La province n’est plus la province.

Les relations culturelles franco-suisses à l'épreuve de la Secon

Clavien, Alain, Gullotti, Hervé, Marti, Pierre,

2003, 365 pages, 25 €, ISBN:2-940146-34-9

La Seconde Guerre mondiale est un moment singulier dans l’histoire des relations culturelles entre la Suisse et la France. Au lendemain de la défaite, en effet, Paris occupé perd de son prestige et de son irrésistible pouvoir d’attraction; l’édition, la presse, les revues, les hiérarchies intellectuelles, tout est bouleversé par la défaite et l’Occupation. Les milieux culturels de la Suisse épargnée ne connaissent pas une telle déstructuration. Certes, la censure veille et les embarras ne manquent pas, mais jamais au point de véritablement gripper le fonctionnement du champ culturel helvétique. Les artistes et intellectuels français d’avant guerre n’avaient pour lui que condescendance, les voilà qui se pressent au portillon des quotidiens romands pour s’y faire publier et gagner quelque argent.

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Description

La Seconde Guerre mondiale est un moment singulier dans l’histoire des relations culturelles entre la Suisse et la France. Au lendemain de la défaite, en effet, Paris occupé perd de son prestige et de son irrésistible pouvoir d’attraction; l’édition, la presse, les revues, les hiérarchies intellectuelles, tout est bouleversé par la défaite et l’Occupation. Les milieux culturels de la Suisse épargnée ne connaissent pas une telle déstructuration. Certes, la censure veille et les embarras ne manquent pas, mais jamais au point de véritablement gripper le fonctionnement du champ culturel helvétique.

Les artistes et intellectuels français d’avant guerre n’avaient pour lui que condescendance, les voilà qui se pressent au portillon des quotidiens romands pour s’y faire publier et gagner quelque argent, les voilà qui se font éditer en Suisse, qui tentent de se faire nommer professeur à l’Université de Lausanne ou Genève, qui préfèrent la quiétude d’un petit village lémanique aux cartes de rationnement de Paris, qui passent la frontière en douce pour chercher un abri.

Comme le constate, en 1942, ébloui, le poète et chroniqueur vaudois Daniel Simond: « La province n’est plus la province. »

Presse

Sur Les Clionautes

Rencontrées lors du dernier Salon du livre des sciences humaines les éditions Antipodes proposent un catalogue varié en histoire. Si beaucoup de choses ont pu être écrites sur la confédération helvétique pendant la seconde guerre mondiale, plus rares sont les études sur les relations avec la France. C’est la raison pour laquelle notre rédacteur a choisi de traiter cet ouvrage, paru il y a dix ans, mais toujours au catalogue de cet éditeur.

Les Éditions suisses Antipodes ont publié en 2003 cet ouvrage dont les auteurs sont des universitaires de Fribourg, membres du Groupe de recherches en histoire intellectuelle contemporaine. Il a pour thème les relations culturelles entre la France et la Suisse romande durant la Seconde Guerre mondiale, mais les immédiats avant et après-guerre ont été inclus dans l’étude afin de pouvoir montrer, d’une part ce qui va changer avec le conflit, d’autre part, dans quelle mesure les changements perdurent, s’ils laissent des traces ou s’ils s’effacent rapidement.

Par relations culturelles il faut entendre:

  • Les relations personnelles privées et les réseaux intellectuels, qui s’extériorisent souvent par le placement croisé d’articles français dans des journaux et revues suisses ou inversement.

  • Les relations commerciales, appréhendées par l’examen de la presse, de l’édition et des conférences.

  • Les chassés-croisés qui voient les uns, d’abord résistants, puis vichystes, se réfugier en Suisse et collaborer à sa vie intellectuelle, tandis que d’autres « montent » à Paris se mettre au service de l’occupant.

  • Les relations institutionnelles que constituent les politiques culturelles.

Il s’agit d’un ouvrage universitaire, construit en 13 chapitres regroupés en trois parties, complétées par quelques notices biographiques, une solide bibliographie, un inventaire des sources (de très nombreux fonds d’archives français et suisses, publics et privés ont été inventoriés ainsi que des journaux et revues) et d’un index des noms. L’étude est très technique et très rigoureuse (plus de 800 notes infrapaginales) et la recherche privilégie surtout le point de vue suisse. Mais la qualité de l’écriture, la clarté de la construction et la limpidité de l’expression, en rendent la lecture aisée et tout à fait utile à la connaissance de l’histoire culturelle et politique française.

Première partie. Avant-guerre: 1935-1940

Les trois chapitres de cette première partie montrent que dans l’avant-guerre les relations culturelles franco-suisses sont marquées par la très nette domination du centre parisien sur une périphérie suisse romande, regardée avec condescendance comme provinciale.

Le tropisme parisien

Paris est alors la capitale de la culture, européenne et même mondiale. Pour un écrivain francophone, la consécration est forcément parisienne, c’est plus globalement la capitale des arts et des lettres qui attirent les étudiants étrangers. Si Paris et le centre, la Suisse romande n’est rien d’autre qu’une périphérie provinciale. Les quelques intellectuels et écrivains français qui résident alors en Suisse, tels Jacques Chardonne, Pierre Jean Jouve, Romain Rolland ou Edmond Jaloux, le sont pour s’y faire soigner ou y prendre des vacances. Les Suisses qui « montent » à Paris, au contraire, ont l’intention d’y faire leurs études ou l’ambition de se lancer dans la vie littéraire, de se faire une place, le plus rapidement possible. Les auteurs appellent ces derniers des « Rastignac », qui parviennent parfois à tisser un large réseau de connaissances. C’est le cas du dramaturge et pamphlétaire genevois Georges Oltramare qui démarche les directeurs de théâtre et fréquente le milieu des comédiens: Michel Simon et Robert Le Vigan sont ses amis, et ce dernier est lui-même un ami de Louis-Ferdinand Céline. De retour à Genève en 1930, Oltramare se lance dans la politique et devient le leader d’une organisation fasciste.

Les relations personnelles des journalistes et écrivains

Le Journal de Genève est alors l’un des pôles majeurs de la vie littéraire et intellectuelle romande. L’équipe littéraire du journal dispose d’une position dominante, qui repose sur la notoriété et le talent de quelques hommes de lettres, fils de famille de la grande bourgeoisie, politiquement de droite. Ce sont des critiques écoutés du public cultivé et ils présentent fréquemment des livres d’auteurs français connus. Ils ont de solides amitiés françaises et proposent régulièrement à leurs lecteurs des contributions d’intellectuels français, eux aussi de droite. « Dans le courant des années 30 s’instaure ainsi par-dessus la frontière, entre deux milieux intellectuels proches, un système de circulation fluide, lubrifié par une homologie des positions et une connivence de classe. » À côté du Journal de Genève, La Gazette de Lausanne est le second quotidien romand qui publie régulièrement des intellectuels français, mais il le fait uniquement pour des raisons commerciales, aucune relation personnelle, aucune connivence n’est ici en jeu. Parmi les signatures qui reviennent le plus souvent, celles d’André Maurois, de Paul Morand, d’Abel Bonnard, de Georges Duhamel. Leurs articles sont sans intérêt, ce sont des bavardages mondains « témoignant de l’arrogance et de la suffisance des intellectuels parisiens face à la périphérie ». Les revues littéraires de la Suisse romande sont alors très francophiles, mais à Paris on trouve qu’elles font « provincial ».

