Les images en guerre (1914-1945). De la Suisse à l’Europe

Kaenel, Philippe, Vallotton, François,

2008, 214 pages, 24 €, ISBN:978-2-940146-88-8

Au XXe siècle, les guerres ont produit des représentations de toutes sortes: de la littérature à la sculpture, en passant par la gravure, la peinture, la photographie, le cinéma, l’affiche, le dessin animé, la bande dessinée ou la caricature. Plus de guerres possibles sans « images en guerre » impliquant toutes les nations, belligérantes ou neutres. Ainsi, à une époque où la propagande connaît une révolution médiatique, la circulation des représentations fait de la Suisse un observatoire privilégié dans cette géographie culturelle.

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Description

Au XXe siècle, les guerres ont produit des représentations de toutes sortes: de la littérature à la sculpture, en passant par la gravure, la peinture, la photographie, le cinéma, l’affiche, le dessin animé, la bande dessinée ou la caricature. Plus de guerres possibles sans « images en guerre » impliquant toutes les nations, belligérantes ou neutres. Ainsi, à une époque où la propagande connaît une révolution médiatique, la circulation des représentations fait de la Suisse un observatoire privilégié dans cette géographie culturelle.

Les deux guerres mondiales ont à la fois instrumenté et miné le caractère « objectif» des images dites documentaires-les reproductions photographiques en premier lieu. Leur instrumentalisation a instillé une certaine défiance, voire un rejet radical face aux différentes formes de conditionnement visuel. Plus fondamentalement, les deux conflits mondiaux ont introduit une crise de la « représentation ». Les techniques et les codes visuels qui prévalaient jusqu’alors ne pouvaient en effet plus rendre compte de la spécificité de la guerre moderne, caractérisée par la violence souvent statique des tranchées, par l’horreur inédite de l’univers concentrationnaire ou les visions stupéfiantes des champignons atomiques. Ces images nouvelles ont remodelé notre imaginaire et contribué à nourrir des mémoires de la guerre qui se sont employées à légitimer ou stigmatiser certains acteurs politiques ou sociaux une fois la paix revenue. Indiscutablement, ces représentations ont influencé notre histoire de manière décisive.

Table des matières

  • Avant-propos (Philippe Kaenel, François Vallotton)
  • Représenter la guerre en Suisse: du soldat en général (Philippe Kaenel, François Vallotton)
  • Monstration de l’expérience et expérimentation artistique et littéraires dans la guerre moderne (Nicolas Beaupré)
  • Images, combat et héroïsme, de la Grande Guerre à nos jours (Joëlle Beurier)
  • De la guerre à La Guerre. Réflexions sur l’évolution du langage chez Otto Dox et Blaise Cendrars (Pascal Chauvie)
  • Sur le front des sexes: les infirmières dans l’iconographie guerrière, 1914-1918 (Céline Schoeni)
  • Représentations de l’ennemi et films de propagande durant la Première et la Seconde Guerre mondiales  (David Welch)
  • Paul Senn, 1901-1953. Reportage de guerre (Markus Schürpf)
  • De l’interventionnisme à l’engagement. Les comic books pendant la Seconde Guerre mondiale (Gianni Haver, Michaël Meyer)
  • Les Alpes en guerre (Ersilia Alessandrone Perona)
  • Marcel Junod, la guerre atomique et le CICR (Erica Deuber Ziegler, Jean-Louis Feuz) 

