Illégalité régulière (L’)

Ethnographie du régime de l'aide d'urgence en Suisse

De Coulon, Giada,

2019, 303 pages, 33 chf, 26 €, ISBN:978-2-88901-131-5

Clostère est un centre d’aide d’urgence en Suisse. Ses habitants vont et viennent au sein des longs couloirs où se distribuent des chambres de quatre personnes. La distribution de nourriture à heures fixes ponctue des journées qui s’étirent dans l’attente et l’angoisse d’un renvoi.

Format Imprimé - 33,00 CHF

Description

Clostère est un centre d’aide d’urgence en Suisse. Ses habitants vont et viennent au sein des longs couloirs où se distribuent des chambres de quatre personnes. La distribution de nourriture à heures fixes ponctue des journées qui s’étirent dans l’attente et l’angoisse d’un renvoi. À l’entrée, des gardes fouillent les sacs et contrôlent les identités. Clostère n’est pas une exception, mais un lieu aujourd’hui ancré dans la normalité avilissante de la politique d’asile suisse. Dès 2008, l’extension de la suppression de l’aide sociale à toutes les personnes déboutées du droit d’asile se matérialise par l’ouverture de centres d’aide d’urgence, où seul le minimum vital est délivré. Les personnes n’ayant pas suivi l’ordre de quitter le territoire y sont soumises à un contrôle quotidien.

À partir d’une approche ethnographique, ce livre retrace les journées des habitants de Clostère au fil des aléas de la régulation intensive de leur vie par les autorités suisses. Le livre se tisse autour de récits poignants et instructifs de femmes et d’hommes immobilisés des années entières, conservant l’espoir d’être un jour régularisés. L’illégalité régulière est une tentative de nommer l’essence de ce paradoxe: la vie des personnes logées dans des foyers d’aide d’urgence prend forme au cœur d’un appareil administratif qui a comme raison d’être leur disparition du territoire suisse. Ce livre rend hommage à celles et ceux qui refusent de disparaître.

Table des matières

Introduction. La découverte de l’illégalité

1. La législation excluante du droit d’asile

• L’institutionnalisation de l’asile
• Le refus d’autorisation de séjour
• Voies de droit pour les personnes illégalisées
• La disparition des personnes: conséquence ou volonté?

2. Le processus d’illégalisation

• Structure et agents: comment prendre les deux en considération?
• Les dynamiques de l’illégalité
• L’État-nation: gouverner, punir, différencier
• La conscience de la légalité: le point de vue des acteurs

3. Retour sur une méthodologie engagée

• Intronisation au terrain
• Choix et étendue de la récolte de données
• Porte d’entrée: la posture engagée

Partie  I. La fabrication des déboutés

4. L’empreinte des lois et des stigmates

• La loi créatrice de désaffiliation
• Une appellation contrôlée: «les déboutés»

5. La matérialité du système: murs et agents

• L’ouverture des foyers d’aide d’urgence
• L’arrivée au centre
• Les rouages de Clostère
• Les agents intermédiaires
• Le «papier blanc» comme nouvelle identité6. Ensemble, mais pas trop
• L’ambiguïté de la groupalité
• Espérance et indignation: deux sentiments rassembleurs
• La peur qui scinde la groupalité
• Le paradoxe du temps qui s’étire
• L’attente indéterminée dans l’urgence
• En résuméPartie II. La désirabilité de la «vie normale»7. la norme significative: employabilité et liens familiaux8. En chemin vers la norme
• L’importance du quotidien
• La puissance normalisatrice des réseaux
• Un soutien diversifié
• Les aléas de la dépendance aux réseaux
• La quête d’accès au travail
• Le travail au noir comme autre forme d’insécurité

• Programmes d’occupation9. La légitimité d’y croire et d’entreprendre malgré les papiers
• Les frontières genrées et racialisées de la normalité
• La famille comme catalyseur de stigmates de genre
• Les marques indélébiles de la désaffiliation légale
• Les discriminations liées à la couleur de peau
• Le droit à la contestation illégale
• En résumé

Partie  III. Devant la loi, ce que produit la conscience de la légalité

 

