De beaux Lendemains? Histoire, société et politique dans la science-fiction

Gyger, Patrick J., Haver, Gianni,

2002, 213 pages, 19 €, ISBN:2-940146-23-3

Trop occupés à fouiller le passé, les historiennes et les historiens n’ont que rarement abordé les représentations d’un futur imaginé. Celui-ci est pourtant un terrain de recherche extrêmement riche pour les sciences humaines. Les sociétés hypothétiques, au centre de la représentation du futur proposé par les œuvres d’anticipation, sont construites sur l’allégorie des craintes et des espoirs propres à leur époque de production. La science-fiction propose ainsi des visions extrêmes: ces mondes inexistants, qu’ils soient idéaux ou pervertis, à haute technologie ou mystiques, égalitaires ou hiérarchisés, pacifiques ou conquérants, ne font que caricaturer et déformer la représentation du réel. Ces œuvres sont autant de loupes-à la fois déformantes et grossissantes-qui révèlent leur temps.

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Description

Trop occupés à fouiller le passé, les historiennes et les historiens n’ont que rarement abordé les représentations d’un futur imaginé. Celui-ci est pourtant un terrain de recherche extrêmement riche pour les sciences humaines. Les sociétés hypothétiques, au centre de la représentation du futur proposé par les œuvres d’anticipation, sont construites sur l’allégorie des craintes et des espoirs propres à leur époque de production. La science-fiction propose ainsi des visions extrêmes: ces mondes inexistants, qu’ils soient idéaux ou pervertis, à haute technologie ou mystiques, égalitaires ou hiérarchisés, pacifiques ou conquérants, ne font que caricaturer et déformer la représentation du réel. Ces œuvres sont autant de loupes-à la fois déformantes et grossissantes-qui révèlent leur temps.

Dans cet ouvrage, le cinéma et la littérature de science-fiction ont été observés du point de vue de l’histoire, mais également de celui de l’analyse littéraire et musicale, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’architecture et de la théologie. Cette approche interdisciplinaire offre un vaste panorama où se dessinent des représentations sociales et leurs enjeux politiques.

Table des matières

  • Introduction (Gianni Haver)       
  • Pavé de bonnes intentions: détournements d’utopies et pensée politique dans la science-fiction (Patrick J. Gyger)
  • « Regardez-nous sauver le monde! » Représentations sociales dans quelques films catastrophe hollywoodiens (Laurent Guido)
  • Darth Vader, Mr. Spock et Thomas Jefferson: la science-fiction comme théodicée narrative (Vinzenz Hediger)
  • Politiques du corps et science-fiction cyberpunk (Olivier Simioni)
  • Les idées anthropologiques de quelques films post-apocalyptiques ou apparentables (François Lorétan)
  • Le post-atomique cinématographique: un futur conjugué au passé antérieur (Philippe Ney)
  • 2069 dans le « nouveau cinéma suisse »: OVNI ou reflet de la société? (Olivier Moeschler)
  • Totalitarisme, aliénation médiatisée et ambiguïté dans Total Recall (Charles-Antoine Courcoux)
  • Dark City: parcours entre architecture, urbanisme et science-fiction (Delphine Fellay, Stéphanie Ginalski, Valérie Niederoest)    
  • Usonie? ou des relations entre utopie et musique (Laurent Mousson)

Presse

La science-fiction, stade ultime de la politique

De jeunes chercheurs romands se penchent sur les rapports entre science-fiction et idéologie. Une démarche iconoclaste en milieu académique, qui débouche sur des études prometteuses

Des universitaires qui se penchent sur la science-fiction, une démarche peu courante sous ces latitudes. Alors que les pays anglo-saxons ont entériné, la montée en puissance des littératures populaires actuelle, leurs homologues latins continuent de mépriser la fiction de genre. En Suisse romande, cette période glaciaire connaît toutefois un réchauffement ces jours avec la publication de l’ouvrage collectif De Beaux Lendemains?, sur les rapports entre science-fiction (SF) et politique.

Un parallèle saugrenu? Voire. « Pour débordante qu’elle soit, la fantaisie des auteurs du genre est en lien direct avec la représentation de la société dans laquelle ils vivent. […] C’est la raison pour laquelle la science-fiction peut facilement servir d’instrument de légitimation comme de dénonciation » des idéologies, avertit d’emblée Gianni Haver, maître assistant à l’Université de Lausanne, codirecteur de la publication avec Patrick Gyger, qui dirige la Maison d’ailleurs à Yverdon. Un exemple de légitimation vient du film catastrophe, estime Laurent Guido. A l’heure où les Etats-Unis mènent leur guerre contre le terrorisme, l’analyse de cet assistant lausannois revêt une actualité particulière. Des œuvres comme Independence Day, Armageddon ou Deep Impact, dans lesquelles la société humaine globalisée-aussi globale que le marché visé par ces films-est menacée par des extraterrestres ou une météorite, « représentent un modèle de résolution réussie d’une crise à l’échelle planétaire par les Américains. Dans ces récits, ce sont les Etats-Unis qui organisent la riposte et font usage de leur force technologique et militaire ». A travers Total Recall, Charles-Antoine Courcoux, de l’Université de Genève, veut aussi pointer l’ambivalence des films de Paul Verhoeven (Robocop, Starship Troopers…) qui « n’ont cessé de proposer une vision à la fois complaisante et pessimiste de la société occidentale et de ses dérives totalitaires ». Plus radical, Vincenz Hediger, historien du cinéma à l’Université de Zurich, va jusqu’à affirmer que les films de SF « optimiste » comme Star Wars constituent des « contes moraux » qui renforcent l’héritage religieux de l’Amérique puritaine. Leur vision de la société interstellaire est un reflet de la théologie créationniste qui domine le discours religieux aux Etats-Unis ».

