Quand les banquiers font la loi

Aux sources de l’autorégulation bancaire en Suisse et en Anglete

Sancey, Yves,

2015, 546 pages, 32 €, ISBN:978-2-88901-053-0

La crise des subprimes et la crise financière qui s’en est suivie en 2008 ont montré à quel point l’autorégulation bancaire peut conduire à une catastrophe financière et sociale. Il est donc nécessaire de comprendre comment elle s’est mise en place dans les années 1920 en Suisse et en Angleterre et s’est consolidée dans l’après-guerre. Ce livre vient ainsi combler une lacune importante dans l’historiographie suisse et permet de mettre en perspective les débats actuels sur l’autorégulation des banques.

Format Imprimé - 40,00 CHF

Description

Jamais sans doute n’a-t-on autant parlé de finance, de banque centrale et de régulation des flux financiers…

La crise des subprimes a montré à quel point l’autorégulation bancaire peut conduire à une catastrophe financière et sociale. Il est donc nécessaire de comprendre comment elle s’est mise en place, dans les années 1920, en Suisse et en Angleterre, et comment elle s’est consolidée dans l’après-guerre.

Ce livre permet de comprendre pourquoi le rapport de force a toujours été particulièrement favorable aux banques, à qui l’État et la Banque nationale suisse ont délégué en quelque sorte leur pouvoir de faire la loi. Il analyse cette zone grise du Pouvoir suisse et l’émergence d’un capitalisme d’autorégulation, en particulier dans le secteur bancaire. La manière de réguler les banques se fait davantage sous la forme de gentlemen’s agreements avec leur participation et leur accord que par un recours à la loi et des discussions au Parlement.

Cet ouvrage met en lumière cet espace para-étatique, étonnamment négligé par la science politique, en s’appuyant sur un important dépouillement d’archives et une analyse des acteurs.

Table des matières

Introduction

1.    La place financière suisse, 1920-1940
1.1  Les différents types de banques suisses
1.2  Bref survol du paysage bancaire suisse 1920-1940
1.3  Plaque tournante pour capitaux internationaux
2.    Au cœur de l’autorégulation bancaire
2.1  La Banque nationale suisse (1906-1940)
2.2  L’Association suisse des banquiers (1912-1940)
3.    Genèse de l’autorégulation bancaire
3.1  Guerre et premières mesures timorées (1914-1918)
3.2  Crise économique et sociale et pénurie du capital (1919-1924)
4.    Le Gentlemen’s agreement de 1927
4.1  Boom économique et repolitisation (1925-1926)
4.2  Conclusion du gentlemen’s agreement (1927)
5.    L’origine anglaise des Gentlemen’s agreements (1914-1931)
5.1  De la comparaison en sciences sociales
5.2  Place financière anglaise et régulation des flux de capitaux
5.3  Points communs et différences avec la Suisse
6.    Du Gentlemen’s agreement de 1927 à la loi sur les banques de 1934
6.1  Vers une formalisation du gentlemen’s agreement
6.2  La Convention de 1932
6.3  La loi sur les banques de 1934
7.    Régulation de l’importation du capital: le gentlemen’s agreement de 1937
7.1  Afflux de capitaux avant la dévaluation
7.2  Afflux de capitaux après la dévaluation
8.    Les gentlemen’s agreements de 1950 à nos jours
8.1  Le gentlemen’s agreement de 1950
8.2  Les gentlemen’s agreements de 1955
8.3  Le gentlemen’s agreement de 1960
8.4  De 1964 à nos jours: service d’ordre sans matraques
Conclusion

Presse

Dans L’essor 

Je ne vais pas vous parler d’un roman, d’un livre de fiction – encore que parfois on se demande! Le titre est Quand les banques font la loi paru aux éditions Antipodes, à Lausanne. Dans une sorte de préface, l’auteur rappelle la chanson de Jean Villard Gilles, chanson prémonitoire qui a pour titre « Dollan ». Tout au long de ma lecture, j’ai pensé à ce dieu dollar, les paroles tournant dans ma tête alors que l’étude réalisée par Yves Sancey est d’une rigueur, d’une précision, d’une documentation terriblement aiguës, précises, passionnantes. D’emblée il mentionne un extrait de la Commission fédérale des banques qui stipule « L’autorégulation a fait ses preuves en tant que forme alternative de réglementation pour la place financière suisse dont elle constitue un pilier essentiel. »

