Finalités et usages de la formation professionnelle

Apprendre un métier, trouver un emploi, poursuivre ses études ?

Kuehni, Morgane, Lamamra, Nadia, Rey, Séverine,

ISBN: 978-2-88901-196-4, 2021, 295 pages, 25€

La formation professionnelle remplit divers objectifs selon les contextes nationaux, les périodes historiques ou encore les publics considérés : former à un métier, insérer sur le marché du travail, inclure les plus fragiles ou encore permettre la poursuite vers les études supérieures.

Format Imprimé - 32,00 CHF

Description

Cet ouvrage, destiné tant à des chercheur·e·s qu’à des acteurs et actrices de terrain, met en exergue les attentes formulées à l’égard de la formation professionnelle et les lignes de tension qui la traverse. S’inscrivant dans des contextes historiques et nationaux variés (France, Espagne, Suisse), les différents chapitres réunis proposent des regards croisés et interdisciplinaires sur cette filière de formation, souvent considérée comme le « parent pauvre » de la recherche. Ils livrent une analyse des enjeux politiques et économiques de la formation professionnelle et portent une attention particulière aux parcours de formation, aux rapports à l’emploi et à l’insertion, mais aussi aux usages que font les acteurs et les actrices de cette voie professionnelle et de ses diplômes.


Ouvrage collectif sous la direction de :

Nadia Lamamra est professeure à la Haute école fédérale en formation professionnelle (HEFP).
Morgane Kuehni est professeure à la Haute école de travail social et de la santé (HETSL).
Séverine Rey est professeure à la Haute Ecole de santé Vaud (HESAV).

Table des matières

INTRODUCTION. LA FORMATION PROFESSIONNELLE: DES FINALITÉS ET DES USAGES EN TENSION
Nadia Lamamra, Morgane Kuehni et Séverine Rey

ENJEUX POLITIQUES ET ÉCONOMIQUES DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

1. LA FORMATION PROFESSIONNELLE DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF FRANÇAIS : UNE MÉTAMORPHOSE PERMANENTE AU SERVICE D’UNE MEILLEURE INSERTION DES DIPLÔMÉ·E·S ?
Fabienne Maillard

2. TENSIONS ET COMPROMIS DU « MODÈLE SUISSE » DE FORMATION PROFESSIONNELLE. UNE PROSPECTION HISTORIQUE
Lorenzo Bonoli

3. FORMATION PROFESSIONNELLE : DES JEUNES QUI CHOISISSENT OU QUI SONT CHOISI·E·S ?Rafael Merino

4. L’ENSEIGNEMENT TECHNIQUE ET PROFESSIONNEL À L’ÉPREUVE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE : L’EXEMPLE FRANC-COMTOIS (1939-1945)
Maud Cussey Besançon

PARCOURS DE FORMATION ET D’INSERTION

5. TRAJECTOIRES D’APPRENTI·E·S EN FRANCE AUX XVIIIE ET XIXE SIÈCLES : DES MOBILITÉS SOCIALEMENT DIFFÉRENCIÉES
Claire Lemercier

6. L’APPRENTISSAGE COMME MODE DE FORMATION FACILITANT L’INSERTION PROFESSIONNELLE : DES MÉCANISMES QUI SE RÉPÈTENT À TOUS LES NIVEAUX DE FORMATION ?
Thomas Couppié et Céline Gasquet

7. OBTENIR UN CFC, ET APRÈS ? PROFILS ET PARCOURS POSTSECONDAIRES II DES JEUNES DIPLÔMÉ·E·S
Karin Bachmann Hunziker, Sylvie Leuenberger Zanetta, Rami Mouad et François Rastoldo

8. PORTRAIT DES JEUNES NEET SUR VINGT ANS : LE CAS DES DIPLÔMÉ·E·S DE CAP-BEP
Magali Danner, Christine Guégnard et Olivier Joseph

USAGE SOCIAL ET BIOGRAPHIQUE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DE SES DIPLÔMES

9. LES JEUNES, LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET LE RAPPORT AU MÉTIER EN FRANCE À TRAVERS L’ENQUÊTE JEUNESSE DE 1966
Stéphane Lembré et Marianne Thivend

10. LA VIE EN CAP
Gilles Moreau

11. RECOURIR À UN GROUPEMENT D’EMPLOYEURS D’INSERTION ET DE QUALIFICATION POUR FAVORISER LA « DIVERSITÉ » EN ENTREPRISE. DE L’INSERTION DE QUI PARLONS-NOUS ?
Maël Dif-Pradalier

ANNEXES

LISTE DES AUTEUR·E·S

Presse

Compte-rendu dans la revue Sociologie du travail

Le titre annonce le projet du livre: mettre en lumière les usages de la formation professionnelle et ses liens avec différents éléments qui lui sont liés comme le diplôme ou l’insertion professionnelle. Pour le dire autrement, qu’est-ce que les formés, les diplômés, les employeurs, les institutions publiques ou les organisations font de la formation professionnelle? Ce travail contribue à donner de la visibilité à un espace de formation peu considéré en recherche. Il permet de replacer la formation professionnelle dans ses questionnements intimes sur le lien entre formation et production, et de réinterroger la hiérarchie des voies de formation et des filières. Les coordinatrices explorent les liens entre formation professionnelle et insertion tout en refusant de cantonner ces liens à la recherche d’une (im)possible adéquation entre formation et emploi. Elles étudient différentes tensions qui structurent la formation professionnelle : former à un métier, acquérir une qualification, un diplôme, insérer des publics précaires…