Presse

Dans la revue Ponts 

Lors d’une journée d’étude organisée à l’Université de Lausanne en avril 2005, des historiens et des historiens de l’art se sont interrogés sur les mécanismes de production, de diffusion et de réception des images de guerre pendant la période qui concerne les deux conflits mondiaux, analysés, selon un récent courant historiographique, en parallèle, ou bien considérés « dans le même continuum temporel » (« Avant-propos », p.5).
Les études rassemblées dans ces actes interrogent les imaginaires collectifs et les dynamiques de l’opinion publique dans une perspective transnationale, bien que la Suisse offre un cadre particulièrement révélateur en tant que, à la fois, pays neutre, lieu de refuge et terre de passage.
C’est ainsi que Philippe Kaenel et François Vallotton retracent, dans « Représenter la Suisse en guerre: du soldat au général » (pp.7-38), le développement d’une « mythologie guerrière » helvétique (p.11) et délignent les différentes figures du militaire qui se diffusent par le biais de divers média en Suisse dès 1914.
Nicolas Beaupré (« Monstration de l’expérience et expérimentation artistiques et littéraire dans la guerre moderne », pp.39-52) fait suivre à une synthèse des débats les plus récents sur la représentation artistique de la guerre moderne et sur l’influence exercée par la guerre sur les formes expressives, une analyse de la « rhétorique de l’impuissance » (p.43) dans les arts visuels et la littérature.
Les différences entre la presse illustrée française et allemande à partir de 1914 sont étudiées par Joëlle Beurier (« Images, combat et héroïsme, de la Grande Guerre à nos jours », pp.53-70), qui souligne comment les deux divers regards expriment « deux rapports distincts à la violence » du conflit, impliquant « une conception particulière de l’héroïsme, dont les transformations se poursuivront au cours du siècle » (p.54).
Une nouvelle comparaison est proposée par Pascal Chauvie dans l’article suivant, « De la guerre à La Guerre. Réflexions sur l’évolution du langage chez Otto Dix et Blaise Cendrars » (pp.71-90), qui relève un processus analogue de « reformulation » (p.71) de l’expérience de guerre après la fin du conflit dans l’œuvre du peintre Otto Dix et de l’écrivain Blaise Cendrars.
Céline Schoeni étudie à travers la rhétorique visuelle des affiches suisses, mais non seulement, les transformations apportées par les périodes de guerre dans le rapport entre hommes et femmes, en soulignant en particulier une nouvelle distribution des tâches à l’intérieur de la population active et en proposant une analyse de l’image de l’infirmière (« Sur le front des sexes: les infirmières dans l’iconographie guerrière », pp.91-108).
Des procédés tels que le contraste et le recours aux stéréotypes sont mis en relief par David Welch (« Représentations de l’ennemi et fils de propagande durant la Première et la Seconde Guerre mondiales », pp.109-122), qui passe en revue les représentations de l’ennemi dans différents pays, avec une attention particulière à l’iconographie cinématographique.
Les courageux reportages de guerre du photographe suisse Paul Senn, publiés en revue dès la fin des années 1920, constituent le centre d’intérêt de Markus Schürpf (« Paul Senn (1901-1953). Reportages de guerre », pp.123-148), qui met en relief une certaine censure de la presse helvétique, au sujet par exemple des foyers pour enfants, dont on cachait la nature de « succursales de camps d’internement » (p.141), ou au sujet des charniers découverts dans la France libérée.
Dans « De l’interventionnisme à l’engagement. Les comic books pendant la Seconde Guerre mondiale », pp.149-170, Gianni Haver et Michaël Meyer plongent dans l’univers de la bande dessinée aux États-Unis à partir des années 1930 pour montrer comment les comics se font caisse de résonance des faits historiques de l’actualité à travers des citations directes et indirectes.
Ersilia Alessandrone Perona retrace les dernières initiatives – colloques, ouvertures de musées, expositions… – concernant l’étude du rôle des Alpes dans les deux guerres d’un point de vue historique et géographique, aussi bien que culturel et anthropologique (« Les Alpes en guerre », pp.171-186), alors que Erica Deuber Ziegler parcourt les témoignages et le rapport (publié seulement en 2005) du premier médecin étranger qui visita Hiroshima après l’explosion nucléaire, le suisse Marcel Junod, chef de la Croix-Rouge à partir de 1945 (Jean-Louis Feuz « Marcel Junod, la guerre atomique et le ClCR », pp.187-208).
Tout naturellement, comme le sujet traité le demande, le volume est enrichi par un apparat d’images des plus diverses représentations de la guerre: affiches de films, caricatures, bandes dessinées, annonce de propagande, photographies.