Les relations institutionnelles

Les contacts personnels entre journalistes et écrivains ne constituent pas la somme des relations intellectuelles entre la France et la Suisse. Il faut tenir compte également des contacts institutionnels, académiques et associatifs, dont l’étude permet de saisir la réalité des politiques déployées par les diplomaties suisse et française. Mais là encore, les échanges sont déséquilibrés.

En 1920 a été créé le Service des oeuvres françaises à l’étranger, dont la mission première est de travailler à l’image de la France, à son « influence morale et intellectuelle dans le monde », elle est donc un instrument culturel de la diplomatie. Par contre les autorités fédérales suisses n’ont jamais cru nécessaire de développer une politique culturelle extérieure. La pression nazie provoque un changement et la création, en octobre 1939, d’un organisme destiné à promouvoir et défendre une singularité culturelle suisse, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, Pro Helvetia.

L’action culturelle française en Suisse s’appuie sur une série d’associations créées sous l’impulsion de Français établis en Suisse ou fondées sur l’initiative de citoyens helvètes francophiles. Mais elle passe aussi par la présence de professeurs français dans les universités helvétiques, qu’ils soient invités ponctuellement ou qu’ils occupent une chaire de manière permanente. Elle passe enfin par l’organisation de conférences françaises en Suisse, données par des écrivains, des académiciens, parfois des militaires, dont la mission diplomatique française en Suisse suit de très près les tournées. La Suisse n’est cependant pas une priorité dans la politique culturelle française, sa part dans le budget de cette politique étant inférieure à celle de la Pologne ou de la Yougoslavie.

Deuxième partie. La guerre: 1940-1944

Six chapitres composent cette seconde partie, la plus importante du livre dont elle occupe la moitié du volume. Elle montre que, puisque Paris n’est plus Paris, « La province n’est plus la province », comme le constate, avec joie, en 1942, un poète et chroniqueur vaudois. La Seconde Guerre mondiale apparaît comme un moment singulier dans l’histoire des relations culturelles entre la Suisse et la France: Paris perd de son prestige et les artistes et intellectuels français d’avant-guerre qui n’avaient pour la Suisse que condescendance, cherchent désormais à s’y faire publier ou à s’y faire nommer professeur. Mais l’étude montre également que la Suisse n’est pas alors qu’un havre de liberté pour des écrivains censurés en France, que la Révolution nationale y est souvent très appréciée, que la censure y existe, que le collaborationnisme s’y déploie, et que la résistance n’y sera la bienvenue qu’assez tardivement.

Censure française et censure suisse

L’édition française est désormais étroitement contrôlée et encadrée par l’occupant qui met en place un solide appareil de répression. La presse française est soumise aux autorités allemandes dans la zone occupée et à la censure vichyste dans la zone Sud; dans les deux zones les réductions d’attribution de papier obligent les journaux et les revues à diminuer à la fois leur format, le nombre de pages de leurs numéros et leur fréquence de parution. Beaucoup d’intellectuels sont désormais confrontés à la nécessité de subvenir à leurs besoins financiers.

La Suisse n’a pas attendu la guerre pour contrôler la presse, mais ce contrôle s’est renforcé avec la guerre et un organisme dépendant de l’armée a été créé, afin de surveiller toute publication ou information qui remettrait en cause la neutralité du pays. Cet organisme met en place des offices de censure régionaux.

Pour le Conseil fédéral suisse, le gouvernement de Vichy est le légitime successeur du gouvernement de Paul Reynaud. « La Suisse cultive avec son voisin hexagonal des rapports qu’il serait malvenu d’interrompre et auquel il serait même inconcevable de renoncer ». Les journaux qui veulent exporter en France devront donc accepter de se soumettre à la censure française.

Les partisans suisses de la Révolution nationale, et ceux qui s’en accommodent

Pour La Gazette de Lausanne et Le Journal de Genève, la guerre a d’abord des aspects bénéfiques car les tirages s’envolent, dopés par les ventes en France. On décide de retrancher de l’édition suisse les dépêches d’agences anglo-saxonnes et « tout ce qui pourrait contrarier le gouvernement de Vichy ». Mais en octobre 1942, les exigences de la censure française sont telles que le gouvernement suisse demande aux journaux de renoncer à la vente en France.

Les collaborations françaises à ces deux journaux suisses sont également en augmentation, mais elles sont plus politiques au Journal de Genève que chez son confrère, car il soutient la politique pétainiste et tente même de s’imposer comme une des voix importantes du débat intellectuel hexagonal. Il est ainsi à l’origine d’un débat polémique sur la responsabilité de la littérature française de l’entre-deux-guerres dans la défaite, débat qui se fait avec des journaux français, Le Figaro, Le Temps, Candide, L’Action française etc. Les Suisses interviennent dans la discussion sur un pied d’égalité avec leurs confrères français: la province n’est plus la province! La censure suisse ne trouve rien à redire à cette défense de la Révolution nationale.

Au printemps 1941, plusieurs intellectuels proches du Journal de Genève fondent une nouvelle maison d’édition, Le Milieu du Monde. « Offrir aux amis, tant suisses que français, la possibilité de publier et d’être diffusés, en ces temps où l’édition d’outre-Jura connaît de sérieuses difficultés, est une autre manière de s’intégrer au monde intellectuel français. Calcul commercial, intérêts politiques, ambitions littéraires se mêlent pour déboucher sur un catalogue de 130 titres en 1950. »

Le Milieu du Monde soumet systématiquement ses ouvrages aux censeurs de Vichy, ce qui le conduit à se concentrer sur la littérature et l’histoire, et à ne plus publier d’ouvrages ouvertement politiques. À l’été 1944, Le Milieu du Monde prend des contacts qui le conduisent à publier des témoignages de résistants, opportunisme qui cependant divise profondément la direction. L’un de ses membres quitte la maison et, avec la complicité de l’ancien conseiller d’ambassade français Jean Jardin, lance les éditions du Cheval Ailé, qui se spécialiseront dans la publication de livres d’anciens collaborateurs et collaborationnistes.

Fondée en 1939, la revue Le Mois suisse s’établit sur une ligne nettement pro fasciste, et accepte des financements italiens et allemands. À ses yeux, l’Axe a gagné la guerre et il faut sans attendre s’adapter à l’Europe nouvelle. Ni la censure, ni les grands journaux de droite ne s’offusquent d’une telle vision, du moins jusqu’à ce que la revue ne remette en cause la neutralité suisse en proposant l’alignement du pays sur l’Axe. Dès le printemps 1943, Le Mois suisse passe dans le camp du collaborationnisme le plus extrême.