A l’ombre se déploie le versant critique du genre. Armé d’une solide documentation, Olivier Simoni, de Lausanne, illustre l’ambiguïté des romans du courant « cyberpunk » comme les histoires de William Gibson, hantées par des jeunes gens au corps bourré d’extensions électroniques et branchés à la réalité virtuelle. D’un côté, ces « cyborgs » semblent incarner, pour ainsi dire, l’idéal du travailleur nomade et manipulable que demande le marché du travail; de l’autre, l’anarchie, le sensualisme et le pessimisme qui règnent dans ces romans représentent une forme de « résistance de la chair » à l’idéologie galopante. De plus, l’utopie politique, rappelle Patrick G. Gyger, a subi dès la fin du XIXe siècle une âpre contestation avec la « dystopie », forme de SF dans laquelle le rêve de la société idéale tourne au cauchemar.

H. G. Wells, Aldous Huxley, Harry Harrison (Soleil vert, source du film de Richard Fleisher), Robert Silverberg ont, parmi bien d’autres, produit ces récits de mondes désespérés qui « fonctionnent comme la preuve par l’absurde de l’échec de l’utopie ». Ces récits d’utopies totalitaires illustrent l’idée que l' »on ne peut protéger l’être humain de lui-même qu’en le dénaturant ».

D’autres pistes sont encore tracées, notamment vers le registre postapocalyptique, la musique, le film Dark City d’Alex Proyas et son rapport à l’urbanisme. Dans le registre national, un autre Lausannois, Olivier Moeschler, analyse l’un des rares films suisses de SF. En 1969, Fredi M. Murer réussit à insérer 2069, un sketch incluant une sorte de monstre conçu par H. R. Giger dans un film collectif commandé par une banque… Le cinéaste juge encore cette pièce contestataire, mais le fût-elle vraiment?

Face à tant de dynamisme chez ces jeunes chercheurs, faut-il conclure à l’émergence d’une curiosité durable dans les haute écoles lémaniques? Tout au moins, les constructions imaginaires contemporaines s’immiscent-elles peu à peu dans des sujets de séminaires. « Dans ce cas précis, disons que les auteurs avaient une passion préexistante pour le genre, auquel ils appliquent une lecture universitaire », répond Gianni Haver, « mais l’intérêt pour ces questions est réel ». Le dégel commence.

Nicolas Dufour, Le Temps, 23.01.2002

L’avenir se décline au passé

La SF, miroir des dérives de notre société, permet de mieux comprendre notre histoire. C’est la thèse originale d’un groupe de sociologues, historiens et cinéphiles lausannois.

« L’avenir n’est plus ce qu’il était ». Cet aphorisme signé Arthur C. Clark, le père de 2001: l’Oyssée de l’espace, résume parfaitement le parti pris des auteurs de De beaux lendemains?, un nouvel ouvrage collectif réunissant sociologues, historiens, anthropologues et spécialistes du cinéma. Car contrairement aux idées reçues, la science-fiction (SF) n’est pas seulement l’affaire d’illuminés aux cheveux longs et aux visions désincarnées. Dans les pays anglo-saxons, elle s’étudie au même titre que d’autres genres populaires comme le roman noir ou la bande dessinée.

« La SF est en voie de respectabilité », constate Patrick Gyger, directeur de la Maison d’Ailleurs, à Yverdon. « Sociologie imaginaire de notre présent », elle révèle le douloureux fossé entre la quête immuable du bonheur et les moyens supposés nous y conduire (technologie, science, progrès). D’ou une abondante littérature dite « contre utopiste » dans la SF moderne. On y parle notamment-et ceci dès le milieu du XIXe siècle-d’hypermécanisation, solitude, de dérive totalitaire. Exemple: The Machine stops, une nouvelle de E.M Forster parue en 1906 où il est question d’individus repliés sur eux-mêmes, ne communiquant que par un espèce de téléviseur et contrôlés par la machine…

L’utopie du meilleur

Plutôt désenchantée, la SF du XXe siècle continue à rêver d’un monde meilleur tout en ne proposant plus de modèles de société parfaite, estime Patrick Gyger. Parmi les thèmes récurrents de la SF, l’apocalypse. « Si l’utopie est un peu ennuyeuse, l’apocalypse, ou plutôt la postapocalypse, est visuellement très intéressante. On peut développer des images inédites, telles que des terres désolées ou des montagnes de voitures carbonisées. De plus, la vision du monde y est grandement simplifiée: il reste un homme et une femme, et tout est à reconstruire. »

Ce « Big Boum » planétaire débute dans les années 50, époque où les craintes de débordements nucléaires commencent à émerger. Du désert rocailleux à l’absence de civilisation, la SF des années 90 lui préfère les catastrophes naturelles ou extraterrestres. Ou encore des menaces plus intérieures décrites par la littérature cyberpunk, un mouvement issu des années 80. « Ces romans, ambigus, traitent du rapport avec le corps et de ses malformations. Il y a là les craintes liées à l’informatique, au cyberespace ainsi qu’à la génétique », analyse Olivier Simioni, à l’Institut d’anthropologie et de sociologie de l’Unil.

Interview de Gianni Haver

-En quoi la science-fiction est-elle l’affaire des historiens?

-Les historiens ne portent que très peu d’attention à la SF car elle est à tort associée au futur. A l’opposé, nous avons choisi de l’analyser en tant que miroir de notre présent, voire de notre passé. La série de Star Wars, par exemple, puise largement dans le Moyen Age et l’Antiquité. Bien sûr, il s’agit d’une histoire de l’imaginaire emplie de stéréotypes. Mais elle est révélatrice de l’époque dans laquelle ce type de productions est inscrit.

-Pourquoi actuellement tant de réadaptations de films de SF?

-Le cinéma a toujours fonctionné par cycle. Lorsqu’apparaît une révolution technologique, les classiques sont réinterprétés en fonction des nouveaux moyens à disposition. On assiste actuellement à une belle série de réadaptations des années 1960 et 70, avec notamment La planète des singes et prochainement The Time Machine. Un film comme La planète…, très marqué par les luttes sociales d’il y a trente ans – phobie du nucléaire, pouvoir partagé entre les religieux, les militaires et les scientifiques – a pris actuellement une tout autre dimension. La société des singes est moins manichéiste tandis que la phobie du totalitarisme a glissé vers celui du complot interne, un thème cher aux Américains d’aujourd’hui.