À partir de là l’auteur analyse la crise des subprimes de l’été 2007, puis la crise bancaire et financière de l’automne 2008, pour en arriver aux obsessions du néolibéralisme, le blocage du salariat, le coût du travail, la compétitivité. Économies, restriction des aides sociales, donc réductions des pensions, licenciements facilités, démantèlement des sécurités dans la fonction publique et on arrive au désastre financier d’une banque classée comme « Trop grande pour capoter », c’est-à-dire l’UBS qui a pour des milliards d’actifs toxiques. C’est l’État – donc nos impôts – et la Banque nationale suisse qui avancent les milliards pour sauver un établissement jugé indispensable dans le paysage bancaire suisse.

L’autorégulation des banques étant restée intouchable malgré les catastrophes enrayées par l’État, le Conseil fédéral commence à se poser quelques questions sur la surveillance des banques et crée la FINMA c’est-à-dire Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, à la tête de laquelle on commence par mettre un ex-patron de l’UBS. Il ne m’est pas possible d’évoquer toutes les péripéties helvétiques de l’histoire bancaire, mais ce que je peux préciser c’est que ce livre est le document qui permet de comprendre le rapport toujours favorable aux banques entre l’État et la Banque nationale suisse. Il démontre combien les politiques ont toujours été frileux dès qu’on parle banques, négligeant contrôle, surveillance, études de rapport, en résumé évitant toute incursion politique dans le domaine bancaire. Il s’agit d’une lecture quelque peu ardue, j’en conviens, mais combien instructive et toujours révélatrice.

Mousse Boulanger, L’Essor, No 2, avril 2016, p. 11

Les banques donnent le ton

Le manque de régulation de la finance est souvent pointé du doigt comme la cause des crises économiques récentes. Dans l’ouvrage Quand les banquiers font la loi, le politologue lausannois Yves Sancey cherche à comprendre comment le laisser-faire en matière de régulation bancaire s’est développé en Suisse. L’auteur remonte, pour ce faire, aux années 1920. C’est à cette période que des conventions tacites d’autorégulation des flux de capitaux ont été passées directement entre la Banque nationale suisse et les grandes banques privées, sans en référer au Parlement fédéral. Le chercheur explique comment ce système a été la pierre angulaire de la place bancaire suisse jusqu’au début des années 2000. Le secteur est alors resque entièrement libéralisé. Une situation qui perdure aujourd’hui, malgré les crises récentes.

Bon à Savoir, N° 12-2015, p.42

Le piège de l’autorégulation

Dans son livre, l’historien et politologue Yves Sancey explique comment la Suisse a confié la mise en place des règles de la place financière aux banques elles-mêmes.


Dans le domaine bancaire mondial, et suisse en particulier, l’autorégulation est mise en avant depuis longtemps. Dans son livre Quand les banquiers font la loi, le politologue et historien Yves Sancey,  également  rédacteur  romand  du journal de Syndicom, revient sur les origines des lois régissant la place financière, issues de « gentlemen’s agreements » conclus entre les établissements bancaires et la Banque nationale suisse (BNS) au début du siècle passé. Cette forme d’autorégulation s’est parfois trans formée en laisser-faire, comme l’a démontré la crise des subprimes de 2008. Elle a surtout permis la création d’un espace paraétatique, loin du contrôle démocratique, qui n’a cessé de se renforcer depuis. Yves Sancey s’est concentré sur les origines du problème pour mieux décrypter l’histoire récente de nos banques. Interview.

Il ressort de votre livre que, très tôt, les banques ont négocié avec la BNS des accords qui n’imposaient aucune contrainte…

Yves Sancey: Dans ces « gentlemen’s agreements », les banques s’engagent sur l’honneur. Elles obéissent à une contrainte morale et non légale: une différence importante. Par la suite, les banquiers et la Banque nationale suisse font donc la loi. En dernier ressort, ils acceptent eux-mêmes des contraintes qu’ils ont établies.

Qu’est-ce qui pousse les banques à se prêter au jeu de l’autorégulation?