Des relations institutionnelles qui demeurent inégales

« La guerre ne modifie pas foncièrement le schéma des rapports institutionnels entre la France et la Suisse. Elle n’entame pas la détermination française à maintenir en Suisse une propagande intellectuelle active. » Sous couvert de conférences littéraires, les autorités de Vichy encouragent l’envoi en Suisse des plus fidèles disciples de la Révolution nationale. Du côté suisse, malgré un attachement maintes fois répété à la neutralité intégrale, les autorités fédérales laissent pénétrer en Suisse les défenseurs de la Révolution nationale alors qu’elles se montrent plus réticentes par rapport à la France résistante. Durant tout le conflit, la mission diplomatique française veille à maintenir une présence dans les milieux scolaires suisses. Hormis quelques professeurs d’université invités à venir donner des conférences scientifiques en France, aucun intellectuel suisse ne traverse la frontière durant la Seconde Guerre mondiale pour aller prendre la parole dans l’Hexagone.

La Suisse, « refuge de la pensée libre »

À l’automne 1940, naît une revue assez confidentielle, Traits, adressée sous pli à un cercle restreint d’abonnés. Affirmant vouloir préserver ce qu’ils considèrent comme l’essence de la Suisse, les valeurs de liberté, de justice sociale et d’engagement moral, les rédacteurs en arrivent à une sévère critique de la politique menée par les autorités, en particulier les restrictions au droit d’asile. La revue adopte une vue panoramique sur le conflit mondial et publie une revue de presse internationale originale. Elle publie des écrivains français et consacre de fréquentes chroniques à des auteurs de la résistance; elle estimera avoir été en Suisse le relais de la pensée française et un surgeon de l’esprit de résistance à l’Ordre nouveau. Les auteurs estiment que l’existence de cette revue démontre qu’un « espace d’expression existait réellement, comme le prouve l’exemple de quelques voix fortes, parfois tancées mais jamais totalement bâillonnées ».

Attaché de la légation suisse à Vichy, François Lachenal anime en Suisse les éditions des Trois Collines, tout en jouant les passeurs de manuscrits, de livres et de revues, au cours de ces incessantes traversées de frontière. Il fait paraître en Suisse une édition clandestine d’un recueil de poèmes anonymes que les Éditions de Minuit réalisèrent en juillet 1943, L’Honneur des poètes.

Les Cahiers du Rhône, édités dans le canton de Neuchâtel, sont généralement considérés comme « le refuge de la pensée libre ». Le fondateur, Albert Béguin, entretient des relations avec la revue algéroise Fontaine, dirigé par Max-Pol Fouchet. Cette revue publie surtout des auteurs français, dont la plupart sont catholiques (Pierre Jean Jouve, Jacques Maritain), mais on y trouve aussi Aragon (Les yeux d’Elsa et Brocéliande) ou Éluard. La censure se montra très indulgente, et Les Cahiers du Rhône furent même subventionnés par la fondation Pro Helvetia, ce qui témoigne de la faveur de la Suisse officielle. Les auteurs font observer, et démontrent que « L’expérience éditoriale des Cahiers du Rhône ne saurait, en dépit de son rayonnement particulier, résumer le foisonnement exceptionnel du monde littéraire romand au début des années 40. Les initiatives se succèdent, mêlant les hommes et les milieux les plus divers, pour des réalisations dont les points communs semblent être une certaine idée de la culture chez les initiateurs et un succès de diffusion tout à fait inédit.« 

Chassés-croisés

La guerre provoque une série de chassés-croisés géographiques pour une frange d’intellectuels suisses et français. Quelques intellectuels français doivent quitter une France qui leur est devenue hostile. Mais la Suisse accueille également certains défenseurs du pétainisme tombés en disgrâce à Vichy suite au retour de Pierre Laval au pouvoir (René Gillouin, Bertrand de Jouvenel, Francis Carco). Viennent également en Suisse, des intellectuels soucieux de se dégager des tracas financiers: c’est le cas d’Edmond Jaloux. Mais certains intellectuels gaullistes sont eux aussi attirés par le confort matériel qu’offre la Suisse: c’est le cas d’Henri Guillemin ou de Pierre Jean Jouve. Pour certains intellectuels helvétiques, l’heure est à la recherche d’une reconnaissance dans le Paris allemand: c’est le cas de Georges Montandon, qui est nommé expert racial auprès du Commissariat général aux questions juives, et abattu par la résistance en août 1944; c’est aussi le cas de Georges Oltramare qui devient un proche d’Otto Abetz, dirige le journal collaborationniste La France au travail, puis devient une véritable vedette de la radio, spécialisée dans l’antisémitisme et l’antimaçonnisme.

Troisième partie. L’après-guerre 1944-1950

Les quatre chapitres de la troisième partie montre que rien n’a changé en profondeur dans les relations de dépendance du champ culturel suisse romand par rapport au centre parisien. Le modèle centre périphérie continue de prévaloir.

Chassés-croisés bis

A la libération, les Suisses compromis rentrent au pays en se faisant discrets, ce qui ne leur évitera pas toujours des procès pour mise en danger de la sécurité du pays et trahison en faveur de l’Allemagne. Mais ils échappent ainsi à la justice française, qui, par contumace, prononcera contre eux des peines plus sévères. Certains collaborateurs français se tournent vers la Suisse, à la recherche d’un exil sûr, parfois après un passage par Sigmaringen. Le flux d’intellectuels collaborationnistes ou pétainistes qui veulent s’installer en Suisse dure de 1943 à 1950, mais les auteurs distinguent deux pics: le printemps 1945 (ils développent le cas du journaliste Jean Azéma qui sera autorisé à émigrer en Argentine) et l’année 1947. L’ancien directeur de cabinet de Pierre Laval, Jean Jardin, joue un rôle très important dans le soutien actif à ces émigrés de la collaboration, y compris en leur permettant de publier leur défense dans une maison d’édition spécialisée, Au Cheval Ailé. Les collaborationnistes suisses, français et belges disposent également d’une revue, Le Courrier du continent, pour continuer à mener leur combat d’extrême droite sur deux axes principaux: l’Europe et la réécriture de l’histoire. Avec les lois d’amnistie de 1951 et 1953, la plupart des intellectuels compromis réfugiés en Suisse vont rentrer au pays, tandis que plusieurs suisses condamnés s’installeront en Argentine à leur sortie de prison.

Relations institutionnelles: continuité française, évolution suisse

L’action culturelle de la France en Suisse ne s’interrompt pas à la Libération. Les tournées de conférenciers français recommencent, « sous l’oeil attentif de la mission diplomatique française, qui tente de mettre en place des réseaux institutionnels dévoués à la cause de la France nouvelle et d’écarter les structures de sociabilité nostalgiques de Vichy ». Henri Guillemin est nommé attaché culturel en avril 1945, entamant une longue carrière diplomatique en Suisse.

Par contre, et c’est nouveau, les autorités suisses élaborent un discours culturel destiné à l’étranger. Les premiers instruments d’une telle politique sont façonnés, les premières initiatives culturelles et universitaires échafaudées, au moment où le pays traverse une période de crise sur la scène diplomatique internationale et réfléchit au concept de neutralité intégrale alors qu’éclate la guerre froide. Pro Helvetia organise désormais des manifestations culturelles à l’étranger, notamment en France, tandis que sont créés les premiers postes d’attachés culturels. Mais il faudra attendre 1985 pour qu’un centre culturel suisse, subventionné par Pro Helvetia, voie le jour à Paris.

