Laboratoires du travail

Benelli, Natalie, Rosende, Magdalena,

2008, 164 pages, 19 €, ISBN:978-2-88901-009-7

2008, 164 pages, 24 chf, 19 €, ISBN 978-2-88901-009-7

Format Imprimé - 24,00 CHF

Description

Laboratoires du travail réunit des textes qui examinent le travail sous toutes ses facettes: travail salarié, domestique, scientifique, travail de mise au monde, de care, etc. Conçu comme hommage à Françoise Messant, professeure de sociologie du travail à l’Université de Lausanne, cet ouvrage offre un aperçu des perspectives et des thématiques actuelles autour de l’objet travail. Les auteur·e·s abordent notamment la grève, les outils, le travail collectif, la division du travail et de l’emploi, la responsabilité au travail et l’imbrication des systèmes de domination.

Table des matières

  • Préface (Magdalena Rosende et Natalie Benelli)

  • Enquêter sur les « métiers modestes » et les « professions prétentieuses »: deux sociologues aux prises avec les démêlés du terrain (Natalie Benelli et Magdalena Rosende)

  • Retour sur une exclusion de terrain d’enquête auprès de lingères: lorsqu’un terrain soulève la questiondu travail de la sociologue débutante, entre autres…(Morgane Kuehni)

  • Retour sur une grève dite exemplaire. La grève de Bulova Watch Co., Neuchâtel, 1976 (Laurence Marti)

  • La force des collectifs de travail dans la restauration: entre fonction sociale et impératif stratégique (Angélique Fellay)     

  • Le travail de mise au monde (Marilène Vuille)     

  • Le genre et la colonialité du travail en Amérique centrale (Sabine Masson)     

  • Responsabilité au travail et mondialisation: au-delà du système de sweatshop (John Allen)      

  • Reconnaissance du care dans le travail social: éléments pour une analyse du travail des assistant·e·s sociaux (Marianne Modak, Carol de Kinkelin et Natalie Benelli)     

  • Conceptions profanes de la division sexuelle du travail (Patricia Roux)

  • Le marché du travail à l’épreuve du genre (Margaret Maruani)

  • Le travail et l’outil (Alfred Willener)

Presse

Dans Solidarités

Laboratoires du travail est un ouvrage collectif, sous la direction de Magalena Rosende et Stefanie Benelli, qui examine le travail sous diverses facettes, en particulier dans sa dimension de genre. Il vient de sortir aux éditions Antipodes. Cet hommage à Françoise Messant, professeure de sociologie du travail à l’Université de Lausanne (Unil) pendant 20 ans, est également un plaidoyer pour une pensée critique.

Qu’y a-t-il de commun entre des grévistes du secteur horloger, des serveurs et serveuses, des assistant-e-s sociaux chargés de sollicitude, des jeunes femmes d’Amérique centrale, des sociologues à l’épreuve d’un terrain d’enquête, des couples imaginant une répartition des tâches ménagères qui ne se traduira pas dans la réalité? Il y a du travail. Oui, mais encore? Il y a du travail traversé par des intérêts divergeants et structuré par des rapports de forces, mais aussi un travail en mutation et chargé de représentations.

En hommage à une pionnière

C’est tout cela qui est abordé par des auteur-e-s rassemblés pour un hommage à celle qui fut, aux yeux de ses thésardes, une magnifique « passeuse ». Comme elles le disent, Françoise Messant a établi la sociologie du travail à l’Unil et elle a encouragé ses étudiant-e-s à « faire preuve de curiosité et d’imagination à l’égard du monde social contemporain » en situant leur champ d’étude sur le terrain. Celle qui, constatant les limites posées à l’ascension sociale des secrétaires, écrivait que « les ‘chemisiers roses’ ne peuvent pas être assimilés à des ‘cols blancs » a fortement contribué à la diffusion de la perspective de genre dans le domaine académique. Cette approche « a permis de sortir du néant de l’histoire toute une série de métiers féminisés, dont la vision naturalisante alimentait la non-reconnaissance professionnelle et la dévalorisation sociale et salariale »1. Et maintenant que Françoise Messant prend sa retraite, il semble qu’une génération de jeunes chercheur-euse-s est prête à prendre la relève.

Quel est l’intérêt de cet hommage hors les murs? En d’autres termes, qu’est-ce que ces analyses apportent à la compréhension du marché du travail et donc à l’action des mouvements sociaux d’aujourd’hui?