Elles ont leur propre intérêt là-dedans. Assez vite, elles ont dû s’auto-contraindre face aux milieux ouvriers et paysans qui menaçaient d’intervenir et de déposer des initiatives. Mais cela revient à confier la clé du poulailler au renard, en lui demandant de s’empêcher de trop manger. L’autorégulation a servi d’outil pour diminuer la pression politique sur la place financière. La question s’est trouvée dépolitisée, on en a fait un point purement technique, évacué du parlement.

C’est pour cette raison que vous évoquez un espace de décision « paraétatique »?

C’est exact. En Suisse, l’Etat a toujours été structurellement faible, ce qui est voulu et assumé. Dans mon livre, je cite de nombreux conseillers fédéraux qui ont dit préférer ne pas intervenir: ça les arrange, d’autant plus en matière de finances, où la place financière craint d’effrayer les investisseurs étrangers si l’Etat intervient trop.

Cette zone grise se serait développée vers 1919, lors des premières élections proportionnelles?

Cette année-là, les radicaux ont perdu leur mainmise sur les Chambres fédérales face à la montée des partis socialiste et agrarien (future UDC). C’est à ce moment que des lieux de pouvoir parallèles, hors du débat démocratique, se sont renforcés.

Ce qui permet d’évacuer le débat démocratique…

C’est tout l’intérêt de la fabrication de la loi par des spécialistes, qui excluent les débats. La gauche et les milieux paysans n’ont pas participé au processus d’élaboration de ces lois, bien qu’ils aient parfois brandi la menace d’une initiative, sans jamais aller jusqu’au bout.

Peut-on dire que cette autorégulation a été à la source de la crise de 2008?

En juillet 2007, quelques mois avant que n’éclate la bulle des subprimes, la commission fédérale des banques – ancêtre de la Finma, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers – glorifiait ce système en affirmant: « L’autorégulation trouve sa légitimité dans le fait que les autorités étatiques renoncent volontairement à réglementer (la place financière) elles-mêmes. » Peu après, la Finma admettait avoir laissé trop de latitude aux banques. Mais la stratégie était assumée et a toujours cours.

Vous évoquez l’image d’un sillon creusé, que les autorités suivent. Peut-on en sortir?

On n’est jamais prisonnier. En en revenant à la genèse, on voit que ce qui nous est présenté comme « naturel », comme le secret bancaire, a été vivement débattu entre 1910 et 1930. L’autorégulation n’est pas ancrée dans les gènes de nos banques, elle est le fruit de rapports de force qui peuvent être remis en question. Mais l’exemple grec a démontré la capacité de ces milieux à ignorer la volonté populaire.

Vous indiquez que les crises ne sont pas des dysfonctionnements, mais un élément inhérent au système, et que nous ne savons pas apprendre de nos erreurs. Un constat pessimiste…

En tant qu’historien, j’observe un courant de fond peu réjouissant tout en restant sensible à l’appel à ne plus rester spectateurs de ces politiques et de ces milieux. A nous de nous réapproprier ces questions financières, à ne pas les laisser entre les mains des « grands » de ce monde. Le livre permet de démystifier cet univers et ses acteurs.
On le voit avec le mouvement Occupy Wall Street, avec la Grèce ou l’Espagne: certains militent pour une reprise en main.

Propos recueillis par Laura Drompt, Le Courrier/La Liberté, 11 novembre 2015

Dans la Revue fiscale

Dans son ouvrage, Yves Sancey explique pourquoi, en Suisse, le rapport de force entre l’État et les banques a été favorable à ces dernières tout au long du XXe siècle. Montrant comment l’État et la Banque nationale suisse ont délégué aux banquiers le pouvoir d’édicter les normes, voire les lois, dans le secteur financier, il analyse l’émergence et le développement d’un régime fondé sur l’autorégulation. Grâce à cette capture régulatoire, le « contrôle » des banques s’exerce dans une sorte de zone grise du pouvoir, c’est-à-dire sous la forme de gentlemen’s agreements conclus sous l’égide et avec l’accord des banquiers plutôt que sous la forme du processus législatif soumis à la discussion publique. En s’appuyant sur un important dépouillement d’archives et une analyse approfondie des acteurs, cet ouvrage met donc en lumière un important et dense espace paraétatique, négligé par la recherche jusqu’à aujourd’hui.

