Du pouvoir et du profit

Contributions de Sébastien Guex à l'histoire économique et sociale

Guex, Sébastien,

ISBN: 978-2-88901-215-2, 2021, 38€, 704 pages

Historien engagé dont les enseignements et les travaux universitaires ont marqué le champ historiographique helvétique, Sébastien Guex a produit au fil du temps une œuvre considérable aux thématiques multiples. Révélé à l’attention du public pour ses publications pionnières sur les origines du secret bancaire suisse et par ses interventions militantes à propos de fiscalité et de finances publiques, il s’est intéressé à nombre d’autres domaines, parfois très sensibles, du passé helvétique : histoire de l’impérialisme suisse, histoire du marché de l’art, des organisations paysannes, des gardes civiques ou encore de la Grève générale de novembre 1918.

Format Imprimé - 48,00 CHF

Description

Le présent volume, édité par ses proches collègues de l’Université de Lausanne, propose une saisie rétrospective et critique de ce travail riche et foisonnant, qu’un marxisme ouvert et vivant, aussi bien qu’exigeant, structure dans sa cohérence. On trouvera dans Du pouvoir et du profit une série de mises au point historiographiques qui permettront de situer les apports de ce chercheur à chacun des grands domaines qu’il a sillonnés au cours de ces trente dernières années. Une sélection d’une vingtaine de ses articles, couvrant des thématiques d’histoire économique, sociale et politique, ainsi que des enjeux de méthode, forme le centre de l’ouvrage qu’un substantiel essai d’ego-histoire, conduit sous forme d’entretien avec l’intéressé, complète par une touche à la fois réflexive et surprenante, donnant à voir le parcours biographique, intellectuel et politique d’un historien de notre temps.

[La thèse de Sébastien Guex, La politique monétaire et financière de la Confédération suisse. 1900-1920, est disponible en pdf et en libre-accès: ICI]

Table des matières

AVANT-PROPOS

Sandra Bott, Cédric Humair, Isabelle Lucas, Malik Mazbouri, Claude Pahud, Janick Marina Schaufelbuehl, François Vallotton et Nelly Valsangiacomo

ENTRETIEN AVEC SÉBASTIEN GUEX

Sandra Bott et Malik Mazbouri

Partie 1: POLITIQUE MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE

«Politique monétaire et financière: au cœur du pouvoir suisse»
Introduction de Cédric Humair

«La politique de la Banque nationale suisse 1907-1939: modèles, références et spécificités»
Sébastien Guex

«L’introduction du droit de timbre fédéral sur les coupons, 1919-1921»
Sébastien Guex

«Est-il encore possible de vivre heureux dans notre patrie? Splendeurs et misères d’un expert financier du Conseil fédéral: l’éviction de Julius Landmann (1914-1922)»
Sébastien Guex

«Les grandes tendances actuelles en Suisse en matière de politique financière»
Sébastien Guex

Partie 2: PLACE FINANCIÈRE SUISSE

«Pour une histoire politique et sociale de la place financière suisse»
Introduction de Malik Mazbouri

«Développement de la place financière helvétique et secret bancaire au 20e siècle: la Suisse comme paradis fiscal»
Sébastien Guex

«Les origines du secret bancaire suisse et son rôle dans la politique de la Confédération au sortir de la Seconde Guerre mondiale»
Sébastien Guex

«Conflits et marchandages autour du secret bancaire en Suisse à l’issue de la Grande Guerre»
Sébastien Guex

«Au carrefour de l’économie et de la politique. La genèse des banques cantonales en Suisse et leur développement jusqu’à la Première Guerre mondiale»
Sébastien Guex

Partie 3: IMPÉRIALISMES, COLONIALISME ET NÉGOCE

«La Suisse dans le sillage de l’impérialisme des grandes puissances»
Introduction de Sandra Bott et Isabelle Lucas

«De la Suisse comme petit État faible: jalons pour sortir d’une image en trompe-l’œil»
Sébastien Guex

«Le négoce suisse en Afrique subsaharienne: le cas de la société Union Trading Company (1859-1918)»
Sébastien Guex

«Le développement des sociétés de négoce suisses au XXe siècle»
Sébastien Guex

«Place financière suisse et politique humanitaire au XXe siècle: quelques aspects»
Sébastien Guex

