Nouvelles Questions Féministes Vol. 30, No 2

Amies

Delphy, Christine, Fueger, Helene, Hertz, Ellen, Martin, Hélène, Messant, Françoise, Sala, Alice,

2011, 144 pages, 21 €, ISBN:978-2-88901-070-7

Tantôt célébrées, tantôt critiquées voire ridiculisées, les amitiés entre femmes sont l’objet de ce numéro de Nouvelles Questions Féministes. Les amitiés entre femmes sont l’objet de projections variées: tantôt célébrées pour l’intensité des relations qu’elles génèrent, tantôt ridiculisées pour leur futilité, tantôt décrétées impossibles sous prétexte de rivalité, tantôt associées au lesbianisme, elles présentent un intérêt évident pour l’étude des rapports sociaux de sexe. Ce champ étant hélas resté en friche dans la recherche francophone, ce numéro de Nouvelles Questions Féministes engage une réflexion sur ce thème à partir de plusieurs contributions. 

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Description

Tantôt célébrées, tantôt critiquées voire ridiculisées, les amitiés entre femmes sont l’objet de ce numéro de Nouvelles Questions Féministes. Les amitiés entre femmes sont l’objet de projections variées: tantôt célébrées pour l’intensité des relations qu’elles génèrent, tantôt ridiculisées pour leur futilité, tantôt décrétées impossibles sous prétexte de rivalité, tantôt associées au lesbianisme, elles présentent un intérêt évident pour l’étude des rapports sociaux de sexe.Ce champ étant hélas resté en friche dans la recherche francophone, ce numéro de Nouvelles Questions Féministes engage une réflexion sur ce thème à partir de plusieurs contributions.

Les amitiés entre femmes sont un moyen de s’opposer à la domination masculine. Elles permettent en effet aux femmes de prendre conscience de l’oppression qu’elles subissent et de passer du statut d’objet à celui de sujet. Mais l’idée de sororité n’est pas sans ambiguïté, ce qui explique qu’elle soit l’objet de polémiques entre féministes: les femmes ne subissent en effet pas toutes des oppressions identiques.

Nouvelles Questions Féministes s’empare de ce thème pour fêter ses 30 ans et profite de cet anniversaire pour inaugurer sa nouvelle ligne graphique.

Sommaire

NQF a 30 ans

  • Trente ans de Nouvelles Questions Féministes (Christine Delphy)

Edito

  • Les relations d’amitié (Hélène Martin, Ellen Hertz, Françoise Messant, Christine Delphy, Helene Füger, Alice Sala)

Grand angle

  • Les hommes, les femmes et l’amitié: ce que ils et elles disent, ce que ils et elles font (Karen Walker)

  • Mettre l’amitié au premier plan: passés et futurs féministes (Sasha Roseneil)

  • « L’amitié, c’est mieux que la famille ». Rapports amicaux entre femmes dans le roman québécois (Lori Saint-Martin)

Parcours

  • Entretien avec Svetlana Slapsak, engagement anti-nationaliste féministe d’une helléniste en (ex-)Yougoslavie (Véronique Dasen et Helene Füger)

Comptes rendus

  • Ginevra Conti Odorisio, Edmée Ollagnier, Farinaz Fassa, Joy Charnley, Véronique Dasen, Marianne Modak, Bérangère Marques-Pereira

Collectifs

  • Chinese Working Women Network (CWWN): militer dans les interstices (Ellen Hertz et Marylène Lieber)

Presse

Dans la revue en ligne Lectures / Liens Socio

Le dernier numéro de Nouvelles Questions Féministes, dont la coordination a été assurée par Ellen Hertz, Hélène Martin, Françoise Messant, Christine Delphy, Hélène Füger et Alice Sala, s’annonce dès son thème comme une publication prometteuse. Fidèle à la tradition de la revue et ainsi fruit d’un travail militant, interdisciplinaire et international, il s’impose en tout cas d’emblée comme un ouvrage de référence sur la question de l’amitié féminine. Et pour cause: dès leur édito (« Les relations d’amitié »), ces auteures rappellent à juste titre à quel point elle reste un impensé de la recherche francophone (contrairement au champ anglo-saxon beaucoup plus largement développé en ce domaine), et ce malgré l’intérêt théorique et politique que cette thématique présente. D’où cette affirmation: « Notre premier objectif avec ce numéro est donc de faire connaître à nos lectrices francophones le champ des études sur l’amitié (la « friendship research ») pratiquées dans des départements de Women’s studies et de Gender Studies en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis » (p.28). Force est de constater que ce premier objectif est rempli, si l’on en juge par la pertinence et la cohérence du cadre théorique des analyses contenues dans ce volume, qui ne sauront par ailleurs qu’encourager son lectorat à poursuivre la réflexion, ce qui figure bien en effet le second objectif de cette revue, dont l’édito propose d’ores et déjà quelques pistes pour les recherches futures.