Sébastien Guex, Revue fiscale, édition 11/2015

Dans Pages de gauche

Dans un livre récemment paru, le politologue Yves Sancey présente la genèse et les enjeux de l’autorégulation du secteur bancaire en Suisse. Rencontre.

Comment ce système d’autorégulation du secteur bancaire se met-il en place?

À partir de la Première Guerre mondiale, la place financière suisse devient une plaque tournante du capital. Pour assurer la stabilité de la monnaie et des taux d’intérêt, la Banque nationale suisse (BNS) essaie alors de contrôler l’exportation des capitaux. Elle souhaite en particulier limiter ses effets négatifs sur la paysannerie, qui pourrait politiser la question et faire alliance avec le mouvement ouvrier contre la finance. Après plus d’une dizaine d’années de négociations difficiles, elle obtient des banquiers un minimum d’informations: c’est la base du premier « gentlemen’s agreement » de 1927, qui voit la plupart des banques donner leur accord oral pour informer la BNS et tenir compte de ses désirs dans la mesure du possible. Un espace para-étatique se met donc progressivement en place, et les banques se mettent d’accord pour s’autodiscipliner afin d’éviter que le Parlement ne légifère.

Quels sont alors les rapports entre le secteur bancaire et les instances étatiques?

Au sein des élites dirigeantes, il y a clairement l’idée que le succès de la place financière suisse fera le succès de la Suisse, et qu’il repose sur le secret bancaire qui attire les capitaux étrangers. Leur but est donc d’avoir un minimum d’information et de contrôle sur les banques, mais sans intervention de l’État. Cette position peut s’expliquer par l’endettement de l’État auprès des milieux bancaires, qui les place dans un rapport de force délicat, mais aussi par une même vision du monde libérale. Il y a donc une délégation de la capacité législative consciente, assumée et voulue à la BNS, et de la BNS aux banques elles-mêmes, pour ne pas effrayer les capitaux étrangers, maintenir le secret bancaire et ne pas tuer la poule aux oeufs d’or.

Où en somme-nous actuellement?

La législation suisse continue à favoriser l’autorégulation, et les dernières restrictions aux mouvements de capitaux qui restaient ont sauté dans les années 80. Concernant le blanchiment d’argent, les banques ont dû se doter en 1977 d’une « Convention de diligence », suite au scandale de Chiasso, où une succursale du Crédit suisse servait à blanchir l’argent sale italien, mais ces réglementations sont faites par l’Association suisse des banquiers elle-même et la BNS, et comme pour toutes les mesures d’autorégulation, on peut douter de leur efficacité. Les leçons de la crise des subprimes de 2008 n’ont pas été tirées, et cette zone grise du pouvoir suisse reste encore dans l’ombre: on ne sait pas qui prend ces décisions que tout le monde paye quand ça va mal, alors qu’on se passionne pour les élections. Un des espoirs de ce livre est de donner envie à tou·te·s de s’intéresser à ces questions, car on voit où cela nous a mené de les déléguer à des experts.

Propos recueillis par Gabriel Sidler, Pages de gauche, No 149, novembre 2015

« Il faut reprendre le contrôle sur la finance »

Dans son livre Quand les banquiers font la loi, le politologue et historien Yves Sancey revient sur les origines du système très faible de contrôle des activités financières en Suisse. Un ouvrage qui permet notamment de mieux comprendre l’apparition de crises telle que celle de 2008, dont les leçons n’ont toujours pas été tirées. Interview.

Au début du XXe siècle, la place financière suisse est en plein développement, dans un monde dominé par un libéralisme total. Dès la fin des années 20 un système d’ « autorégulation » des banques commence toutefois à se mettre en place. C’est sur les origines et les conséquences de celui-ci jusqu’à aujourd’hui que s’est penché Yves Sancey dans son travail de thèse, dont est issu l’ouvrage qu’il publie aujourd’hui.

Quelles sont les particularités de ce système d’autorégulation?

Yvey Sancey: Il s’agit d’un système où les banques s’autocontrôlent elles-mêmes, en lieu et place de l’Etat à travers des lois. L’Etat délègue en quelque sorte sa capacité législative. En Suisse, cela prend la forme d’accords ou gentlemen’s agreements (accord entre gentlemen), au départ oraux, entre la Banque nationale suisse (BNS) et les grandes banques, qui permettent de réguler l’activité de ces dernières. Le premier accord de ce type date de 1927.