«L’impérialisme suisse ou les secrets d’une puissance invisible»
Sébastien Guex

Partie 4: HISTOIRE SOCIALE: PAUVRETÉ, PAYSANNERIE ET GRÈVE GÉNÉRALE

«Un historien du social»
Introduction de François Vallotton et Nelly Valsangiacomo

«La pauvreté en Suisse durant l’entre-deux-guerres»
Sébastien Guex

«À propos des gardes civiques et de leur financement à l’issue de la Première Guerre mondiale»
Sébastien Guex

«Les débuts de l’Union suisse des paysans: Quelques remarques critiques à propos d’un ouvrage récent»
Sébastien Guex

«La Grève générale de novembre 1918 et son actualité aujourd’hui»
Sébastien Guex

Partie 5: CONTRIBUTIONS À L’HISTOIRE INTERNATIONALE

«La Suisse, la sociologie financière et le marché global de l’art»
Introduction de Michel Margairaz

«Le scandale des fraudes fiscales et de la Banque commerciale de Bâle. De l’une des causes possibles de la chute du gouvernement Herriot en décembre 1932»
Sébastien Guex

«La politique des caisses vides: État, finances publiques et mondialisation»
Sébastien Guex

«Une approche des finances publiques: la sociologie financière»
Sébastien Guex

«Des affaires en art: l’évolution du marché mondial de l’art depuis 1967 et comment la Suisse en est devenue un acteur majeur»
Sébastien Guex

ANNEXES

Bibliographie de Sébastien Guex

[La thèse de Sébastien Guex, La politique monétaire et financière de la Confédération suisse. 1900-1920, est disponible en pdf et en libre-accès: ICI]

Récapitulatif des enseignements SSP-Lettres donnés à l’Université de Lausanne

Principales interventions scientifiques dans les médias et dans les débats publics (depuis 1996)

Presse

Hommage à Sébastien Guex

L’historien Sébastien Guex, figure iconique de l’université de Lausanne, a pris sa retraite cette année. A cette occasion, et sur un modèle qui a déjà fait ses preuves, ses collègues lui adressent un livre synthétisant ses apports à l’historiographie helvétique dans un hommage respectueux, admiratif et – il faut bien le dire – parfois émouvant.
A ce titre, Du pouvoir et du profit intéressera un lectorat de deux types: celles et ceux qui, ne connaissant pas ou peu le personnage, auront la chance de pouvoir découvrir les travaux de l’un des plus exceptionnels historiens helvétiques; et celles et ceux qui, familiers avec ses recherches, auront la chance de découvrir certains aspects de la personnalité exceptionnelle de cet historien.
Exceptionnel, Sébastien Guex l’est donc à plus d’un titre. Si les hommages qu’il reçoit sont, par leur contenu, remarquables, on voudrait faire remarquer l’équipe qui les lui rend: les plus éminents membres de l’Ecole de Lausanne, qui en grande partie s’est constituée en même temps et en collaboration avec notre historien, se sont réunis pour dire leur admiration et – ce qui est suffisamment rare dans le milieu académique pour être remarqué – ce qu’ils et elles lui doivent.
Du pouvoir et du profit donne donc à voir l’œuvre de notre historien, exprimée par une sélection d’articles, mais aussi sa place au sein d’un collectif d’intellectuels dédié à l’étude sans concession de l’histoire et de la société helvétique.
Sébastien Guex a consacré son énergie à écrire une histoire marxiste de la Suisse – il traite surtout de sujets d’histoire économique, fiscale et financière – et au militantisme – il est un des piliers, entre autres, de Solidarités. Cela lui a valu d’être ignoré par nombre de collègues notamment alémaniques et, comme il le relate dans un long entretien initial, des attaques parfois ouvertes et personnelles.
Néanmoins – mais les lecteurs et lectrices de Max Weber ne seront pas surpris que le sujet ne soit pas abordé en détail –, notre historien est nommé professeur en 2005: et c’est de cette chaire que, désormais libéré des quelques concessions auxquelles il avait dû se résigner, il a pu contribuer de manière déterminante à la constitution d’un véritable pôle de recherche sur ses thèmes de prédilection, pôle aujourd’hui caractéristique de l’université de Lausanne.
Les anciens étudiant·es de Sébastien Guex trouveront sans doute difficile de ne pas lire l’entretien préliminaire et les présentations des différentes parties sans éprouver une certaine satisfaction – celle d’avoir pu assister aux cours de cet historien peu conventionnel –, un certain amusement – ou aurait voulu plus tôt apprendre que collégien, il était surnommé «Guénine» – en même temps qu’un certain désarroi face aux regrets, peines et déceptions qui sont données à lire – qu’elles soient personnelles, politiques ou liées aux injustices qui jalonnent sa carrière académique.
Mais Du pouvoir et du profit est aussi un témoignage de la beauté et de l’importance du métier d’enseignant-chercheur universitaire, et si l’on ne se défait pas d’une certaine amertume, on y découvrira aussi le brûlant espoir émancipateur du travail intellectuel. Et puis la promesse, de ce prolifique mais prudent auteur, d’un livre en cours de gestation: retraité, mais seulement des obligations administratives et d’enseignement.