Sara  Arena, Ponts no 10, 2010, pp.173-174 

 La sentinelle des Rangiers (dite « Le Fritz ») en frontispice…

…d’un ouvrage rassemblant des textes émanant d’une journée d’étude universitaire, à Lausanne, voilà qui est singulier. Il est vrai qu’à l’époque considérée (entre 1914 et 1945), la célèbre statue se dressait encore surie sommet Jurassien.
Les deux guerres mondiales ont engendré des représentations de toutes sortes, de la linérature à la peinture, en passant par la sculpture, la caricature, la gravure. la photographie, le cinéma,l’affiche,le dessin animé. lntitulé Les images en guerre, ce livre explore les techniqueset les codes qui prévalaient alors. Spécifiquement, il est intéressant de comparer les méthodes utilisées par les belligérants, c’est-à-dire l’Allemagne et la France. Ainsi. dans le chapitre « Images, combat et héroïsme, de la Grande Guerre à nos Jours », Joëlle Beurier (doctorante à l’Institut universitaire européen de Florence) fait ressortir le contraste entre le choix graphique de la presse allemande par rapport à la française. Elle écrit: « L’étude des corpus comparés des presses illustrées française etallemande » révèle « des choix éditoriaux réellement significatifs des mentalités nationales et des recompositions identitaires… ». Et l’on n’est pas étonné de lire, sous la plume de Nicolas Beaupré, maître de conférences à l’Université Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand: « …La propagande artistique française met en avant la culture classique comme expression naturelle et universelle de l’esprit et de la civilisation française… »
Au point de vue politique, on est amené, la situation étant complexe, à relativiser d’avérées options-ainsi cette affirmation relative au général Guisan, « admirateur de Mussolini et de Pétain »-tout en ne manquant pas de faire certains rapprochements avec diverses constatations contemporaines: « Goebbels maintenait que le but de la propagande était de persuader le public de croire au point de vue du propagandiste. Mais si la propagande se veut efficace, elle doit, dans un sens, toujours être adressée à celles et ceux qui sont déjà partiellement convaincus ». En somme, le propagandiste canalise et amplifie un courant déjà existant: « Dans un pays sans eau il creuse en vain. » (Aldous Huxley, 1936.)
Il y aurait bien d’autres considérations à relever, mais j’aimerais conclure par l’image qui m’avait intriguée dès l’abord, celle de la célèbre sentinelle des Rangiers. Cette sculpture, due à Charles L’Eplattenier, « hodlérien dans l’âme », avait été inaugurée en 1924. Imposante statue située à 856 mètres d’altitude, à la croisée des espaces nationaux suisse, allemand et français, ce soldat de pierre, baïonnette au vent, était tourné en direction de la France, « comme si la menace devait se localiser spécifiquement sur ce front »! Dans leur intervention, Philippe Kaenel el François Vallotton écrivent· « Quant au prénom allemand Fritz donné à la statue, il ne pouvait que heurter une population locale qui s’est généralement sentie plus proche de la culture française que de la culture allemande durant ce conflit. » Et voilà qu’une œuvre dédiée au soldat anonyme, « en témoignagede reconnaissance envers l’armée pour la garde vigilante des frontières pendant les années 1914 à 1918 » (inscription gravée sur le monument) allait devenir la cible des Jurassiens, particulièrement des jeunes autonomistes du Groupe Bélier. En fait ces derniers ont porté des coups à la sentinelle (qu’ils ont finalement détruite) parce qu’elle incarnait, si l’on peut dire, le pouvoir bernois. Au delà étaient aussi visées les autorités helvétiques longtemps restées sourdes aux légitimes revendications jurassiennes.
La série de contributions s’achève par un thème débordant le sujet (mais combien important pour l’avenir de l’humanité!), celui de la « guerre atomique », renfermant des photographies insoutenables (Hiroshima, Nagasaki). La folie des hommes a-t-elle atteint ses limites?
       Roger Châtelain, Revue suisse de l’imprimerie, novembre 2008, p.78
 
Le récent décès du dernier « poilu » français aura suscité une profonde émotion au sein de nos populations. Celles-ci ont pris conscience qu’avec la disparation des derniers combattants de la Première Guerre mondiale et le vieillissement de ceux qui ont participé au second conflit mondial du siècle dernier, elles auraient à entretenir elles-mêmes ce fameux « devoir de mémoire ». Les éditions Antipodes, établies à Lausanne, viennent, dans ce contexte, de publier un intéressant ouvrage consacré aux Images en Guerre et qui est le fruit d’une journée d’étude organisée à l’Université de Lausanne dans le cadre d’un séminaire interdisciplinaire intitulé « Images et Histoire: cultures de guerre en Suisse et en Europe 1914-1950 ». L’ouvrage a été réalisé sous la direction de Philippe Kaenel, professeur d’ Histoire de l’Art à l’Université de Lausanne et de François Vallotton, professeur d’Histoire contemporaine à cette même université.

Le livre aborde aussi bien les contextes français, belge, allemand, italien, britannique ou encore américain, privilégiant ainsi une démarche transnationale qui tient compte de la circulation des représentations à une époque où la propagande connaît une forte évolution médiatique. Dans cette optique, « la Suisse, terrain d’affrontement privilégié de cette « guerre des images » mais aussi lieu de repli pour de nombreux artistes et intellectuels exilés, constitue un observatoire privilégié au sein de cette géographie culturelle » affirment les deux coordinateurs de cet ouvrage.

