La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962)

Carron, Damien,

2013, 496 pages, 33 €, ISBN:978-2-88901-076-9

La guerre d’indépendance algérienne marque par sa longueur et sa violence l’histoire du XXe siècle. Longtemps présentée comme un « événement de politique intérieure française », ce conflit a eu des conséquences bien au-delà. Cet ouvrage porte sur les impacts de cette terrible guerre de décolonisation sur la Suisse, en effet, directement touchée, et sur la politique de ses autorités. La confrontation des sources provenant des archives algériennes, françaises et suisses permet de donner un éclairage novateur à de nombreux moments clés du conflit. 

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Description

La guerre d’indépendance algérienne marque par sa longueur et sa violence l’histoire du XXe siècle. Longtemps présentée comme un « événement de politique intérieure française », cette guerre a eu des conséquences bien au-delà.

Pour la Suisse, le début de la guerre correspond à sa réintégration dans le nouvel ordre mondial, après les années difficiles de l’après Seconde Guerre mondiale. Le contexte de guerre froide ainsi que le mouvement planétaire de décolonisation lui offrent l’occasion de démontrer la réelle utilité de « sa neutralité » par l’engagement de sa diplomatie.

Mais le conflit algérien vient d’abord troubler les relations franco-suisses. La Suisse se trouve sous la pression de Paris, qui exige un soutien sans faille, et des pays du Proche et du Moyen-Orient qui critiquent toute attitude favorable à la France. Le suicide du procureur général de la Confédération, impliqué dans une affaire d’espionnage, marque en 1957 une rupture dans la politique de la Confédération vis-à-vis des Algériens. La Suisse va chercher à maintenir un équilibre entre les différents acteurs.

Les autorités suisses doivent gérer plusieurs dossiers sensibles liés à la guerre: présence de ressortissants suisses en Algérie; opinion publique suisse qui bascule en faveur des Algériens; présence de ressortissants algériens en Suisse.

L’auteur a eu la chance de pouvoir travailler dans les archives algériennes, françaises et suisses: la confrontation des sources lui permet de donner un éclairage novateur à de nombreux moments clés du conflit.

Table des matières

I. La Suisse et le début de la guerre d’indépendance algérienne

  • Suisse-France-Algérie (1945-1954), une mise en perspective structurelle

  • Une première année de guerre et ses multiples répercussions (1954-1955)

II.  Implications internationales et nationales de la guerre d’indépendance algérienne pour la Suisse

  • De la crise de Suez à l’Affaire Dubois

  • Du procès de la Légion étrangère, au débat sur la torture (1958-1960)

