La Suisse, les Alliés et le cinéma. Propagande et représentation. 1939-1945

Haver, Gianni,

2001, 141 pages, 17 €, ISBN:978-2-940146-17-8

La Suisse ne participe pas militairement à la Deuxième Guerre mondiale. Néanmoins, les événements liés au conflit marquent profondément les débats politiques et sociaux, ainsi que la vie quotidienne de la population. Le petit Etat vit lui aussi à l’heure de la guerre. Dans ce contexte particulier, le cinéma est en première ligne. C’est par lui que le conflit devient particulièrement visible, car une partie significative des films de propagande produits dans les principaux États en guerre est montrée sur les écrans helvétiques. Les images tournées par les cinéastes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste se mêlent à celles réalisées par le camp allié et à une production nationale fortement influencée par le climat de « défense spirituelle ». Cet enchevêtrement crée un terrain exceptionnel pour l’étude des représentations cinématographiques du conflit.

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Description

La Suisse ne participe pas militairement à la Deuxième Guerre mondiale. Néanmoins, les événements liés au conflit marquent profondément les débats politiques et sociaux, ainsi que la vie quotidienne de la population-le petit état vit lui aussi à l’heure de la guerre.

Dans ce contexte particulier, le cinéma est en première ligne. C’est par lui que le conflit devient particulièrement visible, car une partie significative des films de propagande produits dans les principaux États en guerre est montrée sur les écrans helvétiques. Les images tournées par les cinéastes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste se mêlent à celles réalisées par le camp allié et à une production nationale fortement influencée par le climat de « défense spirituelle ». Cet enchevêtrement crée un terrain exceptionnel pour l’étude des représentations cinématographiques du conflit.

Table des matières

  • Introduction  
  • Persistance et transmission des représentations dans le cinéma américain: l’exemple asiatique  
  • La guerre se gagne avant tout « à la maison »…
  • Quelques aspects du conflit dans le cinéma de fiction anglais   
  • Mise en scène du quotidien et propagande douce: les documentaires britanniques de guerre, 1939-1945   
  • Images de guerre sur les écrans suisses   
  • La seconde génération de critiques cinématographiques romands (1930-1945). Un aperçu biographique
  • Demi-aveugles ou demi-muets? Les chroniqueurs cinématographiques de la presse quotidienne de Genève et de Lausanne face aux longs-métrages de propagande américains   

Presse

Ce premier volume d’une nouvelle collection « Médias et histoire », impulsée par l’Université de Lausanne et soutenue par Cinoptika, la Cinémathèque suisse et le canton de Vaud, [apportent] la preuve que les « helvetica » sont un secteur de pointe de la recherche en histoire du cinéma.

Il s’agit ici des années de guerre en Suisse, telles que le cinéma en a rendu compte. Comment vit-on une guerre à laquelle on ne participe pas directement? Le cinéma a tenu là un rôle clé, car c’est par lui que le conflit est rendu visible auprès de la population. Les écrans helvétiques ont tué cette particularité de présenter des images tournées par les Alliés mêlées à celles provenant de pays de l’Axe (contrôlées les unes et les autres) et à une production nationale marquée par la politique de « défense spirituelle ». C’est cet enchevêtrement qui est particulièrement intéressant dans le cas suisse. L’impact du cinéma sur un public national est étudié non à partir d’une simple étude de contenu des films et selon la « théorie du reflet », mais en croisant divers paramètres (audience, analyse de presse…) pour aboutir à une analyse fine de la réception. L’ouvrage collectif propose d’abord une exploration des représentations du conflit fabriquées par le cinéma anglo-américain. Ensuite, il aborde la façon dont ces films ont été diffusés et reçus sur le territoire suisse francophone, et les confronte à la production nationale.

Je m’attarderai sur la première contribution consacrée à lai représentation des Asiatiques dans le cinéma américain dans la mesure où elle est en rapport avec le thème de ce numéro sur le Japon. L’auteur (Robert Jaquin) montre d’abord que le cinéma participe au discours dépréciatif général sur les Asiatiques et que cette tendance remonte haut (Forfaiture, Le Lys brisé, Fu Manchu’i) et concerne d’abord les Chinois, minorité présente sur le sol américain. Le « péril jaune » passe ensuite aux Japonais. Le discours anti-nippon, déjà présent avant Pearl Harbour, s’accentue ensuite et installe des stéréotypes encore actifs dans les films d’aujourd’hui. Adversaire souvent invisible, le « Jap » est doté, quand on le voit, d’un physique proto-humain. La métaphore animale (« monkey » et autres) est omniprésente. L’individu est effacé dans la masse, fournissant un modèle opposé à l’Occident. Lâche au combat, rusé et fourbe, le soldat nippon a passé une alliance avec une Nature hostile contre laquelle seul un déluge de technologie peut quelque chose. En somme, c’est l’opposition archétypale Nature/Culture qui se trouve réactivée, et que prolongeront les films sur le Vietnam, en changeant simplement l’identité de l’adversaire. Deux articles portent sur le cinéma britannique pendant la guerre. Le premier traite des fictions (comme In which we serve et House Front) et montre la récurrence de la métaphore « on est tous dans le même bateau », qui conduit à estomper les divisions de classe, de régions et de nationalités dans le Commonwealth. Les traits généraux de la propagande britannique sont dégagés avec nuances : tout en mettant en lumière les points communs, l’auteur sait indiquer que cohabitent des discours contradictoires. Le second article traite de l’intégration de la fameuse école documentariste britannique dans l’effort de propagande de guerre, intégration qui n’alla pas sans problèmes. Cette abondante production (726 films entre 1939 et 1945) est étudiée aussi bien du point de vue de sa diffusion (majoritairement hors des circuits commerciaux) que de ses contenus : la fameuse « propagande douce » britannique en reste quand même une, nous convainc l’auteur, qui indique avec prudence qu’on ne connaît qu’une partie (la plus visible) de cette production et que, par ailleurs, on ne sait rien de son impact réel sur le spectateur.