Pour réaliser ce travail de réflexion, il a été fait appel aux compétences de nombreux historiens pour proposer, non seulement une lecture matérielle, sociale et esthétique des cultures de guerre mais aussi une approche fort attentive des conditions spécifiques de production des représentations, de leur diffusion et de leur réception et cela dans toute leur diversité: de la littérature à la sculpture, en passant par la gravure, la peinture, la photographie, le cinéma, l’affiche, la caricature et même la bande dessinée et le dessin animé.

Les deux guerres mondiales auront la fois instrumentalisé et miné le caractère « objectif » des images dites documentaires. Leur mobilisation au service du pouvoir installera une certaine défiance, voire un rejet radical face aux diverses formes de conditionnement visuel. Ces conflits vont introduire une crise de la « représentation », les techniques et les codes qui prévalaient jusqu’alors ne pouvant plus rendre compte de la spécificité de la guerre moderne caractérisée notamment par la violence « satanique » des tranchées, l’horreur inédite de l’univers concentrationnaire ou la vision apocalyptique des champignons atomiques. Ces images nouvelles ont remodelé notre imaginaire et contribué à nourrir des mémoires de la guerre que se sont employés à stigmatiser ou à légitimer certains acteurs politiques ou sociaux, une fois la paix revenue. Parmi les nombreux documents reproduits dans l’ouvrage figurent plusieurs oeuvres du peintre allemand Otto Dix, qui participa à la guerre de 1914-18, notamment près dYpres, et qui a parfaitement su exprimer l’horreur de la guerre.

José Vanderveeren, Agence de Presse Belga

La complexité de la guerre mise en Images

La Sentinelle des Rangiers, de Charles L’Eplattenier, a été inaugurée en 1924 en présence du général Wille. Tournée vers la France et l’Allemagne, la statue devait exprimer de la reconnaissance aux soldats suisses ayant gardé les frontières pendant la guerre. Mais sa ressemblance avec les Prussiens ne plaisait pas à tout le monde. Le Fritz a été détruit en 1984 par des activistes jurassiens. Il apparaît aujourd’hui sur la couverture d’un ouvrage collectif sur Les images en guerre.

Le livre évoque la figure de Paul Senn. Ce photographe avait travaillé en Espagne pendant la guerre civile et les réfugiés du Perthuis l’avaient beaucoup marqué. Ses travaux s’inscrivaient dans un air du temps rassembleur, comme ses clichés sur les paysans et les ouvriers suisses. Mais il avait la faculté de « photographier des gens, même dans les situations les plus délicates, avec autant d’à-propos que d’empathie et de respect ». Associé au journaliste Peter Surava, rédacteur du journal Die Nation, il avait réalisé un reportage à Lyon sur la France libérée qui découvrait des horreurs comme les charniers des crimes nazis. Les deux hommes ont aussi dénoncé, en Suisse, « l’exploitation des valets de ferme, les abus sexuels contre des enfants placés ou la situation dans des foyers d’enfants ».

Des représentations d’infirmières de la Grande Guerre sont aussi mentionnées dans une perspective de comparaison internationale. Elles relèvent d’archétypes féminins dans des affiches de propagande pour la Croix-Rouge qui prolongent en quelque sorte les rôles traditionnels des femmes entre la « figure maternelle de l’ange blanc qui soigne et rassure, et celle, érotisée, d’une femme sensuelle et séductrice qui vient réconforter le soldat dans cet univers militaire masculin morbide […] ».

L’ouvrage propose encore une synthèse des recherches et des initiatives mémorielles transfrontalières qui ont été engagées ces dernières années autour des Alpes en guerre. En outre, la figure de Marcel Junod, ce médecin suisse qui témoigna parmi les premiers du désastre humain d’Hiroshima, est également évoquée.

Au fil de ces contributions, le lecteur est ainsi incité à un travail de mémoire nourri d’une analyse critique des images et des représentations produites par les contextes de guerre ou portant sur elles.

 Charles Heimberg, Le Courrier, 03-06-2008

De la colonne Trajane à Iwo Jima

Des bas-reliefs de la colonne Trajane (relatant la victoire romaine sur les Daces) au Guernica de Picasso, des Massacres de Scio de Delacroix à la photo des Marines hissant la bannière étoilée au sommet d’Iwo Jima, les images de guerre, sous leurs diverses formes, ne sont ni neutres ni « objectives ». C’est un truisme, mais il faut le rappeler. Elles ont toujours été utilisées, instrumentalisées au service d’une cause patriotique, belliciste, ou même pacifiste. Elles sont donc elles-mêmes en guerre. C’est le titre bien choisi d’un ouvrage collectif récemment paru. Il concentre son attention sur les deux guerres mondiales.

Comment arriver à dire l’indicible?