-Justement, la production SF hollywoodienne est-elle une manière de soutenir les valeurs dominantes?

-Dans les films catastrophe américains, on retrouve depuis longtemps l’idée d’une réponse uniquement américaine face à une menace planétaire. A chaque fois, la suprématie des Etats-Unis sur le monde s’y retrouve réaffirmée. Il me tarde de voir quelle sera la production hollywoodienne après les événements du 11 septembre. Elle en sera forcément marquée de près ou de loin. L’Arabe risque fort de prendre la place du Chinois et du Japonais d’antan dans les productions cinématographiques. A noter que le film The Seague, avec Bruce Willis, est sorti en toute discrétion alors qu’il traitait justement d’attentats et de musulmans que l’on emprisonne dans des camps!

-Pourtant, les ficelles utilisées dans ce type de films semblent si grossières…

-Bien sûr, en Europe, on rigole de ces grosses productions. Mais on s’y habitue aussi et on finit par ne pas trop remettre en question les valeurs véhiculées. Parfois, certains films SF prônent ouvertement la dérision. Mais le cinéma fasciste utilisait aussi la dérision comme moyen de propagande. Attention: je ne suis pas en train de mettre ces deux choses sur le même niveau. Mais on peut s’interroger sur les destinataires des messages que l’on trouve dans les productions américaines. Est-ce les Américains ou le monde entier? Reste qu’il s’agit très clairement de la diffusion d’un modèle réactionnaire.

Elisabeth Nicoud, 24 Heures, 29.1.2002

God bless America

Les éditions Antipodes viennent de publier un recueil d’articles analysant quelques films catastrophe américains sous l’angle politique et sociologique. Edifiant.

S’il est un vice bien caché, impuni et sans danger, c’est celui qui rassemble les amateurs de science-fiction. Les polars se lisent au grand jour; ils ont leurs grands auteurs, leurs classiques et ils font partie de plein droit de la grande littérature. La situation de la science-fiction est différente. Pour le grand public cultivé, elle relève souvent du degré zéro de la littérature, une sorte de version techno de la collection Harlequin.

Simpliste

Comme tout genre, elle a pourtant ses grands maîtres et ses chefs-d’œuvre, mais la science-fiction au cinéma est beaucoup plus populaire. Tout le monde connaît E.T. ou le cycle de Star Wars. Mentionnons en passant ce film remarquable et méconnu qu’est Star Gate avec ses dieux égyptiens descendant d’un véhicule spatial en forme de pyramide. Les éditions Antipodes ont eu la bonne idée de publier, sous le titre De beaux lendemains, un recueil d’articles consacrés à une analyse sociologique et politique de la science-fiction.

Les articles consacrés au 7e art et surtout au sous-genre du film catastrophe sont particulièrement frappants. La vision de la société américaine proposée par Hollywood y entre singulièrement en résonance avec les réactions des Etats-Unis depuis le 11 septembre. Independance Day, Armageddon et Deep Impact sont les trois succès les plus récents dans le genre catastrophe. Le premier décrit une invasion d’extra-terrestres vraiment très méchants. Les deux autres ont pour scénario l’arrivée de deux météorites géantes qui pourraient bien détruire la planète si…

Dans son article, Laurent Guido considère que les trois crises sont résolues de manière similaire par l’affirmation du pouvoir en place qui montre sa capacité à gérer la situation. Bien que le problème soit planétaire, ce sont les Américains et eux seuls qui trouvent les solutions. Le contrôle de la planète par le pouvoir étasunien est clairement légitimé. Dans les trois films, les médias sont de simples relais aux informations officielles. Ils ne remettent pas en cause la version gouvernementale et acceptent l’autocensure. Une partie de Deep Impact se situe dans une salle de rédaction où l’imposition de la loi martiale ne fait l’objet d’aucune discussion au nom du patriotisme.

Les populations civiles ne sont montrées que sous la forme d’une foule passive ou paniquée. Dans les trois cas, la figure présidentielle est centrale ce qui permet à l’auteur de parler d’un cinéma « patriarcal ». Deux séquences retiennent l’attention. Dans Armageddon, le départ des astronautes qui vont faire sauter la météorite est entrecoupé avec le discours présidentiel, des images de l’Amérique profonde, des scènes symboliques en Europe et dans le monde (un café à Paris, une foule devant le Taj Mahal) et la bannière étoilée. Dans Independance Day, lors de son discours final le président explique que le 4 juillet sera désormais la fête de la liberté du monde entier et pas seulement celle des Etats-Unis.

Morale standard

Ces films proposent tous la même morale: l’individu est là pour défendre sa famille ou se réconcilier avec elle. Au fond, la société américaine y apparaît moins comme une collection d’individus que comme un rassemblement de couples défendant leur existence et leurs enfants, lorsque le scénario nous montre un personnage restant à l’écart de ce cadre, c’est pour mieux expliquer, dans la bataille finale, la manière exemplaire dont il se rachètera en se sacrifiant pour la réussite de la mission.

Remarquons que tous ces films ont eu beaucoup de succès chez nous; la presse, pas dupe, s’est moquée gentiment du patriotisme américain, mais pas trop, car après tout ce sont des films pour adolescents et la critique sérieuse les considère avec condescendance. Les populations de l’empire romain durent attendre l’Edit de Caracalla pour obtenir la citoyenneté romaine. Il nous reste à espérer que W. se montre digne de cet exemple et distribue généreusement la green card à l’humanité entière, conséquence logique des prémonitions hollywoodiennes.

Jacques Guyaz, Domaine Public, N° 1503, 1er février 2002

Science fiction et politique. Le futur de notre passé

11 septembre 2001, les Twin Towers s’effondrent et le Pentagone est en feu. En regardant les images transmises par les télévisions, une bonne partie de celles et ceux qui ont vu le film Independance Day ou Mars Attacks ont certainement pensé que la réalité rejoignait la fiction…On a souvent vu la science-fiction comme un cinéma qui parle du futur. Rien n’est moins sûr.