La deuxième partie du recueil aborde la position de la Suisse elle-même. Gianni Haver montre que le cinéma suisse a présenté davantage qu’on ne croit des images de guerre, en dehors même des Actualités étrangères signalées ci-dessus (et dont la diffusion a été étudiée dans d’autres ouvrages). Le cinéma suisse de cette période concentre ses efforts sur l’auto-représentation. La politique de « défense spirituelle » est mise en scène dans plusieurs fictions, dont le fameux Fusilier Wipf, film qui aurait été vu par un Suisse sur trois… Le concept de la Suisse « oasis dans la tourmente » prend corps dans des fictions plutôt favorables aux Alliés à la fin de la période (Die Letzte Chance de Leopold Lindtberg). A noter le très bon accueil des fiIms italiens comme La Nave Bianca de Rossellini, jugé non-propagandiste…Qu’est-ce qui est ne l’est cas? Tel est précisément le thème du dernier article, qui étudie un corpus de critiques cinématographiques romands. Il montre que la notion de « propagande » est relative, indépendante des contenus des films, et évolue selon la période où les articles sont écrits. Reste qu’on ne saurait dire que ces articles reflètent mécaniquement l’opinion publique du pays considéré.

Deux outils précieux complètent le dossier: un catalogue des critiques cinématographiques romands et une bibliographie très complète. Ce petit recueil sera précieux pour tous ceux qui travaillent sur la période de la seconde guerre mondiale, de ses représentations cinématographique et de leur réception.

Francois de la Bretèque, Cahiers de la cinémathèque, No 72-73, 2001  

 

Cet ouvrage collectif dirigé par Gianni Haver propose une série d’articles sur le cinéma produit par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale et sur les chroniqueurs de presse qui critiquaient ces films dans la presse suisse romande. La production américaine de films anti-japonais, nous dit Robert Jaquier, est assez abondante et elle a évidement pris une ampleur considérable après Pearl Harbor. Elle a même donné lieu à la représentation d’une véritable déshumanisation exprimée dans l’opposition systématique entre l’image positive du soldat américain et celle, abominable et indifférenciée, du Japonais. Mais cette image négative de l’Asiatique avait auparavant concerné les Chinois et elle correspond à une sorte d’invariant idéologique qui s’exprime volontiers, aujourd’hui encore, à l’égard par exemple d’une soi-disant « menace islamiste ».

Du côté britannique, Julie Zaugg montre que le film de guerre s’est efforcé d’effacer les frontières de classe, de genre ou de culture pour donner à voir, dans un espace domestique où la femme a pu conquérir une certaine mobilité, l’unité de la nation dans l’épreuve de la guerre. Et Mathieu Carnal évoque les films documentaires dont le contenu le propagande, amené sous la forme d’un reportage, s’avère somme toute assez modéré. C’est là une manière de parler de la guerre sans la montrer, en s’adressant à la société civile et en donnant l’illusion d’une objectivité induite par la relative tiédeur des propos.

Pour sa part, Gianni Haver évoque le cinéma suisse de l’époque en montrant qu’il porte surtout sur la manière dont le pays traverse le conflit en maintenant sa neutralité. Il n’évoque donc guère les réalités du front. Juste avant la guerre, plusieurs films avaient porté sur l’armée et sa capacité de défense, y compris sous la forme d’une fiction, Le fusilier Wipf, portant sur le Conflit précédent. Mais le Ciné-journal suisse et le Service des films de l’armée vont bientôt émerger pour assurer une propagande d’envergure en faveur de la Mob et de l’union nationale Pour la défense du pays. Précisons qu’à partir de quelques notables exceptions, comme celle de La dernière chance, un film de Léopol Lindtberg sorti en 1945, ce cinéma ne montre pas la guerre. Celle-ci n’est pourtant pas complètement absente des écrans suisses où sont projetés avec succès des films étrangers qui sont parfois tout aussi bien accueillis par la critique.