La province redevient la province

En peu de temps Paris redevient le centre intellectuel du monde francophone, aux dépens des foyers alternatifs de culture, dont la Suisse romande, « Paris recouvre ses privilèges et ses monopoles de fait ». Les intellectuels français qui avaient trouvé en Suisse un asile sous l’occupation vont, pour la plupart, regagner la France dès la Libération, du moins quand ils ne se sont pas trop compromis avec Vichy: Edmond Jaloux et Paul Morand choisissent par exemple de prolonger leur exil! Les maisons d’édition françaises reprennent de la vigueur tandis que les petites maisons d’édition suisses ne réussissent pas leur implantation.

Si les liens ont été étroits et nombreux entre les intellectuels français et suisses pendant les années sombres, ils n’ont pas inauguré une nouvelle période dans les relations culturelles franco-suisses. C’est même plus grave, car la coopération active qui existait entre quelques milieux intellectuels français et suisses avant la guerre (autour de la revue Esprit par exemple) va s’évanouir après le conflit. « La nouvelle génération qui se précipite vers Paris libéré va certes nouer de nouveaux liens. Et la mode de l’existentialisme germanopratin n’épargne pas les étudiants suisses. Mais on reste ici dans une relation classique de dépendance. »

Joël Drogland, Les Clionautes, 14 décembre 2013

Dans Suisse Magazine

« Provincial, le mot est lâché et tout ce qu’il contient de complexe romand et de morgue française se retrouve à des degrés divers dans les expériences de contacts culturels entre les deux pays ».

Entre les deux guerres, de jeunes revues suisses se créent et éprouvent le besoin de chercher une sorte de consécration auprès des écrivains français, parisiens en particulier. Exercice à double tranchant: tantôt quelques auteurs condescendent à publier dans les revues suisses, tantôt ils y envoient ce dont les éditeurs français n’ont pas voulu.

En 1932, à l’apparition de la revue Esprit, une vague de sympathisants, souvent étudiants, animent des groupes d’études qui, en Suisse allemande égaIement, débattent d’un personnalisme à la mode helvète. La guerre va modifier profondément toutes les données.

En France, les intellectuels sont souvent les boucs émissaires du nouveau régime. La recherche d’éventuels aïeux juifs permet d’éliminer de nombreux écrivains.

Ceux qui, avant la guerre, avaient été en relations avec la Gazette de Lausanne ou le Journal de Genève se tournent alors vers la Suisse pour essayer de survivre grâce à des articles, des livres ou des tournées de conférences.

La presse suisse est soumise à la censure. La Suisse a créé en 1939 la « Division Presse et Radio (DPR) » qui complète un arrêté de 1934 prévoyant un avertissement ou une interdiction pour les journaux dont les articles « en outrepassant d’une manière particulièrement grave les limites de la critique, menacent de troubler les bonnes relations de la Suisse avec d’autres États. » La France, elle aussi, censure les publications su isses dont une grande partie sont lues en France (La Gazette de Lausanne par exemple, verra son tirage quotidien passer de 12 900 en mars 1939 à 36 300 en mars 1941).

La censure de Vichy fait comprendre au Conseil d’administration de la Gazette l’utilité de publier des écrivains proches du maréchal. Cela durera un certain temps, mais dès 1943-1944, les témoignages de résistants sont en première place.

Le Journal de Genève verra lui aussi son tirage passer de 13 300 exemplaires en 1939 à 61 300 en avril 1942. Ses liens avec des écrivains conservateurs et vichystes lui évitent une partie des ennuis de la censure française, tout au moins jusqu’en octobre 1942 où les journaux suisses, devant la dictature de Vichy, renoncent à leur clientèle française.

Une sorte de navette se produit entre la France et la Suisse pendant toute la période de la guerre et parfois même audelà. De nombreux écrivains et journalistes français de toutes tendances bénéficient en Suisse de moyens financiers et d’une tribune pour exposer leurs idées. Quelques Suisses dont les idées sont proches des nazis se rendent en France pour obtenir une reconnaissance qu’ils estiment leur manquer dans leur pays. À la solde de l’occupant, ils y feront beaucoup de mal et l’un d’eux sera même exécuté par la résistance. Dès la fin des hostilités, Français et Suisses fuient l’épuration et tentent de se réfugier, clandestinement ou non, dans le paradis helvétique. La Confédération en jugera et condamnera quelques-uns, en refoulera d’autres et en aidera même à s’exiler en Amérique du Sud.

Il devient urgent de promouvoir une politique culturelle active. Pro Helvetia « conçu en premier lieu comme un rempart de la culture suisse face à la propagande étrangère » est appelé à financer de nombreuses manifestations à l’étranger et avec l’aide d’autres organismes, des tournées de conférences en Suisse. André Siegfried, par exemple, y trouvera la matière de son livre La Suisse démocratie-témoin. Il y remarquera: « Voici un pays qui, presque seul en Europe, a traversé les deux catastrophes sans y être entraÎné. Il a mobilisé, s’est porté à ses frontières pour en préserver l’intégrité; nous savons qu’il se serait battu pour son indépendance. C’est sans doute parce que les agresseurs possibles le savaient aussi qu’ils n’ont pas essayé de violer sa neutralité ». Si c’est peut-être une des raisons, ce n’est sans doute pas la seule. 

Juliette David, Suisse Magazine 227-228/2008, p.20

 

Quand la culture romande rivalisait avec Paris

Les relations intellectuelles entre la Suisse et la France pendant la Deuxième Guerre mondiale ont été fortement influencées par les conséquences du conflit. L’étude de trois historiens de l’Université de Fribourg livre une contribution passionnante à l’histoire des intellectuels romands pendant la guerre. Avec en toile de fonds les diverses attitudes face aux régimes allemands et français.

La vie intellectuelle en Suisse romande a connu, pendant la Deuxième Guerre mondiale, une période exceptionnelle. Les contraintes et les restrictions vécues par les intellectuels français permettent à la Suisse de jouer un rôle plus important qu’en temps de paix dans la diffusion des idées. L’édition de livres et de revues est d’une fécondité inhabituelle. Les auteurs français sont nombreux à chercher en Suisse, qui un revenu, qui une tribune qu’ils ne peuvent plus trouver en France. Les liens tissés avant la guerre entre intellectuels des deux pays se renforcent. Soudain, la monde culturel romand prend de l’importance. Il n’est plus quantité négligeable. En 1942, Daniel Simond, actif dans de nombreux projets éditoriaux, résume le sentiment qui prévaut: « La province n’est plus la province ».

 Le livre des historiens Alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti explore les liens qui se tissent entre les intellectuels suisses et français pendant le conflit. Pour mettre en lumière les particularités de la période de guerre, les auteurs ont posé les bornes temporelles de leur étude à 1935 et 1950. On peut ainsi suivre l’évolution des contacts entre les lettrés suisses et français dans les années qui précèdent et qui suivent le conflit: à travers la presse, en particulier le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne, où écrivent de nombreux auteurs français, poursuivant une tradition initiée avant la guerre mais qui se développe avec elle; à travers l’édition; à travers aussi le développement des institutions suisses (la naissance de Pro Helvetia entre autres) et françaises qui favorisent l’échange des idées et des textes entre les deux pays. Mais surtout à travers le destin des hommes engagés dans cette période douloureuse et qui prennent des positions très diverses. Car si, insiste Alain Clavien, « ce livre n’est ni une histoire des intellectuels pendant la guerre, ni celle de leurs prises de position politiques », celles-ci apparaissent tout au long du livre: l’Occupation, la Révolution nationale, Vichy ne laissent personne indifférent dans les milieux intellectuels romands et français. Au fil des pages, il apparaît clairement qu’être intellectuel dans ces temps de guerre, c’est aussi, justement, prendre position.