10. La conscience de la légalité au quotidien de l’aide d’urgence

• Représentations concrètes versus idéelles de l’État
• Les agents versus «Berne»
• La peur et le désir: confrontations matérielles et immatérielles
• Le sentiment de peur
• Le désir de légalité
• De l’importance d’être enregistré
• L’envie d’être protégé
 

11. De la négociation à la régularisabilité

• La contradiction entre l’image et la réalité
• L’espace de la négociation
• L’inconsistante déportabilité
• La régularisabilité
• En résumé
 

Conclusion. Une construction illégale au cœur des lois

 
Liste des Abréviations
 
Bibliographie

Presse

Gabriel à l’aide d’urgence. Ou comment se construit au quotidien l’illégalité régulière.
Giada de Coulon

À partir de la description du vécu de Gabriel*, jeune homme requérant d’asile débouté, l’article nous plonge à l’intérieur d’un centre d’aide d’urgence en Suisse romande pour comprendre le fonctionnement paradoxal de ce système. L’illégalité régulière est une tentative de nommer l’essence d’un paradoxe : la vie des personnes logées dans les foyers d’aide d’urgence se façonne au cœur d’un appareil administratif qui a comme raison d’être leur disparition du territoire suisse.

Clostère est un centre d’aide d’urgence d’une ville suisse comme tant d’autres. L’entrée se devine au bout d’un long couloir. Porte close qui ne s’ouvre que de l’intérieur lorsqu’un agent de sécurité vient l’ouvrir. À l’intérieur, il règne un calme inattendu. Les personnes sont dans leurs chambres, certaines en sortent pour rejoindre rapidement la sortie. Elles échangent alors leur clé de chambre contre leur « papier blanc », feuille A4 attestant du délai de départ de Suisse, feuille attestant leur identité aux yeux de policiers qui viendraient les contrôler. À l’intérieur du local de l’assistante sociale, se déclinent sur les murs des photographies passeport de femmes et d’hommes, à la peau majoritairement noire. Cette fresque schématise la répartition des chambres du centre. Aujourd’hui, un lit restera vide. En effet, le règlement de maison ne tolère pas les infractions et Gabriel est à nouveau rentré en état d’ébriété hier soir. Il est alors banni du foyer pendant trois nuits consécutives. Qu’est-ce qui lui servira de refuge pour se reposer ? Difficile à dire. Il ne côtoie pas grand monde en dehors des murs du foyer. Pas d’argent pour inviter un compatriote à boire un café et pas envie de lui dire que lui, il n’a pas obtenu les papiers et que bientôt il pourrait être renvoyé de Suisse. Les deux hommes Nigérians de la chambre voisine sont partis il y a deux jours à l’aube, escortés par la police.

Gabriel a entendu les coups à la porte qui se faisaient de plus en plus forts. Réveillé en sursaut, il lui a fallu du temps pour comprendre que ça n’était pas sa porte à lui que la police allait ouvrir, mais bien celle d’à côté. Il a entendu des voix fortes, des meubles déplacés. Le couloir faisait résonner les brouhahas d’une intervention de police. Et puis, la porte d’entrée s’est refermée sur eux, et un calme angoissant a envahi l’espace. Ce matin-là, les premiers bruits ont mis du temps à revenir. Cela aurait pu être nous tous. Gabriel le sait. Il se rend tous les deux jours au Service de la Population pour demander le renouvellement de l’aide d’urgence. Demander de pouvoir rester dans ce foyer pour dormir, manger, dormir, manger … Mais le personnel administratif a reçu d’autres consignes. Ces guichets sont lieu de dissuasion, tout comme le foyer où il habite. Il n’a pas sa place en Suisse, et tout est fait pour qu’il le ressente dans son corps, comme dans sa tête. Pas d’installation véritable entre ces murs rendus volontairement inhospitaliers. Pas d’autonomie pour ce jeune homme qui a déjà enduré des épreuves comme beaucoup n’en connaîtront pas le dixième en toute une vie. Les horaires sont dictés, les plats préparés et les interdictions nombreuses. Pas le droit de travailler. Pas le droit d’avoir un téléphone portable à son nom. Pas le droit de dormir à l’extérieur. L’assignation à résidence vient d’être prononcée. Pas le droit à une vie normale.