Figurent alors dans le dossier central « Grand angle » trois articles qui proposent autant de tentatives d’appréhension des rapports sociaux de sexe à travers le prisme de l’amitié, avec tout d’abord « Les hommes, les femmes et l’amitié: ce que ils et elles disent, ce que ils et elles font » de Karen Walker, traduction d’un article présenté sous sa forme première aux Etats-Unis en 1992. Ce texte questionne l’idée fort répandue que l’amitié entre hommes reposerait sur un partage d’activités, tandis que l’amitié entre femmes ferait quant à elle la part belle aux discussions et au partage des émotions. S’appuyant sur 52 entretiens réalisés en 1991 et 1992 avec des hommes et des femmes, Karen Walker vise alors à démontrer que si l’intériorisation de ce stéréotype binaire transparaît par le discours, les attitudes et expériences racontées révèlent pourtant une toute autre réalité, et une flexibilité considérable vis-à-vis de cette matrice discursive; ce qui permet alors de souligner l’importance, au-delà du rôle des normes de genre dans les processus de socialisation, de facteurs tels que la perspective de classe. Notons que le fait que le dossier central s’ouvre sur cet article a une portée significative: avant de comprendre la résistance que peuvent représenter les amitiés entre femmes face aux structures patriarcales et sexistes, il est nécessaire de refuser la dimension essentialiste au profit d’une approche critique consciente des prescriptions sociales: la revalorisation des amitiés féminines (et de la thématique de l’amitié dans son ensemble) n’équivaut en effet en aucun cas à un éloge aveugle d’un binarisme naturaliste.

L’article de Sasha Roseneil, « Mettre l’amitié au premier plan: passés et futurs féministes » (traduction de l’article « Foregrounding Friendship: Feminist Pasts, Feminist Futures » publié en 2006), affirme quant à lui l’interdépendance – nécessaire et historiquement démontrée –  du féminisme et de l’amitié: « En effet, sans de puissants liens choisis d’affection et de sollicitude, le féminisme serait impensable, les mouvements des femmes impossibles, la vie quotidienne se déroulerait dans des environnements inhospitaliers et dans l’isolement. » (p.56). Cette remarque poursuit alors l’objectif de revalorisation de la solidarité féminine soutenu par les féministes de la deuxième vague (Sasha Roseneil s’appuie ici notamment sur les écrits de Mary Daly, Adrienne Rich et Janice Raymond), qui situent donc la notion de relation et d’amitié au cœur de leur engagement. Mais la perspective féministe ne serait pas la seule à se voir enrichie par une attention à cette thématique, puisqu’il s’agit également de lutter contre « l’hétéronormativité des sciences sociales » (p.57). Convoquant la culture populaire contemporaine (notamment les séries télévisées et les magazines) qui ferait aujourd’hui une place plus grande aux relations d’amitié, Sasha Roseneil nous encourage à « mettre au premier plan l’amitié comme relation sociale et ne plus considérer dans nos imaginaires intellectuels la « famille » et le couple hétérosexuel comme les centres » (p.67), afin de ne plus ignorer les multiples facettes de la vie intime, redessinées dans et par cet imaginaire collectif.

Dans «  »L’amitié, c’est mieux que la famille »: Rapports amicaux entre femmes dans le roman québécois », Lori Saint-Martin propose une analyse littéraire militante: « Chercher, sous l’intrigue hétérosexuelle ou lovée en elle, une autre histoire, celle de l’amitié féminine, s’interroger sur l’importance qu’elle a pour les femmes, c’est lire à contre-courant. » (p.76). C’est donc dans ce contre-courant que cet article nous entraîne, pour mieux nous faire comprendre la résonnance du motif de l’amitié féminine (hors romans lesbiens) dans le roman féminin québécois. Après avoir posé quelques jalons théoriques faisant apparaître l’amitié féminine comme « à la fois la grande sacrifiée de l’ordre patriarcal et un puissant instrument de résistance » (p.77), une analyse à la fois claire et concise des textes (de Laure Conan, Germaine Guèvremont, Gabrielle Roy, Anne Hébert, Francine Noël et Nelly Arcan, couvrant ainsi une période de publication allant de 1881 à 2007) révèle des récits d’amitiés féminines soumises à de nombreuses limitations et le plus souvent subordonnés à la trame d’une intrigue hétérosexuelle qui conserve toujours son rôle de premier plan, mis à part, exemple remarquable, chez Francine Noël, où les rapports entre femmes acquièrent par ailleurs une dimension explicitement politique, même si ce renversement reste à relativiser. Dans tous les cas, la mise à distance, le refus ou la perte de l’amitié entre femmes agit ainsi comme un révélateur des limites – plus ou moins conscientes et volontaires – de ces relations, dans un cadre social dont l’homme et la relation hétérosexuelle restent des repères obligés, et où l’existence du sujet féminin, fût-il collectif, est donc relative, mais d’une relativité qui n’exclut justement pas la force et la valeur de ces amitiés: « A la lecture de ces romans, toutefois, il apparaît que, malgré les embûches, l’amitié entre femmes apporte aux personnages consolation, force de résistance, ou plaisirs intimes et quotidiens selon le cas » (p.90). Cet article présente donc une analyse du champ littéraire qui pourrait, par ses nuances maîtrisées, apporter beaucoup à d’autres approches disciplinaires.