Article de Séveric Yersin dans Le Courrier, le mercredi 26 octobre 2022.

L’anticapitaliste

Professeur à la section d’histoire de la faculté des lettres de l’université de Lausanne (UNIL) et militant de solidaritéS, Sébastien Guex a pris sa retraite en 2021. À cette occasion, ses proches collègues de l’UNIL ont publié aux Editions Antipodes (Lausanne) un ouvrage contenant une vingtaine de textes, ainsi que la bibliographie exhaustive des publications de Sébastien Guex.

Un engagement d’un demi-siècle

En préambule, Sandra Bott et Malik Mazbouri ont mené, de janvier à mars 2021, un long entretien avec Sébastien Guex. Cet entretien permet de découvrir sa personnalité, son engagement militant (d’un demi-siècle !) et son parcours professionnel, non exempt de vicissitudes dues au poids des adeptes du « capitalisme réellement existant » au sein du monde universitaire.

L’ouvrage, des plus instructifs, englobe cinq thématiques :
– la fiscalité, les finances publiques et la politique monétaire ;
– la question du secret bancaire et celle de la place financière ;
– l’impérialisme suisse ;
– l’histoire sociale et politique ;
– les recherches sur l’historiographie internationale.

Dans L’argent de l’État. Parcours des finances publiques au 20e siècle (Lausanne, Éditions Réalités sociales, 1998) – épuisé en librairie, mais disponible en ligne – Sébastien Guex avait déjà analysé la politique financière de l’État suisse, ciblant notamment la « politique des caisses vides », vecteur des politiques austéritaires par la baisse orchestrée de la fiscalité. L’ensemble des contributions rassemblées dans Du pouvoir et du profit permet de connaître et d’analyser la politique et la réalité de la classe dirigeante suisse, chose fort utile pour les diverses générations de la gauche radicale dans ce pays.

S’intéressant globalement à des domaines parfois très sensibles du passé helvétique, Sébastien Guex a présenté en 1998, lors d’un congrès de l’Union syndicale suisse, un exposé sur la grève générale de novembre 1918, en cherchant à tirer les enseignements de cet événement aujourd’hui encore pour l’action du mouvement ouvrier (politique et syndical).

Si le volume de l’ouvrage pourrait parfois faire hésiter à en entreprendre la lecture, chaque texte peut être lu indépendamment des autres.

Article de Hans-Peter Renk, publié dans le n° 407 de solidaritéS (Suisse)

Sébastien Guex, Du pouvoir et du profit.

Ce livre se présente comme un hommage à l’historien Sébastien Guex, à la fois pour sa carrière scientifique et pour sa carrière militante. Il est coordonné par Sandra Bott, Cédric Humair, Isabelle Lucas, Malik Mazbouri, Claude Pahud, Janick Marina Schaufelbuehl, François Vallotton et Nelly Valsangiacomo. Toutes et tous sont des anciens collègues de Sébastien Guex à l’Université de Lausanne.