Vous expliquez que l’apparition de ce système a un lien avec des protestations des milieux paysans et la montée du mouvement ouvrier…

Oui. Durant l’entre-deux-guerres, la Suisse devient une plaque tournante du capital. L’exportation de capitaux, qui peut atteindre des montants importants, a des répercussions sur la monnaie et les taux d’intérêt, ce qui touche directement les milieux paysans, souvent très endettés. Le mouvement ouvrier, qui a obtenu une meilleure représentation au parlement après la grève de 1918, attaque lui aussi les banques, qui ne font pas profiter leur force financière à l’industrie suisse. C’est pour contourner le lieu officiel où se prennent les décisions, soit le parlement, où ces deux forces menacent de légiférer, que cet espace « para-étatique » est mis sur pied.

Comment se concrétise-t-il?

La Banque nationale obtient des banques qu’elles s’engagent sur l’honneur, en tant que « gentlemen », à fournir les informations sur les flux de capitaux et à tenir compte de ses désirs. Elle peut par exemple demander à ce qu’une exportation de capital soit reportée ou que des compensations soient obtenues sous la forme de commandes en Suisse pour soutenir l’industrie.

Pourquoi l’Etat n’intervient-il pas?

L’Etat est faible à l’époque, mais c’est aussi une volonté de sa part de légiférer le moins possible, pour ne pas effrayer les capitaux étrangers. Il s’agit de trouver un moyen de répondre aux milieux paysans et ouvriers, mais sans trop intervenir.
Il faut savoir que dans les années 10 et 20, une partie des banquiers est réticente même à l’idée de gentlemen’s agreements et veut rester à un non-interventionisme total, comme au XIXe siècle. Une autre partie estime en revanche qu’il vaut mieux céder un peu en acceptant ce genre d’accord, qui permet ensuite de dire: « On est déjà en train de régler la question, il n’y a donc pas besoin de loi ».

Comment l’accord de 1927 a-t-il eu un impact par la suite?

Il est mis par écrit en 1932 et servira de base pour la loi sur les banques de 1934. Ensuite, une trentaine de gentlemen’s agreements sur d’autres sujets seront conclus, notamment sur l’importation du capital, en 1937, et dans les années 50. Ce sont toujours les banques qui sont responsables des contrôles et de l’application des mesures. Pour elles, ce système a l’avantage qu’il n’a rien de contraignant. C’est aux banques, voire pratiquement aux clients de s’engager à ne pas spéculer, à ne pas faire de fraude! Leurs pratiques servent également de base à toute forme de législation, d’où le titre du livre « quand les banquiers font la loi ».

Comme vous le soulignez dans votre livre, cela pose la question de la légitimité démocratique de toutes ces décisions…

Tout à fait. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens en Suisse ou à l’étranger qui sont étonnés du pouvoir quasi législatif donné aux banquiers. Peut-on vraiment leur faire confiance pour défendre l’intérêt public et pas leur intérêt privé? Ce système est possible parce que l’Etat s’endette auprès des banquiers et parce que, très tôt, les autorités fédérales partagent avec eux une même vision très libérale de l’économie et l’idée que l’intérêt de la place financière helvétique se confond avec celui de la Suisse. Au point qu’un conseiller fédéral PDC, Roger Bonvin, déclare devant les banquiers en 1964: « Notre sympathie va aux solutions réalisables sans l’Etat. La Confédération, en effet, n’aime pas intervenir et, lorsqu’elle le fait, c’est uniquement parce qu’elle y est contrainte. »

Existe-t-il des endroits où un fort contrôle étatique fonctionne?

A la même époque aux Etats-Unis, il y a des lois beaucoup plus sévères. Il n’y a pratiquement qu’en Suisse où ce capitalisme de « gentlemen » va tenir presque un siècle. Par exemple, la loi sur les banques de 1934 a été créée en pleine crise. La Confédération était intervenue un peu comme pour l’UBS en 2008, en injectant un quart de son budget pour sauver la BPS (Banque populaire suisse, alors l’une des grandes banques suisses).
Alors que l’Etat est en position de force, la loi continue à charger les intérêts privés du contrôle et de la régulation des banques! La Commission fédérale des banques, censée œuvrer comme instance de contrôle, est créée à ce moment-là, mais elle n’est composée que de 5 personnes dont la grande majorité sont des banquiers, ou très proches des banques, et n’a quasiment aucun pouvoir.