L’ouvrage est divisé en trois parties (enjeux politiques et économiques, parcours de formation et d’insertion, usages biographiques et sociaux de la formation professionnelle) articulant des approches sociologiques, historiques et de sciences de l’éducation, des analyses macrosociologiques et des études de cas plus ciblées. La première partie examine les «enjeux politiques et économiques» de la formation professionnelle initiale au travers de quatre contributions portant sur le fonctionnement de la formation professionnelle dans les cas français, suisse et espagnol. Le premier chapitre s’attaque au discours adéquationniste dont il dénonce une instrumentalisation par l’État français pour protéger une logique académique d’accueil des publics en difficulté scolaire au sein de la voie professionnelle — refusant de fait la parité d’estime entre voie professionnelle et générale (Fabienne Maillard). Ensuite, le cas suisse donne à voir la construction, à partir de la fin du XIXe siècle, d’un «double compromis» (p. 66), entre réglementation étatique et pouvoir des acteurs économiques locaux et dans ses finalités, entre relance économique et préoccupations sociales éducatives, qui structure encore en partie la formation professionnelle suisse (Lorenzo Bonoli). Le chapitre suivant montre une formation professionnelle espagnole peu attractive pour les jeunes car peu valorisée socialement et utilisée pour scolariser des élèves ayant échoué à la préparation du baccalauréat général (Rafael Merino). Enfin, une dernière proposition (Maud Cussey Besançon), peut-être un peu moins bien articulée avec l’ensemble, apporte un regard historique sur l’enseignement technique et professionnel durant la seconde guerre mondiale en Franche Comté et analyse la construction de liens étroits entre formation et besoins économiques locaux.

La deuxième partie, intitulée «parcours de formation et d’insertion», se centre sur les parcours de jeunes apprentis ou en formation par voie scolaire en croisant les contextes français et suisse. Les différents chapitres montrent des usages différenciés de l’apprentissage en fonction de l’origine sociale, du niveau de formation ou du mode de formation (scolaire ou apprentissage). Cette partie s’ouvre par un regard historique appréciant l’impact de l’apprentissage sur les trajectoires de vie aux XVIIIe et XIXe siècles avant la réforme de l’apprentissage contemporain. Ce chapitre de Claire Lemercier souligne la diversité des parcours liés à l’apprentissage et la difficulté de l’utiliser comme mode d’ascension sociale. Puis les chapitres suivants questionnent les effets de l’apprentissage sur l’insertion en fonction du niveau de formation (Thomas Couppié et Céline Gasquet), les effets d’un diplôme socle comme le Certificat fédéral de capacité (CFC ; Karin Bachmann Hunziker, Sylvie Leuenberger Zanetta, Rami Mouad et François Rastoldo), ou encore les parcours des «Not in education, employment or training» (NEET), Magali Danner, Christine Guégnard et Olivier Joseph montrant dans ce dernier chapitre l’impact relativement positif du Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) et du Brevet d’études professionnelles (BEP) sur le risque de connaître une période de NEET. Ces auteurs soulignent néanmoins le risque d’une formation professionnelle à deux vitesses, entérinant les clivages sociaux et le risque d’un enfermement des diplômés de CAP ou BEP dans une «spirale de vulnérabilité» (p. 209).

La troisième et dernière partie de l’ouvrage traite de l’«usage social et biographique de la formation professionnelle et ses diplômes». Elle s’intéresse au point de vue des usagers de la formation professionnelle (formés et recruteurs). Cette partie s’appuie sur l’analyse du discours des jeunes (Stéphane Lembré et Marianne Thivend), sur le regard rétrospectif de diplômés de CAP sur leur parcours de formation (Gilles Moreau) ou encore sur l’usage d’un dispositif d’insertion et de qualification spécifique, celui d’un Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ ; Maël Dif-Pradalier).

Pour conclure, cet ouvrage offre une vision large de l’état et des caractéristiques de la formation professionnelle, tout particulièrement en France et en Suisse. L’ensemble permet de dessiner partiellement la réalité du paysage de la formation professionnelle en Europe de l’Ouest. Bien que le titre soit assez généraliste, les contributions restent centrées sur les petits niveaux de diplômes (CAP, BEP, CFC). Cet axe renforce la cohérence interne du livre, dans lequel des analyses macrosociologiques alternent agréablement avec des études de cas. Les coordinatrices ont fait le choix d’une absence de conclusion générale, laissant à la seule introduction le soin d’assurer la cohésion de l’ensemble.

Ces contributions éclairent l’articulation entre public précaire et recherche d’une sécurisation des parcours qui serait associée à la possession d’un diplôme. À titre d’exemple, la contribution sur les GEIQ montre comment la formation professionnelle peut être un facteur d’accompagnement de la transition dans la vie professionnelle voire personnelle. Le regard posé sur les trajectoires met en lumière la vulnérabilité des parcours. Cette vulnérabilité est interrogée à partir de plusieurs angles. Elle est abordée dans un premier temps du point de vue des (non) diplômés de la formation professionnelle, de leur vécu. Mais les différents contributeurs soulignent également le rôle des lieux de formation qui viennent confirmer certaines trajectoires scolaires en modifiant les contenus pour «correspondre» plus ou moins consciemment au profil des inscrits (Karin Bachmann Hunziker, Sylvie Leuenberger Zanetta, Rami Mouad et François Rastoldo), contribuant de fait à renforcer le poids des déterminants sociaux. Ces constats appellent à interroger le fonctionnement de la formation professionnelle, et plus particulièrement les catégories à travers lesquelles les chercheurs pensent et analysent son fonctionnement: c’est ce que Gilles Moreau propose en réclamant une sociologie du diplôme qui se préoccupe avec «sérieux» de ce que font les publics de leurs certifications et qui ne se cantonne pas à traiter du diplôme comme d’une catégorie statistique.

Compte-rendu de Pauline David dans OpenEditions Journals, 01.06.2023.