III. La Suisse et la fin du conflit. Des pourparlers aux accords d’Évian (1960-1962)

  • Présence et activités des Algériens et des milieux pro-FLN en Suisse

  • La Suisse et les Accords d’Évian
  • La Suisse et l’Algérie indépendante

Presse

Dans la revue Annales. Histoire, sciences sociales

« Berne, été 1954. La Coupe du monde de football, qui verra l’équipe de la République fédérale d’Allemagne remporter la finale contre le Onze d’or hongrois, bat son plein.
Descendu à l’hôtel Simplon, à deux pas de la gare, un groupe de ressortissants algériens tient des réunions secrètes. Leurs rencontres se renouvelleront les mois suivants. Les inspecteurs de la police fédérale, qui observent leurs allées et venues en vieille ville, ne saisissent pas la raison de leur présence ni, ne maîtrisant pas l’arabe, le contenu de leurs propos.
Le moment est pourtant capital. Ce n’est rien de moins que la décision de déclencher l’insurrection qui est prise » (p. 11). L’ouvrage de Damien Caron s’ouvre ainsi avec le rythme d’un polar, qui ne manque pas de rappeler à certains Le petit soldat de Jean-Luc Godard (1960), dans lequel Bruno Forestier – français, déserteur et membre de l’Organisation armée secrète (OAS) – doit tuer un journaliste proche du Front de libération nationale (FLN), en 1958, à Genève.
Il ne faut pas s’y tromper. Chercheur « calme de tempérament » (l’expression est de Pierre Vidal-Naquet, cité en exergue), D. Caron livre ici un travail minutieux d’histoire des relations internationales. Tiré de sa thèse et enrichi par une longue fréquentation des Archives fédérales (au sein de l’équipe des Documents diplomatiques suisses), l’ouvrage s’inscrit à plein titre dans le processus d’internationalisation que connaît l’historiographie de la guerre d’Indépendance algérienne depuis quelques années.
Si la production scientifique algérienne a commencé à être prise en compte à partir de la seconde moitié des années 19901, l’approche franco-algérienne dominante a été délaissée à partir des années 2000 et le conflit a été progressivement resitué dans sa véritable dimension méditerranéenne, internationale et, finalement, globale2. Dans cette perspective, l’ambition de l’auteur est double. Il s’agit, d’un côté, de combler un vide historiographique, la Suisse manquant « au tableau des ouvrages consacrés à l’impact du conflit sur les pays partenaires de la France », de l’autre, d’étudier plus précisément, par la consultation des « papiers d’État », les répercussions directes et indirectes de la guerre d’Indépendance algérienne sur les autorités suisses (p. 447).
L’auteur remplit son objectif grâce à une vaste mobilisation de sources, suisses mais aussi françaises et algériennes. À côté des documents diplomatiques officiels, sources premières de l’enquête, sont exploités entretiens, mémoires et archives privées provenant des trois pays. Cette approche permet d’apprécier la manière dont la Suisse a été perçue et instrumentalisée par les belligérants, un aspect particulièrement novateur du travail de D. Caron.
Le livre se développe suivant une scansion chronologique classique, organisée en trois parties: la première va de l’avant-guerre au déclenchement de l’insurrection; la deuxième commence par la crise de Suez et court jusqu’en 1960; la troisième se focalise sur l’engagement progressif de la Suisse dans les pourparlers franco-algériens jusqu’aux accords d’Évian. À cette scansion, qui suit l’évolution générale de l’attitude des autorités suisses, trois thématiques majeures font contrepoint de manière transversale: les Algériens en Suisse, la colonie suisse en Algérie et les Suisses dans la Légion étrangère.
La première partie s’ouvre par un chapitre que l’auteur définit comme « structurel »: y sont étudiés en détail les Suisses présents en Algérie, colons et légionnaires, au regard de leur provenance cantonale, de leur appartenance sociale, de leur département algérien d’installation. Au moment du déclenchement de la guerre d’Indépendance, l’Algérie est, après le Maroc, le pays où vivent le plus grand nombre de Suisses (2026 dont 921 doubles nationaux). Si les grandes fortunes existent – l’exemple le plus connu étant certainement celui des Borgeaud –, la majorité des ressortissants suisses sont de condition modeste. En ce qui concerne les légionnaires, les chiffres sont plus flous puisque la Légion « permet, voire encourage, le changement d’identité et de nationalité » (p. 50). Le gouvernement suisse évalue toutefois entre 180 et 200 le nombre d’hommes engagés chaque année (période 1949-1959) et entre 1100 et 1300 l’effectif total pour 1959.
C’est à la lumière de ces éléments qu’il faut aussi comprendre la politique étrangère de la Confédération helvétique, orientée, d’un côté, par le souci de ne pas heurter un partenaire commercial primordial tel que la France et, de l’autre, par la crainte que la crise algérienne ne se résolve avec une percée du communisme en Afrique du Nord. Face aux nombreux nationalistes maghrébins qui trouvent refuge sur le territoire helvétique (en raison de la proximité avec Paris, du siège de l’Organisation des Nations unies, des nombreux postes diplomatiques, des deux aéroports internationaux…), les autorités suisses tentent « de trouver une solution équilibrée qui tienne compte des exigences ou des protestations françaises et de l’importance probable des personnalités nord-africaines dans un futur pays indépendant. Les autorités françaises préfèrent du reste savoir les leaders nord-africains en Suisse plutôt qu’au Caire » (p. 452).
La deuxième partie est consacrée aux années 1956-1960, le « coeur du conflit ». D. Caron y analyse la crise de Suez de 1956 et la prise de conscience de la gravité des « événements » algériens qui, en Suisse comme ailleurs, trouvent un puissant catalyseur avec la « bataille d’Alger » en 1957 et la diffusion des témoignages sur l’usage de la torture (notamment des légionnaires3). Coïncidant avec ce changement d’attitude, le procureur général de la Confédération, René Dubois, soupçonné de livrer des informations sensibles aux services secrets français, se suicide le 23 mars 1957, un événement qui marque selon l’auteur un « tournant significatif ». Les révélations portent notamment sur la mise sur écoute téléphonique de l’ambassade d’Égypte à Berne, « un haut lieu du soutien aux nationalistes algériens » (p. 154). On ignore le contenu des écoutes mais la concomitance avec certains faits majeurs, tel l’arraisonnement du navire égyptien Athos, chargé d’armes destinées aux bases marocaines de l’Armée de libération nationale (ALN), le 16 octobre 1956, ou le détournement de l’avion avec à bord les chefs historiques, le 22 octobre 1956, laisse deviner l’impact de l’affaire dans l’opinion publique suisse. « La tentation est grande », glose D. Caron, « d’expliquer à posteriori les différents événements à l’aune de l’interception des communications téléphoniques de l’ambassade d’Égypte à Berne, même si les preuves formelles manquent » (p. 197).
Dans la dernière partie, l’auteur détaille avec précision le processus qui conduit des premiers contacts entre Algériens et Français (1955-1958) aux accords d’Évian (1962).
Ferhat Abbas lui-même, en mai 1958, fait savoir au chef du département politique que le FLN voudrait que « la Suisse autorise sur son territoire des contacts entre les envoyés du FLN et les représentants des autorités françaises, pour trouver une solution au conflit » (p. 375). Mais ce n’est qu’en 1960 que des contacts sérieux ont lieu et seulement après le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie du 8 janvier 1961 que Charles de Gaulle accepte les « bons offices » suisses, patiemment préparés par Olivier Long et Max Petitpierre.
S’il faut saluer la nouveauté d’une enquête qui prend en compte la complexe interaction entre les acteurs et les enjeux (algériens, français et suisses), on peut regretter le strict respect du périmètre classique de l’histoire des relations internationales. Bien sûr, D. Caron n’oublie ni l’activité des Algériens en Suisse (de Ferhat Abbas à Taïeb Boulharouf, Ahmed Boumendjel, Krim Belkacem…), ni le réseau suisse de soutien aux Algériens (quelques « exemples parlants » sont cités: Charles-Henri Favrod, Nils Andersson, Marie-Magdeleine Brumagne, Isabelle Vichniac…). Cela ne sera certainement pas une entreprise facile, mais une histoire sociale de ces réseaux reste à faire.
D. Caron avait prévenu: « Nous n’avons pas l’intention dans notre recherche de procéder à une nouvelle tentative de reconstitution de ces réseaux. Notre démarche en ce qui concerne la participation de Suisses aux réseaux d’aide veut plutôt prendre en considération le point de vue des autorités fédérales, d’une part, celui des Algériens de l’autre » (p. 291), ce que l’auteur appelle les « papiers d’État ».

Andrea Brazzoduro, Les Annales HSS, 71-1, 2016, p. 293-295

1. Charles-Robert AGERON (dir.), La guerre d’Algérie et les Algériens, 1954-1962, Paris, Armand Colin/Institut d’histoire du temps présent, 1997.
2. Matthew CONNELLY, A Diplomatic Revolution: Algeria’s Fight for Independence and the Origins of the Post-Cold War Era, Oxford, Oxford University Press, 2002; Bruna BAGNATO, L’Italia e la guerra d’Algeria (1954-1962), Soveria Mannelli, Rubettino, 2012.
3. Damien CARON, « Les dossiers de jugement de Légionnaires suisses. Sources inédites pour une histoire de la torture pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », in M.CERUTTI, J.-F. FAYET et M. PORRET (dir.), Penser l’archive. Histoires d’archives – archives d’histoire, Lausanne, Éd. Antipodes, 2006.

Dans Mondes et cultures 

La politique étrangère de la Suisse et son rôle dans les relations internationales sont peu connus, du moins de ce côté-ci du Jura. La publication de la thèse de Damien Carron, soutenue à Fribourg en 2010, est venue opportunément remédier à cette carence.

