Les Services industriels de Lausanne. La révolution industrielle d’une ville tertiaire (1896-1901)

Dirlewanger, Dominique,

1998, 177 pages, 15 €, ISBN:2-940146-09-8

Mot d’ordre des autorités lausannoises à la fin du siècle dernier, « la révolution industrielle d’une ville tertiaire » traduit l’espoir d’une industrialisation de la ville fondée sur la constitution des Services industriels. Lausanne, dont l’activité économique est essentiellement tournée vers le tourisme et le commerce, résonne alors de débats politiques, économiques et sociaux: la Commune doit-elle racheter les anciennes sociétés du gaz, des eaux et de l’électricité? Dans le même moment, les principales villes de Suisse et d’Europe organisent elles aussi de tels services. Le chef-lieu vaudois offre un cas exemplaire pour saisir les dynamiques sociales et politiques qui conduisent à l’organisation communale d’une production industrielle.

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Description

Mot d’ordre des autorités lausannoises à la fin du siècle dernier, « la révolution industrielle d’une ville tertiaire » traduit l’espoir d’une industrialisation de la ville fondée sur la constitution des Services industriels. Lausanne, dont l’activité économique est essentiellement tournée vers le tourisme et le commerce, résonne alors de débats politiques, économiques et sociaux: la Commune doit-elle racheter les anciennes sociétés du gaz, des eaux et de l’électricité? Dans le même moment, les principales villes de Suisse et d’Europe organisent elles aussi de tels services. Le chef-lieu vaudois offre un cas exemplaire pour saisir les dynamiques sociales et politiques qui conduisent à l’organisation communale d’une production industrielle. En analysant dans un même élan les luttes politiques et économiques, ainsi que les réseaux d’intérêts et la situation des différentes sociétés, cette monographie dépeint les enjeux d’une politique de rachat systématique des entreprises privées. Au-delà de l’étude historique, ce livre illustre enfin la discontinuité existant entre la volonté politique du siècle dernier en faveur d’une « reprise par l’Etat des secteurs économiques produisant pour l’intérêt général » et les projets actuels de « privatisation du secteur public. »

Presse

Aux origines des SI lausannois. Une histoire très au courant

Il y a un siècle, la Municipalité de Lausanne prenait en main l’approvisionnement de la ville en énergie. Dominique Dirlewanger a retracé cette révolution.

Le drôle d’engin qui orne la couverture du livre de Dominique Dirlewanger sur Les Services industriels de Lausanne, n’est pas sans rappeler la machine à voyager dans le temps du romancier britannique H. G. Wells. Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’un livre d’histoire, sinon une machine sophistiquée à voyager dans le passé?

Mais l’engin de la photo en question, que couvent d’un regard de propriétaire deux messieurs en canotier et cravate fin de siècle, est tout simplement une vanne grand format utilisée pour amener à Lausanne la bonne eau fraîche du Pays d’Enhaut, adduction qui devint effective le 12 novembre 1901. Cette arrivée « d’eau de source » qui résolvait pour un temps l’approvisionnement de la ville en eau potable se doublait d’un autre événement dont l’analyse est au centre de l’exposé de M. Dirlewanger: la prise en main par la commune de la distribution de l’eau et le rachat de la société privée qui avait le monopole, la SEAUL.

« Pour des raisons différentes, nous dit l’auteur, il n’y eut pas vraiment de clivage gauche-droite dans la volonté d’intervention communale pour la distribution et la gestion du gaz, de l’eau et de l’électricité. » La raison? « Il y avait une prise de conscience de la part des industriels et des représentants des grands partis, de la nécessité d’avoir un Etat qui coordonne le développement de ces services industriels. »

On a de la peine à imaginer aujourd’hui, et ce n’est pas le moindre intérêt de ce travail universitaire fortement documenté, les péripéties qui marquèrent cette révolution industrielle et politique lausannoise.

Pour l’eau seulement, on passe en deux générations d’une distribution très artisanale, au moyen de fontaines publiques alimentées par les bassins sourciers du Chalet-à-Gobet et du Mont sur-Lausanne (635 litres à la minute) à une fourniture d’eau (sous pression dès la construction du réservoir du Calvaire en 1868) servant aussi les intérêts industriels (près de 25 000 litres à la minute), alimentée à 80% par le Pays-d’Enhaut et le lac de Bret.