Compte-rendu dans la revue Orientation Scolaire et Professionnelle

1 Une rencontre internationale, « 9es Rencontres Jeunes et Sociétés en Europe et autour de la Méditerranée » (RJS9), sur la formation professionnelle (FP) et l’insertion a eu lieu à Lausanne en octobre 2018. Elle avait pour objectif de « faire un état des lieux des différents systèmes de la FP (axe 1), d’en définir les publics (axe 2), de questionner leur impact en termes d’insertion sur le marché du travail (axe 3) ou encore d’en interroger la portée socialisatrice (axe 4) »¹.

2 L’ouvrage Finalités et usages de la formation professionnelle est issu de ces rencontres. Suite à une introduction générale sur le thème des journées, onze communications écrites qui y ont été présentées sont proposées. Ces dernières relèvent de la diversité des sciences humaines et sociales (sociologie, sciences de l’éducation, histoire…). Les onze communications sont regroupées en trois chapitres qui traitent successivement des enjeux politiques et économiques de la FP, des parcours de formation et d’insertion, et de l’usage social et biographique de la FP et de ses diplômes. La présente recension de l’ouvrage ne résumera pas chacune des présentations mais s’organisera autour de quatre axes qui semblent dominants dans le texte, en citant des extraits des textes, et en suivant la logique historique et comparative de l’ouvrage.

3 Le premier axe retenu traite des relations entre l’État et les entreprises et/ou leurs organisations professionnelles. Pour les entreprises, la fonction dominante en matière de FP est adéquationniste, « autrement dit en quête d’une relation la plus étroite possible entre système éducatif et système productif » (p. 39). Toutefois, cette fonction essentiellement économique est accompagnée d’une fonction éducative et d’une fonction sociale. « La fonction éducative met les enjeux éducatifs au centre, permettant une continuité ou un passage à d’autres niveaux de formation… La fonction sociale, consiste à utiliser la FP comme un moyen de prévenir ou d’atténuer l’exclusion du système de formation, de l’emploi, ou plus globalement l’exclusion sociale » (p. 81). Si les entreprises peuvent définir leurs priorités en matière de besoins économiques, l’État définit les règles de l’orientation scolaire et professionnelle et se donne généralement pour priorité de limiter l’exclusion sociale des jeunes. L’État et les entreprises sont à la recherche d’équilibre entre ces trois fonctions.

4 En France l’importante proportion de jeunes en FP formés en milieu scolaire (et non en apprentissage) et l’utilisation politique de la FP – par les multiples réformes qui se succèdent en vue d’atteindre des « objectifs de régulation des flux scolaires » (p. 54) et de chômage des jeunes – semblent permettre à l’État de prendre apparemment le dessus sur les entreprises par les réglementations relatives à l’orientation, à la définition des parcours de formation et à la lutte contre le chômage des jeunes. Les fonctions éducatives et sociales sont très présentes. Par conséquent « si les évolutions du travail et de l’emploi servent à justifier chaque réforme, elles apparaissent surtout comme des arguments de communication. Le modèle adéquationniste relève par conséquent plus de la rhétorique que de la mise en pratique » (p. 53). En Suisse l’organisation de la FP post collège repose pour plus des deux tiers sur des effectifs inscrits en système dual (apprentissage) régulé de manière tripartite par un organe fédéral, les entreprises et les cantons. Les entreprises semblent ici dominer dans la mesure où « les associations professionnelles sont responsables de la définition des contenus de formation et des procédures de qualification » (p. 60). Par ailleurs les entreprises sont « libres de choisir les apprenti·es… les jeunes doivent ainsi passer par une recherche d’une place d’apprentissage et par une procédure d’embauche… En outre cette sélection expose fortement le modèle dual à des effets discriminatoires qui tendent à défavoriser les jeunes ayant des résultats scolaires faibles » (p. 63). « Les entreprises jouissent donc de deux aspects clés du fonctionnement du système : la liberté de former et la liberté de sélectionner les candidat·es à l’apprentissage » (p. 73). Les entreprises dominent l’organisation de la FP et le modèle adéquationniste semble ici prioritaire. Le régime de Vichy durant la seconde guerre mondiale en France accorde une place importante à l’éducation et à la formation des jeunes dans le cadre de la politique de « redressement national ». « Les établissements scolaires doivent donc permettre une insertion rapide au sein des entreprises, dans le but de contribuer à l’économie de guerre… » (p. 103) Les entreprises participent localement à l’effort de formation et « l’essentiel de la formation est orienté autour de l’apprentissage des gestes techniques ». Même si l’imprégnation idéologique relevant de « Travail, famille, patrie » donne une dimension importante à la fonction éducative, les impératifs économiques dominent. Ces trois exemples semblent montrer que les relations entre l’État et les entreprises en matière de FP sont inscrites dans l’organisation institutionnelle des pays (plus ou moins grande décentralisation), dans l’histoire des pays, l’histoire de la situation des jeunes au regard de l’emploi.