Dès le début de l’insurrection algérienne, les dirigeants de la Confédération suivirent attentivement le cours des événements et le FLN comprit le parti qu’il pourrait tirer de ce pays. Il apparut rapidement que la Suisse pourrait être amenée à jouer le rôle de lieu de rencontre et de pourparlers: « La neutralité étant un privilège qui nous oblige à prêter nos bons offices » dira plus tard le conseiller Willy Spühler. Trois départements fédéraux (Politique, Militaire, Justice et Police) se trouvèrent impliqués dans les contacts entre les autorités françaises et les représentants du FLN-GPRA. Les figures de quelques hommes d’Etat sont bien campées, telle celle du conseiller fédéral Max Petitpierre, un Neuchâtelois, membre de l’exécutif et chef de la diplomatie de 1945 à 1960. Beau-frère de Denis de Rougemont, il fut président de la Confédération en 1955 et 1960 et fut le promoteur de la politique de neutralité active (ou neutralité solidaire). Le rôle discret et efficace du diplomate Olivier Long, qui maintint le contact avec les autorités françaises représentées par l’ambassadeur Léon Dennery et fut un inlassable facilitateur pour employer un néologisme (un go between diraient les Anglais,) est souligné à plusieurs reprises.

Dès mai 1956, Petitpierre déclarait devant le Conseil National qu’il ne voyait d’autre issue à l’affaire d’Algérie que l’octroi de l’indépendance. En octobre de la même année, il qualifiait le détournement de l’avion transportant les dirigeants du FLN, de guet-apens contraire au droit des gens et lourd de risques. En revanche, le Département militaire, dirigé par Paul Chaudet, qui craignait de voir le communisme prendre pied sur la rive sud de la Méditerranée, se montrait plus réservé. Les retombées pour la Suisse de l’affaire de Suez (octobre 1956) sont bien étudiées pp. 134-150. La diplomatie suisse fut chargée des intérêts français et britanniques en Egypte et en Syrie et des avions de Swissair assurèrent l’acheminement d’une force de police internationale. L’hostilité des dirigeants fédéraux à tout projet d’adhésion à l’ONU sortit renforcée de la crise.

En 1956, le FLN avait ouvert une agence à Lausanne. Elle fut fermée en 1959 et deux de ses membres expulsés pour espionnage et atteinte à la sureté de l’Etat, mais le GPRA eut bientôt un autre bureau, installé dans la villa de l’émir du Qatar à Genève. En mars 1957, le suicide du procureur général René Dubois, qui avait fourni à un agent du SDECE des écoutes et des documents sur les activités des diplomates égyptiens, suscita une vive émotion et même une vague d’indignation: il y eut dès lors une nette évolution de l’opinion suisse qui vit dans cette collaboration une atteinte à la souveraineté et à la neutralité de la Confédération, et la guerre d’Algérie devint très impopulaire. La presse de Suisse romande, notamment l’influent Journal de Genève, prit dès lors une orientation hostile à la politique française tandis que les réseaux de soutien au FLN s’implantaient dans le pays, avec l’aide de la Banque Commerciale Arabe. L’engagement de Suisses dans la Légion Etrangère et donc leur participation à la guerre d’Algérie était un autre brandon de discorde entre Paris et Berne. Le procès en Suisse de deux ex-légionnaires qui avaient reconnu avoir pratiqué la torture et affirmé qu’elle était pratique courante, suscita de profonds remous dans une opinion hostile à la Légion et d’une manière générale opposée à la vente de la bravoure suisse à des Etats étrangers. En 1957 également, Boumendjel, Ferhat Abbas, Adda Benguettat, Ahmed Francis et leurs familles étaient installés en Suisse, à Berne d’abord puis à Montreux. Max Petitpierre avait insisté pour qu’une autorisation de séjour leur fût accordée.

Au lendemain du référendum du 8 janvier 1961, par lequel les Français avaient largement approuvé sa politique algérienne d’autodétermination, De Gaulle voulut reprendre les contacts avec le FLN qui se trouvaient au point mort depuis l’échec des conversations de Melun en août 1960. Charles-Henri Favrod, jeune historien et journaliste à la Gazette de Lausanne, qui avait fait de nombreux voyages au Maghreb et en Afrique Noire (p.295), fut chargé de renouer les fils du dialogue. Favrod faisait partie d’un club informel plaisamment dénommé le Maghreb Circus. Il avait rencontré Boudiaf et était depuis 1957 en contact étroit avec Taïeb Boulahrouf. Etait-il mandaté par Matignon comme on l’a prétendu? Michel Debré avait toujours fait connaître son opposition à toute médiation suisse et on peut penser qu’il avait reçu des instructions directes de l’Elysée. Favrod entra en relations avec Saad Dahlab et Boumendjel, qui rencontrèrent Pompidou, directeur de cabinet de De Gaulle, à Lucerne le 30 mars 1961. Le principe de négociations à Evian fut arrêté.

Les activités de soutien auprès des Algériens réfugiés sont bien décrites et le rôle de Gertrud Kurz, militante du mouvement chrétien pour la paix, soeur de Reinhard Höhl, ambassadeur de Suisse à Vienne jusqu’en 1958, est évoqué p.348. Disciple et amie de Karl Barth, elle était en relations étroites avec la congrégation des diaconesses de Grandchamp, près de Neuchâtel. Cette communauté et le Mouvement prirent en charge l’hébergement de nombreux réfugiés algériens et assurèrent leur transport alors que le gouvernement fédéral se montrait réticent à assumer cette dépense (peut-être par crainte de tensions diplomatiques avec la France). Les dominicains de Fribourg se montèrent également bien disposés pour les Algériens en exil. Il n’est pas fait mention du Réarmement Moral (basé à Caux, près de Montreux) dont on sait pourtant qu’il s’engagea activement dans les affaires algériennes et dans la décolonisation en général. Le gouvernement de Berne était encore confronté au problème de ses nationaux résidant en Algérie. Un peu plus de 2000 ressortissants helvétiques étaient établis en Algérie au début de la guerre d’indépendance, parfois depuis fort longtemps, dont un bon nombre de binationaux, franco-suisses. Ils exerçaient des professions diverses mais certains étaient employés par la Compagnie Genevoise, peu favorablement connue des Académie des sciences d’outre-mer fellahs de la région de Sétif, où elle exploitait de vastes domaines depuis le Second Empire. Elle fut finalement expropriée en 1957. Ces Suisses d’Algérie étaient en général solidaires des Européens et opposés à l’indépendance, ce qui les mettait en porte-à-faux avec leur gouvernement, qui ne les indemnisa pas à leur retour. En 1962, le consulat d’Alger et les agences consulaires furent l’objet d’attaques à l’explosif, oeuvre de l’OAS, hostile à la politique de bons offices de la Confédération. Le consul général Henri Voirier recevait des lettres de menaces. Le putsch des généraux (21 avril 1961) ne l’étonna pas, non plus que son rapide échec. Il semble n’y avoir vu, comme bien d’autres, que la folle entreprise d’hommes habitués à sauter dans le vide…