Dans un ouvrage récent, De Beaux Lendemains?, treize chercheuses et chercheurs ont questionné le cinéma et la littérature de science-fiction. Ce genre populaire a été observé du point de vue de l’histoire, de l’analyse littéraire et musicale, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’architecture et de la théologie. Au fil des réflexions, il apparaît que ces mondes imaginaires, éloignés dans le temps et dans l’espace, finissent par ressembler, beaucoup, au nôtre.

Genre littéraire ancien, la science-fiction occupe le cinéma dès que celui-ci fait ses premiers pas. Aux films « à trucs » de Méliès, du début du siècle, suivent les grosses productions des années 20 : le soviétique Aélita (1924) où Jakov Protozanov montre comment la révolution d’octobre s’étend à Mars ou encore Métropolis (1926) de Friz Lang qui montre comment accorder travail et capital. Deux films qui illustrent bien comment ce genre populaire tisse un lien étroit avec la politique. En effet, les sociétés hypothétiques, au centre de la représentation du futur proposée par les œuvres d’anticipation, sont construites sur l’allégorie des craintes et des espoirs de l’époque de production. En libérant les auteurs de certaines contraintes spécifiques à d’autres genres-souvent liées à des exigences de mimétisme historique, social et politique-la science-fiction propose des sociétés extrêmes, et fréquemment teintées de manichéisme. Or, ces mondes futurs ne sont pas autre chose qu’une représentation caricaturée et déformée de la société réelle.

Pour cette raison, la science-fiction peut facilement servir d’instrument de légitimation, comme de dénonciation. Le cinéma a parfois tendance à nuancer la critique sociale présente dans de nombreuses œuvres littéraires, ce qui, par ailleurs, ne réduit pas l’analyse des films de science-fiction à la seule recherche de l’idéologie dominante. Certes, celle-ci est particulièrement forte au cinéma. Cependant, parce qu’il est un produit de masse, le cinéma a la particularité de contenir les contrastes et les contradictions au travers desquels se dessinent les enjeux centraux de la lutte pour la définition de la société.

De Beaux lendemains donne l’occasion à Laurent Guido de s’interroger sur les réactions hypothétiques du pouvoir américain face à des menaces de destruction planétaires, cela à travers un genre aux marges de la science-fiction, le film catastrophe. L’article (rédigé avant le fatidique 11 septembre) traverse trois films tournés à la fin des années 90, Independance Day, Armageddon et Deep Impact, et montre comment ce genre de représentation recourt sans retenue à l’affirmation de la domination américaine sur le monde, tout en intégrant une rhétorique teintée de populisme. Dans un monde sous l’emprise américaine, la menace ne peut venir que de l’extérieur de la planète: comètes, astéroïdes et extraterrestres servent alors à activer la « réponse américaine », dont la légitimité repose sur la même idéologie qui justifie les bombardements sur l’Afghanistan.

Mais le lien avec le politique comprend aussi d’autres aspects parfois perçus comme secondaires et pourtant très révélateurs. « Quels sont les enjeux politiques d’une transformation des corps? » se demande Olivier Simioni dans son travail qui porte sur des romans du courant cyberpunk. Si derrière l’image du corps se cache la définition de l’humain, on comprend l’importance d’un tel questionnement, surtout lorsque le physique peut être soumis à des mutations grâce à la génétique. Bien que partant de la littérature, cette approche ne concerne pas uniquement la fiction, car, comme le remarque Simioni, « Ce qui pourrait apparaître comme de simples inventions littéraires est pourtant très proche de ce que l’on peut trouver dans des discours ou projets techno-scientifiques ». Finalement l’analyse devient politique puisque-dans la science-fiction comme dans la réalité-le corps flexible, malléable, se trouve à la croisée d’enjeux de pouvoir liés au marché du travail.

Pour 2002, Hollywood nous a concocté les remakes de quelques classiques, parmi lesquels Rollerball et Time Machine. On attend de voir comment ils seront mis à l’idéologie du jour.

Gianni Haver, Solidarités, no 4, février 2002  

La politique des petits hommes verts

S’il reste d’abord un spectaculaire divertissement, le cinéma de science-fiction cache parfois certains enjeux politiques. A découvrir dans un livre paru, récemment.

On ne pourra plus reprocher aux historiens d’avoir le regard tourné vers l’arrière plutôt que vers l’avant. Témoin le récent livre publié par des chercheurs romands, qui a pour champ d’investigation historique…la science-fiction. « L’idée était de cerner les enjeux politiques qui se dessinent à travers certains films », explique Gianni Haver, codirecteur de l’ouvrage. Car les oeuvres de science-fiction véhiculent souvent un message, qui donne un reflet (déformé) de l’époque à laquelle elles sont réalisées. Un exemple? « Prenez la Planète des singes, poursuit l’historien. Dans la version de 1968, ces animaux évoluent dans une structure étatique qui s’apparente à un système totalitaire dont on stigmatise les dérives. Par contre la version du film réalisée en 2001 montre une société beaucoup plus démocratique, mais qui vit dans la peur du putsch, de la dictature. » Fruit de notre monde occidental qu’elle caricature, la science-fiction renvoie toutefois dos à dos la gauche et la droite. « Difficile de dégager une tendance à ce propos; d’autant plus qu un film peut comporter plusieurs grilles de lectures », souligne encore Gianni Haver. A défaut d’avoir une ligne politique semblable, les scénarios dépeignent par contre presque tous un futur très sombre. La raison: la science-fiction reste avant tout un divertissement… dont l’objectif est de faire gagner de l’argent. Or, l’utopie (un monde parfait), c’est plutôt ennuyeux…

François Mauron, Coopération No 13, 27 mars 2002

Dans « Galaxies »

L’an dernier, la Faculté des Sciences politiques de l’Université de Lausanne organisait, en partenariat avec la Maison d’Ailleurs d’Yverdon, un colloque intitulé « Entre sociétés médiatiques et dérives totalitaires-Histoire et projets politiques dans la science-fiction: une approche intermédiatique ». Si, comme le dit l’introduction, « le colloque est bien à l’origine de cet ouvrage, ce dernier ne se résume pas à la simple collecte des actes », en ce sens que les textes des communications ont été remaniés à la lumière des débats, cette remarquable série d’essais présente toutes les caractéristiques d’une publication universitaire dans la grande tradition du genre: que les allergiques à ce type de prose se le tiennent donc pour dit, et passent leur chemin. Mais pour les amateurs, il est trop rare d’avoir entre les mains un florilège (traitant de science-fiction) d’une telle tenue académique pour ne pas d’abord saluer l’initiative.