5 Le deuxième axe retenu concerne les parcours d’orientation, de formation et d’insertion. De lourdes contraintes structurelles relevant de l’organisation du système éducatif et du marché du travail pèsent sur les jeunes. Le choix de la FP dépend de la place de cette dernière au regard de la formation académique. « Un dilemme se pose quant au prestige de la FP notamment par rapport à la voie académique ou au baccalauréat. Si l’on tente d’assimiler la FP au baccalauréat en termes académiques, la FP devient plus sélective et laisse de côté les jeunes qui voudraient s’y lancer, mais ne remplissent pas les conditions. Si l’accès des jeunes à la FP est facilité par l’abaissement des exigences académiques, la relation entre FP et reproduction sociale sera renforcée » (p. 95). Dans ce cadre les jeunes choisissent la FP, ou sont choisis pour la FP. Trois périodes semblent structurer l’accès à l’emploi des jeunes passés par la FP, le passé scolaire, le temps de la FP, la recherche d’emploi. On observe que le passé scolaire préalable à la FP, puis la manière de réaliser sa FP par voie scolaire ou par apprentissage influencent la transition post FP. « Ce constat montre que les orientations se construisent souvent de manière séquentielle, modelant ainsi une trajectoire de formation qui tend à s’écarter du modèle idéal-typique selon lequel un parcours univoque permet de parvenir à un objectif préalablement défini. Les parcours de FP, jusqu’à l’insertion en emploi ou à la poursuite d’études supérieures, ne sont alors plus des trajectoires linéaires et administrativement normées, mais davantage un espace social dans lequel les jeunes se construisent par étapes. Les choix/stratégies à l’œuvre durant cette période sont source de nombreux enjeux dans la mesure où ils conditionneront, de manière assez singulière, le positionnement social et professionnel des jeunes » (p. 185). À l’issue de la FP quels peuvent être les avantages des jeunes ayant bénéficié de l’apprentissage pour l’accès à l’emploi par rapport aux jeunes qui ont réalisé leur FP par la voie scolaire ? Etre passé par l’apprentissage signale un salarié acculturé qui « a accumulé de l’expérience professionnelle… un avantage informationnel sur le fonctionnement du marché du travail… un réseau professionnel plus efficace » (p. 143). En outre deux mécanismes leur facilitent l’accès à l’emploi : l’embauche par l’employeur.e-maître.sse d’apprentissage et l’accès facilité à un « métier en correspondance avec leur formation » (p. 145). Par exemple, « suivre une formation par apprentissage en Suisse ou en Allemagne permet l’acquisition de compétences spécifiques et favorise le maintien dans l’entreprise et l’accès au métier préparé, tandis que les formations en école apportent des connaissances plus générales et sont dans ce cas bénéfiques pour trouver un emploi dans un autre domaine » (p. 160).

6 Le troisième axe retenu concerne les jeunes de la FP. Tous les articles traitent peu ou prou des profils sociologiques et/ou scolaires des jeunes, avant, pendant ou après la FP. Ces profils ont considérablement évolué avec la progression des taux de scolarisation dans le second degré général : « La principale différence entre les apprentissages d’hier et d’aujourd’hui est sans doute que ce mode de formation occupait, aux XVIIIe et XIXe siècles, une place nettement moins dominée dans les hiérarchies sociales et scolaires » (p. 137). En France le CAP (Certificat d’Aptitudes Professionnelles) est créé en 1911 et développé suite à la première guerre mondiale par la Loi Astier : « le chemin vers le CAP n’est pas à l’époque assimilé à l’échec scolaire. Au contraire : au primaire, ceux et celles qui feront un CAP sont, à défaut d’être excellents, des élèves corrects qui ne rencontrent pas de difficultés majeures ; d’ailleurs, tous et toutes ont eu le certificat d’études primaires et certains et certaines rappellent dans les entretiens que l’entrée dans les centres d’apprentissage pour préparer le CAP se faisait par concours » (p. 240). Notons que, plus récemment, l’extension de l’apprentissage au baccalauréat puis à l’enseignement supérieur, a installé une segmentation dans la population des apprentis : « les jeunes en apprentissage dans le supérieur ne viennent pas des mêmes familles, des mêmes traditions familiales, des mêmes milieux socio-économiques que leurs homologues du secondaire. On observe ainsi “l’élimination progressive du milieu populaire au fur et mesure de l’élévation du diplôme”² (Kergoat, 2010) et le fait que les apprenti·es du supérieur ont une origine proche de celle des autres étudiant·es… Les apprenti·es du “haut” ne sont pas les apprenti·es du bas et, plus important encore, les apprenti·es du “haut” n’ont jamais été les apprenti·es du bas » (p. 149). Rappelons les caractères essentiels des jeunes dans les filières de FP de l’apprentissage et du secondaire :

  • « Sur le plan scolaire, les jeunes de la formation duale se distinguent de celles et ceux de la formation à plein temps par un capital scolaire moins avantageux : elles et ils sont plus souvent issu·es de filières à exigences élémentaires… » (p. 172).
  • « L’orientation vers l’enseignement professionnel parfois motivée par un intérêt pour un métier ou une spécialité, reste trop souvent un choix par défaut associé à une faiblesse des résultats scolaires et au poids des origines sociales » (p. 194).
  • « Pour finir de dresser le tableau des inégalités sociales en matière de FP, en plus de la classe sociale, citons les axes classiques de sexe et de groupe ethnique. En ce qui concerne le sexe… le choix opéré met en évidence une véritable fracture adossée à la segmentation des spécialités professionnelles. En ce qui concerne l’origine ethnique, il y a une surreprésentation des étudiant·es d’origine étrangère dans la FP en Espagne » (p. 88).
  • Enfin, « N’oublions pas que le marché du travail demeure segmenté, racialisé et sexué ; des jeunes disposant de peu de ressources doivent parfois lutter contre la double discrimination, au travail et à l’école » (p. 96).