La police fédérale et les polices cantonales devaient assurer la surveillance des Algériens résidant en Suisse et, au moment des deux conférences d’Evian, l’armée suisse eut à assurer la sécurité des plénipotentiaires algériens, que des hélicoptères militaires acheminaient à Lugrin, puis à Evian, chaque jour. Ce déploiement réduisait le temps d’instruction des troupes, si bien que les autorités helvétiques se demandèrent plus d’une fois si elles avaient bien tous les moyens humains et financiers de leur politique…

On aimerait avoir plus d’informations sur les quelques dizaines d’officiers algériens de l’armée française stationnés en Allemagne, qui désertèrent à partir de 1956 et, sous la protection des autorités de police de la RFA, gagnèrent la Suisse d’où ils furent acheminés vers la Tunisie ou quelquefois le Maroc (question évoquée p.355).

Au lendemain des accords d’Evian, les dirigeants suisses furent assaillis de témoignages de gratitude de divers côtés. De Ben Bella qui déclara qu’il tenait à passer dans ce pays ses premières journées de liberté. De France, dans le langage protocolaire et un peu compassé de Maurice Couve de Murville, et de bien d’autres pays. Mais le plus bel hommage leur fut rendu par le futur académicien Pierre-Henri Simon, professeur à l’université de Fribourg, qui, dès le 15 mars 1962, écrivait dans Le Monde: « Le peuple suisse peut être fier d’incarner, dans un monde agité et furieux, une vocation d’ordre et de service. Si la Suisse n’existait pas, la civilisation occidentale aurait besoin qu’on l’inventât, non seulement comme utile, mais comme exemplaire. »

Un livre bien documenté, objectif, d’une lecture enrichissante. La bibliographie est très complète, quasi exhaustive, mais on ne déplorera jamais assez l’absence d’un index qui faciliterait considérablement la consultation d’un tel ouvrage, dans lequel un grand nombre de personnages sont mis en scène.

Jean Martin, Mondes et cultures, compte rendu annuel des travaux de l’Académie des sciences d’outre-mer, LXXIII, 2013

Capolavoro diplomatico made in Switzerland

I retroscena sul ruolo cruciale del nostro Paese per risolvere la crisi riemergono da una massa diversificata di documenti elvetici

Berna, estate del 1954. Mentre nella capitale impazza la Coppa del mondo di calcio, presso l’Hotel Simplon, a due passi dalla stazione, un gruppo di cittadini algerini partecipa ad alcune riunioni segrete. Gli ispettori della Polizia federale osservano il loro andirivieni nella città vecchia senza riuscire a percepire il contenuto dei loro discorsi né le ragioni della loro presenza. Il momento è però cruciale: proprio in quegl’incontri viene presa la decisione di lanciare l’insurrezione in Algeria. Uno dei « cospiratori » non è altri che Ahmed Ben Bella, leader storico del Fronte di liberazione nazionale (FLN), colui che diventerà il primo Presidente dell’Algeria indipendente. Per diverso tempo la guerra d’indipendenza algerina è stata presentata come un fatto di politica interna francese. Questo conflitto ebbe però diverse ripercussioni anche al di fuori dei confini dell’Esagono. Responsabile dei dossier Francia, Africa, Vicino e Medio Oriente, dei « Documenti diplomatici svizzeri », Damien Carron si è trovato di fronte ad una massa importante e diversificata di documenti inerenti proprio al conflitto franco-algerino. L’analisi di questo materiale ha portato alla realizzazione di una tesi di dottorato e di un libro, La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), che mette in evidenza le ripercussioni che la guerra ebbe sulla Svizzera. Ricostruiamo i fatti.

Sul piano interno, le autorità elvetiche dell’epoca dovettero gestire alcuni dossier delicati legati alla situazione venutasi a creare in Maghreb: la presenza di cittadini svizzeri in Algeria, l’opinione pubblica schierata a favore degli indipendentisti, la presenza di nazionalisti algerini in Svizzera. Sul piano internazionale, l’inizio del conflitto algerino coincise per la Confederazione con la sua reintegrazione nel nuovo ordine mondiale. Il contesto della guerra fredda e il processo di decolonizzazione offrirono al nostro Paese la possibilità di far valere l’impegno della propria diplomazia e di rivestire un ruolo decisivo nella risoluzione del conflitto. Ma torniamo ad un altro episodio significativo.

Manovre sul confine Ginevra-Cointrin, la notte tra il 18 e il 19 marzo 1962. Da un aereo dell’Air France scendono i cinque capi storici del FLN appena liberati in Francia. Un’automobile scortata condurrà i cinque a raggiungere i membri della delegazione algerina nel loro riparo di Signal-de-Bougy, nel Canton Vaud. L’arrivo in Svizzera dei cinque non era previsto. La visita era stata organizzata il giorno precedente su domanda specifica di uno di loro: Ahmed Ben Bella. Il leader del FLN avrebbe in seguito dichiarato di aver voluto passare in Svizzera le sue prime giornate da uomo libero. Qualche ora più tardi gli accordi di Evian misero fine ad una delle più dure e violente guerre di decolonizzazione.

I due esempi citati sono stati scelti da Damien Carron per introdurre il suo libro. Essi rappresentano, cronologicamente, l’inizio e la fine del conflitto algerino. In entrambi i casi, la Svizzera fa da sottofondo ad uno scenario a prima vista lontano. Nel frattempo, tra il 1954 e il 1962, in Algeria impazza la guerra. Un conflitto particolarmente sanguinario, caratterizzato da un numero di vittime molto elevato, soprattutto tra i civili algerini. Come viene riferito nel libro, gli episodi in Nord Africa ebbero diverse implicazioni per il nostro Paese. Vediamone qualcuna.

