Le cartable de Clio 13/2013

Revue suisse sur les didactiques de l'histoire. Dossier: Le genr

Heimberg, Charles,

2013, 240 pages, 19 €, ISBN:978-2-88901-087-5

Le dossier central de ce 13e numéro propose une réflexion sur le genre en histoire. Au croisement d’un développement historiographique important, d’une demande sociale forte, de propositions ou d’injonctions institutionnelles, un certain nombre de facteurs incitent les enseignant-e-s à faire entrer l’histoire des femmes et du genre à l’école.

Format Imprimé - 27,00 CHF

Description

Le dossier central de ce 13e numéro du Cartable de Clio propose une réflexion sur le genre en histoire. Au croisement d’un développement historiographique important, d’une demande sociale forte, de propositions ou d’injonctions institutionnelles, un certain nombre de facteurs incitent les enseignant-e-s à faire entrer l’histoire des femmes et du genre à l’école. Si l’histoire scolaire a encore des contenus principalement masculins, si la perspective de genre n’est pas encore devenue un objet d’enseignement, quelques signes de changement se laissent toutefois percevoir. Or, la question, délicate, est prise dans un contexte social, médiatique et scolaire agité; elle fait en outre écho à de profonds questionnements chez les élèves, personnels et intimes.

La spécificité des objectifs didactiques et des finalités de l’histoire scolaire que les thématiques de genre peuvent viser est interrogée dans ce volume. En effet, en raison de leur dimension critique, elles semblent particulièrement opérantes pour exercer la pensée historique des élèves.

Table des matières

Editorial: La didactique de l’histoire et le rapport à la vérité

Dossier : Le genre en histoire. La construction du féminin et du masculin

  • Le genre en histoire. La construction du féminin et du masculin (Valérie Opériol)
  • Le genre de la démocratie en France au XXe siècle (Françoise Thébaud)
  • Questionner les stéréotypes: la division sexuée du travail (XIXe-XXe siècle). Quelques repères pour l’enseignement (Anne-Françoise Praz et Stréphanie Lachat)
  • Le genre des histoires familiales. Fabrication de l’histoire en famille (Alexandra Oeser)
  • Le militaire, le sportif et le père (André Rauch)
  • Fantasmes, images et réalités du voile et du dévoilement. Exemples en France et en Suisse (Michèle Zancarini-Fournel)    
  • Faire l’histoire de l’homosexualité en Europe et aux Etats-Unis (XIXe-XXe siècle) (Florence Tamagne)
  • Les femmes exceptionnelles ne peuvent être que des exceptions. L’exclusion des femmes de l’activité scientifique (Isabelle Collet)


Actualité de l’histoire

  • Momies, pyramides… et ensuite? Quelques pistes pour une approche renouvelée de l’Egypte ancienne en cadre scolaire (Youri Volokhine)
  • Trois cents ans après la seconde guerre de Villmergen: une page oubliée de l’histoire suisse? (Markus Furrer)
  • Guerres, « Nation », « Sentiment national » à la fin du Moyen Âge (Anne-Cécile Charritat et Pierre-Emmanuel Erard)


Usages publics de l’histoire

  • Rien de plus inconnu que le connu? Remarques sur les échos médiatiques de quelques images tirées d’un dossier électronique des Documents diplomatiques suisses sur la Shoah (Sacha Zala et Marc Perrenoud)
  • Un compte rendu d’une exposition sur la grève des Ateliers CFF de Bellinzone en 2008: quand l’histoire immédiate et l’histoire ouvrière s’exposent (Charles Heimberg)


Didactiques de l’histoire

  • Histoire et interdisciplinarité à l’école élémentaire: autour d’un concours sur la Grande Guerre (Angelina Ogier)
  • Définition du concept de temps dans la perspective de son enseignement au premier cycle du primaire au Québec (Julia Poyet)
  • Un siècle de leçons sur la conquête des Gaules à partir de cahiers d’histoire (Aurélie Rodes)
  • Une allégorie entre dans la classe. La figure de la Justice aux yeux bandés (Charles Heimberg)
  • La Svizzera nella storia: un nuovo manuale per la scuola media ticinese. La Suisse dans l’histoire: un nouveau manuel pour l’Ecole moyenne tessinoise (Gianni Tavarini)
  • Eine Grammatik zur Befragung von schulischer Geschichte (EDHICE)
  • Colloque tenu à l’occasion de l’ouverture du Centre pour la didactique de l’histoire et des cultures de la mémoire à la HEP de Lucerne (Barbara Sommer Häller)
  • Colloque sur la didactique empirique de l’histoire, 2012 (Geschichtsdidaktik empirisch 12) (Béatrice Ziegler)
  • Hommage à Thierry Aprile, en parcourant ses livres pour la jeunesse (Charles Heimberg)