7 Le dernier axe proposé concerne les objectifs de formation. Au début du XXe siècle, comme par la suite, la FP oscille entre deux objectifs de formation parfois contradictoires. On note par exemple que « la FP ne devait alors pas seulement former de bon·nes ouvrières et ouvriers, mais aussi de bon·nes citoyen·nes et réduire ainsi la menace de mouvements de contestation ouvrière » (p. 70) ; mais on note aussi que « l’objectif est d’affranchir l’ouvrier, l’ouvrière, l’employé ou l’employée des contraintes économiques en leur donnant une autonomie de pensée tout en les munissant de connaissances et de savoir-faire constitutifs d’un métier » (p. 237). En outre, plus récemment la FP permet une socialisation professionnelle qui « consiste en une forme d’habituation aux logiques du travail et du marché de l’emploi » (p. 169). Enfin, les perspectives éventuelles d’évolution de la FP sont évoquées en conclusion d’un article : « Élément important du système éducatif et de la reproduction d’un ordre social très hiérarchisé, la voie professionnelle connaîtra sans doute de nombreuses réformes dans les prochaines années. Il est cependant peu probable qu’elles changent de paradigme et rompent avec le public des jeunes en difficulté scolaire d’origine populaire que forme principalement cette voie de formation, comme avec ses objectifs de régulation scolaire. » (p. 54).


Notes

¹ https://www.hefp.swiss/jeunes-formation-professionnelle-et-insertion-sur-le-marche-du-travail
² Kergoat, P. (2010). Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de (…)

 

Compte-rendu de Georges Solaux (Membre du Conseil scientifique international de l’OSP – Orientation Scolaire et Professionnelle) dans OpenEditions Journals, 23.03.2022

 

La formation professionnelle, une formule 3 en 1 ?

Apprendre un métier, trouver un emploi, poursuivre ses études ? Un ouvrage qui expose les finalités et usages de la formation professionnelle, voilà de quoi donner, redonner ou cultiver ses lettres de noblesse à un édifice éducatif cher à la Suisse. Pour cela, il faut sortir d’une logique purement utilitariste. Qui apprend un métier en passant par l’apprentissage peut certes rejoindre la voie rapide vers l’emploi, mais pas uniquement. En Suisse, la maturité professionnelle instaurée en 1994 a comme qui dirait redoré le blason de l’apprentissage. Mais où s’arrête le « Kein Abschluss ohne Anschluss » ? Ne peut-on pas se contenter aujourd’hui d’un CFC ? Et quid du risque de polarisation de la formation professionnelle entre deux nouvelles finalités – allonger les cursus et insérer les publics vulnérables ? Comme Sisyphe, la formation professionnelle semble sans cesse soumise aux réajustement de ses finalités.

La présente note de lecture est issue du livre « Finalités et usages de la formation professionnelle », publié sous la direction de Nadia Lamamra, Morgane Kuehni et Séverine Rey aux Éditions Antipodes (2021). L’ouvrage rassemble 11 contributions de dix-huit chercheuses et chercheurs suisses, français et espagnols issus des 9es Rencontres Jeunes et Sociétés en Europe et autour de la Méditerranée (RJS9 ayant eu lieu en 2018), qui tous mettent le doigt sur des aspects et composantes particuliers du système. Il se veut un regard interdisciplinaire sur un objet complexe qui, dans notre société, se façonne sur les niveaux économique, politique et individuel. Le livre est structuré en 3 parties : 1) Enjeux politiques et économiques de la formation professionnelle ; 2) Parcours de formation et d’insertion ; 3) Usage social et biographique de la formation professionnelle et de ses diplômes. Il ne s’agit pas ici de présenter l’ouvrage en détail, mais de pointer ses apports sur quelques-uns des thèmes centraux de la recherche en formation professionnelle. Les paragraphes suivants se concentrent sur la partie introductive rédigée par Nadia Lamamra, Morgane Kuehni et Séverine Rey, qui donne un avant-goût des tensions qui complexifient les finalités et usages que l’on attribue habituellement à la formation professionnelle.

Sortir d’une logique adéquationniste

Avec son titre emblématique le CFC en Suisse et le CAP en France, la formation professionnelle permet d’apprendre un métier, de trouver un emploi et aussi de parvenir à la formation supérieure.

Si l’on prend un peu de distance, le système de formation professionnelle est souvent pris comme exemple à l’étranger comme contribuant à la qualification de la main-d’œuvre et favorisant l’insertion professionnelle. On retient alors le faible taux de chômage des jeunes (2.4% en septembre 2021)[1] et la haute qualité des produits made in Switzerland (swissness), qui sous-tendent le modèle de réussite de notre système de formation. Un modèle dont la recette passe par le fameux « kein Abschluss ohne Anschluss ». Avec son titre emblématique le CFC en Suisse et, dans une moindre mesure, le CAP en France, la formation professionnelle permet d’apprendre un métier, de trouver un emploi et aussi de parvenir à la formation supérieure. Là où le SEFRI promeut avant tout la formation professionnelle initiale suisse comme transmettant les connaissances et compétences nécessaires à l’exercice d’une profession, l’ouvrage vise à croiser ces enjeux du travail avec les enjeux éducatifs et les enjeux d’insertion professionnelle. En sortant d’une lecture purement « utilitariste » ou « fonctionnaliste » de la formation professionnelle (la fameuse finalité économique), il en identifie les multiples finalités et usages selon les acteurs et actrices considérés, selon les périodes historiques et selon les contextes nationaux.

En 1972, l’ancien Conseiller fédéral Ernst Brugger parlait de la formation professionnelle comme d’une « marchandise que nous devons apprendre à vendre »[2]. Dans les années 80, la recherche sur la formation professionnelle commence à étudier la situation des apprenti-e-s. Mais quarante ans plus tard, l’apprentissage reste le « parent pauvre de la recherche », alors que, en confrontant deux logiques a priori antinomiques (la formation et la production), il possède un caractère unique dans le système de formation. En même temps, il doit répondre à plusieurs missions : intégrer les élèves les plus en difficulté, fournir un outil face au chômage, proposer un lieu d’acculturation au travail et de socialisation professionnelle. Pour les jeunes et leurs parents, la formation professionnelle peut également représenter un « lieu de réparation d’un passé scolaire contrarié » ou offrir une voie de mobilité sociale. Tout cela fait de la formation professionnelle un objet d’étude extrêmement complexe. Dès lors, les éclairages proposés dans les différents chapitres du livre sont particulièrement bienvenus.