Isabelle Pacaud propose ensuite de courtes notices biographiques sur les critiques de cinéma de la presse romande au cours des années trente et jusqu’à la fin de la guerre. La liste présentée, malgré des difficultés liées au manque de sources disponibles, donne à voir un milieu de critiques cinématographiques très engagés dans la cité avec par exemple les figures bien connues et très contrastées du socialiste André Ehrler, du pamphlétaire d’extrême droite Max-Marc Thomas ou encore de l’abbé Chamonin, un rédacteur en chef du Courrier tellement favorable à Pétain qu’il devra quitter son poste après la guerre. Enfin, François Lorétan nous montre ces chroniqueurs de cinéma à l’œuvre face aux films américains diffusés en Suisse pendant la guerre. Pour son travail, l’auteur les a considérés en un seul bloc, ce qui est sans doute discutable si l’on tient compte des personnalités dont il est question. Il constate notamment qu’ils éprouvent une certaine réticence à désigner les manifestations esthétiques et factuelles de la propagande alors même qu’elle leur saute aux Yeux.

En Suisse, pendant les années de guerre, le cinéma a joué un rôle crucial en tant que vecteur de propagande au sein d’une société de masse. Il est par conséquent nécessaire de le prendre en considération si l’on veut vraiment reconstruire l’histoire de cette période troublée. Évidemment, il s’agira aussi de mesurer l’audience et l’influence de cette propagande, question que Gianni Haver a eu le mérite de poser dans sa contribution. Il est donc heureux qu’un tel ouvrage ait pu voir le jour, en inaugurant une nouvelle collection « Médias et Histoire », pour élargir nos connaissances sur cet instrument moderne de communication et son histoire.

ChH, Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier, no 17, 2001

 

Saluons tout d’abord la création d’une nouvelle collection, intitulée « Médias et histoire ». Qui se propose d’aborder, dans une perspective historique, les médias à travers l’étude de la représentation et l’analyse de la réception. Le premier volume est consacré au cinéma et au rôle qu’il a joué pendant la Seconde Guerre mondiale. Si le titre laisse entendre que la Suisse est au centre du sujet, ce n’est pas rendre justice aux trois contributions axées sur l’étude de la production d’images de guerre dans les pays alliés, États-Unis et Grande-Bretagne. Quant aux trois dernières, elles abordent la production suisse et la réception des films alliés par un public particulier, les critiques de presse.

Robert Jaquier ouvre les feux par l’analyse du rôle des Asiatiques dans le cinéma américain. Si, au XIX siècle, ce sont les Chinois qui incarnent le péril jaune par la forte pression qu’ils exercent sur le marché du travail à l’intérieur du pays, au XX siècle, ce sont plutôt les Japonais qui endossent le mauvais rôle, par la résistance qu’ils opposent aux velléités de suprématie de l’Occident. Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, Hollywood a déjà construit une image stéréotypée de l’Asiatique, paisible en apparence, mais rusé et cruel. Les films de guerre, produits après 1941, vont donner une image du Japonais en opposition parfaite à celle de l’Américain, jusqu’à lui enlever toute humanité. L’auteur poursuit sa réflexion au-delà de 1945, en montrant que les bases de la représentation de l’Asiatique sont restées les mêmes dans les films sur la Guerre du Vietnam et que ces stéréotypes glissent, depuis peu, vers les pays arabes qui, à travers le terrorisme islamique, constitueraient une nouvelle menace.

Julie Zaugg et Mathieu Carnal traitent tous deux du cinéma britannique. La première aborde les films de fiction en prise directe avec la guerre et constate que la propagande mise surtout sur le Home Front, de manière à rassembler, autour d’un objectif commun qui est la victoire finale, les classes sociales très stratifiées et les différentes régions et colonies qui constituent la Grande-Bretagne. L’auteure insiste surtout sur l’image de la femme, particulièrement choyée par les réalisateurs, parce qu’elle constitue une grande part du public visé. Elle est montrée, tour à tour, courageuse et égale à l’homme, mais aussi bonne mère au foyer, telle que la retrouvera son mari au retour de la guerre.

Le constat d’une propagande douce, basée sur le front intérieur et le mélange des classes, évitant ainsi d’écharper l’ennemi est repris par Mathieu Carnal, dans un article exclusivement centré sur les documentaires de propagande produits par l’office du film rattaché au Ministère de l’Information ou commandés par ce dernier à des producteurs privés. L’auteur montre comment ces films ont été largement diffusés à travers le pays, tout en restant hors des circuits commerciaux qui les voyaient comme de la publicité gratuite pour le gouvernement. Toute en étant douce, la propagande n’en demeure pas moins présente. Comme toujours dans ce type d’étude, il est difficile d’évaluer l’impact que les films ont eu sur leur public mais l’auteur s’avance beaucoup quand il l’imagine sceptique et méfiant.