Traits, Le Mois Suisse: Deux visages de la Suisse romande

Après la guerre, on a construit l’image d’une Suisse devenue refuge de la libre pensée. Alain Clavien la nuance pourtant: « Croire que les auteurs français publiaient en Suisse tout ce qu’ils ne pouvaient pas publier en France est exagéré. Les livres publiés dans ce pays devaient aussi passer devant la censure et, puisque les projets éditoriaux visaient souvent le marché français, ils devaient aussi subir la censure française. » La censure suisse, reconnaît Alain Clavien, n’était pas toujours très ferme et « dépendait beaucoup des censeurs », mais la Suisse n’a pas été ce pur havre de la libre pensée. Parallèlement aux poèmes résistants publiés par quelques revues, de nombreux « zélateurs de Vichy », tel Edmond Jaloux, ont pu publier leurs textes et répandre leurs idées en Suisse pendant toute la durée de la guerre.

La diversité des attitudes des intellectuels romands eux-mêmes apparaît dans l’analyse des revues publiées pendant la guerre. Malgré la censure, destinée à ne s’attirer les foudres d’aucun des belligérants, des revues très engagées prennent naissance. L’exemple du Mois Suisse et de Traits, placés aux deux extrémités du spectre, est significatif. De 1939 à 1945, même s’il est peu lu en Suisse dès 1942, le premier défend clairement l’Ordre nouveau, en affichant son soutien à l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste qui le financent d’ailleurs. A l’opposé, la revue Traits ne cache pas son refus des deux dictatures, du régime de Vichy et sa défiance envers la politique du Conseil fédéral.

Entre ces deux prises de position radicales, c’est, selon l’expression de Francis Python qui préface l’ouvrage, « tout un marais ondoyant et opportuniste » que l’on peut observer en Suisse romande. Il apparaît souvent que les positions et les groupes de sympathie qui se forment à travers la frontière franco-suisse reposent sur des relations établies entre intellectuels français et suisses dans l’avant-guerre déjà. Des sympathies qui, comme on peut le voir dans le Journal de Genève, reposent selon Alain Clavien sur « certaines homologies sociales ». Les bourgeois libéraux du Journal de Genève ouvrent ainsi leurs colonnes à leurs pairs français qui ne sont pas à proprement parler des résistants.

« Le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne, note encore Alain Clavien, étaient pétainistes jusqu’en 1942″. Par la suite, avec la montée en puissance de de Gaulle, les deux journaux, opportunistes et toujours sensibles à leurs intérêts économiques, changeront quelque peu leur position. Mais certains de leurs collaborateurs, à l’image de Paul Gentizon, correspondant de la Gazette de Lausanne à Rome, donnent pendant toute la guerre des contributions au Mois Suisse, dans lesquels ils ne cachent pas leurs sympathies pour l’Europe nouvelle. Des prises de position qui ne dérangent guerre la rédaction qui les emploie.

Conséquences après la guerre

Lorsque la guerre se termine, en France, le tri se fait rapidement entre résistants et collaborateurs. Certains Suisses de Paris, en particulier ceux regroupés autour de Georges Oltramare, sont condamnés à mort par contumace. Georges Oltramare avait animé de 1941 à 1944 l’émission « Au rythme du temps » sur Radio-Paris: un « cabaret antisémite ». Comme plusieurs de ses camarades, il échappera à la mort en se réfugiant en Suisse. De nombreux collaborateurs français trouveront aussi un refuge confortable dans notre pays. Certains Suisses de Paris fuiront vers l’Argentine.

En Suisse, l’opinion dominante ne se sentira guère concernée par l’épuration. Rapidement, l’image d’une Suisse qui aurait d’un seul tenant défendu la cause de la liberté contre la dictature commencera à se construire. En janvier 1947, Olivier Reverdin se fait le porte-parole de l’attitude de la bourgeoisie suisse et du Journal de Genève dans le journal même: « Les Suisses peuvent être fiers de ceux qui ont dirigé leurs destinées pendant la guerre. Aucun n’a démérité. Ceux qui prétendent le contraire sont soit des égarés soit de grossiers imposteurs. Ils se recrutent principalement dans le Parti du travail. » Silence donc sur les compromissions et guerre contre le péril rouge.

Les Français, eux, n’oublieront pas de sitôt le rôle ambigu joué par la Suisse. Un rôle qui aura des conséquences directes sur le monde culturel romand après la guerre. Les liens qui se sont développés se tarissent vite et la Suisse romande ne tarde pas à redevenir une province culturelle. « Ceux qui avaient, en Suisse, joué le mauvais cheval pendant la guerre, remarque Alain Clavien, n’en subiront pas l’effet. Mais ceux qui avaient joué le bon n’en connaîtront pas les avantages. » A l’exception des personnalistes qui garderont leurs contacts à Paris. Parmi eux, Albert Béguin, qui succédera en 1950 à Emmanuel Mounier à la tête de la Revue Esprit.

Le pétainisme d’une grande partie de l’opinion bourgeoise et des titres et revues qui la véhiculaient pendant la guerre, le refus d’un examen de conscience à la fin du conflit, la politique de replis qui se développe dans le pays empêcheront, concluent les auteurs, la poursuite du rapprochement culturel franco-suisse après la guerre. « Il faudra, poursuivent-ils, attendre les années 60 pour que les échanges se fassent à nouveau plus fluides. »

Au final, Alain Clavien, Hervé Gullotti et Pierre Marti dressent un portrait tout en nuance de cette époque culturelle romande aussi prolifique qu’ambiguë. « Nous essayons de montrer, explique Alain Clavien, qu’il y avait des lourdeurs sociologiques, mais qui n’étaient pas pour autant des déterminismes. Certains sont arrivés à sortir de la vision convenue, à l’image d’Albert Béguin, et ils n’en sont que plus admirables. »

Un groupe de recherche en histoire intellectuelle contemporaine

Au moment où l’on parle beaucoup de pôles de compétence dans les universités suisses, la Chaire d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg a développé autour d’Alain Clavien et de Claude Hauser, qui viennent d’être nommés professeur associé à Fribourg, un groupe de recherche en histoire intellectuelle contemporaine (www.unifr.ch/grhic). Le livre « La province n’est plus la province », basé sur une recherche financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, s’inscrit parfaitement dans les thématiques développées par le GRHIC. Alain Clavien va par ailleurs entamer un nouveau projet de recherche financé par le même FNS: « L’affrontement entre la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève, 1890-1975: contribution à une histoire de la presse politique suisse. »

Charly Veuthey, La Liberté, Le Courrier, La Gruyère

 