L’affare Dubois

Nel 1957 le ripercussioni del conflitto algerino sulla Svizzera assumono i contorni del dramma. Il 23 marzo, il procuratore generale della Confederazione, il socialista René Dubois, si toglie la vita con un colpo di pistola. L’alto funzionario aveva appena capito che non vi era più nulla da fare: il suo coinvolgimento nel caso di spionaggio presso l’ambasciata egiziana per conto del rappresentante commerciale francese Marcel Manier, in realtà un ufficiale dei servizi segreti, stava venendo a galla. Lo scandalo fu enorme.

I servizi francesi avevano potuto ottenere informazioni sulle attività del FLN, al quale l’ambasciata egiziana forniva un importante sostegno. Quale sarebbero state le reazioni di Nasser? In seno al Consiglio federale i timori erano grandi, l’imbarazzo tangibile. L’episodio lasciò delle tracce. L’affare Dubois mise la Svizzera in una situazione difficile e segnò una profonda rottura nell’attitudine delle autorità elvetiche nei confronti del conflitto algerino. Già. Ma cosa si pensava in realtà a Berna?

In un primo tempo, il Consiglio federale era dell’opinione che la Francia dovesse restare in Algeria. Secondo l’analisi più diffusa, cedere a proposito dell’Algeria avrebbe avuto come conseguenza l’affermarsi del comunismo al Sud del Mediterraneo. René Dubois era sulla stessa lunghezza d’onda. E Marcel Mercier fu abile nel giocare la carta della solidarietà socialista per persuaderlo ad apportare il suo aiuto al Governo, socialista appunto, di Guy Mollet e alla causa dell’Algeria francese.

La svolta

Il suicidio del procuratore costituì però un punto di svolta. Man mano che l’affare emerse si capì che la Francia non si era fatta scrupoli a violare la sovranità della Confederazione. Parigi mise in pericolo la credibilità della diplomazia Svizzera, corrompendo uno dei suoi più alti funzionari per spiare il FLN. Per il Consiglio federale fu la goccia che fece traboccare il vaso. La Svizzera ruppe così i ponti con i servizi francesi e il Consiglio federale decise di mostrarsi più tollerante verso le attività del FLN in Svizzera. È a partire da questo momento che i militanti algerini si stabilirono in Svizzera, soprattutto nella zona di Losanna, e che la rete di sostegno al FLN si sviluppò utilizzando la piazza finanziaria elvetica per fare confluire i fondi raccolti a sostegno della causa indipendentista.

[La polemica

Quei legionari rossocrociati

Alcuni vi aderirono per sfuggire condanne penali. Altri per abbandonare le difficoltà della vita quotidiana. Altri, semplicemente, per puro spirito d’avventura. La Legione straniera dell’esercito francese attirava alcuni giovani svizzeri, parecchi dei quali minorenni: tra il 1954 e il 1962 la Legione contava circa 1.500 cittadini elvetici. Questo dossier avvelenò i rapporti franco-svizzeri. Dal 1927 il Codice penale militare svizzero prevedeva delle severe condanne ai cittadini elvetici che si arruolano in un esercito straniero. Negli anni Quaranta e Cinquanta, attraverso pressioni diplomatiche, minacciando contenziosi giuridici, mobilitando addirittura la stampa e l’opinione pubblica elvetica, Berna cercò invano di esigere che la Francia vietasse l’impiego dei giovani svizzeri nella Legione.

Il conflitto algerino aumentò il sentimento anti-Legione della Confederazione. Consapevole della sensibilità della problematica in Svizzera, l’FLN utilizzò i processi militari e la questione della Legione straniera come mezzo per denunciare i comportamenti della Francia in Algeria. Il FLN aiutò i cittadini svizzeri che volevano rientrare in patria. In cambio gli ex legionari firmarono delle testimonianze dove riconoscevano di avere praticato la tortura o il massacro di civili. Il 18 febbraio 1959, un tribunale militare di Zurigo condannò a cinque anni di prigione un giovane svizzero che aveva servito nella Legione. Il processo creò molto scalpore. L’accusato rimise alla Corte un documento nel quale affermava di avere partecipato in Algeria a degli atti di violenza contro le popolazioni civili autoctone. I giornali svizzeri lanciarono una virulenta campagna stampa. La popolazione prese coscienza delle derive del conflitto. Il sentimento pro FLN e antifrancese di una parte considerevole dell’opinione pubblica elvetica si espanse. Anche il Governo elvetico prese la questione molto sul serio. Nel giugno del 1959, il Consigliere federale Max Petitpierre espresse davanti al Consiglio nazionale la condanna contro le violenze effettuate nei confronti della popolazione algerina da parte dell’esercito francese. Il discorso di Petipierre suscitò vive reazioni in Francia. La questione dell’arruolamento di minorenni svizzeri nella legione verrà « tacitamente risolta » solo con la fine della guerra d’Algeria.]

Federico Franchini, Corriere del Ticino, 24 août 2013

Guerre d’Algérie: 1830-1962

Plus d’un demi-siècle après les accords d’Evian, plusieurs ouvrages proposent des éclairages passionnants sur la colonisation et la décolonisation de l’Algérie. […] Damien Carron propose un regard décentré dans La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). Il traite des conséquences de la guerre d’Algérie sur la Confédération helvétique, directement touchée, et sur la politique de son gouvernement. La confrontation des sources provenant des archives algériennes, françaises et suisses permet de donner un éclairage novateur à de nombreux moments clés du conflit.

Roland Pfefferkorn, La Marseillaise, 18 avril 2013

Suisses dans la tourmente en Afrique du Nord

Le Valaisan Damien Carron jette un regard impartial sur le rôle de la Suisse dans l’indépendance de l’Algérie.

Plus de 2000 colons, 1500 légionnaires, de nombreux Suisses, parmi eux des Valaisans, ont vécu en direct les événements tragiques qui ont précédé les Accords d’Evian qui consacrent l’indépendance de l’Algérie en 1962. La guerre civile, la torture, le déracinement, l’historien valaisan Damien Carron les raconte dans sa thèse La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962). La nationalité de l’auteur lui a permis de consulter certaines archives algériennes qu’on aurait probablement refusées à des Français. Il a complété ses informations par des recherches en France et en Suisse, de quoi étayer sa thèse avec le plus d’objectivité possible.