 

Une filière à fins multiples

De trident, la formation professionnelle se transforme en fourchette à fondue bourguignonne: on tend à polariser la formation professionnelle entre deux finalités: allonger les cursus et insérer les publics vulnérables.

Une tendance importante qui défie la formation professionnelle et que l’ouvrage contextualise intelligemment, est l’allongement de la scolarité due à l’augmentation des exigences dans de nombreuses professions. Il pose ainsi une question qui dérange un peu : les diplômes professionnels initiaux (CFC ; CAP) sont-ils encore des diplômes d’accès au marché du travail ou deviennent-ils des diplômes d’accès au supérieur ? En France, les politiques éducatives visent ouvertement à amener 80% de la population au niveau baccalauréat. Parallèlement, avec une initiative comme le 19M, un nouveau lieu des métiers[3], on cherche à revaloriser les métiers de l’artisanat – dans ce cas-ci ceux du luxe – pour sauvegarder la transmission des savoir-faire français – qui se vendent bien à l’étranger. En Suisse, bien qu’on déplore souvent le manque d’académiciens[4], on vise davantage une répartition équilibrée : un tiers de gymnasiens, un tiers d’élèves d’écoles moyennes (Mittelschulen) et un tiers d’apprenti-e-s[5]. La formation professionnelle doit conserver une place de choix, qu’elle forme « seulement » à un métier ou qu’elle conduise à une qualification supérieure par le biais de la maturité professionnelle, instaurée en 1994. De trident, la formation professionnelle se transforme en fourchette à fondue bourguignonne : si dans les décennies de démocratisation des études, la finalité de formation et d’emploi permettait au dispositif de répondre aux attentes, aujourd’hui on tend à la polariser entre deux finalités qui ont été ajoutées plus récemment : allonger les cursus et insérer les publics vulnérables.

Historiquement, le système est complexe car il a dû rassembler des intérêts divergents. Aujourd’hui, les tendances et mouvements de réforme le complexifient davantage encore. En France et en Suisse, la démultiplication des diplômes (respectivement CAP, BEP, bac pro ; AFP, CFC, matu pro) désagrège l’unité de la filière. Le chapitre rédigé par Gilles Moreau relève ainsi la « grande plasticité » du CAP, ce « vieux diplôme » français, diplôme de l’élite ouvrière dans la période des Trente Glorieuses, concurrencé par l’allongement de la scolarité dans les années 1980 et retrouvant une certaine gloire dès les années 2000 en tant que « diplôme propédeutique ». Dit autrement, il fait aujourd’hui office de tremplin pour les jeunes, pour qu’ils se prémunissent contre le chômage. Ainsi, pour réduire leur nombre, l’apprentissage apparaît d’emblée comme la voie la plus aisée pour résoudre la question des NEETs (Not in Education, Employment or Training). La formation professionnelle est vue comme un outil d’insertion, notamment dans les pays où le chômage des jeunes est élevé. On peut alors se demander si en Suisse, la fameuse campagne du SEFRI « Apprends… deviens… » conduira elle aussi le CFC dans cette voie. Combien de temps encore la Suisse continuera-t-elle à « faire figure d’exception » avec la majorité de ses élèves qui restent avec une formation initiale, « invitée à former la future main-d’œuvre d’exécution » ? Pour l’heure, « seuls » 23% des détentrices et détenteurs d’un CFC effectuent une maturité professionnelle[6], avec toutefois de grandes disparités entre les cantons (le taux de maturité professionnelle est deux fois plus élevé à Neuchâtel et au Tessin qu’à Genève et à Bâle-Ville).

Qui sont les apprenti-e-s qui se contentent d’un CFC, qui sont ceux qui décident de poursuivre leur formation ? L’analyse des trajectoires individuelles des apprentis montre que les jeunes investissent l’apprentissage de multiples façons. Et que l’apprentissage n’est pas que dual. En attestent les différences régionales observées en Suisse, on peut effectuer un apprentissage en entreprise ou en écoles à plein temps (écoles de métiers). Alors que l’apprentissage dual est un tremplin vers l’emploi (primauté du métier), l’apprentissage en école conduit vers les études tertiaires (primauté du diplôme). Les profils et les motivations à l’origine des choix de l’une ou l’autre voie (choix volontaire, conseillé, par opportunisme, contraint), qui trouvent leur place dans le livre, font tomber le masque de l’apparente homogénéité de la catégorie apprenti-e. Ce détail est de taille lorsqu’il s’agit de présenter le système suisse à l’étranger. Une autre pierre d’achoppement se cache derrière la transition entre formation et emploi, qui devient toujours plus complexe et moins directe. Le livre expose ici notamment trois raisons : l’allongement des parcours de formation, la ponctuation d’ « espaces interstitiels articulant différentes expériences » et le décloisonnement des systèmes de formation grâce aux passerelles autorisant des bifurcations en tout temps.

 

Recalibrer pour persister

Finalement, quelle étiquette coller à la formation professionnelle : une filière reconnue ou une voie de relégation ? Occupe-t-elle une position favorable ou au contraire dominée dans le système éducatif ? C’est sur ces interrogations qui ébranlent l’édifice de la formation professionnelle que l’ouvrage invite à porter des regards croisés. L’ouvrage rapporte la forte imbrication entre marché du travail local, besoins économiques dans un contexte historique donné et offres de formation professionnelle. En conclusion à cette partie introductive très arborescente, on retient qu’indépendamment des époques et des territoires, la formation professionnelle est « sans cesse soumise aux réajustements de ses finalités ». Des réajustements qui prennent le doux nom d’hybridation (entre voie générale et voie professionnelle), d’académisation, d’upskilling, de mobilité, de flexibilisation, de numérisation, de mondialisation… Un objet d’étude complexe inépuisable – pour chercheuses et chercheurs inépuisés.