Premier constat: les dix articles présentent, à des degrés divers, un intérêt certain, et l’ensemble fait montre d’une réjouissante érudition et d’un professionnalisme sans faille (jusqu’à la réalisation matérielle de l’objet, y compris la correction orthographique!).

Second constat: deux articles seulement traitent spécifiquement de littérature. Mais tant « détournement d’utopies et pensée politique » que « politiques du corps dans le cyberpunk » proposent d’excellentes approches, à recommander chaudement aux lecteurs de Galaxies.

Troisième constat: avec pas moins de sept articles, le cinéma se taille la part du lion. Les trois études sociologiques sur les films catastrophe et post-cataclysmiques se complètent fort bien, même si l’érudition du « futur conjugué au passé antérieur » est parfois un peu lourde. Les approches spécifiques de Total Recall (superbe, mais il faut dire que la matière, fort ambiguë, s’y prête bien) et de Dark City (très bien vu, et de plus par des étudiantes) sont de grands moments de l’ouvrage. La « SF comme théodicée narrative », très riche au plan philosophique, laissera malheureusement, pour prometteuse qu’elle soit, un peu le lecteur sur sa faim, du moins pour ce qui est de la SF proprement dite. Seul 2069…revêt ici un caractère plus anecdotique, mais la confidentialité du film y est pour beaucoup.

Deux curiosités à relever: premièrement, tous les articles ont été écrits par des citoyens helvétiques, revendiquant (à deux exceptions près) leurs liens avec l’Université de Lausanne; deuxièmement, tous les auteurs sont jeunes (nés entre 1959 et 1979, ils ont pour la plupart autour de la trentaine).

Un petit regret tout de même: on trouvera plus dans ce livre de multidisciplinarité que d’interdisciplinarité, les articles juxtaposant les media plutôt que les combinant. Mais la voie montrée par cet ouvrage est la bonne: c’est exactement ce dont la SF a besoin pour entrer davantage à l’Université, et obtenir (n’en déplaise à certains) au bout du compte, une reconnaissance qui (bien souvent par sa propre faute) lui fait encore cruellement défaut.

Bruno della Chiesa, Galaxies

Le cinéma de science-fiction n’a jamais cessé de remettre le monde en question

Entretien · Souvent dénigrée, la science-fiction nous a donné quelques grands classiques. Pour Laurent Guido, enseignant en cinéma à Lausanne, ce genre spectaculaire entretient des rapports étroits avec l’histoire des mentalités. (Propos recueillis par Stéphane Gobbo)

Qui n’a pas un jour ou l’autre été marqué par un film de science-fiction? De l’aliénation des masses ouvrières imaginée par Fritz Lang dans Metropolis en 1927 aux effets mode de Matrix en 1999, en passant par la symphonie de Stanley Kubrick (2001, l’Odyssée de l’espace en 1968), la science-fiction a traversé les époques. Laurent Guido, assistant diplômé de la section d’Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne, nous parle de ce genre, aux frontières parfois floues, qui a permis a de nombreux réalisateurs de s’exprimer, sous couvert d’événements futuristes, sur la société dans laquelle ils vivent.

La Liberté: Comment définissez-vous la science-fiction? Il arrive en effet souvent qu’on l’assimile au cinéma fantastique.

Laurent Guido: Il est toujours difficile de poser des étiquettes sur des films ou des genres. La science-fiction au cinéma dépend bien sûr de la science-fiction dans d’autres domaines, principalement la littérature. Il existe plusieurs définitions possibles, allant de la plus restreinte à la plus large. On entend généralement par science-fiction toute sorte de fiction qui imagine les développements possibles de la science. Vers la fin du XVIIIe siècle, on a beaucoup parlé de progrès, d’ère positiviste lorsque la société a été transformée par l’industrialisation. Dès lors, de nombreuses fictions se sont élaborées, le plus souvent anticipatrices, c’est-à-dire essayant d’imaginer un futur possible à partir de données scientifiques existantes. Il y a effectivement une confusion possible avec le fantastique qui tend plutôt à jouer avec les frontières de la raison et du réel. Le fantastique hésite entre le possible et le merveilleux. Un phénomène est soit étrange mais explicable, soit merveilleux et fait alors appel à une réalité parallèle. Cette frontière peut parfois rejoindre la science-fiction.

-A partir de quand peut-on parler de cinéma de science-fiction?

-Il y a d’emblée eu de la science-fiction au cinéma, le 7e art étant né dans le contexte du progrès scientifique de la fin du XVIIIe siècle. Pour que le genre soit bien marqué, il a fallu attendre le cinéma allemand des années 20. Des films comme Metropolis ou La femme sur la lune, tous deux de Fritz Lang, ont marqué les débuts du genre qui s’est surtout développé dès les années 30, principalement aux États-Unis.

-La science-fiction a souvent été utilisée par des cinéastes pour parler de politique…

-La science-fiction a repris l’idée traditionnelle de la métaphore. Metropolis est une critique sociale, une mise en garde face au danger de l’industrialisation à outrance, du capitalisme qui enferme les ouvriers dans des souterrains et devient élitiste. Dans les années 50-60, les films américains d’extraterrestres n’étaient qu’une transposition dans l’imaginaire de la peur des Rouges, d’une possible invasion communiste. Dans L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel, une petite ville est infiltrée par des extraterrestres qui prennent possession des corps et des esprits sans changer l’apparence des gens. On peut facilement lire cela comme une métaphore de l’aliénation des mentalités par l’idéologie communiste.

-Dans un ouvrage consacré à la science-fiction (voir ci-dessous), vous étudiez deux films catastrophes récents qui parlent d’une éventuelle collision entre un astéroïde et la Terre (Armageddon et Deep Impact). En quoi est-ce de la science-fiction?