Emigration de débarras

Les premiers colons suisses débarquent en Algérie dans les années 1840. « Il s’agit pour la plupart de gens pauvres ou à problèmes dont les communes se débarrassent littéralement, allant jusqu’à leur payer le billet pour qu’ils quittent les lieux au plus vite » , explique Damien Carron. Dès la deuxième partie du XIXe siècle, on les enverra plutôt en Amérique du Sud d’où l’on revient encore plus difficilement. Au début du XXe siècle, d’autres Suisses rejoignent à leur tour l’Algérie. Encouragés par la propagande française, ils comptent faire fortune dans ce pays aux potentialités immenses. Au début de la guerre d’indépendance, en 1954, on y dénombre donc environ 2000 Suisses.

La précarité des Suisses d’Algérie

Les colons de la première heure essaient tant bien que mal de gravir les échelons sociaux. Sans grand résultat. La seconde vague connaît plus de succès. On y rencontre des horlogers, des hôteliers, même des banquiers dont un certain Henri Dunant qui y a fait des affaires avant de fonder la Croix-Rouge.
Les colons suisses d’Algérie n’ont quasiment plus de contacts avec la mère patrie. Tout juste reçoivent-ils une lettre officielle par année. Celle qui leur enjoint de payer la taxe militaire. Ce que la majorité ne fait pas, naturellement. Mais, quand les événements se précipitent et qu’ils se sentent menacés, le consulat les invite à d’abord régler leurs dettes envers la Suisse avant de demander de l’aide. Cela représente la plupart du temps une somme impossible à réunir dans un pays au niveau de vie largement inférieur à celui de la Suisse. De plus, la planification d’un rapatriement prématuré donnerait à la France l’image d’une Suisse qui croit en la victoire des indépendantistes au grand dam des relations diplomatiques avec nos voisins.
Sur le plan politique, la plupart des Suisses d’Algérie prennent position en faveur de l’Algérie française. Une fois celle-ci défaite, ils vont se retrouver en situation précaire. La rigidité de l’Administration fédérale de l’époque les prive d’une aide de la patrie qui estime que la France doit prendre ses responsabilités et indemniser les Helvètes aussi. La France ne le fera pas non plus. Après les Accords d’Evian, la plupart d’entre eux s’installeront dans le sud de la France.

La Suisse entre deux feux

Le gouvernement suisse va mettre longtemps avant de déterminer sa position dans le conflit algérien. Il s’agit de ne pas déplaire à un puissant et parfois envahissant voisin mais aussi de sauvegarder les intérêts économiques du pays notamment en Egypte dont le régime de Nasser soutient la révolte algérienne. Damien Carron raconte les diverses tribulations qui ont conduit notre pays à soutenir les Algériens et à jouer un rôle essentiel qui débouchera sur les Accords d’Evian. L’historien revient sur l’opposition des conseillers fédéraux Markus Feldmann et Paul Chaudet, le rôle un peu glauque du Département militaire fédéral qui met les bâtons dans les roues du Département de justice et police. Il évoque aussi l’action essentielle du conseiller fédéral Max Petitpierre, chef du Département politique, l’ancien nom du Département des affaires étrangères.
Damien Carron insiste bien sur l’importance du suicide en 1957 du procureur René Dubois, impliqué dans des relations troubles avec une France qui n’a pas hésité à bafouer la souveraineté helvétique. Cette affaire constitue un tournant dans l’attitude de la Suisse.
L’auteur évoque aussi l’habileté des Algériens installés provisoirement en Suisse, surtout dans la région de Lausanne. Leur finesse d’analyse leur a permis d’anticiper bien des réactions et de se profiler en diplomates avertis.

Pas de chasse au trésor

Finalement, même s’il ne dit pas où il se trouve, Damien Carron parle du fameux trésor du FLN qui a sans doute pérégriné entre différentes banques suisses. « Il s’agit d’importantes sommes d’argent composées de dons de sympathisants de la cause mais aussi de soutiens de tout le Moyen-Orient » , précise l’auteur. L’ombre du fameux banquier genevois François Genoud n’est pas loin.

Le Valais et l’Algérie

Si l’auteur ne connaît pas exactement le nombre de Valaisans qui ont rejoint les terres du Maghreb, il en évoque quelques figures marquantes dont celle du légionnaire Jean-Alec Crittin. Il parle aussi des liens d’André Luisier, ancien patron du « Nouvelliste », avec les milieux de l’OAS, Organisation de l’armée secrète, qui a lutté jusqu’au bout pour l’Algérie française. Le rédacteur en chef, qui a des liens familiaux avec l’Algérie, a accueilli certaines plumes dans ses colonnes. Le grand patron a aidé des personnes poursuivies et interdites de séjour en France.

 [Commentaire Eternel recommencement

Rien ne manque dans l’ouvrage de Damien Carron. Comme dans un roman d’espionnage. Personnages troubles, fonctionnaires corrompus, services secrets plus ou moins habiles, trésor de guerre introuvable. L’indépendance de l’Algérie, souvent décrite par des historiens appartenant l’une ou l’autre des parties, trouve un relais impartial dans Les Suisses et la guerre d’indépendance algérienne. L’auteur puise sa matière aux sources mêmes des faits, les laissant parler plutôt que de les interpréter à charge ou à décharge selon les besoins. L’image de la Suisse qui en ressort ne brille pas toujours au firmament de l’efficacité et de l’analyse politique correcte tant le Conseil fédéral a tardé à prendre conscience de l’inéluctable. Une fois l’indépendance inévitable, reconnaissons-lui d’avoir joué le jeu de la neutralité active même sous-tendu par la défense d’intérêts économiques en Afrique du Nord qu’elle va quand même finir par perdre.
Les Algériens ont habilement su tirer parti de leur analyse pertinente des positions helvétiques. Cette connaissance du terrain européen a largement facilité les Accords d’Evian. Quant à la France, elle n’a pas hésiter à fouler aux pieds la souveraineté de la Suisse pour protéger ses intérêts. Une manière de faire que notre grand voisin reprend à l’envi ces derniers temps. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement.]