La seule bataille de l’eau à Lausanne est riche, à la fin du XIXe siècle, de bien étonnants débats. L’idée par exemple que l’approvisionnement d’une ville en eau potable est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls intérêts privés s’appuie à partir de 1890 sur… une épidémie de fièvre typhoïde. L’enquête démontre qu’il y a eu des infiltrations dans les conduites du Pont-de-Pierre (2500 litres à la minute depuis 1877) près du cimetière de la Sallaz. Or cette eau est acheminée et vendue par la SEAUL… On argue, à droite (libéraux) comme à gauche (radicaux), que cette épidémie est une grave atteinte portée à l’industrie alors la plus importante de Lausanne: le tourisme. Le même argument va faire rejeter un projet pionnier développé par Adrien Palaz, qu’un adversaire qualifie d' »homme aux mœurs quelque peu américaines », celui de pomper les eaux du Léman. Certains médecins, comme César Roux, qui a une importante clientèle étrangère, s’y opposent. Quant à Aloys Fauquez, il dénonce cette eau « non démocratique » qui ne sera bue que par les pauvres, alors que les riches auront les moyens de boire de l’eau de source ou « de l’eau minérale en bouteille »!

Les batailles autour du rachat par la commune des sociétés foumissant le gaz et l’électricité à la ville et à ses industries ne sont pas moins animées. Comme la SEAUL pour l’eau, la SLECG, qui a le monopole de l’éclairage et du chauffage au gaz (de houille), se préoccupe surtout de rentabité. Ses tarifs sont élevés et la Municipalité craint que ceux-ci ne découragent les industriels qui voudraient s’implanter à Lausanne. La qualité des prestations laisse aussi à désirer: mauvaise qualité du gaz fabriqué par l’usine d’Ouchy, voire pollution de l’air (plusieurs plaintes) ou de l’eau. En 1876, l’écoulement de résiduts nuisibles empoisonne des milliers de poissons du lac….

L’évolution technique, apparition du pétrole, puis de l’électricité, va faire baisser les tarifs. Les particuliers. ont accueilli avec soulagement dès 1860 le pétrole américain. Il permet un éclairage plus économique, plus souple (on peut aller d’une pièce à l’autre en emportant sa lampe) et moins polluant. A partir de 1880, l’électricité s’annonce comme une concurrente redoutable. Aussi, c’est la SLECG elle-même, dont les bénéfices se réduisent, qui propose à la commune le rachat de l’entreprise.

Dernier fleuron de la trilogie energétique, l’électricité sera, comme dit Dominique Dirlewanger, « la clé des Services industriels de Lausanne ». Non sans mal.

Les premiers essais électriques, proches du spectacle de foire, ont lieu à la fin des années 1870. En 1881, un essai d’éclairage de la place de la Riponne échoue lamentablement. Panne de génératrice!

Mais en 1882, la première centrale électrique de Suisse tourne à la rue Centrale. Une vingtaine de lampes éclairent la Brasserie Leysinger. Gros succès, grosse réclame. La SSE (Société suisse d’électricité) obtient la concession pour la fourniture de courant à la Ville. Elle restera en activité jusqu’en 1901. Pour diverses raisons, parmi lesquelles des tarifs trop élevés qui mettent le courant hors de portée non seulement des particuliers mais aussi des petites industries, le développement de l’électricité à Lausanne va prendre du retard. En 1896 par exemple, il y a 34 lampes pour 100 habitants à Genève contre 7 seulement à Lausanne. Le déclic sera donné par l’Exposition nationale de Genève (1896) mais plus encore par la naissance et l’essor des tramways lausannois. En 1901, la fourniture d’électricité devient une affaire communale. L’industrie et les particuliers vont rapidement et largement y gagner.

« Ce qui est très important, nous dit en conclusion Dominique Dirlewanger, c’est de voir que les mêmes partis qui aujourd’hui remettent en cause l’Etat social sont, à la fin du XIXe siècle, les chevilles ouvrières de cette intervention d’un Etat capable de redistribuer une partie de la richesse produite et de coordonner ces secteurs industriels. La commune devient un véritable acteur économique, c’est la grande innovation qui est au centre du livre. C’est intéressant par rapport au débat actuel sur les SI, où l’on entend dire que le marché est le mieux à même de réguler leur développement. »

                                                            Robert Netz, 24 Heures, 29.3.99