Dans l’introduction de votre livre, vous parlez de la crise de 2008, quel lien faites-vous avec ce système d’autorégulation?

La crise des subprimes est née aux Etats-Unis à partir du moment où il n’y a plus aucun contrôle sur la finance. C’est Bill Clinton qui, dans les années 90, démantèle les lois jusque-là assez sévères sur les banques. En Suisse, c’est dans la continuité de ce système d’autorégulation que la Commission fédérale des banques, censée surveiller l’UBS, a complètement manqué à ses devoirs. Juste avant la crise, en juillet 2007, elle glorifie et justifie même ce système en affirmant qu’il a « fait ses preuves », ou qu’il faudrait qu’il « soit perçu à l’étranger et en Suisse comme une alternative à la réglementation étatique »! Après la crise, la Commission fédérale des banques, devenue FINMA, reconnaît toutefois que le système d’autorégulation a échoué.

Est-ce qu’elle en tire les conséquences?

Le président de la FINMA de l’époque, Patrick Raaflaub (en poste de 2009 à 2014), a essayé d’augmenter ses capacités de contrôle. Une campagne menée contre lui par Economiesuisse et l’association des banques privées suisses l’a cependant poussé à démissionner. Mark Branson, qui a repris le poste, est un ancien responsable de l’UBS, tout comme d’ailleurs Eugen Haltiner, son prédécesseur d’avant Raaflaub. Les contrôleurs sont des personnes qui auraient pu être contrôlées ou qui doivent contrôler l’époque où elles-mêmes étaient en poste à l’UBS. Il y a des conflits d’intérêts gigantesques!

Les leçons de 2008 n’ont donc pas été apprises?

C’est le moins que l’on puisse dire. Les deux personnes qui ont essayé de changer des choses, Patrick Raaflaub à la FINMA et Philipp Hildebrand à la BNS, ont été poussés vers la sortie suite à des campagnes assez violentes des milieux financiers voire de l’UDC. Finalement, les mesures retenues sont faibles par rapport aux très fortes critiques faites par la FINMA, le Conseil fédéral et les Commissions de gestion des Chambres fédérales juste après la crise. Les banques devront doubler leurs fonds propres d’ici 2018, plus un certain nombre de mesures qui ne sont pas du tout à la hauteur de contrer une éventuelle prochaine crise.

Comment reprendre le pouvoir?

Les dirigeants des banques centrales décident de nos vies alors que personne ne les a élus. Il faut reprendre le contrôle sur ces instances et sur la finance. Comment? En essayant de mieux comprendre comment le monde de la finance s’organise (par exemple avec ce livre!), en faisant partie d’Attac, en allant dans les parlements pour changer les lois, en faisant des manifestations, etc. Il s’agit de se ré-approprier ces questions pour ne pas en être simple spectateur, mais aussi acteur. Parce que quand une grande banque doit être renflouée, c’est toute la société qui en paie les conséquences, qui doit payer les plans de sauvetage et assumer les politiques d’austérité!
La tentative du peuple grec cet été de refuser la fatalité de l’austérité a montré le peu de respect qu’ont l’Europe et la finance pour la démocratie. Jamais sans doute leur légitimité à nous gouverner n’aura pourtant autant été contestée. Les gauches européennes se radicalisent peu à peu. Un nouveau chemin se dessine en Angleterre et en Espagne. Mais c’est à nous tous de nous opposer aux soi-disant grands de ce monde qui sont en fait des nains moraux et des imposteurs.

Propos recueillis par Juliette Müller, Gauchebdo, No 42, semaine du 16 octobre 2015

Les banques, ces lieux parallèles de pouvoir

Dans son ouvrage Quand les banquiers font la loi, Yves Sancey, docteur en sciences politiques, revient sur les origines de l’autorégulation bancaire en Suisse, un domaine peu étudié. Entretien.