De la domination de classe, de sexe et impérialiste

S’il n’est pas aisé de restituer ici toute la richesse des apports de ce livre, il est possible d’en souligner un aspect essentiel: la mise à jour de formes de dominations complexes, mais cachées. Elles se manifestent sur et en dehors des lieux de travail, mais aussi dans nos têtes. Sociologues, historien-enne-s et/ou féministes les révèlent, et c’est là une façon de contribuer à les combattre.

L’enquête sur les « professions prétentieuses » et les « métiers modestes » montre la force des représentations qui, inculquées dès l’école, naturalisent le fait qu’il existe des gens nobles (médecins, hommes) et des roturier-ère-s (nettoyeuses immigrées). Médecins et nettoyeuses, parce qu’ils partagent aussi cet imaginaire, qu’ils fassent preuve de prétention ou montrent de la déférence par rapport à la sociologue, justifient eux-même les différences de salaires en usage. Quand la sociologue demande un poste de nettoyeuse, le responsable est très gêné de lui annoncer son futur salaire de Fr. 15.80 de l’heure… Le « sale boulot », ce n’est pas pour les universitaires.

Pour Margaret Maruani, étudier les logiques de genre dans le monde du travail permet d’analyser, non pas spécifiquement la catégorie « femmes », mais toutes les logiques qui sous-tendent les mutations du monde du travail, car les femmes « sont symptomatiques des mouvements qui agitent le marché du travail. Elles sont révélatrices de phénomènes d’ensemble. Leur situation n’est pas particulière, elle est révélatrice ». C’est ainsi que l’auteure aborde la question des retraites, du chômage et des working poor. En France, les retraites des femmes sont deux fois moindres que celles des hommes. Celle qui se demande pourquoi a été obligée de se pencher sur ce qui fait leur spécificité dans le monde du travail. Alors, les mutations du salariat caractérisées par les bas salaires, la flexibilité et l’instabilité de l’emploi qui touchent tous les salarié-e-s mais bien plus les femmes, ressortent avec force. Ces mutations sont aussi un prisme pour l’observation d’un système de retraite déficient.

Deux des articles se focalisent sur la division internationale du travail, corollaire de la domination occidentale. Les conséquences de la mise en concurrence forcenée entre travailleurs-euses d’ici et d’ailleurs sont mises en évidence. Les conditions de travail des travailleuses des Maquilas2 d’Amérique centrale et des ateliers clandestins posent la question de nos responsabilités ici.

Celles-ci sont d’ordre politique et collectif. Parce qu’elles relèvent d’une logique économique qui exige un profit maximal, elles ne se résoudront pas de façon individuelle par le choix éclairé de la ou du consom-acteur. Le regard porté vers l’outre-mer ne doit pas masquer le fait que la domination impérialiste porte ses effets dans nos pays aussi. La délocalisation sur place est un phénomène souvent négligé: sa non-prise en compte dans les négociations qui se sont déroulées autour de la grève de Bulova Watch Co de Neuchâtel, en 1976, n’ont ainsi offert qu’un sursis à la résolution du conflit.

Un pont entre université et luttes sociales

Cette publication gagne à être connue, même si l’on peut regretter parfois le manque de données quantitatives qui permettraient de donner plus de représentativité aux résultats des chercheurs-euses. Enfin, son apport principal réside dans l’affirmation d’une sociologie critique et exigeante, qui peut contribuer au changement:

« En face d’un mode de domination aussi complexe et raffiné, dans lequel le pouvoir symbolique tient une place si importante, il faut inventer de nouvelles formes de lutte. Etant donné la place particulière des idées dans ce dispositif, les chercheurs ont un rôle éminent à jouer. Il leur faut pour cela contribuer à donner à l’action politique de nouvelles fins – la démolition des croyances dominantes – et de nouveaux moyens – des armes techniques, fondées sur la recherche et la maîtrise des travaux scientifiques, et des armes symboliques, propres à ébranler les croyances communes en donnant une forme sensible aux acquis de la recherche ».3
 

Isabelle Lucas, Solidarités, N° 140. 8 janvier 2009, p. 18

1. F. Messant-Laurent, La secrétaire modèle. Études sociologiques, Paris, l’Harmattan, 1990, cité par Sabine Masson dans Laboratoires du travail, p. 82.
2. Pour donner « une forme sensible aux acquis de la recherche » sur ce sujet, voir l’excellent roman de Patrick Bard, La frontière, Points, 2003.
3. Pierre Bourdieu, Contre-feu 2, Raisons d’agir, Paris, 2001, p. 54.