Histoire de l’enseignement

  • Géographie, éducation libertaire et établissement de l’école publique entre le XIXe et le XXe siècle: quelques repères pour une recherche (Federico Ferretti)
  • Le film fixe, un outil pédagogique au service de l’histoire de l’éducation? (Sylvain Wagnon et Hélène André)

 
Comptes rendus, résumés et annonces

Presse

Dans la revue en ligne Lectures / Liens Socio

La revue suisse sur les didactiques de l’histoire a pour objectif de renouveler l’enseignement de la discipline en tenant compte de son histoire, de sa diversité potentielle et d’une connaissance partagée des débats qu’il suscite dans différents pays. Aussi l’histoire des femmes et du genre se trouve-t-elle au cœur des problématiques du Cartable de Clio, qui consacre le dossier central de ce 13e numéro à ces questions. La notion de genre, devenue une catégorie d’analyse à part entière, se trouve en effet au croisement de nombreux facteurs: l’important développement historiographique, la forte demande sociale ainsi que les propositions ou injonctions institutionnelles qui touchent aujourd’hui la question du genre. C’est ce qui incite les enseignant-e-s à l’introduire à l’école.

Tout en prenant en compte les difficultés d’un contexte scolaire et médiatique agité, la revue tient à souligner la spécificité des objectifs didactiques et la finalité de l’histoire scolaire que les thématiques de genre peuvent viser. En effet, la dimension critique du prisme d’analyse du genre semble particulièrement opérante pour exercer la pensée historique des élèves. Le dossier a pour but de rappeler le cadre théorique des études de genre et l’enjeu de ces dernières pour l’enseignement de l’histoire, tout en dressant un état des recherches dans différents pans de l’histoire du genre. En effet, dans leur diversité, les sept contributions de ce dossier offrent un panorama des grands objets historiques que l’enseignement se doit d’aborder.

Soulignant la dimension masculine des contenus d’enseignement de l’histoire à l’école jusqu’à nos jours, Valérie Operiol ouvre le dossier sur le rappel de la distinction sexe/genre – une distinction dont il faut non seulement retracer l’historicité, mais aussi saisir le caractère mouvant de la frontière qu’elle opère entre ces deux notions. La formatrice souligne également l’importance de faire comprendre aux élèves l’idée de la consubstantialité des relations de pouvoir, rapports de classe et de race s’articulant aux rapports homme/femme. Le concept de périodisation et celui d’événement en histoire sont de surcroît remis en cause par une telle approche, occasion pour les élèves de s’interroger sur leur construction mais aussi sur le point de vue de l’historien et sa relation aux sources.

La première des sept contributions qui suivent explore la question du genre dans l’histoire de la démocratie en France, sous la plume d’une pionnière en la matière: Françoise Thébaud. Si la figure de Marianne semble associer les femmes à l’avancée démocratique du pays, l’historienne rappelle que cette allégorie représente davantage la nation féminisée que la République. Le paradoxe français réside en effet dans la revendication de cette avancée démocratique, qui s’accompagne d’un retard pour ce qui est du suffrage féminin et de la répartition plus équitable des responsabilités politiques entre hommes et femmes. L’auteure retrace ainsi l’histoire du suffragisme et des mouvements qui l’ont porté en France, ainsi que les réactions qu’il a suscitées. Elle souligne pour finir l’exclusion des femmes du monde politique de la Ve République en explorant les enjeux et les limites des solutions de quotas et de parité.

C’est ensuite du côté de l’histoire du travail que se tournent Anne-Françoise Praz et Stéphanie Lachat, qui se proposent d’en interroger la division sexuée, une thématique idéale pour faire comprendre aux élèves que les différences entre les sexes résultent d’une construction sociale – dans la mesure où elles révèlent l’interaction entre genre et classe dans la formation des identités. Les deux historiennes mettent en perspective l’impact des transformations induites par la révolution industrielle sur les rôles sexués, en rappelant que si la figure de la travailleuse devient visible lorsqu’elle entre dans les fabriques, il ne faut pas minorer son rôle économique dans l’exploitation traditionnelle. Elles analysent de même les ressorts du modèle homme gagne-pain vs femme au foyer ainsi que sa diffusion, en montrant toutefois, à travers une étude du monde de l’horlogerie suisse, que ce modèle est loin d’être uniforme. Il y est concurrencé par une valorisation de la double tâche féminine – travailleuse et ménagère –, un modèle ensuite remonté le long de l’échelle sociale au fur et à mesure de l’accès des femmes au marché du travail.

