l’égard des femmes. Des comptes rendus, précieux et détaillés, sur des livres relevant du domaine de compétence de la revue complètent ce numéro qui s’achève par une présentation d’une institution concernant les femmes, ici Effe, un espace de formation pour les femmes. Une revue à suivre, pour un public exigeant, intéressé par la place des femmes dans l’espace francophone et au-delà.

Bulletin critique du livre en français, no 668, mars 2005