Dans le cas de la Suisse, par exemple, si les spectateurs se sont montrés agacés par les films de propagandes étrangers, ils ont été plutôt séduits par ceux produits par le Service des Films de l’Armée. C’est en tout cas ce qui se dégage de certains comptes rendus cités dans l’article de Gianni Haver, qui signe également l’introduction. Plus largement, le propos de l’auteur est de montrer comment, durant la guerre, la Suisse s’est trouvée dans une situation bien particulière, neutre au centre du conflit, et arrosée d’images des deux camps, tout en en produisant elle-même. Les quelques traces qu’il reste de la production nationale (on aimerait savoir où les trouver), films de fiction et documentaires confondus, mettent en avant une représentation positive, rassurante et valorisante de la Suisse (terre d’accueil, armée forte, neutralité) laissant aux films étrangers le soin de montrer le conflit. Parmi eux, ce sont les films britanniques qui sont les plus appréciés de la critique, suivi par les italiens. Les films allemands sont peu nombreux en Suisse romande. La censure est relativement souple, interdisant surtout les films qui attaquent directement les chefs d’Etat, sont nettement offensifs ou pourraient démoraliser la population helvétique.

L’article d’Isabelle Paccaud sort du cadre de l’ouvrage. Elle y dresse un portrait de la critique romande, plus exactement vaudoise et genevoise, entre 1930 et 1945, en étudiant la place que prend la rubrique « cinéma » dans la presse journalière: hebdomadaire dans le Courrier de Genève et La Gazette de Lausanne, elle est moins régulière dans les autres journaux. L’auteure décortique ensuite chaque titre (une dizaine) et en donne notamment les orientations politiques et confessionnelles, avant d’établir une quinzaine de notices biographiques.

On peut regretter que ce gros travail n’ait pas été directement utilisé par François Lorétan qui traite pourtant d’un sujet qui lui est directement lié et qui aurait pu ainsi restituer certains noms derrière les initiales des critiques. A partir de 170 comptes-rendus trouvés dans la presse genevoise et lausannoise et concernant les 53 longs métrages américains de guerre (cités en annexe) l’auteure constate que les critiques ne reprochent que très rarement à ces films leur aspect de propagande, non pas parce qu’ils sont aveugles mais parce qu’ils sont gênés d’en parler.

La compréhension que les Suisses avaient de la guerre était fortement imprégnée des images qui leur étaient données à voir. Cet ouvrage sobre montre combien l’étude de la production, de la diffusion et de la réception du cinéma peut apporter à la connaissance historique.

Natacha Aubert, Neuchâtel, Revue suisse d’histoire, vol.51, no 4, 2001

La 2e Guerre Mondiale à travers le grand écran

La publication d’une étude portant sur la réception des films de propagande en Suisse durant la Seconde Guerre Mondiale est l’occasion pour la Cinémathèque suisse d’organiser une soirée spéciale. À ne pas manquer!

Saboteur. Il s’agit là d’un film d’espionnage de Hitchcock daté de 1942. Celui-ci sera projeté le 22 mai à la Cinémathèque suisse dans le cadre d’une soirée spéciale organisée à l’occasion de la publication d’un recueil de travaux menés par des étudiants et des étudiantes avancés en Lettres et en SSP. Le recueil, intitulé La Suisse, les Alliés et le cinéma. Propagande et représentation, 1939-1945, a été dirigé par Gianni Haver, premier assistant à la Faculté des sciences sociales et politiques. Ce spécialiste de l’histoire des médias a beaucoup travaillé sur le cinéma et la réception des images et des messages véhiculés par ce média. L’ouvrage porte sur la réception des images de propagande que le public suisse recevait des pays belligérants. Le recueil se limite toutefois aux films produits par l’Angleterre et les États-Unis. Un prochain volume pourrait porter sur la réception de films de propagande tournés sous les régimes nazi et fasciste.

Une situation particulière

La Suisse recevait des images des deux camps: le camp allié et le camp mené par le régime nazi et ses alliés italiens. Cette situation fait de la Suisse un terrain exceptionnel pour l’étude des représentations du conflit.

Cette interrogation est à la base du premier volume de la nouvelle collection « Médias et histoire » aux éditions Antipodes. Sous le titre cité avant, l’ouvrage regroupe six contributions sur le cinéma et la guerre en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Suisse. En Suisse, justement, le conflit a été perçu par une immense majorité de la population principalement au travers des médias. Le cinéma, parce qu’il en a fourni les images en mouvement, se place peut-être parmi ceux qui ont le plus marqué l’imaginaire collectif. Malgré l’importance de ce média, peu de travaux ont eu pour objet le cinéma. Ou si tel a été le cas, les recherches ont été menées de façon fragmentaire, et seuls les films de fiction de production nationale ont été abordés.

Une soirée reconstituée

La soirée du 22 mai reproduit une soirée de cinéma typique des années de guerre. Ainsi seront projetés un ciné-journal suisse, un journal allemand, un documentaire de l’armée suisse, un film publicitaire suisse puis le film de Hitchcock. Avant celui-ci sera présenté l’ouvrage dirigé par Giani Haver.