-La science-fiction n’est pas uniquement de l’impossible. Elle imagine souvent des développements possibles en vertu de ce que l’on connaît. Les films que je cite parlent d’une technologie qui permettrait de se poser sur un astéroïde pour le détourner. C’est sûrement discutable dans l’état actuel et devient par conséquent de la science-fiction. Mais ce qui est intéressant dans ces deux films, comme dans Independance Day dont je parle aussi, c’est l’idée de menace globale, ce qui est nouveau. Ces films traitent de dangers qui menacent le monde entier mais, étant produits à Hollywood, illustrent parfaitement la place que les Américains veulent occuper dans l’imaginaire, ce qui rentre bien en résonance avec les événements du 11 septembre. Les Américains veulent tenir le rôle de sauveurs du monde et leurs films illustrent ce nouveau pouvoir dont ils se sont investis. Ces productions ne sont plus destinées à déstabiliser les croyances scientifiques, elles tendent à réaffirmer le pouvoir de la science. Il existe malgré tout encore des films qui critiquent les excès de la société. Matrix, par exemple, dénonce l’aliénation des humains face aux réalités virtuelles.

-En tant qu’enseignant, quelle importance donnez-vous finalement au cinéma de science-fiction, genre souvent considéré comme « populaire »?

-Le sociologue Pierre Bourdieu, décédé il y a une semaine, a bien montré que les goûts culturels étaient construits par des catégories sociales qui veulent se démarquer du commun des mortels. Notre tâche, à l’Université, n’est pas d’entrer dans cette perspective qui est celle de la critique. Nous ne devons pas tenir compte des catégories qui classent les genres du plus éminent, chargé d’une force esthétique, au plus populaire, jugé comme commercial. Nous ne distribuons pas des bons points, mais mettons en évidence ces échelles de valeur. L’opposition entre commercial et artistique est trop schématique. La science-fiction n’est pas à réévaluer, elle a toujours été importante. Beaucoup de grands cinéastes ont une fois ou l’autre travaillé dans ce genre, par exemple Robert Altman pour Quintet ou Andrei Tarkovsky pour Solaris. Si on reprend le fil de la culture légitimée, on s’aperçoit que la science-fiction a souvent été mise en avant. Elle traverse tous les arts, qu’ils soient nobles ou populaires.

Un choix de lectures

Patrick J. Gyger, directeur de la Maison d’ailleurs d’Yverdon, nous livre une liste de quelques ouvrages incontournables en matière de littérature SF. Mais le choix est difficile. « Demain ce serait une autre liste », explique-t-il. « J’exclus néanmoins certains grands classiques comme Les chroniques martiennes, de Bradbury ou 1984, d’Orwell. »

Le dieu venu du Centaure de Philip K. Dick (1965).

Nova de Samuel Delany (1968).

La main gauche de la nuit d’ Ursula Le Guin (1969).

Un tour en Thaery de Jack Vance (1976).

Les miroirs de l’esprit de Norman Spinrad (1981).

Le marteau de verre de KW Jeter (1985).

La grande oeuvre du Temps de John Crowley (1991).

Nicolas Eymerich inquisiteur de Valerio Evangelisti (1994).

Des milliards de tapis de cheveux d’Andreas Eschbach (1995).

Un ami de la Terre de TC Boyle (2000).

The Pickup Artist de Terry Bisson (2001, inédit en français).

Une sélection de films

Laurent Guido, assistant diplômé à la sestion d’histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne, nous donne sa liste, personnelle et par conséquent subjective, des films qui ont marqué l’histoire de la science-fiction au cinéma. Evidemment, plusieurs de ces longs métrages sont des adaptations de classiques de la littérature.

Aélita de Jakov Protazanov (1924).

Metropolis de Fritz Lang (1927).

La fiancée de Frankenstein de James Whale (1935).

La chose d’un autre monde de Christian Nyby (1951).

La planète des singes de Franklin J. Schaffner (1967).

2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968).

New York 1997 de John Carpenter (1980).

Blade Runner de Ridley Scott (1982).

Aliens, le retour de James Cameron (1986).

Total Recall de Paul Verhoeven (1990).

Matrix d’Andy & Larry Wachowsky (1999).

Les médias font l’histoire

« Les médias occupent un rôle si fondamental à partir du XIXe siècle qu’ils deviennent des objets incontournables dans l’écriture de l’histoire contemporaine. Source privilégiée pour l’histoire culturelle et des mentalités, ils sont aussi au centre des nombreuses problématiques de l’histoire politique et sociale. » Partant de ce constat, Gianni Haver, enseignant à l’Institut d’histoire économique et sociale de l’Université de Lausanne, a créé l’année dernière la collection « Médias & Histoire ». Le deuxième volume, intitulé De beaux lendemains? est consacré à la science-fiction.

La science-fiction a souvent été un moyen détourné de parler de la société, de ses travers et de son évolution possible. Dès les premiers pas du cinéma, beaucoup de films ont utilisé ce genre à des fins politiques et sociales. Mais la littérature le faisait bien évidemment depuis plus longtemps. Dans son introduction, Gianni Haver explique que « le domaine de la science-fiction est largement déserté par les historiens qui, trop occupés à fouiller dans le passé, n’ont que rarement abordé les représentations d’un futur imagé ».

En effet, il est frappant de constater que la science-fiction, genre populaire et largement répandu, n’a que peu été étudiée. De beaux lendemains? se propose ainsi, au travers de dix articles, de décortiquer ce genre incontournable. Dans le premier texte, Patrick J. Gyger, directeur de la Maison d’ailleurs d’Yverdon, se penche sur les utopies littéraires desquelles découle directement la science-fiction. Les utopies, qui tirent leur nom de l’ouvrage Utopia de Thomas Moore (1516), créent des mondes futurs ou alternatifs à partir d’une époque donnée. La majorité des autres articles de cet ouvrage traite bien sûr de cinéma. François Lorétan parle par exemple des films postapocalyptiques, alors que Philippe Ney se penche sur les films post-atomiques qui ont connu leur période faste après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. D’autres articles proposent des analyses détaillées, comme une passionnante étude de Charles-Antoine Courcoux sur Total Recall de Paul Verhoeven. De par sa pertinence, De beaux lendemains? s’impose comme un ouvrage de référence qui saura contenter les amateurs tout en incitant les récalcitrants à la découverte.