[La Légion étrangère, un mythe à briser

De nombreux Suisses vont s’engager dans la Légion étrangère qui a notamment pris part à la guerre d’Algérie. Au-delà d’actes glorieux, ces troupes ont aussi participé à la torture et au massacre de civils. « La plupart des Suisses qui s’inscrivent à la Légion étrangère ne le font pas par goût de l’aventure comme l’on essaie de nous le faire croire. Il s’agit plutôt de jeunes gens en rupture de ban voire de simples auteurs d’un larcin qui n’osent pas affronter leur famille. Ils passent la frontière, signent un soir à Annemasse, embarquent pour l’Algérie à Marseille le lendemain. Plus de regrets à faire valoir et retour impossible. Les voilà engagés sans rémission », explique Damien Carron.
Ces Suisses partis en Algérie violent la loi de leur pays qui interdit tout engagement dans une troupe étrangère. Celui qui rentre connaîtra la prison. De quoi freiner les ardeurs de retour.
Entre 1954 et 1962, la Légion compte près de 1500 membres en provenance de Suisse. Ce dossier empoisonne les relations entre la Suisse et la France. Le plus grand nombre d’engagés provient de Suisse alémanique, là même où les sensibilités sont les plus exacerbées dans le domaine militaire. La France connaît la majorité à 18 ans contre 20 en Suisse. Deux ans qui permettent nombre d’engagements de mineurs.
Pourtant, les autorités suisses ne réussiront pas à mettre fin au processus, malgré des efforts réitérés. « Pour un homme politique suisse, il est impensable qu’un jeune qui a eu la chance d’échapper aux affres de la Deuxième Guerre mondiale, qui vit dans un pays en plein développement parte se battre sous un drapeau étranger en Indochine ou en Algérie », explique Damien Carron.
A partir de 1959, les retours commencent cependant. Le FLN, Front de libération nationale, parti créé en novembre 1954 pour obtenir l’indépendance de l’Algérie, va en profiter pour essayer de renverser l’opinion helvétique quant à l’indépendance de l’Algérie. Il va aider les légionnaires suisses englués dans la Légion à rentrer chez eux. En contrepartie, ils signent des témoignages où ils reconnaissent qu’on les a obligés à pratiquer la torture ou le massacre de civils. Ces documents vont se retrouver devant des cours militaires suisses, bientôt dans la presse helvétique. L’analyse de la guerre d’Algérie bascule en défaveur de la France.
En Suisse, on se sent tout à coup proche de ce peuple algérien qui lutte pour son indépendance l’image des Waldstätten face aux Habsbourg. Transparaît alors l’image d’une Légion qui viole les accords de Genève et s’en prend aux civils. Malgré cela, le contentieux Suisse-Légion n’a pas encore disparu aujourd’hui.]

 
Pierre Mayoraz, Le Nouvelliste, 6 avril 2013

Les « Pieds rouge et blanc » de l’Algérie

Plus de 2500 Suisses vivaient en Algérie jusqu’à l’indépendance. Très attachés à leur terre d’adoption, ils ont parfois tout perdu dans l’aventure, alors que la Suisse offrait ses bons offices pour les négociations de paix.

Avant l’indépendance de l’Algérie, en 1962, plus de 2500 Suisses vivaient dans cet ancien territoire français du Maghreb. Qui étaient-ils et comment ont-ils traversé ces événements? Les réponses de l’historien valaisan Damien Carron, auteur du livre La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne, qui sort de presse à l’occasion d’une Journée d’étude organisée le 25 mars par l’Université de Fribourg et l’ambassade d’Algérie. Entretien.

Qui sont ces Suisses, véritables « Pieds rouge et blanc », qui ont colonisé l’Algérie?

Damien Carron: Les premiers Suisses débarquent en Algérie dès 1830. C’était d’abord des légionnaires puis une « émigration de débarras »: cantons et communes poussent au départ une population indésirable. Au début du XXe siècle, une nouvelle vague s’installe pour faire des affaires. C’est ainsi qu’en 1954, la colonie suisse compte environ 2500 personnes, dont près d’une moitié de doubles nationaux. Cette communauté est concentrée dans les villes, surtout dans la région d’Alger. Elle n’est pas forcément riche, mis à part quelques grandes familles qui ont réussi, comme les Borgeaud, les Décaillet…

D’où viennent ces colons suisses?

Au XIXe siècle, ils viennent des cantons les plus pauvres, du Tessin, du Valais, mais aussi des cantons agricoles comme Vaud et Fribourg. La deuxième vague répond à l’appel du Gouvernement français, qui cherche à peupler ce territoire d’Afrique du Nord. On voit alors arriver beaucoup de Suisses alémaniques, les « germaniques » étant appréciés pour leurs qualités de travailleurs.

Quel est le statut de ces Suisses?

Les premiers colons sont très pauvres. Certaines communes payent même le billet de bateau pour s’en débarrasser. Sur place, leur statut n’est guère enviable. Les Suisses essaient de gravir les échelons de la société en devenant de petits commerçants. Au XXe siècle, des entreprises suisses s’installent et y envoient du personnel: horlogeries, ateliers de mécanique, mais aussi quelques hôtels et restaurants. Les échanges se font avec la France, où la plupart des entreprises suisses ont des filiales.

Y avait-il des banquiers suisses?

Bien sûr. Le monde de la finance genevois est présent dès 1870 par le biais de la Compagnie genevoise des colonies de Sétif. L’un de ses représentants était d’ailleurs Henri Dunant, qui y travaillait avant de créer la Croix-Rouge. La France donnait à l’époque des terres à des consortiums étrangers pour qu’ils développent des domaines agricoles. Cela n’a pas vraiment fonctionné, faute de colons en suffisance. Les sociétés ont alors reloué les terres aux Algériens à qui elles avaient été enlevées. Les colonies de Sétif seront rachetées par les Français en 1956.

Des Suisses rejoignent également la Légion étrangère en Algérie…

Environ 1500 mercenaires de notre pays auraient pris part à la guerre d’indépendance, si je me réfère à leurs procès. C’était surtout des Suisses alémaniques, de jeunes citadins et même des mineurs, ce qui va poser problème au Gouvernement helvétique.

Quelles étaient les motivations de ces mercenaires?