Marco Di Biase, Uniscope no 421, 16-22 mai 2001

 Animé, le cinéma de la guerre

Pendant le dernier conflit Mondial, les Suisses voyaient des films venus de partout. Et sifflaient parfois les actualités allemandes…

On aurait grand tort de croire qu’à cause de la guerre, les cinéphiles suisses des années 1939 à 1945 furent privés de films étrangers. En 1939 à Lausanne, les films projetés étaient pour 47,3 % français et 43,3 % américains. Le reste venait d’Allemagne, d’Angleterre, de Suisse et d’Italie. Et tout au long de la guerre, les Suisses ont bénéficié d’une politique plutôt libérale de la Confédération, qui contraste avec les clichés traditionnels liés au Réduit. « Dès le cap passé de la censure-moins sévère et tatillonne qu’on aurait pu imaginer-les images tournées par les cinéastes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste se croisent avec celles produites dans le camp allié », remarque Gianni Haver, de la Faculté des sciences politiques de l’Université de Lausanne, dans un ouvrage collectif bourré d’informations et d’analyses qui vient de paraître.

Dans la production diffusée en Suisse durant cette période, les fictions traitant de thèmes militaires, de la guerre et de l’espionnage occupent le haut du panier. S’agit-il pour autant de propagande? Dans la plupart des cas oui, mais avec une certaine subtilité, puisque la censure interdisait les attaques directes envers un ennemi, un chef d’Etat étranger, ou encore les films jugés démoralisateurs. Ce n’est qu’à la fin de la guerre, lorsque son issue ne faisait plus de doute, que des films ouvertement anti-nazis et anti-japonais purent être projetés. Un des auteurs du livre, François Lorétan, s’est intéressé aux chroniqueurs cinématographiques de l’époque, qui louvoyaient habilement parmi les contraintes: « J’imagine assez facilement ce que tel metteur en scène américain aurait apporté de finesse, d’humour, de sensibilité dans la réalisation de ce scénario…Mais à Berlin, la patte est plus lourde. […] Mais je le déclare sans aucun parti pris d’ordre politique: je préfère le comique d’outre-Atlantique à celui de Berlin », écrivait finement Albert-Marcel Chamonin dans le Courrier de Genève, à propos d’un film allemand.

Mais dans les cinémas, avant le film, il y avait les actualités et les documentaires. Dès 1940, le Ciné-journal suisse est diffusé dans les salles, ainsi que les films du Service des films de l’armée, très appréciés, 51 titres pendant la mobilisation. Les spectateurs voient avec plus ou moins de plaisir les actualités étrangères. Parfois ils manifestent, malgré les mises en garde: les actualités allemandes (UFA-Wochenschau) suscitent souvent des réactions. Comme par hasard, les lumières restent allumées pendant leur diffusion, les spectateurs allergiques pouvant ainsi rester hors de la salle jusqu’au grand film! A Lausanne, en octobre 1942, « une enquête de police révèle que le public lausannois siffle parfois les actualités allemandes et applaudit les autres (alliées et suisses). Un comportement que les autorités trouvent déplacé pour un pays neutre », rapporte Gianni Haver.

Parmi les films suisses diffusés au début de la guerre, Le Fusiller Wipf sera le plus populaire, il sera vu par un Suisse sur trois! Quelle production actuelle peut-elle prétendre à une telle audience? Même pas Loft Story…

Philippe Barraud, L’Hebdo, 23 mai 2001

Images de la guerre sur les écrans suisses

Comment le cinéma a-t-il façonné l’image que les Suisses se sont fait de la Deuxième Guerre mondiale? C’est à cette question que répond un ouvrage paru aux éditions Antipodes, La Suisse, les Alliés et le cinéma. Première constatation: la Suisse officielle, pétrie de neutralité, fut moins tatillonne qu’on ne pourrait l’imaginer à autoriser les représentations du conflit, tant pour les productions des Alliés que pour celles venant de l’Allemagne. Le conflit n’est pas un tabou pour les salles helvétiques qui projettent beaucoup de films importés. Il faut dire qu’à la fin des années trente, il existe très peu de films indigènes dans les salles du pays, envahies par les productions américaines, françaises et allemandes (deux longs métrages de fiction contre 650 importés).

Pendant la guerre, la production helvétique augmente, mais modestement; on ne dépasse pas quinze films par année. Les images que le cinéma suisse propose du conflit sont très rarement des représentations des combats, mais plutôt des récits sur la manière dont la Suisse parvient à préserver sa neutralité. Ainsi l’armée, l’économie de guerre, l’accueil des réfugiés, fournissent des sujets privilégiés qui se retrouvent à la fois dans les films de fiction, les documentaires et les ciné-journaux.

Avant le déclenchement de la guerre déjà, trois films suisses sont montrés à la population. Des oeuvres financées par le Département militaire fédéral qui permettent de justifier la hausse des budgets militaires, la nécessité de constituer des stocks alimentaires en prévision des conflits et la neutralité de la Suisse face à ses voisins. Ces trois films, dont le plus connu est le Fusilier Wipf ont un succès considérable. Pendant les premières années de guerre, la production cinématographique suisse respecte les principes de neutralité. Ce n’est qu’en 1944, qu’elle s’engage à montrer des sympathies envers les alliés.