L’illégalité régulière

Et pourtant à Clostère, les jours et les jours défilent dans un relent de normalité. Une régularité s’impose à travers les repas, les horaires, les convocations auprès des autorités, la visite hebdomadaire d’une infirmière. Avoir un toit sur sa tête et cesser de craindre la menace imminente sur sa vie. Tout cela permet paradoxalement à Gabriel de ressentir quelque part qu’il est protégé. Il en parle parfois comme d’un « chez moi ». En même temps, il est menacé. Menacé de renvoi vers un pays qui brûle et qu’il a choisi de quitter il y a quinze années. Il a pourtant tenté un sans-faute : il a tout dit aux entretiens, il a suivi les classes de français quand il y avait accès, il a cherché un travail quand il y avait droit et il s’est impliqué dans la paroisse. Il commençait à rencontrer des Suisses aussi. Mais, après une longue attente, d’un jour à l’autre, on lui a dit qu’il devait quitter la Suisse. Qu’il devait faire le deuil d’un avenir en Suisse et préparer son retour. L’aide sociale a cessé et il est entré en illégalité de séjour. On lui a communiqué son droit d’aller demander une aide d’urgence en cas de nécessité. Ce qu’il a fait, habitué à suivre les consignes. Il a été attribué à Clostère, depuis bientôt cinq ans. Il suit les injonctions fréquentes des intendantes, des gardes de sécurité, du directeur, des employés des guichets. Il ne fait pas de bruit dans le bus. Il tient les portes. Il fait un sans-faute.

Ce qu’il ne peut pas faire, c’est le deuil de sa vie en Suisse. Son parcours d’exilé et de requérant d’asile en Suisse ne lui permet pas de le faire. Il a quitté une vie d’enfant soldat. Il n’a plus de famille là-bas. Il ne peut pas préparer son retour là-bas. Il est arrivé jeune dans un pays riche où il a été pris en charge. Il a ensuite cherché à correspondre aux attentes suisses comme il les comprenait, à la lettre, faisant fi des traumatismes non prononcés. Il ne peut pas faire le deuil de sa vie en Suisse, car il sait que son espoir de pouvoir obtenir des papiers ne relève pas de la folie. Il en a vu beaucoup autour de lui. Ils et elles étaient déboutées tout comme lui. Et avaient reçus de nombreuses réponses négatives aux recours tentés par les juristes de l’asile ou eux-mêmes. Ils les avaient vu craindre, comme lui l’arrivée de la police au petit matin. Et puis, un jour, l’enveloppe cachetée avait annoncé la délivrance d’un permis de séjour. Tout le monde au centre en avait parlé. Quelle avait été la clé de ce retournement de situation ? Ça, la missive ne le disait pas. Mais les personnes concernées avaient un beau matin quitté le centre la tête haute. La tête haute grâce à une vie normale, c’est aussi cet espoir qui permet à Gabriel de rester inscrit au quotidien dans un centre d’aide d’urgence. Cette aide métamorphosée en outil de dissuasion. Cette urgence que la longue durée rend caduque.

Du droit constitutionnel au minimum vital à un instrument de dissuasion

Gabriel est une personne caractéristique des parcours de vie que j’ai rencontré sur le terrain lors de mes recherches de quatre ans au sein d’un centre d’aide d’urgence en Suisse romande. Résultant d’un programme d’allégement budgétaire de la Confédération, la suppression complète de l’aide sociale à une catégorie d’exilés qui n’obtenaient pas de permis de séjour en Suisse a été rejetée au nom de l’article 12 de la Constitution suisse. Celui-ci délivre le droit à quiconque sur le territoire suisse d’obtenir de l’aide en situation de détresse. C’est cet article qui a permis d’éviter la mise à la rue aux personnes déboutées du droit d’asile. L’article 12 a forgé la possibilité d’obtention de l’aide d’urgence dans le domaine de l’asile, une fois la nécessité avérée et la demande effectuée par la personne déjà déclarée illégale.

En 2004, elle avait d’abord été instaurée pour les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière, soit les personnes pour lesquelles la Confédération suisse n’examinait pas de demande d’asile. Donc, à priori une catégorie de personnes qui ne devait rester que de manière temporaire en Suisse. En 2006, une majorité du peuple suisse approuvait l’extension d’une aide minimale à l’ensemble des requérants d’asile déboutés. Lors de sa mise en œuvre, un glissement s’opère : d’un droit constitutionnel au minimum vital à un instrument de dissuasion qui repose principalement sur la péjoration des conditions de vie des requérants d’asile déboutés.