Stéphane Gobbo, La Liberté
 

Un futur sans histoire

« Le domaine de la science-fiction est largement déserté par les historiens, regrette Gianni Haver, maître-assistant à l’Université de Lausanne. Trop occupés à fouiller dans le passé, ils n’ont que rarement abordé les représentations d’un futur imaginé. Et pourtant, celui-ci peut se révéler un terrain de recherche extrêmement riche. » Parmi les dix films de ces dix dernières années qui ont attiré le public le plus nombreux, il y a sept films de science-fiction. Pensez à E.T., Independence Day, Star Wars, Men in Black. « Même si ces œuvres n’étaient pas intéressantes, cela vaudrait la peine de se pencher sur le phénomène, confie Patrick Gyger, historien et directeur de la Maison d’ailleurs à Yverdon. Les universités anglo-saxonnes, plus ouvertes à la culture populaire, explorent déjà le terrain. » En Suisse aussi, les sensibilités évoluent peu à peu. Assistant à l’Université de Lausanne, Laurent Guido a tenté par exemple de déterminer la place des Etats-Unis dans trois films catastrophe. Le schéma de base est souvent le même: une menace globale résolue par les Etats-Unis. Dans le film Armageddon, Hollywood fait exploser la ville de Paris…

L’Université de Lausanne a également organisé un colloque sur le thème « De beaux lendemains? Histoire, société et politique dans la science-fiction », dirigé par Gianni Haver. Les actes de cette manifestation ont été publiés, en codirection avec Patrick Gyger, aux Editions Antipodes, dans la collection »Médias & Histoire ». Il ne s’agit pas de mieux connaître l’avenir, mais de mieux comprendre le passé. « On juge souvent la science-fiction sur son aspect prédictif ou prospectif, confie Patrick Gyger. On souligne les concordances ou les discordances avec la réalité. Soit la science-fiction se trompe, soit elle dit vrai. En fait, ce genre n’a pas à être jugé sur son aspect prédictif. Il n’y a pas de réussite ou d’échec. La science-fiction ne parle pas de demain, mais de son époque de production. C’est un outil d’observation du réel. Dans vingt ans, la science-fiction actuelle dira ce qu’on pensait du génie génétique au début du XXIe siècle. »

Giuseppe Melillo, Allez savoir!, No 23, juin 2002

Issu d’un colloque organisé par la faculté des Sciences politiques de l’Université de Lausanne et la Maison d’Ailleurs, musée et centre de documentation consacré à la science-fiction et installé à Yverdon, cet ouvrage offre tout à la fois plus et moins que ce qu’il semble annoncer. Plus, parce que l’approche est résolument pluridisciplinaire, entre Histoire, analyse littéraire et musicale, anthropologie, sociologie, voire architecture et théologie; moins parce qu’au-delà de cette relative dispersion, la science-fiction dont il est question est presque exclusivement cinématographique, ce qui fait sans doute gagner en impact sur le plus large public ce qui peut être perdu en créativité et en variété par rapport à son pendant littéraire. Ce dernier n’est par ailleurs pas totalement absent, quand est brossée de façon claire et efficace l’histoire des utopies, leur confrontation avec la réalité d’essais de réalisation, et leur évolution vers les anti-utopies, contre-utopies ou dystopies qui, de Zamiatine à Orwell, ont marqué le XXe siècle.

De même, un genre particulier, dit cyberpunk, marqué par les symbioses entre l’électronique et l’humain ainsi que par l’exploration du cyberspace, l’univers virtuel des ordinateurs, est analysé pour ce qu’il dit de la définition de l’humain mais aussi de l’évolution des modes de travail – avec des considérations quelque peu convenues sur la « flexibilité ». Côté cinéma, on s’intéresse à la représentation du pouvoir politique dans les films-catastrophe, marqués par le traditionnalismes des valeurs, le patriarcat, la diabolisation de « l’autre » ou par une rhétorique populiste proche de la « démocratie » incarnative tant le président y occupe de place. On s’intéresse aussi aux liens entre une science-fiction présentant une cohabitation pacifique avec de multiples espèces non-humaines, comme dans Star War, et la recherche d’une société non socialement segmentée, mais aussi le créationnisme ou la cosmologie des Pères fondateurs de l’Amérique.

On s’intéresse également aux films dits post-apocalyptiques, comme révélateur d’un certain nombre d’a priori ethnocentristes et hiérarchiques mais aussi de la perception des risques, avec une évolution sur la base d’une tradition « post-atomique » antérieure même à 1945, mais renforcée et structurée à partir de stéréotypes de 1950 à 1965, c’est à dire après quelques années de latence et avant une période où « on s’habitue » et où la menace nucléaire cède la place à de nouvelles angoisses, parfois militaires avec la guerre bactériologique, mais aussi et surtout écologiques, avant que le retour de la guerre froide ne relance le thème de la guerre nucléaire, sous la forme éventuellement d’un équivalent du « western-spaghetti », jusqu’à ce que la chute du mur de Berlin y mette un terme, et que l’on revienne aux catastrophes naturelles, ou aux invasions extra-terrestres faute d’ennemi humain implicite.

Si on ajoute l’analyse des ambiguïtés idéologiques du film Total Recall de Paul Verhoeven, la présentation de 2069, film suisse très marqué par les lendemains de mai 68, ou les réflexions architecturales à partir de Dark city, on a bien une série d’analyses portant sur des mises en scène du futur fonctionnant comme des « allégorie(s) des craintes et des espoirs propres à leur époque de production » ou des « loupes ».

On voit l’usage que l’historien peut en avoir, même si les perpectives des recherches peuvent être décalées par rapport à sa discipline, et même si certaines affirmations, certains points de vue, pourraient à leur tour devenir des sources, cette fois pour une histoire des intellectuels et de leurs grilles de lecture.