Par contre, les actualités étrangères fournissent une masse importante de sujets belliqueux. Les actualités allemandes et américaines sont particulièrement présentes, à raison de vingt-deux copies par semaine. Le public réagit à ces films qui tiennent plus de la propagande que de l’information. Sifflets et manifestations sont signalés par la police, à Zurich ou à Lausanne. Les films de fiction qui réussissent à passer la censure militaire, circulent en Suisse. Ces longs métrages de fiction, signés entre autres par David Lean ou Roberto Rossellini, en provenance de pays engagés dans le combat, montrent que la guerre est loin d’être absente des écrans suisses. En recourant aux institutions de censure, les autorités organisent et maîtrisent ces images produites ailleurs. Ainsi, si le cinéma suisse s’engage dans la consolidation des mythes nationaux-celui d’une Suisse terre d’accueil des réfugiés, d’une armée forte et déterminée, d’une politique de neutralité-ce sont les images produites à l’étranger qui fournissent à la population le miroir d’un monde en guerre. Elles ont eu une fonction complémentaire, qui est celle de servir de contraste indispensable à la vision d’une Suisse îlotière, véhiculée par le cinéma national.

Géraldine Savary, Domaine Public 1476, 8 juin 2001

La machine hollywoodienne écrase les « japs »

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le cinéma joue un rôle-clé dans la diffusion des stéréotypes et des idéologies, comme nous le rappellent un ouvrage collectif édité à Lausanne et la superproduction américaine Pearl Harbor.

Alors que Pearl Harbor tonne sur les écrans du monde entier-y compris en Suisse, où le film a engrangé plus d’argent que Titanic lors de son premier week-end d’exploitation-on peut s’interroger sur la vision de l’Histoire proposée par les studios Disney, producteurs, et par le réalisateur Michael Bay (The Rock, Armaqeddon). L’équipe du film a dû ménager la chèvre et le chou. Flatter la fibre patriotique du grand public américain, sans heurter les consommateurs sur le vaste marché mondial.

Résultat, c’est une version légèrement expurgée que voient les spectateurs allemands et surtout japonais. Exit les « sales Japs » et autres écarts de langage dans la bouche des boys de l’US Air Force et de la Navy.

Pour autant, le film n’en présente pas moins toute la panoplie des clichés inhérents au war movie américain. C’est ce que relève Gianni Haver, de l’Institut de recherches interdisciplinaires (IRI), à Lausanne, directeur de publication d’un ouvrage collectif consacré à la représentation des ennemis dans le cinéma « allié » de la Deuxième Guerre mondiale. Un ouvrage dont on ne peut que constater l’étonnante actualité, avec le retour en grâce d’un cinéma belliqueux et pseudo-historique du type Pearl Harbor. Retour, avec Gianni Haver, sur les stéréotypes du ciné guerrier d’hier et d’aujourd’hui.

Sur la base des films de la Seconde Guerre que vous avez visionnés, quelle image de l’ennemi le cinéma des Alliés véhiculait-il à l’époque?

Gianni Haver: -Tout d’abord, par sa présence constante sur les écrans, c’est le Ciné-Journal que le public suisse voyait le plus, ainsi que les documentaires de la section Films de l’armée, tournés par des cinéastes sous les drapeaux. Les thèmes de prédilection étaient bien sûr la Mob, le réduit national et la « défense spirituelle » de la Suisse, tout en mettant l’accent sur notre vocation humanitaire. En ce qui concerne les fictions, cette production, essentiellement américaine et anglaise, cultivait trois stéréotypes: l’Allemand, un adversaire dangereux, efficace et presque respectable malgré l’emprise du nazisme, lequel était comme une maladie dont il était susceptible de guérir. Passons sur l’Italien, présenté comme un bon vivant pas vraiment fait pour la guerre. En revanche, le Japonais, lui, était toujours sournois, cruel, et agissait comme un kamikaze imprévisible. Ce qu’il est intéressant de relever, c’est que dans le cinéma de guerre récent cette triade est toujours de mise.

Justement, après la mauvaise conscience du Vietnam, dans les années 70 et 80, on dirait que le cinéma américain n’a plus de complexes vis-à-vis de son histoire.

-C’est vrai. L’esprit critique, voire autocritique, a disparu. A l’inverse, pour ce qui est du patriotisme Hollywood n’a plus besoin des directives de « ‘Office of War Information », qui contrôlait la production à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Au contraire, depuis Independence Day, il fait de nouveau partie de la recette du succès d’un film, au même titre que les stars et les effets spéciaux. Or un film comme Pearl Harbor pose plusieurs problèmes, de par les libertés qu’il prend avec la vérité historique et la résurgence de vieux stéréotypes. De fait, par l’impact de ces superproductions sur la culture populaire, donc sur l’opinion, ce type de film petit constituer un redoutable outil de justification de l’idéologie interventionniste américaine. Dans la mécanique d’un divertissement de masse, les faits historiques sont malléables à l’envi et peuvent servir des fins diverses. Avant tout celle du commerce, évidemment.

Racisme, révisionnisme: comment l’industrie d’Hollywood peut-elle concilier ce discours hégémonique et ses impératifs commerciaux à l’échelle mondiale?