Jackie Vorpe, Doctorante en politiques éducatives au sein de la HEFP et rédactrice francophone pour le magazine Transfert de la SRFP, janvier 2022

 

La formation professionnelle, une formule 3 en 1 ?

 

Les attentes de la formation professionnelle

L’ouvrage « Finalités et usages de la formation professionnelle ? » propose un décryptage des enjeux politiques et économiques de la formation professionnelle, ainsi que de son rapport à l’emploi.

Quelles sont les attentes et les finalités d’une formation professionnelle de type CFC ? Quels sont ses écueils, quelles lignes de tension subsistent dans cette filière ? Ces questions, et bien d’autres, sont abordées dans l’ouvrage paru aux éditions Antipodes, Finalités et usages de la formation professionnelle.
S’inscrivant dans des contextes historiques et variés, les différents chapitres proposent des regards croisés et interdisciplinaires sur cette filière de formation. Ils passent en revue non seulement le modèle de CFC suisse, mais aussi le CAP (certificat d’aptitude professionnelle) et le BEP (brevet d’études professionnelles) français et encore le modèle espagnol.
Destiné aux chercheur·euse·s tout comme aux acteur·trice·s de terrain, le livre porte une attention particulière aux parcours de formation ainsi qu’aux rapports à l’emploi et à l’insertion.

Revue d’information sociale, Reiso.org, Mercredi 02.02.2022

 

«DEVENIR EMPLOYÉ DE COMMERCE FAIT TOUJOURS RÊVER»

Entre mutations du travail et l’ère du Covid, l’apprentissage se voit chamboulé. Quelles sont les filières délaissées et celles qui restent convoitées ? La pandémie a-t-elle changé les projets des jeunes ?

Entretien avec Nadia Lamamra, professeure à l’HEFP, juste avant le Salon des métiers à Lausanne.

 

Les places d’apprentissage manquent quand la conjoncture se détériore. Quelle est la situation aujourd’hui après le Covid ?
Elle a été passablement impactée, et même si elle reste bonne en Suisse, il y a quand même moins de places d’apprentissage. Selon le baromètre de la transition, 44% des entreprises suisses déclarent avoir été touchées par le chômage partiel et 15% des entreprises formatrices ont des difficultés à recruter. Du côté des jeunes, 17% de celles et ceux ayant terminé leur scolarité en été 2021 disent avoir dû changer leurs plans, notamment en modifiant leur choix soit de filière (voie générale au lieu de l’apprentissage), soit de métier. Bien sûr, les entreprises, qui ont dû licencier, peuvent engager des apprentis, mais quelle sera la qualité de la formation? Les entreprises formatrices en Suisse sont essentiellement des PME, celles qui ont été les plus touchées par la crise. Elles ont déjà de grandes pressions de rentabilité, avec moins de personnel, on peut imaginer que le temps à disposition des apprentis sera encore réduit et que l’encadrement deviendra plus compliqué.

L’apprentissage, formation duale, est-il une voie royale ou une voie de garage ?
La perception est très différente selon les régions. Seuls environ 50% des jeunes Romands contre 70% des jeunes Alémaniques choisissent l’apprentissage. On voit qu’en Suisse alémanique, c’est une voie qui est assez valorisée, même par les familles, alors qu’en Suisse romande, on a davantage intégré le modèle français, où la voie royale reste la voie académique. Il faut souligner qu’en Suisse, on met deux mois en moyenne pour trouver un premier emploi après l’obtention d’un CFC. Ce qui est très peu en comparaison internationale. Mais il y a encore du travail à faire dans les représentations pour valoriser la formation duale, notamment à Genève, canton où il y a le moins de formations par apprentissage.

Les mutations dans le monde du travail sont nombreuses. Qu’est-ce qui a le plus changé dans l’apprentissage ?
Sans doute l’accélération des rythmes et la flexibilité. La nécessité de passer d’un poste à l’autre est attendue dans certains métiers. De même que la pression de la productivité s’est accrue. Les formateurs, quant à eux, cumulent les casquettes, ils doivent à la fois produire et former. On pense souvent à l’impact de la digitalisation mais, sur le terrain, ce n’est pas le facteur qui est le plus souvent évoqué. Bien sûr, l’arrivée de nouveaux systèmes numérisés de production a changé certains métiers, parfois en mieux, parfois en ajoutant du stress. Dans l’hôtellerie, par exemple, l’arrivée des sites d’évaluation a créé une pression et une nouvelle charge sur les hôteliers qui doivent gérer leur travail tout en restant attentif à ce qui se passe sur les réseaux.

Pourquoi est-ce si difficile d’intégrer le monde du travail ? Quels sont les principaux écueils pour un jeune en 2021 ??
La période de transition s’est allongée, elle est devenue plus complexe et chaotique. Environ 75% des jeunes entrent dans une filière du Secondaire II de manière directe après l’école obligatoire, le temps d’attente pour les autres peut aller jusqu’à deux ans, voire plus. En formation professionnelle, cela a à voir avec la recherche d’une place d’apprentissage. Tout dépend du parcours scolaire antérieur et des secteurs d’activités ou encore de l’origine sociale ou migratoire, les jeunes ne sont pas égaux face à la transition. Il y a aussi le choc du passage de l’école au monde du travail, le saut entre une logique de formation et une logique de production, entre un environnement adolescent et un environnement adulte. Outre la fatigue liée aux horaires de travail, ceux-ci ont aussi un impact sur les activités de loisirs, certains jeunes doivent ainsi arrêter leur activité sportive, dont les horaires sont calqués sur ceux de l’école. Selon les secteurs, il y a une rudesse et une pénibilité physique. C’est une étape assez dure, en fait, même s’il y a plein d’aspects enthousiasmants, comme entrer dans un métier, trouver un sens et obtenir un salaire.