Il convient alors de replacer ce dossier central dans une perspective plus globale. A cet égard, le texte que propose Christine Delphy en introduction à ce numéro, intitulé « Trente ans de Nouvelles Questions Féministes », permet non seulement de resituer (historiquement et théoriquement) cette revue avec force détails, mais encore de comprendre comment cette thématique de l’amitié féminine s’inscrit encore une fois très pertinemment dans ses objectifs. Car si Nouvelles Questions Féministes, revue précédée par Questions féministes (créée en 1977) fut une publication pionnière, « la plus ancienne des revues francophones des études qu’on a appelées féministes, et qu’on appelle aujourd’hui « de genre » ou « sur le genre » » (p.4), sa ligne éditoriale a pourtant déconcerté: « Ce parti pris théorique matérialiste et antinaturaliste, que plus tard on a appelé constructiviste ou constructionniste, sur lequel les deux revues ont été fondées, était nouveau, et ne fut pas compris d’entrée de jeu » (p.7). Et en revenant sur certaines discussions autour de leur positionnement, Christine Delphy réaffirme notamment une lutte affichée contre la racialisation de la violence sexiste ou du patriarcat: « Il est donc crucial de savoir si on accepte ou non de stigmatiser un groupe de femmes dans l’espoir – vain – d’en libérer un autre. Notre position a toujours été et reste que cela n’est pas acceptable, et pas féministe. » (p.21). Cette réaffirmation de la position anti-essentialiste, ainsi que ce rappel de l’importance des solidarités, dans un contexte certes très différent, annonçait ainsi néanmoins très judicieusement le questionnement plus large autour des liens entre femmes qu’offrent les textes de ce numéro.

Pour finir sur la force politique des amitiés féminines et leur pouvoir de résistance dans le sens le plus large du terme, on aimerait en dernier lieu relever le passionnant entretien que proposent Véronique Dasen et Helene Füger: « Engagement antinationaliste féministe d’une helléniste en (ex-)Yougoslavie. Entretien avec Svetlana Slapsak ». Retraçant son parcours personnel, Svetlana Slapsak y explique en effet en quoi son engagement antinationaliste et pacifiste depuis les années 1980 se fonde sur le féminisme, puisqu’il lui est alors apparu comme une manière de « militer en vue d’éviter la guerre. Le féminisme était le seul type de discours où l’on pouvait assumer cette idée-là ouvertement. » (p.97). Elle insiste par ailleurs sur le rôle important qu’ont joué pendant la guerre ces femmes et féministes dans la constitution d’un réseau d’entraide et de soutien, et évoque enfin son intérêt pour les gender studies qu’elle a eu à cœur de développer en Slovénie après avoir elle-même obtenu un poste en études genre à l’université Rutgers (New Jersey, Etats-Unis) pendant deux ans.

Figurent enfin dans ce numéro sept comptes rendus de lecture, et la présentation d’une association, le Chinese Working Women Network (« Chinese Working Women Network (CWWN): militer dans les interstices », rédigé par Ellen Hertz et Marylène Lieber).

Parce qu’elle permet d’aborder la question des amitiés et de la solidarité entre femmes à la fois à travers un féminisme anti-naturaliste et une approche interdisciplinaire et richement documentée, ce numéro de Nouvelles Questions Féministes apparaît comme une référence précieuse – et, rappelons-le, novatrice dans le champ francophone – pour les études genre et la perspective militante, mais également pour le champ des sciences humaines dans son ensemble, puisque ses méthodes et ses cadres théoriques sont ici la cible de remarques porteuses.

Virgine Sauzon, Lectures, Les comptes rendus, 27 décembre 2011, http://lectures.revues.org/7089