L’ouvrage analyse le domaine de la littérature: pages littéraires des journaux, revues spécialisées, ouvrages (essais et poésie, principalement); la musique ou la théologie, ou encore, par exemple, la réflexion juridique ne sont guère envisagées. Il est vrai que l’ouvrage est né à propos d’une représentation couramment évoquée en France et en Suisse : le rôle joué par l’édition romande et plusieurs écrivains dans la publication, en Suisse, de nombreux articles et ouvrages provenant d’auteurs français, poètes souvent, engagés de façon plus ou moins déclarée dans la résistance au gouvernement de Vichy et à l’Occupant. Ce phénomène est évidemment resté au centre de la présente étude, mais celle-ci en interroge la portée, de façon critique. D’une part, cette rencontre serait restée un épisode, sans prolongement durable dans les relations culturelles franco-suisses. D’autre part, les auteurs estiment que l’engagement en Suisse romande aux côtés de cette résistance française aurait été l’affaire d’un nombre limité de personnes (la Suisse alémanique nourrissait une critique plus vive du nazisme), alors que les élites bourgeoises étaient en sympathie, jusqu’à la fin de la guerre et au delà, avec les idées et les goûts de la Révolution nationale-non sans quelques complaisances à l’égard de la collaboration extrémiste. Sur ces droites, il y eut des échanges, prolongés durant les années d’après la Libération (des écrivains français cherchent l’abri de la neutralité suisse), mais ils ne donnèrent pas naissance à un mouvement culturel influent. L’ouvrage, relativement technique, offre un vivant tableau des comportements en Suisse romande durant l’époque du conflit mondial.

Pierre Vallin, Etudes, Décembre 2003

 

La partie de la Suisse qui parle et écrit en français a toujours entretenu des rapports étroits et ambivalents avec la France, et ce, surtout dans le domaine des relations culturelles. Il est vrai que les intellectuels parisiens ont pu faire preuve d’une certaine condescendance à l’égard des milieux intellectuels de la Suisse romande. Bien des choses allaient changer avec la défaite de 1940 puis l’occupation de la France. L’étude de cette évolution fait l’objet de l’ouvrage « La province n’est plus la province », sous-titré: Les Relations culturelles franco-suisses à l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale (1935-1950). Se livrant à une analyse serrée des domaines de l’édition, de la presse, mais aussi des relations personnelles nouées entre des écrivains français et suisses, Alain Clavien, Pierre Marti et Hervé Gullotti dressent un panorama sans concessions de ses années difficiles. Alors que certains écrivains étaient heureux de pouvoir quitter Paris, d’autres trouvèrent une renommée sulfureuse en s’installant dans les locaux de l’occupant… Contrairement à ce qui avait pu se passer durant la Grande Guerre, cette période n’inaugura pas une nouvelle ère dans les relations culturelles franco-suisses; en fait, ce fut le contraire qui en découla: la coopération qui avait pu exister précédemment s’évanouit. Toute à la reconstruction de leur mémoire résistante, les milieux intellectuels parisiens eurent tôt fait d’oublier jusqu’aux soutiens que certains d’entre eux avaient pu recevoir en Suisse durant les années noires. Simultanément, la Suisse peina à dresser les constats qu’imposait une politique de neutralité non dépourvue d’ambiguïté. Très rapidement donc, dès 1946, l’on en revint à une situation de dépendance des milieux intellectuels suisses à l’égard de Paris. C’est ce chassé-croisé d’idées comme de personnes que cet ouvrage fouillé a le mérite de mettre en lumière.

Bulletin critique du livre en français, no 657, mars 2004

 

L’ambition de ce livre n’était pas modeste et la méthode judicieuse: tenter de définir la nature des échanges culturels entre la France et la Suisse et d’évaluer l’impact de la seconde guerre mondiale sur ces échanges en adoptant une chronologie assez large afin de ne pas enclaver la problématique dans l’événement de la guerre.

Avant la guerre, le tropisme est parisien et capte les intellectuels suisses romands. Il y a même une évidente asymétrie dans l’échange, Paris représentant une source de légitimation. Peut-être est-ce une raison pour laquelle la Suisse n’est pas une priorité dans la politique culturelle française à l’étranger. Le flux n’est cependant pas à sens unique. Des tribunes suisses prestigieuses accueillent des noms qui permettent « d’avoir de-ci de-là des vues autorisées venues du dehors ». Des professeurs français enseignent dans les universités suisses, des hommes de lettres viennent donner des conférences. À l’inverse, des Rastignac helvètes, poètes, écrivains, dramaturges « montent » à Paris. Cependant, rares sont ceux, qui deviennent des acteurs à part entière et ces échanges se déploient dans un milieu politiquement et socialement assez homogène, du moins pour ce qui concerne les coopérations les plus lisibles, les seules abordées ici.

La guerre bouleverse-t-elle les termes de l’échange? Du fait du rétrécissement de l’espace éditorial français consécutif à la défaite, certains regardent à présent la Suisse comme un recours et comme un espoir de gain supplémentaire. Du côté de la grande presse des libéraux-conservateurs, les réseaux de l’avant-guerre fonctionnent d’autant mieux que le vichysme est une culture partagée des deux côtés du Jura. Le seul changement, outre l’augmentation des tirages (jusqu’à l’automne 1942) et des signatures françaises, est la volonté, à l’instar du Journal de Genève animé par René Payot, de jouer sa partition sur un pied d’égalité dans la vie politico-intellectuelle de Vichy.

A partir de l’automne 1942 et de la radicalisation du régime de Vichy, cette sphère d’échanges se réduit au profit de la nébuleuse, minoritaire au départ, de ceux qui se veulent solidaires des réfractaires à l’ordre nouveau. Pour eux, la Suisse est un refuge. De nouveaux réseaux se constituent, liés aux circonstances. En Suisse, des figures apparaissent comme François Lachenal, totalement inconnu avant-guerre, ou Daniel Simond, correspondant suisse de Poésie 41. Ces hommes sont des passeurs de textes interdits, des médiateurs obscurs entre des mondes discrets, voire clandestins, qui communient dans un même refus de l’asservissement de la culture française.

C’est surtout dans le domaine de l’édition que ce combat du clair-obscur se joue. Des livres interdits en France sont publiés en Suisse (parfois clandestinement) et repartent discrètement en France. Des auteurs proscrits en France donnent, des articles qui paraissent anonymement. Les grandes plumes déchues de la France littéraire (Aragon, Éluard), qui trouvent ainsi un refuge spirituel, représentent une opportunité unique à saisir pour ceux qui souhaitent utiliser ces événements dramatiques pour restructurer l’espace intellectuel romand et faire naître la relève. Les termes de l’échange culturel sont à présent inversés: désormais la « province » d’outre-Jura devient une capitale de l’espérance et de la survie. Le champ littéraire suisse s’enrichit de tribunes nouvelles (comme la revue Traits), de maisons d’éditions (comme les Éditions des Portes de France qui publient la première biographie de De Gaulle), de nouvelles collections (comme « Le cri de la France » à la Librairie de l’université de Fribourg). Dans ce nouvel espace littéraire, la liberté d’expression est limitée par le principe de neutralité et par les mesures spéciales de temps de guerre. Les messages politiques des proscrits prennent souvent la forme allusive et cryptée de la poésie.