Mémo: Quand les banquiers font la loi retrace la genèse de l’autorégulation bancaire en Suisse, de la Première Guerre mondiale aux années 50. Yves Sancey, son auteur, a décidé de se pencher sur le rôle des banques et notamment sur les rapports de force entre ces dernières, l’Etat et la Banque nationale suisse, un terrain peu exploré par les chercheurs jusqu’ici. Si l’autorégulation a montré ses limites, notamment avec la crise de 2008, peu de leçons ont été tirées et l’Etat garde sa position en retrait.

La place financière suisse pèse lourd, aussi bien dans notre propre pays qu’à l’international. Elle attire des milliards de capitaux du monde entier. Pourquoi séduit-elle autant? Le secret bancaire, qui sera bientôt de l’histoire ancienne, mais également l’autorégulation des banques, qui garde l’Etat à l’écart. Concrètement, pendant longtemps, ce sont les banques qui ont édicté leurs propres lois, en lien avec la Banque nationale suisse (BNS), sans s’encombrer de l’avis du gouvernement et du parlement. Yves Sancey, docteur en sciences politiques et rédacteur romand du journal de syndicom, s’est intéressé à ce groupe d’intérêt extrêmement puissant que sont les banquiers et aux relations entretenues avec le pouvoir. Dans son ouvrage Quand les banquiers font la loi, il revient sur les débuts de l’autorégulation bancaire en Suisse dans les années 1920, inspirée du système anglais, et sur son ancrage pour devenir la norme après 1945. Alors qu’on chantait encore les louanges de ce système quelques mois avant la crise financière de 2008, il est évident que celui-ci a montré ses limites. Pourtant, mise à part une loi sur les banques très peu contraignante, il a encore de beaux jours devant lui. Jusqu’à quand?

Comment cet ouvrage a-t-il vu le jour?

Yves Sancey: Ce livre est le résultat de mon travail de mémoire puis de thèse à l’Université de Lausanne, qui s’est étalé sur neuf années. J’avais envie de travailler sur les groupes d’intérêts et les banques en particulier, notamment sur les relations qu’elles entretenaient avec l’Etat. Paradoxalement, la place financière suisse est un sujet très peu étudié en histoire et en sciences politiques.

Pourquoi parler de cette période très précise, de 1914 aux années 50?

L’idée était de retracer la genèse de l’autorégulation bancaire à travers les gentlemen’s agreements. Je reviens sur ses premiers pas, les batailles entre les banques qui divergent d’avis dans les années 20-30 puis sur le développement et la consolidation de ce système qui deviendra routinier dans les années 50. Durant toutes ces années, il est intéressant de voir comment se sont articulés les rapports de force entre l’Etat, les banques et la BNS.

Comment le modèle de l’autorégulation s’est-il imposé en Suisse?

Après la Première Guerre mondiale, la place financière suisse décolle. Elle reçoit des flux de capitaux énormes qui ont un impact immédiat sur les taux d’intérêt et donc sur la paysannerie et le monde ouvrier. Ces milieux se mobilisent et demandent le contrôle de l’exportation du capital. C’est à ce moment là que les banques mettent en place l’autorégulation pour se défaire des pressions politiques.

Vous parlez du secteur bancaire comme d’un espace para-étatique qui fait la loi en lieu et place de l’Etat…

Historiquement, l’Etat suisse a toujours été très faible. Les groupes d’intérêts qui se développent en parallèle sont quant à eux très puissants. Afin que l’Etat ne s’immisce pas dans leurs affaires, les banquiers s’organisent à travers l’Association suisse des banquiers (ASB) en 1913. Tout de suite très influente, l’ASB obtient que l’Etat s’aplatisse et renonce à toute législation bancaire en 1917 ou s’engage le moins possible quand une législation devient inévitable en 1934. Entre 1977 et 1990, les banques se substitueront au gouvernement pour édicter, avec la BNS et la Commission fédérale des banques, des règlements en matière de lutte contre le blanchiment.
Identifiant les intérêts de la place financière à ceux de la Suisse, l’Etat renonce à se mêler des affaires bancaires pour ne pas effrayer les grandes fortunes étrangères.

Qu’est-ce que les gentlemen’s agreements?