L’histoire ne s’apprend pas uniquement à l’école, c’est pourquoi l’historienne et sociologue Alexandra Oeser s’interroge sur la manière dont les logiques de genre construisent les appropriations dans le cadre familial. Le constat de départ est le suivant: la sociologie française penche pour une mémoire familiale féminine alors que les études allemandes montrent que l’objet de mémoire que représente le nazisme investit les aïeux masculins dans le processus de transmission de la mémoire. S’appuyant sur deux monographies familiales allemandes, l’auteure tente de répondre à cette question: comment les stéréotypes du masculin et du féminin influent-ils sur les histoires racontées en famille? Elle souligne par exemple que la représentation du politique comme activité masculine influence les représentations que l’on se fait de l’histoire.

L’historien des masculinités André Rauch présente un triptyque des figures de la virilité: le militaire, le sportif et le père. Si les deux premiers ont des caractéristiques rigides, l’auteur montre que « la figure du père, elle, a évolué vers la démocratisation des rôles et des valeurs » (p. 55). Au début du XIXe siècle, avec le Consulat et l’Empire, la guerre n’est plus l’apanage de quelques-uns, aussi la catégorie militaire s’appliquait-elle simplement à ceux qui n’étaient ni femme, ni enfant, ni infirme et ni vieillard. Face à ces héros, il ne restait aux femmes que leurs larmes, sacralisées par la République. Cette frontière entre les sexes s’est trouvée cependant ébranlée par la participation des femmes à la Libération. Quant au sportif, il peut devenir le « héros en temps de paix » en portant en lui, outre ses performances physiques, le symbole de toute une nation, ce qui n’est pas le cas de la sportive, à qui l’on prête volontiers des contre-valeurs de la féminité du fait de l’effort physique qu’elle fournit. Pour ce qui est de la figure du père, l’auteur retrace le passage de la paternité vers la parentalité paternelle, cette dernière allant au-delà de la première car elle ne se limite pas à faire un enfant mais nécessite d’assumer les multiples fonctions parentales. Le malaise s’installe alors dans la sphère privée autant que publique, dans la mesure où ces fonctions peuvent être assumées par quelqu’un d’autre que le géniteur. L’article se clôt sur les ressorts des débats sur la parentalité pour tous.

Le travail de Michelle Zancarini-Fournel permet une réflexion sur la situation coloniale et post-coloniale par le biais de l’iconographie. Le stock d’images héritées de l’histoire coloniale est le support d’une étude sur la question du voile et du dévoilement, « autoritaire ou non, fantasmé ou réel », étude qu’elle met en regard avec le statut des femmes dans les colonies. L’article rappelle dans un premier temps comment les images du corps féminin sont produites et pensées en contexte colonial, puis étudie la question du voile dans les sociétés suisses et françaises depuis la fin du XXe siècle. L’auteure y révèle combien le rapport à l’islam et aux questions soulevées par les droits des femmes est clivant la société du XXIe siècle.

L’histoire des homosexualités s’est écrite tardivement dans le paysage historiographique. Florence Tamagne, spécialiste de la question, pose les bases d’une histoire des identités homosexuelles depuis le XIXe. Répression et militantisme jalonnent l’histoire de cette subculture jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Les années 1970 signent le point de départ du mouvement de libération homosexuel, qui se traduit par une lutte pour l’égalité des droits amenant les pays à une prise de position, qu’elle soit ou non en faveur du refus de discrimination. L’auteur dresse à ce titre un panel des disparités nationales.

« Les femmes exceptionnelles ne peuvent-elles être que des exceptions? » C’est la question que pose Isabelle Collet en mettant en perspective historique l’exclusion des femmes de l’activité scientifique, de Fénelon à nos jours. L’instruction donnée aux filles en était un premier ressort, car elle était adaptée au rôle social qu’on leur assignait, supposé naturel. L’historienne montre que, depuis le XVIIe siècle, les demoiselles savantes payent le prix de leur transgression par une mise en marge sacrificielle à laquelle les jeunes femmes peuvent difficilement s’identifier.

Ainsi, au fil de ces sept contributions, le lecteur aura parcouru un panel large et général des objets de l’histoire du genre, qui offre une toile de fond, un cadre théorique et des repères clairs pour toute entreprise pédagogique.

Claire-Lise Gaillard, Lectures, Les comptes rendus, 28 mai 2014, http://lectures.revues.org/14783