Une première contribution met en avant l’élaboration, dans la Suisse de 1914-18, d’une iconographie guerrière oú s’impose la figure vigilante et protectrice de la sentinelle, avec sa verticalité et sa rigidité: image mobilisatrice parfaitement représentée par le fameux Fritz des Rangiers, ultérieurement « plastiqué » par les autonomistes jurassiens. La menace d’une nouvelle guerre et l’esprit d’une Défense nationale à la fois militaire et spirituelle feront naître un art plastique, à l’honneur à la Landi de 1939, dont l’esthétique virile n’est pas sans rappeler les productions d’Arno Breker et de l’art national-socialiste! On s’intéressera ensuite à la construction de l’iconographie officielle, notamment équestre, du Général Guisan.

La Première Guerre mondiale-et avec elle le triomphe de la guerre moderne, industrielle, anonyme, technologique, liée au summum de l’horreur (tranchées, gaz, shrapnells…)-va poser un certain nombre de problèmes liés à sa représentation. Comment dire l’indicible par le verbe ou par l’image? Seuls des langages artistiques nouveaux (l’expressionnisme, le futurisme d’un Fernand Léger, le pré-surréalisme d’Apollinaire) semblent adéquats pour traduire l’ébranlement du soldat au contact de ce conflit déshumanisé. La pléthore de photographies et leur instrumentalisation sont l’objet d’une autre étude convaincante. Dans quelle mesure par exemple l’image récurrente d’un soldat allemand héroïque, toujours à l’attaque baïonnette au canon, n’a-t-elle pas contribué au déni de la défaite de 1918, récupéré par l’extrême droite, et favorisé le mythe du « coup de poignard dans le dos » qui aurait acculé à la capitulation l’armée impériale invaincue? On regrettera en revanche l’analyse superficielle de la production cinématographique, qui prétendait sans doute embrasser un sujet trop vaste. Le chef-d’œuvre d’Eisenstein, Alexandre Nevski (1938), chargé d’un message patriotico-politico-social et riche de connotations symboliques, eût ainsi justifié à lui seul une monographie. Relevons une analyse particulièrement subtile de l’évolution des représentations de la guerre (graphique ou littéraire) chez Otto Dix et Blaise Cendrars. De la gouache, technique rapide et relativement moderne qu’il utilisait sur le front même, Dix passera ultérieurement à la technique ancestrale de l’eau-forte pour remémorer la guerre; il insufflera également dans son œuvre l’esprit du pacifisme.

Première guerre « totale », celle de 1914-18 a mobilisé aussi les femmes, sans pourtant que leur soient accordés à son terme les bénéfices de leur engagement. Emblématique, la figure de l’infirmière permet de convoquer tous les stéréotypes féminins: la Mère berceuse et quasi sacralisée, l’image incarnée du don de soi et de l’abnégation (oú la douceur féminine semble, pour panser les blessés, suppléer à l’absence de véritables compétences professionnelles). Autant d’images récurrentes auxquelles s’ajoute, aux Etats-Unis, celle du sex-symbol. C’est contre cette imagerie que s’affirmera, en France dans les années 80, le mouvement de lutte des femmes, avec leur slogan: « ni bonne, ni nonne, ni conne »!

 

Reportage sur un charnier

Une autre contribution s’intéresse à l’œuvre photographique de Paul Senn (1901-1953). Non seulement ses images de la Suisse pendant la Mob, marquées par son engagement social, ont gardé une grande force, mais encore il a contribué, par son reportage sur un charnier à Lyon publié dans Die Nation, à ouvrir les yeux des Suisses sur les atrocités allemandes. Trop peu connue, l’utilisation des comic books américains (brochures contenant des BD) au service de la propagande contre le nazisme et le totalitarisme! Un message et une esthétique qui seront repris, avec une teinte raciste, contre les « Rouges » pendant la guerre de Corée. Les buts commerciaux (et donc pas uniquement idéalistes) n’étaient cependant pas absents de cette production abondante et ambiguë, dont la thématique répondait aux attentes du public et était donc « vendeuse ». On se penchera enfin sur le témoignage du Dr Marcel Junod (1904-1961), délégué du CICR au Japon. Tant ses observations médicalement rigoureuses que les photos insoutenables rapportées d’Hiroshima contribueront, comme c’était son intention, à mobiliser l’opinion contre le péril atomique et le caractère inhumain de cette arme de destruction totale.

Voilà donc un riche et dense ouvrage qui pose des questions fondamentales sur les rapports entre l’image et la guerre industrielle moderne.

Pierre Jeanneret, Gauche Hebdo, 6 juin 2008