L’ouvrage s’ouvre par un avant-propos signé de l’ensemble des coordinatrices et coordinateurs du volume, suivi d’un long entretien avec Sébastien Guex, conduit entre janvier et mars 2021. Cette riche conversation fournit un fil conducteur à l’ensemble de l’ouvrage et donne à voir comment les intérêts scientifiques et le travail de recherche s’encastrent dans la vie politique mais aussi personnelle de l’historien. L’entretien retrace ainsi l’histoire familiale de Sébastien Guex (né en 1956), marquée par la perte de sa mère, dépressive. Jeune adulte, il découvre simultanément le monde universitaire et le militantisme. Son engagement dans le militantisme politique sera durable, marqué par des convictions révolutionnaires et anti-staliniennes. L’étroite imbrication entre engagement scientifique et engagement politique semble ainsi se nouer solidement dès l’aube de la carrière de Sébastien Guex, sous les influences de Ernest Mandel et de Georg Lukacs, et dans un relatif scepticisme vis-à-vis des théories dites « postmodernes », en particulier foucaldiennes. Cet entretien éclaire aussi la genèse des intérêts scientifiques de l’historien, lesquels passeront du mouvement ouvrier au patronat, mais resteront fermement ancrés en Suisse, le « cerveau du monstre », cœur du capitalisme européen et mondial. Quoique brillante, la carrière de Sébastien Guex est aussi notoirement marquée par la précarité, ce que cet entretien inaugural souligne également.

Le livre est ensuite découpé en cinq grandes parties, complétées par une bibliographie exhaustive des œuvres de l’historien, un récapitulatif de ses enseignements dispensés à l’Université de Lausanne ainsi qu’une énumération de ses principales interventions publiques.

Abordant conjointement la politique monétaire et la politique financière de la Suisse, les textes de la première partie illustrent l’intérêt à la fois scientifique et politique de tenir ces deux fils ensemble. L’approche déployée par Sébastien Guex au cours de sa carrière emprunte en particulier au courant de la « sociologie financière » développée par Rudolf Goldsheid. (Rudolf Goldscheid, Staatssozialismus oder Staatskapitalismus. Ein finanzsoziologischer Beitrag zur (…)) Ce cadre théorique critique les analyses purement techniques de la politique monétaire et financière pour en proposer une appréhension resituée dans les rapports de pouvoir entre groupes socio-économiques. En d’autres termes, les outils de la sociologie financière permettent à Sébastien Guex de conduire une socio-histoire de la politique financière et monétaire à partir de son incarnation dans un ensemble d’acteurs, dont la Banque nationale suisse (objet du premier texte de cette partie) et plus avant les élites politiques et les élites bancaires. Dans un texte de 1994 consacré à l’introduction du droit de timbre fédéral sur les coupons (un impôt sur le revenu du capital placé sous la forme de valeurs mobilières), Sébastien Guex démontre que la proximité entre ces deux groupes est un puissant facteur explicatif de la sollicitude fédérale à l’égard des intérêts bancaires. Cette socio-histoire progresse d’un degré supplémentaire d’incarnation avec le troisième texte de la partie, initialement publié en 1995 dans la Revue d’histoire : celui-ci consiste en une étude biographique de la trajectoire de Julius Landmann, expert financier du conseil fédéral dont l’éviction violente est un signe de la résistance fiscale des cercles bancaires et des élites politiques.

La deuxième partie poursuit dans la même perspective en rassemblant des textes qui mènent une histoire politique et sociale de la place financière suisse. Plus spécifiquement, cette section se concentre sur les contributions de Sébastien Guex à l’histoire du secret bancaire en Suisse. Celles-ci rompent avec une historiographie flatteuse, qui voit dans les motivations de la loi de 1934 des considérations humanitaires : il s’agirait de protéger les avoirs détenus par des personnes juives de la prédation nazie. Pour Sébastien Guex, cette historiographie est erronée dans la mesure où le secret bancaire préexiste à la loi de 1934. Dès le premier avant-guerre, le secret bancaire est un instrument à vocation externe, qui vise à attirer les capitaux étrangers en Suisse dans un contexte de concurrence avec les autres pays européens. Dans un article majeur reproduit dans cette partie et initialement publié dans la revue Genèses en 1999, Sébastien Guex montre par ailleurs que le renforcement du secret bancaire opéré en 1934 trouve son origine dans la pression interne exercée par les cercles bancaires – le secret bancaire est une condition imposée par les milieux d’affaires pour accepter une récente mesure de surveillance des banques introduite par le conseil fédéral – et dans une pression externe, suscitée par les tensions politiques autour de l’accueil de capitaux étrangers. L’historien rappelle ainsi les perquisitions qui ont visé en 1932 les locaux parisiens des huit grandes banques suisses, au cours d’une affaire d’évasion fiscale dont l’enjeu était accru par la crise économique mondiale du début des années 1930. Toujours attentif à la conflictualité politique et sociale, Sébastien Guex s’intéresse aussi aux contestations du secret bancaire depuis l’intérieur de la Suisse, particulièrement dans un article plus récent, publié dans la revue L’Année sociologique en 2013. Il y analyse le rôle politique ambivalent de la paysannerie, qui renégocie dans l’entre-deux-guerres sa participation au « bloc bourgeois », alliance politique conservatrice et grande partisane du secret bancaire.