À la Libération, si les collaborationnistes en déroute peinent à être accueillis en Suisse, les anciens intellectuels vichystes retrouvent leur place dans les journaux libéraux-conservateurs. Si leur influence s’amenuise inévitablement, leur présence brouille l’image de la Suisse. Ce brouillage bénéficie à Paris, qui redevient un, centre de rayonnement intellectuel monopolistique autour de nouvelles figures. La Suisse perd son statut de foyer alternatif de culture et les rapports culturels avec la France retrouvent leur structure asymétrique. La guerre, ici, n’a pas réussi à constituer une ligne de partage. Les revues nées pendant le conflit mondial ne résistent pas à cette normalisation, perdant une bonne part de leurs lecteurs français. De leur côté, les intellectuels français semblent avoir oublié rapidement les liens d’amitié qui s’étaient forgés dans l’épreuve.

Si on peut regretter l’insuffisante prise en compte de la problématique identitaire romande (du moins pour un public français) et des milieux résistants, de la rapidité avec laquelle les politiques publiques ou les échanges d’étudiants sont traités, on doit saluer ce livre rigoureux, bien écrit et bien pensé, fondé sur les archives françaises et suisses souvent inédites, qui marquera l’historiographie des relations franco-suisses et constitue un modèle pour l’approche culturelle des relations internationales.

Robert Belot, Revue Vingtième Siècle, janvier-mars 2005.

 

Ce livre examine les relations entre les espaces politico-culturels suisse et français entre 1940 et 1946 et la réversibilité de leurs traditionnels rapports de force intervenue après la crise majeure de mai-juin 1940. Pour les quelques années de l’Occupation, les élites intellectuelles et politiques suisses francophones ont tenté de remettre en cause la domination culturelle française, de niveler l’ancienne hiérarchie qui établissait la Suisse dans un statut d’espace dominé et de « province » subordonnée à la capitale parisienne. L’un des signes les plus manifestes de ce renversement provisoire des hiérarchies culturelles fut, de fait, donné par la rapide progression des tirages, jusqu’en 1942 du moins, connue par les deux grands quotidiens de l’Helvétie francophone: La Gazette de Lausanne bondit de 12’900 exemplaires (1939) à 38’000 (1941), tandis que le Journal de Genève passa de 13’300 exemplaires (1939) à 61’300 (avril 1942) grâce aux nouveaux débouchés français. Ainsi, la force et l’intérêt que provoque cet ouvrage alertement rédigé résident dans ses deux partis pris d’enquête. D’une part, il croise deux grands axes, souvent dissociés: l’un, qui ressort de l’histoire de la diplomatie culturelle (rôle des conférences promues par les diplomates des deux pays, par exemple); et l’autre, d’une histoire des sociabilités intellectuelles franco-suisses avec leur tonalité idéologique et leurs principaux moyens d’action (les revues surtout). D’autre part, l’ouvrage, grâce à un riche travail d’archives réalisé concurremment dans les deux pays (notamment, pour la France, au Quai d’Orsay, à Nantes et Paris), met en miroir les politiques et stratégies menées par tous les acteurs suisses et français engagés dans cette nouvelle donne des relations culturelles bilatérales.

Et, en effet, la Suisse des années 1940-1944 fut parée, aux yeux de nombre d’intellectuels français, des vertus d’un pays de cocagne, providentiel relais de la pensée française contrainte à plusieurs titres, doublées par la réconfortante image d’une terre d’accueil pour les réfugiés et les vaincus des guerres idéologiques (du gaulliste Pierre-Jean Jouve aux vichystes René Gillouin, Bertrand de Jouvenel ou Paul Morand). Elle fut donc investie, en général, par des personnalités françaises soucieuses de s’assurer des rentrées de revenu, soit par le biais de conférences (Benjamin Crémieux, Pierre Emmanuel), soit par l’obtention de postes universitaires (Henri Guillemin), soit surtout par le truchement de collaboration régulière à de grands journaux (Edmond Jaloux et Francis de Miomandre au Journal de Genève) ou de publications éditoriales. En revanche, en dépit des efforts de la diplomatie culturelle suisse qui tenta de soutenir quelques tournées de conférenciers (Gonzague de Reynold) en France, les écrivains helvétiques ne parvinrent pas vraiment à conquérir dans l’Hexagone une meilleure situation. Parallèlement aux jours fastes vécus par la presse quotidienne suisse, les revues et maisons d’édition francophones se multiplièrent, fortes des propositions de collaboration lancées par divers écrivains français, et promises à une nouvelle rentabilité grâce à l’exportation, à l’image des Cahiers du Rhône (1941) d’Albert Béguin. Avec la mobilisation des liens de la sociabilité intellectuelle d’avant guerre, essentiellement le petit réseau personnaliste autour d’un Béguin et le plus large réseau conservateur autour d’un De Traz, trois milieux littéraires et politiques se constituèrent qui, bien que les autorités suisses aient interdit toute intervention politique ouverte, prolongèrent par-delà la frontière l’affrontement franco-français des années d’occupation. Le réseau libéral-conservateur devint le relais privilégié de l’idéologie vichyssoise; il lui revint d’ailleurs de lancer, dès l’été 1940, la fameuse querelle des « mauvais maîtres » dans le Journal de Genève, et d’accueillir par la suite au sein des pages littéraires de ses deux grands quotidiens, voire au sein d’une revue pourtant de plus en plus pro-allemande comme Le Mois suisse, les plumes d’écrivains maréchalistes et pétainistes (Jaloux, René Benjamin, Lacretelle, Gillouin). Le réseau des intellectuels proches de la Résistance française se constitua autour de maisons d’édition à l’instar des Editions des Trois Collines et des Cahiers du Rhône, et surtout de petites revues telles Traits et La Suisse contemporaine, les unes et les autres dotées de très bons contacts avec la France non occupée grâce, en particulier, au jeune diplomate helvétique François Lachenal qui fut l’un des passeurs essentiels entre des revues françaises telles Confluences, FontainePoésie et leurs homologues suisses; des numéros spéciaux furent publiés dont « Message français » aux Editions des Trois Collines et « 14 Juillet » (1944) de Traits, alors qu’inversement des numéros consacrés à la Suisse virent le jour aux Cahiers du Sud et à Confluences, signe de l’importance nouvelle acquise par l’Helvétie intellectuelle. Un dernier réseau, celui des intellectuels fascisants, permet de reconstituer le va-et-vient des Suisses « montés » à Paris pour participer pleinement à la collaboration (Georges Oltramare devient rédacteur en chef de La France au Travail, Le Cheval ailé. Or ce fut ce réseau des nostalgiques de Vichy et de la collaboration installés en Suisse qui prolongea, mais sur un terrain intellectuel bien marginal désormais, la situation de centralité suisse des années 1940-1944. Car, très vite, en dépit des graves problèmes matériels de l’édition française en 1944-1945, Paris recouvra sa prééminence et les intellectuels suisses (Béguin, par exemple) reprirent de nouveau le voyage en direction de la « capitale ». Le livre est peut-être un peu rapide sur certains épisodes de ce dénouement, et on aurait aimé un peu plus de détails, par exemple sur quelques-uns des conflits qui opposèrent la principale maison d’édition romande, La Baconnière (qui n’est, d’ailleurs, pas du tout abordée dans le livre), et ses concurrents français qui s’employèrent à la gêner de manière assez systématique. Il reste que ce livre demeure un beau travail d’enquête et de fine reconstitution des différents niveaux de la vie culturelle bilatérale entre France et Suisse qui servira incontestablement de référence (avant de jouer un rôle important à Radio-Paris), puis le reflux en catastrophe de tous ceux désireux d’échapper à l’Epuration et qui trouvèrent près du Léman, protection ouverte, cachettes et occasions de publication chez un éditeur tel

François CHAUBET, Revue Historique, TOME CCCVII/4, 2005.