L’aide d’urgence crée ses contradictions

L’aide d’urgence se matérialise par des prestations de survie, soit dix francs par jour, un logement en centre collectif et l’accès à des soins d’urgence. Aujourd’hui, plus de dix ans après son extension aux déboutés de l’asile, ce régime est toujours en cours. Bien que, selon les autorités, les effets escomptés ne se soient pas réalisés. Bien que des voix s’élèvent régulièrement pour dénoncer des conditions de vie indignes, notamment pour des personnes et familles qui en vivent de longues années durant. En 2018, beaucoup de personnes en restent dépendantes en Suisse, ce qui s’explique par plusieurs raisons structurelles. Or, comme le montre l’histoire de Gabriel, c’est dans l’essence même de l’aide d’urgence que se créent ses contradictions les plus profondes.

Aux confins des marges de manœuvre étatiques et individuelles, l’illégalité vécue lorsque l’on est à l’aide d’urgence a cela de particulier qu’elle est enregistrée et finement régulée. La nommer illégalité régulière est un moyen d’en saisir les spécificités. Car, paradoxalement, c’est cette régularité qui semble expliquer l’affiliation de longue durée de certaines personnes à l’aide d’urgence. La régularité se construit suivant trois paradigmes. Le premier révèle l’aspect répétitif et normalisateur de cette illégalité. La vie décrite à travers le vécu de Gabriel ci-dessus parle de journées rythmées par les heures des repas, les convocations auprès des autorités. La normalisation autorisée par cet aspect répétitif, mais également par la possibilité de répondre aux besoins physiologiques vitaux, semble en réduire l’aspect disciplinaire et contraignant. Le deuxième paradigme vient de cette dimension d’inscription auprès des autorités. Le contact constant des personnes migrantes avec les autorités, tel qu’il a été mis en place dès la première demande d’asile, engendre chez certaines personnes des espoirs et des attentes envers les autorités suisses et forge parfois un fort espoir de régularisation. Attachées à ne rien se voir reprocher pour ne pas bloquer une éventuelle régularisation, une vaste majorité de personnes à l’aide d’urgence mène ainsi une vie irrépréhensible aux yeux des autorités.

Troisième paradigme, l’aide d’urgence représente au final également un moyen de régulation de toute une population. Bien que toujours en Suisse, bien que considérée en illégalité de séjour, celle-ci redouble d’efforts avec l’espoir que le mérite sera un jour récompensé et qu’une vie normale pourra enfin commencer.

*Gabriel et Clostère sont des noms fictifs utilisés pour protéger l’anonymat des personnes et des lieux.

Giada de Coulon est docteur en anthropologie de l’Université de Neuchâtel. Cet article de l’auteure est extrait de la dernière édition de la revue « terra cognita » de la Commission fédérale des migrations CFM (disponible en ligne ou en version imprimée), 31.10.19

 

 

 

Quand l’Etat organise le désespoir

Comment l’aide d’urgence est-elle née?

Giada de Coulon: La proposition de supprimer le droit à l’aide sociale pour certain-e-s requérant-e-s d’asile a surgi au début des années 2000. Son objectif premier était de réaliser des économies. Le second était de pousser à quitter la Suisse les requérant-e-s ayant reçu une réponse négative. En 2004, cette mesure a été appliquée aux cas de non-entrée en matière (NEM). Suite à la pression des milieux de défense des réfugiés, les autorités ont mis sur pied une aide d’urgence pour éviter une violation de l’article 12 de la Constitution fédérale. En 2006, dans le cadre d’une révision de la Loi sur l’asile, la suppression de l’aide sociale a été étendue aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s. En 2008, ceux-ci/celles-ci ont dû arrêter leur travail, quitter leur appartement pour intégrer des centres collectifs et dépendre de cette «aide» minimale.