Eric Vial, Mouvement social, octobre 2002

 

Les rencontres entre l’Université et la Science-fiction sont malheureusement rares. Cet ouvrage intitulé De Beaux Lendemains? histoire, société et politique dans la science-fiction constitue le témoignage de l’une d’entre elles, organisée par l’Institut d’histoire économique et sociale de la Faculté des sciences politiques de Lausanne, avec l’appui de la Maison d’ailleurs d’Yverdon (dont P.J. Gyger est le directeur), en présentant dix contributions. La première, en forme d’introduction, « Pavé de bonnes intentions: détournements d’utopies et pensée politique dans la Science-fiction », de PJ. Gyger avance l’idée, pas très originale, selon laquelle la science-fiction moderne (conjecture romanesque rationnelle) est marquée par la contre-utopie, la dystopie, à partir de l’idée que l’homme n’est pas fondamentalement bon. Dans « Politique du corps et Science-fiction cyberpunk », 0. Simioni articule sa réflexion, de manière plus convaincante et intéressante, sur la notion de désincarnation, pour lui au centre de l’idée de cyberespace. « Regardez-nous sauver le monde: représentations sociales dans quelques films catastrophe hollywoodiens » de L. Guido, met en évidence à partir de trois films de science-fiction, une idéologie américano-centriste, patriarcale et populiste. « Darth Vader, Mr Spock et Thomas Jefferson: la science-fiction comme théodicée narrative » de V. Hediger interprète, sans beaucoup d’argumentation, le cinéma de SF américain des années 1970 sous l’angle des thèmes fondateurs du communautarisme religieux d’outre-atlantique. « Les idées anthropologiques de quelques films post-apocalyptiques ou apparentables » de F. Lorétan analyse l’anthropologie implicite, de « sens commun », que développent de tels films dans la période 1960-2000, qui lui paraît stéréotypée et ethnocentrée, idée pas tellement différente de ce qu’avance, sur une période plus longue, Ph. Ney dans « Le post-atomique cinématographique: un futur conjugué au passé antérieur ». 0. Moeschler se penche sur 2069, rare exemple de film suisse de SF, tandis que C.A. Courcoux étudie « Totalitarisme, aliénation médiatisée et ambiguïté dans Total Recall« . La ville est le thème de « Dark city: parcours entre architecture, urbanisme et Science-fiction », et la musique celui de L. Mousson, « Usonie? ou des relations entre utopie et musique », à partir du travail du groupe Magma. Le rapide aperçu ainsi donné par ces différentes contributions, inégales et quelque peu hétérogènes, montre que l’aspect « inter-médiatique » revendiqué par les organisateurs offre en fait une place prépondérante du cinéma (sur dix contributions, six lui sont consacrées, tandis que deux autres concernent l’architecture et la musique, et deux seulement la littérature), ainsi qu’au domaine américain, au détriment d’une part de la littérature, et d’autre part d’une science-fiction européenne en plein renouveau.

Bulletin critique du film en français, no 642, 2002

 

A partire dalla fine degli anni Settanta la fantascienza è diventata materia di studio per i critici letterari: in Italia l’evento paradigmatico è stato il convegno sul terna La fancienza e la critica, organizzato da Luigi Russo all’Università di Palermo (18-21 otobre 1978). In realtà questo interesse rappresentava una novità per l’Italia, ma non per altri paesi europei come l’Austria, la Francia e la Gran Bretagna, dove erano già usciti i libri di Franz Rottensteiner, Jacques Sadoul e Kingsley Amis. Negli anni succesivi la riflessione critica sulle implicazioni socioculturali della science fiction si è arricuto di nuovi contributi provenienti da vari paesi. Anche dalla -Svizzera, dove ha ricevuto uno stimolo decisivo dall’ambiente raccoltosi attorno alla Maison d’Ailleurs.

Questo museo, fondato da Pierre Versins nel 1976, ha pubblicato varie opere degne d’interesse, fra cui quella che Laurent Mousson ha dedicato ai rapporti fra la musica e la fantascienza (Soucoupes volantes et disques planants. Utopie et SF dans la chanson jazz et le rock, de l’après-guerre à 1980, Amis de la Maison d’Ailleurs, 1997). Oggi ritroviamo Mousson fra gli autori di questo nuovo libro, De beaux lendemains? Histoire, société et politique dans la science-fiction, che fa parte della collana « Médias et Histoire », fondata e diretta da Gianni Haver, docente all’Università di Losanna.

Il volume propone un lungo, appassionante viaggio interdisciplinare, privilegiando, i casi in cui esiste una concreta interazione fra la letteratura e il contesto sociopolitico evocato nel titolo.

Alcuni dei saggi contenuti nel libro meritano una particolare attenzione. Anzitutto quello di Laurent Mousson, che si concentra sulle « relazioni fra musica e utopia », metendo in evidenza alcuni dei casi in cui l’universo dei suoni si è intrecciato proficuamente con la narrativa d’anticipazione.

Philippe Ney, studioso del cinema, si sofferma invece sulla tematica del futuro postatomico, fornendo una ricognizione esaustiva delle sue formulazioni filmiche e lettrage. Altrettanto notevole il saggio di Olivier Moeschler, antropologo dell’Università da Losanna, che analizza Swissmade, un film in tre episodi che viene considerato l’unico lungmetraggio svizze di science fiction.

Un’opera interessante, profonda ma non pedante, capace di conciliare la vastità dell’argomento trattato con una chiarezza e un’accessibilità davvero, notevoli. In duetto pagine mettono in luce le varie implicazioni culturali, sociali ed estetiche del tema trattato.

La funzione più genuina della fantascienza, dicono gli autori, è quella di ribonucléique l’uomo e la scienza, dando cosi vita a un vero umanesimo scientifico.

Infine, è opportuno segnalare che la Maison d’Ailleurs ha collaborato all’ultimo numero della rivista lettrage Archipel, dedicato al tema « Science Fictions », che propone un’antologia della produzione Svizzera ri saliva al 1982 (Roger Gaillard, a cura di, L’empire du milieu, Edition Nectar).

Alessandro Michelucci, Futuro Europa, no 37