La troisième partie se consacre à un pan d’histoire peu exploré : la relation de la Suisse à l’impérialisme et au colonialisme européens, en particulier au travers des activités de négoce international qu’elle héberge. Sébastien Guex s’est attaché à déconstruire, notamment dans le premier texte reproduit dans cette partie, la vision de la Suisse comme un « petit État faible », produite dans l’historiographie mais aussi dans les discours médiatiques et publics. Cette « rhétorique de la petitesse », que favorise la discrétion du capitalisme suisse, ignore cependant les atouts de la Suisse, point de passage obligé d’une grande partie des échanges européens, place financière mondiale appuyée par ses banques, ses compagnies d’assurance et la puissance de ses investisseurs, mais aussi puissance commerciale majeure par le biais de ses sociétés industrielles et compagnies de trading. Sébastien Guex s’attaque à cette minimisation de l’impérialisme suisse en étudiant les maisons de négoce, en particulier la Union Trading Company établie au Ghana. Il montre comment les sociétés suisses se positionnent dans le sillage des grandes puissances impériales, qui tolèrent cette présence du fait de la faiblesse militaire de la Confédération. L’historien soutient aussi que l’action humanitaire permet de légitimer cette extraction de profit, en consolidant la bonne réputation du pays.

La quatrième partie du volume concentre des contributions de Sébastien Guex à l’histoire sociale de la Suisse. Ces textes rendent particulièrement saillante l’influence de Jean Bouvier, spécialiste du Crédit Lyonnais, sur l’approche de Sébastien Guex, laquelle est toujours indissociablement politique et économique. Les textes reproduits incluent une étude de la pauvreté en Suisse dans l’entre-deux-guerres, qui montre notamment quel fut l’impact de la grande grève de 1918 sur la politique économique des milieux dirigeants : le salaire réel des ouvriers augmente de 15 % entre 1918 et 1922, même si l’embellie connue par les classes populaires suisses est de courte durée et prend fin avec la crise des années 1930. Cette partie inclut aussi une intéressante analyse, datée de 1995, portant sur la formation des gardes civiques, groupes paramilitaires constitués par la bourgeoisie suisse en dehors de tout cadre légal, dans le contexte des mouvements sociaux de l’année 1918. Financés par la Banque nationale suisse, par plusieurs banques et compagnies d’assurance, et plus largement par les milieux patronaux, ces groupes visent à défendre par la force les intérêts des milieux dirigeants, sous la houlette de la Fédération patriotique suisse.

Enfin, la cinquième et dernière partie se dédie aux contributions de Sébastien Guex à une histoire globale de la Suisse. Celui-ci conduit une approche globale de la « politique des caisses vides », à l’aide des outils de la sociologie financière, et en s’intéressant enfin à la place de la Suisse dans le marché global de l’art. L’historien décrit la cohérence entre la politique de régression des finances publiques et d’autres phénomènes économiques et sociaux : en premier lieu, la réduction des dépenses sociales et l’augmentation des inégalités, mais aussi l’essor des marchés financiers mondialisés et l’endettement public. Il soutient également, dans un article initialement publié en 2016 dans le Journal of European Economic History, que la concentration progressive du marché de l’art en Suisse conforte la position de la Confédération comme place financière mondiale. En retour, les détenteurs des fortunes gérées par des établissements helvétiques sont incités à investir dans les biens culturels, présentés comme de bons placements.

Cet ouvrage, au caractère hagiographique assumé, inclut par ailleurs, dans chaque partie, des textes tenant davantage de la vulgarisation ou de l’intervention politique. S’ils apportent rarement des éléments différents de ceux présentés dans les textes plus académiques, et s’ils suscitent parfois une impression de répétition, ils donnent cependant à voir l’articulation des efforts de l’historien en direction de différents publics. Ils permettent en cela d’interroger profondément l’articulation entre savoir universitaire et action politique et, par là, la place des scientifiques du social dans le militantisme et les mouvements sociaux.

Article de Claire Cosquer, Lectures / Liens Socio, Les comptes rendus, 2022.