Ce sont des conventions, inspirées du système anglais, entre les banques et la BNS, orales ou écrites. Après des années de négociation, les banques acceptent de s’engager sur l’honneur à informer davantage la BNS sur l’exportation du capital et à tenir compte d’éventuelles objections, puis à freiner l’afflux de capitaux instables (hot money). Dépourvus d’obligation juridique contraignante, ces accords reposent au final sur la bonne volonté des banques. C’est à travers ces gentlemen’s agreements qui rythment toute la période étudiée que l’on saisit la nature des rapports de force entre les trois acteurs.

Est-ce que l’autorégulation a une part de responsabilité dans la crise de 2008?

Quelques mois avant la crise des subprimes, le principe de l’autorégulation était encore glorifié par certains. La réalité à montré qu’on ne s’est pas donné les moyens de contrôler l’UBS ou d’autres banques. On est passé à côté d’une banqueroute qui aurait pu être catastrophique.

Est-ce que les choses ont changé depuis 2008 en matière de contrôle bancaire?

La crise a beaucoup occupé le législateur entre 2010 et 2012. Cela dit, les mesures mises sur pied, à part le doublement des fonds propres, restent très faibles. Aujourd’hui, la loi sur les banques est très peu contraignante. Au final, assez peu de leçons ont été tirées. Après plus d’un siècle de mythe d’autorégulation, et ses limites clairement exposées au moment de la crise, il semble que le système a encore de beaux jours devant lui. L’opportunité de renforcer la régulation des banques s’est présentée mais n’a pas été saisie, et maintenant c’est un peu tard…
Je crains qu’il faille une autre catastrophe pour que l’autorégulation soit remise en cause.

Manon Todesco, L’Événement syndical, Nos  42-43, 14 octobre 2015

 

Un siècle de lutte contre les lois

Demandez à un banquier ce qu’il pense des règles bancaires. Invariablement, il vous répondra qu’elles sont trop nombreuses, voire intrusives. Ou, version polie, que ses concurrents doivent être soumis à des contraintes au moins identiques.

Cela fait près d’un siècle que ça dure, explique le politologue et syndicaliste Yves Sancey dans Quand les banquiers font la loi (Editions Antipodes, 460 p.), un ouvrage historique très fouillé tout juste paru, et qui porte sur une question demeurée dans l’ombre de l’histoire suisse.

Dès la Première Guerre mondiale, date des premières tentatives de réglementation par les autorités fédérales et la BNS, les banquiers ont mis les pieds au mur. Et lorsque la perspective d’une loi paraissait inévitable, ils ont mis en place des systèmes d’autorégulation.

C’est ainsi qu’ils concluent en 1927 le premier gentleman’s agreement, accord formel mais non écrit passé entre gens du même monde afin d’échapper à une intervention fédérale. Jusqu’alors, hormis quelques circulaires de la BNS, le secteur n’était tout simplement pas réglementé.

La crise des années 1930 déstabilise suffisamment la place financière pour que celle-ci doive accepter l’instauration de la Loi fédérale sur les banques de 1934. Mais la tradition de l’autorégulation se poursuit jusqu’à nos jours, bien que la crise de 2008 ait démontré ses limites.

Yves Genier, L’Hebdo, No 40, semaine du 1er octobre 2015

La dérangeante zone grise du pouvoir suisse

La faiblesse de l’administration centrale et la place déterminante des associations d’intérêt ont permis l’instauration d’un système à caractère néocorporatiste.

Dans Quand les banquiers font la loi (Antipodes), Yves Sancey tente de comprendre pourquoi le rapport de force entre l’Etat et les banques a toujours été particulièrement favorable à ces dernières. Affirmant que l’Etat et la Banque nationale suisse leur ont délégué en quelque sorte leur pouvoir de faire la loi, il examine cette sphère obscure du pouvoir et constate l’émergence d’un capitalisme d’autorégulation dans le secteur bancaire. Selon lui, la manière de réguler les banques se ferait donc davantage sous la forme de gentlemen’s agreements avec leur participation et leur accord que par un recours à la loi et des discussions au Parlement. Cet ouvrage entend mettre en lumière un espace paraétatique, étonnamment négligé par la science politique, en s’appuyant sur un important dépouillement d’archives et une analyse des acteurs. […]

L’Agefi, 8 septembre 2015

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