Vous désignez ce statut comme une «illégalité régulière»

Les personnes à l’aide d’urgence sont «illégales», mais doivent se rendre plusieurs fois par semaine au Service des migrant-e-s ; elles n’ont pas de document officiel, mais sont enregistrées par les autorités ; leurs centres sont très contrôlés. Elles sont donc constamment en rapport avec les autorités.
L’ambiguïté de leur situation ne s’arrête pas là. Les exilé-e-s à l’aide d’urgence vivent sous la menace constante d’une expulsion. Dans les centres, elles côtoient cependant aussi des personnes qui, après plusieurs réponses négatives, reçoivent soudain une autorisation de séjour. Elles gardent donc l’espoir d’une régularisation. Leur quotidien régulé a pour conséquence de «normaliser» leur illégalité.
Ce paradoxe s’observe dans les liens entretenus avec le personnel de l’Etat qui côtoie les requérant-e-s débouté-e-s aux différents guichets. Certain-e-s sont agressifs/ves et les menacent régulièrement.
Mais d’autres peuvent leur conseiller, informellement, de trouver du travail pour tenter de régulariser leur situation. Conséquence de cette tension entre espoir et menace : les requérant-e-s débouté-e-s cherchent à tout prix à avoir un parcours exemplaire.

Avec quelles conséquences pour les personnes concernées?

Elles souffrent d’innombrables maux, physiques et psychiques. J’ai l’impression que ces pathologies sont toutes liées à la perte de maîtrise sur leur vie ainsi qu’à la déstructuration sociale qui l’accompagnent. Une vie à l’aide d’urgence, c’est une attente sans fin, désespérante. Certain-e-s exilé-e-s m’ont confié avoir l’impression d’être réduit-e-s au statut d’un animal, qui ne fait que manger et dormir.

Malgré tout l’effet dissuasif est limité…

Le SEM s’interroge en effet sur le nombre important des «bénéficiaires d’aide d’urgence de longue durée (BALD)», selon sa terminologie. Sa réponse au phénomène est de rendre les conditions de plus en plus dures au quotidien. Certains cantons essaient de rendre le système encore plus dissuasif – comme Zurich, qui a obligé les personnes à changer de centre tous les 3 ou 4 jours.
A mon avis, les raisons de l’aide d’urgence de longue durée sont doubles. D’une part, les motifs qui ont poussé la personne à quitter son pays ne s’effacent pas après une décision négative. De l’autre, le manque d’autonomie qui leur est imposé pèse lourd. Avec le temps, ces personnes n’arrivent plus à envisager un projet pour leur vie. Elles sont bloquées dans une espèce de no man’s land.

Quelle alternative proposer?

L’aide d’urgence pousse à la clandestinité. Des personnes sont transformées en sans-papiers et travaillent au noir, quittent le pays, parfois y reviennent. Le dernier tour de vis du SEM contre les requérant-e-s d’asile érythréen-ne-s a même créé une situation explosive. En retirant leur autorisation de séjour à des exilé-e-s, souvent jeunes, qui avaient commencé à s’intégrer, à travailler, il les exclut à nouveau et les laisse sans aucune perspective. Le refus de procéder à des régularisations collectives entretient les contradictions de ce système. Mais je pense que l’idée d’une solution collective fait à nouveau son chemin en Suisse, notamment après Papyrus à Genève.
Une piste importante serait aussi d’encourager l’autonomie dès le début du processus d’asile. Les personnes qui viennent en Suisse ont des projets. Il faudrait leur octroyer un forfait d’accueil, puis les laisser entreprendre ces projets – en leur donnant un statut, leur permettant de travailler. Plutôt que rester bloquées dans le processus d’asile, elles pourraient recréer un projet de vie, y compris envisager un retour dans leur pays si cela est pertinent. Construire des murs et enlever l’autonomie des personnes ne fait que figer les situations.

Aujourd’hui, il semble que ce débat déborde la question de l’asile…

Oui. La rhétorique de l’abus, qui justifie la restriction des droits fondamentaux, est étendue aux personnes à l’AI, à l’aide sociale, au chômage. Cela va de pair avec l’approfondissement du modèle néolibéral. Pour trouver des alternatives, il faut sortir de la mise en concurrence entre «national» et «étranger» et démanteler les processus de désocialisation qui touchent les plus faibles de la société.

Guy Zurkinden, Services publics, 21 juin 2019