-Les nécessités du « politically correct » dans le marché global ont forcé les producteurs de Pearl Harbor à retoucher les copies du film destinées au public japonais. Le film n’en montre pas moins un médecin asiatique, avec pignon sur le port militaire américain, fournir des informations stratégiques au Japon, ou un groupe de faux touristes nippons espionner la base de la Navy pour le compte de Hirohito. Sans parler du raid de représailles sur Tokyo, mené par des chasseurs américains! Un bombardement de civils, transformé ici en frappes chirurgicales sur des objectifs strictement militaires. La pratique est un peu déloyale niais, comme dans le reste de, rapports commerciaux, l’industrie américaine du spectacle petit forcer un peu la main de ses partenaires. Le public, lui, ne semble pas trop s’en émouvoir. Même si les Européens mordent moins à l’hameçon de l’héroïsme « made in Hollywood », ils vont avant tout consommer des effets spéciaux et un savoir-faire technique.

Pearl Harbor bat tous les records d’entrées, malgré des critiques désastreuses, y compris aux Etats-Unis. Que penser de ce décalage entre « l’intelligentsia culturelle » et le grand public?

-C’est un fait, le spectateur moyen ne lit pas nécessairement le New York Times! Des films plus critiques, voire cyniques, comme Mars Attack et Starship Troopers, n’ont pas marché aux Etats-Unis malgré leur débauche d’effets spéciaux. L’élément idéologique, dans Independance Day ou Pearl Harbor, n’est donc pas innocent de la part de studios qui réalisent des études de marché très poussées. Plus généralement, aujourd’hui le militarisme et l’isolationnisme ont à nouveau la cote aux Etats-Unis, comme le montre la résurgence du projet de bouclier anti-missiles. Dans ce sens, Disney a offert à Bush Jr son film de propagande idéal. N’oublions pas que son père fut pilote de chasse durant la Seconde Guerre mondiale!

Roderic Mounir, Le Courrier/La Liberté, 23 juin 2001

Der Krieg im Kino

Seit Jahren klebt die Schweiz des Zweiten Weltkriegs auf dem Objektträger von Historikern, Soziologinnen, Politikern und Publizistinnen. Auch die Filmwissenschaft hat zum Entwurf eines kritischen Bildes jener Zeit Neues beigetragen. Jüngst nun La Suisse, les alliés et le cinéma, herausgegeben von Gianni Haver von der Universität Lausanne, erschienen als erster Band der Reihe « Médias & Histoire ». Zwei der sechs Beiträge verstehen sich als französischsprachige Einführungen in Gebiete, zu denen die angelsächsische Literatur ungleich Umfassenderes zu bieten hat: Hollywoods Stereotypisierung asiatischer Figuren in Krisenzeiten und die Klassen einende Rhethorik britischer Unterhaltungsfilme aus den Kriegsjahren. Ein dritter Beitrag präsentiert erste Ergebnisse einer Studie, die dem Propagandistischen im britischen Dokumentarfilmschaffen nachspürt, ausgehend von Schweizer Zeitungsberichten zu den Werken.

Diesen Ansatz teilen die beiden wichtigsten Artikel. Wie das Schweizer Kinopublikum den Krieg in den Lichtspielhäusern erlebte, interessiert Gianni Haver. Auszüge von Kritiken beiziehend, entwirft er eine Programmchronik der vorgeführten Spielfilme, Wochenschauen und Dokumentationen: Während die Schweizer Filmproduktion im Dienste der geistigen Landesverteidigung Nationalmythen beschwor, lieferten importierte Filme von der Zensur zurechtgestutzte-Eindrücke von den Kriegsschauplätzen, welche die dahim fabriziert – Vorstellung von der Schweiz als Oase bestärkten. François Lorétan geht der Frage nach, weshalb Genfer und Lausanner Rezensenten in bestimmten Phasen manch einen amerikanischen Film mit augenflällig propagandistischem Ton als « ungetrübte Unterhaltung », in andern Phasen hingegen Gleichgeartetes als « Propaganda » bezeichneten. Ein « biographisches Aperçu » schliesslich listet die weischen Filmkritiker der Jahre 1930 bis 1945 auf.

La Suisse, les alliés et le cinéma ist akademisch skrupulös in der Offenlegung seiner Daten, dennoch zugänglich und vor allem: ein kleiner, aber wesentlicher Baustein in der revisionistischen Schweizer Filmgeschichtschreibung. In diesen Tagen erscheint der zweite Band der Reihe De beaux lendemains? Histoire, société et politique dans la science-fiction; darin findet sich auch die wohl erste filmwissenschaftliche Auseinandersetzung mit Fredi Murers Sci-Fi-Episode 2069.