 

La vie éditoriale de 39-45 exposée

LAUSANNE: Une exposition du Musée historique explore les relations entre intellectuels suisses et français durant la Seconde Guerre mondiale

« Contrairement à une opinion répandue, la Suisse n’a pas été très accueillante, entre 1939 et 1945, avec les écrivains qui dénonçaient la France de Pétain », explique Alain Clavien, professeur d’histoire à l’Université de Fribourg. Il est à l’origine de l’exposition qui s’est ouverte, hier, au Musée historique de Lausanne.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, les relations entre intellectuels français et suisses ont été étonnamment fluides. Les premiers, perdant toute condescendance, ont trouvé en Helvétie des possibilités d’expression et de travail disparues chez eux, alors que les seconds, oubliant leur complexe d’infériorité, ont collaboré sur un pied d’égalité avec les nouveaux venus. L’exposition s’inscrit dans le prolongement d’une recherche financée par le Fonds national suisse, concrétisée par la publication, en 2003, d’un livre-« La province n’est plus la province »-dont le titre exprime bien la surprise joyeuse des intellectuels suisses d’alors.

La guerre, une bonne affaire

A entendre Alain Clavien, ces derniers ne se sont pas spécialement distingués par un militantisme politique contre le régime de Vichy: « Les motivations étaient principalement matérielles et commerciales. Comme les grands journaux romands, la Gazette de Lausanne, par exemple, a profité des difficultés de la presse française censurée, pour vendre massivement en France. Afin d’augmenter son attractivité auprès de son nouveau public, le quotidien a publié de nombreux intellectuels français proches de Vichy. L’occupation de la zone sud par les Allemands a néanmoins cassé cette dynamique, la Gazette se ralliant à la Résistance et au gaullisme. » De plus, dès 1940, des intellectuels suisses, dont le Genevois Georges Oltramare, en mal de notoriété, ont tenté leur chance dans le camp de la collaboration avec les Allemands. « Il y a toutefois eu des courageux », souligne Alain Clavien. Parmi ceux-ci figurent les personnes qui se sont mises au service des poètes engagés. Animateur de la vie culturelle romande de l’entre-deux-guerres, Daniel Simond a joué un rôle important de passeur de textes pendant le conflit, en servant d’intermédiaire entre des Français engagés dans la résistance et des directeurs de revues romandes. De même, la Revue Traits, lancée par des Lausannois, s’est placée du côté de la Résistance, en dénonçant la France de Pétain. Ce qui lui a valu des ennuis avec les autorités vaudoises.

Claude Béda, 24Heures, 20 avril 2007.

 

A Lausanne, le Musée historique examine les allers-retours intellectuels entre Paris et Lausanne, durant la seconde guerre mondiale.

La guerre, une si bonne affaire

« La majorité des écrivains françaiss réfugiés en Suisse étaient proches de Vichy et auraient pu être publiés en France. » Ce constat fait par le professeur d’histoire Alain Clavien relativise la belle légende des intellectuels censurés chez eux entre 1939 et 1945 et que la Suisse a accueillis.

Au Musée· historique de Lausanne (MHL), l’exposition « Paris-Lausanne-Paris » traite des relations littéraires entre les Français et les Suisses romands pendant la Seconde Guerre mondiale. La situation était bien plus complexe qu’une mémoire collective soigneusement entretenue nous l’a suggéré. Après un livre qui est l’aboutissement de ses recherches, Alain Clavien en propose dans cette exposition une sorte de vulgarisation.

Appel d’air du marché

Pendant la guerre, la Suisse intellectuelle a certes hébergé et publié des résistants. Mais pas seulement. Ecrivains et éditeurs suisses ont surtout profité commercialement de l’appel d’air d’un marché français désorganisé et ont, pendant quelques années, traité d’égal à égal avec les intellectuels français auparavant méprisants.

Bien sûr, quelques Suisses courageux ont dès le début de la guerre pris le parti de la résistance. Ainsi, de la revue Traits, lancée en 1940 et très critique envers la « politique du Conseil fédéral ». Traits fait diffuser en France plus de cent intellectuels et résistants hexagonaux dont Pierre Emmanuel, Eluard, Seghers. Ainsi aussi des Editions Trois Collines, pour qui le diplomate François Lachenal faisait passer des manuscrits et qui a publié un livre interdit partout: Le silence de la mer de Vercors. Les recherches de Clavien ont aussi exhumé le travail de Daniel Simond, courageux passeur des textes de ses amis résistants.

Reste que la revue Traits a eu des ennuis avec les autorités suisses et a été lâchée dès 1945. C’est que, a découvert Alain Clavien, la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève, qui allaient contribuer à construire cette mémoire de la Suisse charitable pendant la guerre n’avaient aucun intérêt à valoriser un résistant de la première heure.

Il faut savoir aussi que les Editions Trois Collines, qui s’étaient établies en France à la fin de la guerre, y ont été snobées. D’autres maisons d’édition comme la LUF, Skira, la Baconnière, ont vu leurs tirages dopés pendant la guerre. Mais la LUF publiait aussi bien Jaloux que Seghers.

Dans l’expo, la vitrine la plus spectaculaire est consacrée aux mercenaires, soit les Suisses qui ont carrément mis leurs talents au service des nazis. Comme Georges Montandon, le médecin qui devint expert racial du régime et J.-H. Paquis qu’on entendait sur Radio Paris.

Entre ces extrêmes, des intellectuels qui dérivent comme les fondateurs du Mois suisse: au début de la guerre de droite et anticommunistes, ils deviennent au fil du conflit franchement pro-nazis. Dès 1941, les lecteurs suisses désertent cette revue soutenue par Gonzague de Reynold, mais elle est largement distribuée en France jusqu’en 1945.

A Lausanne, par amour

Dans l’autre sens, une vitrine ironise sur l’opportunisme de la Gazette de Lausanne et du Journal de Genève qui voient leur tirage dopé par le marasme de la presse française. D’abord prudents vis-à-vis de Vichy, les deux quotidiens invitent dès 1942 des « repentis » dans leurs colonnes et de plus en plus de résistants.

Dans cette tragédie, on est tenté de voir Edmond Jaloux en comique. Cet écrivain à succès arrive à Lausanne comme ambassadeur culturel de Vichy. Il se pose en defenseur de Ramuz, publie une douzaine de livres, est un critique littéraire écouté à Radio Lausanne. Ce n’est pas parce qu’il a quelque chose à craindre qu’il choisit de rester à Lausanne en 1942, mais parce qu’il apprécie le confort suisse. A la Libération, il reste. Et en 1947, il confie candidement qu’il s’est installé en Suisse par amour du lac…

Eliane Waeber-Imstepf, Le Courrier, 19 mai 2007.