C’est une question qui taraude les autorités suisses de l’époque. Elles ne peuvent pas comprendre, dans les années 1950, qu’un jeune d’un pays qui n’a pas connu la guerre, qui va bien et se développe, décide de tout plaquer pour aller risquer sa vie dans un conflit à l’étranger. On disait qu’ils cherchaient l’aventure. Ce sont en fait surtout des jeunes en rupture avec la société. Ils partent la plupart du temps sur un coup de tête, influencés par la propagande de la Légion qui est diffusée aux frontières françaises.

Les légionnaires ont été jugés à leur retour en Suisse. Pourquoi?

Il est interdit à tout Suisse de s’engager dans une troupe étrangère. Les procès de légionnaires qui ont lieu en 1959 ont créé une grande polémique dans le pays. Raison: ils étaient instrumentalisés par le Front de libération nationale. Le FLN a aidé certains mercenaires suisses à s’enfuir d’Algérie, leur demandant en contre-partie d’évoquer des cas de torture. C’est ainsi que le FLN a réussi à retourner l’opinion publique en faveur de l’indépendance de l’Algérie.

Qu’a entrepris Berne pour soutenir les colons suisses pendant la guerre d’Algérie?

Les Suisses d’Algérie des années 1950 n’avaient pas été forcés à émigrer. La plupart étaient d’ailleurs davantage attachés à l’Algérie qu’à la Suisse, et pour les doubles nationaux, la France était aussi importante que la patrie de leurs ancêtres helvétiques. Les autorités suisses ne vont donc pas faire grand-chose. Elles ouvrent un second consulat, essaient de protéger leurs ressortissants. Mais les colons attendent davantage du Gouvernement suisse.

La Suisse va alors agir…

En 1955, la Suisse prend conscience d’un vrai soulèvement. Elle prend alors des mesures en faveur des colons d’Algérie, profitant de son expérience avec la colonie suisse d’Indochine. Des places sont réservées sur des navires étrangers, des contacts sont pris avec Swissair. Sur place, des consignes sont données aux Suisses, leur rappelant qu’ils ne sont pas Français. Un discours qui passe mal auprès des colons. Leur consul leur recommande de se tenir à l’écart. Mais nombre d’entre eux sont pro-Algérie française. Leur départ se fera dans le chaos total, mis à part les familles les plus riches. En Suisse, des centres d’accueil sont ouverts. On essaie de les réinsérer. De nombreux Suisses préfèrent le Sud de la France.

Des Suisses ont tout perdu en Algérie. Ont-ils été dédommagés?

Non. Une association des Français d’outre-mer, avec une branche suisse, a été créée. Régulièrement, elle exige des autorités suisses qu’elles interviennent auprès du Gouvernement français pour que les colons puissent récupérer leurs biens ou leur argent. Mais les autorités helvétiques leur répondent systématiquement qu’ils vivaient dans un pays appartenant à la France et qu’ils n’avaient pas été forcés de quitter la Suisse. Le contentieux reste ouvert jusqu’à aujourd’hui.

La Suisse n’a pas récolté les fruits des bons offices

Les nationalistes algériens ont ététrès actifs en Suisse…

Damien Carron: Dès 1956, les Algériens choisissent la Suisse comme base arrière. La figure nationaliste algérienne Ferhat Abbas y établit son réseau et installe son état-major entre Berne et Montreux. Rapidement, la Police fédérale va commencer à surveiller les nationalistes algériens. Des contacts répétés débouchent parfois sur des liens entre les agents suisses et les leaders nationalistes. Des requêtes sont même transmises par ce canal, cela dans les deux sens. La France multiplie les protestations auprès de Berne afin d’empêcher cette présence algérienne.

La Suisse a-t-elle fermé les yeux sur les activités des Algériens?

Oui. La Confédération a été la plaque tournante du Front de libération national (FLN) et des autres mouvements algériens. Quelques mois avant le début de la guerre en 1954, les Algériens se sont rencontrés à Berne pour décider de la date de l’insurrection, en pleine coupe du monde de football. À l’époque, la Suisse ne connait pas encore l’ampleur de la présence des militants algériens sur son territoire. Avec le durcissement de la guerre, Berne commence à nouer des contacts avec les chefs nationalistes. La possibilité qu’ils soient amenés à négocier avec la France et à jouer un rôle important dans une Algérie indépendante en est le principal argument.

Quelle était la position de la Suisse sur la guerre d’Algérie?

Au début, Berne était persuadée que la révolution algérienne était pilotée par les communistes. Il fallait donc soutenir la France. Puis la position est devenue plus critique vis-à-vis de la politique coloniale. A la fin, la Suisse propose ses « bons offices », aidant à la signature des accords d’Evian et à l’indépendance de l’Algérie.

Pourquoi après l’indépendance de l’Algérie, les relations entre Berne et Alger deviennent-elles exécrables?

La Suisse a parié sur la fin des puissances coloniales. Il y avait de nouveaux marchés à conquérir. Berne est convaincue que le « goodwill » acquis grâce aux « bons offices » leur garantit des relations diplomatiques et économiques radieuses avec la nouvelle République. Ce ne sera pas le cas. Berne réclame également l’indemnisation des colons suisses. Alger refuse. Les hommes qui se retrouvent à la barre de l’Algérie ne sont pas ceux qui ont négocié et signé les accords d’Evian. De nouveaux contentieux bloquent les relations.

Comme l’affaire du trésor du FLN…

Cette question va pourrir pendant des années les relations entre Berne et Alger. Les milieux de l’extrême-droite suisse jouent un rôle majeur dans la création d’une banque arabe à Genève. Elle sera alimentée par les fonds ramassés par les nationalistes algériens. Des Suisses vont créer la Banque nationale algérienne. Les fonds vont transiter par Genève. A l’indépendance, une partie de l’argent est détournée. L’affaire provoque une guerre des clans au sein du nouveau pouvoir à Alger. La Suisse est rattrapée par le dossier du trésor du FLN. Alger lui reproche son manque de collaboration pour restituer l’argent du peuple. Les deux pays règlent finalement leurs querelles dans les années 1970. Aujourd’hui, les relations sont paisibles. Mais l’Algérie n’a jamais été un grand allié de la Suisse, ni un partenaire économique privilégié.

Propos recueillis par Sid Ahmed Hammouche et Pascal Fleury, Le Courrier, 15 mars 2013