Le taux de rupture des contrats avant la fin de la formation est de 21 %. C’est énorme…
C’est beaucoup, mais ce pourcentage est assez stable dans le temps. Dans les autres filières, on trouve aussi plein de jeunes qui se réorientent, il faut relativiser un peu. Une partie des apprentis arrêtent parce qu’ils ont choisi des filières par défaut. On trouve aussi des problèmes classiques d’ordre relationnel, de conditions de formation, de conditions de travail difficiles. Les secteurs les plus touchés par les arrêts d’apprentissage sont l’hôtellerie, la restauration et le bâtiment, parce que les conditions de travail et les horaires y sont très difficiles. Et puis, ce sont des métiers qui ne sont pas toujours valorisés socialement.

Ce qui explique la perte d’attrait de ces filières ?
Oui, ces secteurs, ainsi que les métiers de la viande font moins rêver. Chacun développe des stratégies différentes pour attirer les apprentis. La filière carnée a fait de grandes réformes pour proposer des voies de formation différenciée, avec d’un côté la vente-traiteur et de l’autre l’abattage-dépeçage. Mais le boucher a de moins en moins bonne presse, c’est un métier dur, où il faut travailler dans le froid des frigos, gérer les grosses pièces de viande. D’autres secteurs mettent l’accent sur la publicité, avec des affiches assez folles, genre superhéros qui deviennent électriciens. Les carrossiers suisses, qui peinent aussi à recruter, ont misé sur une formation de meilleure qualité. L’idée est de labelliser les entreprises qui garantissent une qualité d’accompagnement.

Est-ce que les formations restent encore genrées ?
Oui, ça n’évolue pas très vite. Certains métiers en santé sociale restent très féminisés, alors que les métiers techniques et l’informatique restent encore des bastions masculins. Il y a très peu de métiers mixtes, à part les employés de commerce, les gestionnaires de vente et les médiamaticiens, nouvelle profession qui se situe entre le graphisme, le marketing et l’informatique. Bien sûr, dans l’absolu, tout est possible, mais on est encore dans une situation de pionniers et de pionnières.

On trouve des filles en carrosserie, mais peu de garçons assistants-dentaires…
Tous deux rencontrent des difficultés, mais pas au même moment. Les garçons, qui entrent dans une profession féminisée, sont généralement bien accueillis. L’écueil pour eux est en amont, quand ils annoncent leur choix à leur entourage: un garçon qui veut faire esthéticien est soupçonné d’homosexualité.  Par contre, une fois en poste, les pionniers sont très vite incités à poursuivre leur formation, soit à occuper des places à responsabilité. Les éducateurs de la petite enfance deviennent rapidement directeurs de crèche… Pour les filles, c’est plutôt valorisant d’entrer dans une voie traditionnellement masculine. Par contre, la résistance apparaît souvent au niveau des collègues, voire des clients. Il y a parfois un fonctionnement de repli avec des mises à l’épreuve, du harcèlement. Oui, les filles peuvent tout faire, y compris de la mécanique auto, mais la réaction du collectif de travail est parfois dure. Le taux de résiliation de contrats des pionnières est d’ailleurs supérieur à la moyenne.

Quelles sont les métiers qui font vraiment rêver les jeunes ?
La voie la plus répandue reste employé de commerce. C’est un emploi stable, avec des horaires supportables et des possibilités de carrière et ça rassure les familles ! L’informatique continue à faire rêver aussi. Assistant en soins et santé communautaire est une nouvelle formation avec CFC, qui se situe entre aide-soignante et infirmière et qui attire pas mal de monde. Sinon, la vente est toujours un secteur très attractif pour les jeunes. La mécanique auto reste encore tout juste dans le top ten. Par contre, en dix ans, les métiers de l’artisanat et du bâtiment ont disparu du classement de tête.

Et le métier d’influenceur, influenceuse… ?
Il n’y a pas encore de CFC ! Il faudra voir si les organisations du monde du travail s’adaptent à l’avenir. Ce trend fait certainement rêver les jeunes, mais ça ne se voit pas encore dans les statistiques.

230 spécialités d’apprentissage sont reconnues par la Confédération, dont certaines ne survivront ni à la délocalisation ni aux robots. Quels conseils donneriez-vous à un-e futur apprenti-e ?
C’est compliqué, on peut tout délocaliser y compris les métiers intellectuels. On n’est pas mieux protégé quand on est qualifié. De même, on peut robotiser pas mal de choses…  L’évolution aura donc surtout à voir avec des choix politiques, des choix de société. Aux futur-e-s apprenti-e-s, je dirais qu’il faut prendre le temps de choisir, ce n’est pas grave d’essayer et de changer. Certains parents rêvent encore pour leurs enfants du parcours linéaire et lisse, que l’on a connu dans la période des Trente Glorieuses et qui reste la référence. Mais les trajectoires contemporaines ont énormément changé. Elles sont devenues chaotiques, morcelées, elles s’arrêtent et bifurquent. Il y a des pauses, des moments de formation en cours d’emploi. C’est une tendance lourde dans tous les pays occidentaux. La difficulté en Suisse est que l’on doit choisir très tôt, à 14 ans. Mais il faut dédramatiser les arrêts d’apprentissage et se dire qu’il y a toujours plusieurs voies possibles.

Article de Patricia Brambilla, Migros Magazine, 14 octobre 2021