Mau, Neue Zürcher Zeitung, 11.01.02

 

Comment décrire et comprendre les divers discours de propagande véhiculés par le cinéma pendant la seconde guerre mondiale? À cette vaste question, l’ouvrage collectif dirigé par Gianni Haver, première livraison de la collection « Médias et histoire » aux éditions Antipodes, propose une réponse à travers la forme même de son interrogation  il est intéressant en effet de partir du point de vue de la Suisse. Neutre, le pays refuse de s’opposer à une puissance étrangère par les armes. Que peut-il bien nous apprendre de la propagande? Le paradoxe, bien sûr, n’est qu’apparent. La Suisse a connu elle aussi sa propagande intérieure, la « défense spirituelle nationale », mise au service de l’unité du pays, dont les films de cette époque sont empreints. La confrontation de l’analyse du phénomène en Suisse et dans les pays Alliés-l’ouvrage s’est limité aux États-Unis et au Royaume-Uni-structure le parcours du lecteur: c’est à lui qu’il revient de tirer les liens et de formuler les oppositions, car les articles, fruits de recherches ciblées, se présentent comme des études de cas. La représentation de la guerre est le fil conducteur de ces travaux qui abordent, pour nombre d’entre eux, à la fois la constitution et la définition symboliques de l’ennemi et la construction identitaire d’une image de soi conforme à certaines valeurs susceptibles de soutenir l’effort de guerre. Ainsi, la première étude, consacrée aux Alliés, propose une définition de la figure de l’Asiatique dans le cinéma hollywoodien, partant de l’époque du muet et montrant la circulation du stéréotype de l’Oriental qui, faisant varier les origines-chinoise, japonaise, vietnamienne-, se retrouve aujourd’hui dans la présentation des pays arabes (Robert Jaquier). Il apparaît clairement dans ce travail comme dans celui qui concerne le cinéma de fiction anglais (Julie Zaugg) que la volonté d’unir les forces du pays autour d’un même combat amène à donner un rôle typé à des représentants de différents groupes sociaux, mais sans jamais annuler les hiérarchies de classe ni de sexe. Si le cinéma anglais semble promouvoir la femme naturelle, moderne, active et investie dans la défense nationale, nombre de films font pourtant apparaître l’ambiguïté du discours de propagande, laissant entendre que, après la guerre, tout rentrera dans l' »ordre ». À ces deux approches fondées sur l’analyse des représentations s’ajoute une étude du documentaire anglais abordé dans son contexte de production: l’analyse des discours filmiques est articulée au cadre institutionnel et politique, tenant compte notamment du rôle du Ministery of Information (MOI), de l’influence de Grierson et de la place des documentaristes de gauche associés à la politique du gouvernement, ainsi que des processus de diffusion des films: le documentaire offre un cas de propagande moins virulente, moins démonstrative que les fictions ou les actualités filmées (Mathieu Camal).

Après ces trois études qui dialoguent avec les recherches anglo-saxonnes menées sur la question, l’article de G. Haver inaugure la seconde moitié de l’ouvrage, centré sur le domaine helvétique. Sur ce terrain encore peu exploré, l’historien est d’emblée amené à relativiser. Parler des films projetés en Suisse revient à parler majoritairement de films étrangers: la production helvétique ne couvre en effet que des pourcentages dérisoires du marché, n’atteignant que 0,37 % en 1940 dans une ville comme Lausanne. Il n’en reste pas moins que les films helvétiques sont accompagnés, à leur sortie, de débats autour des questions identitaires et nationales. Trois films sortent peu de temps avant le début de la guerre, en prise avec les questions qui touchent à la période d’effervescence qui précède le conflit: Notre armée (Unsere Armee, 1939), d’Arthur Porchet et Jacques Béranger; La Suisse en armes (Wehrhafte Schweiz, 1939), de Hermann Haller; Le fusilier Wipf (Fusilier Wipf, 1939), de Leopold Lindtberg et H. Haller. À cela s’ajoutent les films du Cinéjournal suisse (CJS), dès le 1er août 1940, et ceux que produit le Service des films de l’armée (SFA), projetés eux aussi dans les salles commerciales. La politique de neutralité interdit en principe la représentation directe du conflit sur les écrans helvétiques. Nombre de productions étrangères y faisant référence parviennent cependant à passer la censure. La réception des films, plus que le contenu de leurs représentations, est alors ce qui retient l’intérêt de l’historien car les réactions des commentateurs par rapport à la propagande américaine laissent transparaître un malaise. Analysant les articles de presse, c’est sur cette question que se penche François Lorétan, apportant plusieurs hypothèses après avoir repéré les changements d’attitude des chroniqueurs en fonction des périodes de la guerre. Il est frappant d’observer que ce n’est pas au moment ou la propagande est la plus fréquente et la plus agressive, c’est-à-dire en 1944-1945, que les critiques réagissent au terme même de propagande. La tendance est au contraire à adopter une attitude de déni, d’effacement ou d’évitement, qui consiste simplement, par exemple, à ne pas évoquer le caractère propagandiste du film ou à qualifier « d’instructifs » certains aspects du discours analysé. À lire cet ouvrage, il apparaît clairement que les approches sur le cinéma suisse articulent systématiquement leur réflexion à partir de l’étude de la réception. Ceci n’est que peu surprenant, car la recherche sur le cinéma suisse, particulièrement en Suisse Romande, s’est fortement développée dans cette direction sous l’impulsion de l’université de Lausanne.

Cet ensemble d’articles a l’avantage de proposer une approche de la réception cinématographique dans le champ helvétique pour une période encore peu traitée. Un troisième article (Isabelle Paccaud) est d’ailleurs très explicitement consacré à la présentation des chroniqueurs romands de l’époque de la guerre.

Maria Tortajada, Les Annales, avril 2003.