Au foyer de l’inégalité. La division du travail en Suisse pendant la crise des années 30 et la Deuxième Guerre mondiale

Machine, machin, truc, chose: pour du féminisme avec objets

Bahar, Saba, Christe, Sabine, Fassa Recrozio, Farinaz, Kraus, Cynthia, Malbois, Fabienne, Natchkova, Nora, Schick, Manon, Schoeni, Céline,

2005, 144 pages, 13 €, ISBN:2-940146-56-X

Ces études historiques font la démonstration que la segmentation et la hiérarchisation du marché du travail ne reflètent pas des faits « naturels ». Il s’agit bien au contraire de l’effet de modèles culturels qui reposent sur des choix délibérés et surtout d’un long travail social de différenciation qui fait apparaître le statut inférieur des femmes comme la simple expression économique et sociale d’une réalité prétendument naturelle, car basée sur le biologique.

Format Imprimé - 28,00 CHF

Description

Ces études historiques font la démonstration que la segmentation et la hiérarchisation du marché du travail ne reflètent pas des faits « naturels ». Il s’agit bien au contraire de l’effet de modèles culturels qui reposent sur des choix délibérés et surtout d’un long travail social de différenciation qui fait apparaître le statut inférieur des femmes comme la simple expression économique et sociale d’une réalité prétendument naturelle, car basée sur le biologique.

Cette construction sociale ainsi naturalisée engage à chaque période historique de nombreux acteurs, mais ses résultats restent toujours ouverts. Si, dans la période étudiée, la division sexuelle du travail est certes maintenue à travers les évolutions conjoncturelles, les mutations sur le marché de l’emploi et la rationalisation des tâches, il aura fallu d’énormes investissements politiques pour produire ce résultat. En le reconstruisant, ces études de cas illustrent un aspect fondamental de la domination masculine.

Sommaire

Edito

  • Histoires d’objets (Farinaz Fassa, Cynthia Kraus, Fabienne Malbois)

Grand angle

  • Le devenir sujet et la permanence de l’objet (Geneviève Fraisse)
  • Objectiver les personnes, réifier les situations (Diane Lamoureux)
  • Objectification, pornographie et l’histoire du vibromasseur (Jennifer M. Saul)
  • L’objet=X. Nymphomanes et masturbateurs XVIIIe-XIXe siècles (Elsa Dorlin et Grégoire Chamayou)
  • « Your Body is a Battleground ». De quelques objets de l’histoire de l’art (Rachel Mader et Nicole Schweizer)

Champ libre

  • Publicité, dessins animés: quels modèles pour les filles? (Sandra Rieunier-Duval)

Parcours

  • Un parcours en contrepoint entre les sciences et les techniques, le féminisme et le genre. Entretien avec Madeleine Akrich (Farinaz Fassa)

Comptes rendus

  • Formations techniques et scientifiques: de la promotion des femmes à une politique institutionnelle de l’égalité? (Anne-Françoise Gilbert)
  • Quand l’égalité se heurte aux rôles sociaux de sexe. L’exemple de la campagne romande de Tekna (Nadia Lamamra et Magdalena Rosende)
  • Fragments d’une ethnométodologie du genre (Fabienne Malbois)
  • Raphaëlle Renken-Deshayes, « Miroir, mon beau miroir… » (Martine Chaponnière) 

Collectifs 

  • La Glasgow Women’s Library: plus qu’une bibliothèque « femmes » pour moi ! (Pat Crook)

Presse

Que se passe-t-il lorsqu’une historienne de Baltimore se penche en profondeur sur un vibromasseur? Jamais traduite en français, l’Américaine Rachel Maines s’intéressait à vrai dire aux travaux d’aiguille et de couture lorsqu’elle est tombée sur un exemplaire vintage de l’engin vibrant En feuilletant des magazines pour dames de 1906, la chercheuse découvre avec une stupéfaction certaine que l’objet s’affichait alors ouvertement entre les appareils ménagers et les instruments médicaux.

Consciente d’avoir atteint un territoire inexploré, Rachel Maine entreprend d’en faire l’histoire. Les vibrations électriques des simulacres phallique étaient utilisées, constate-t-elle pour soigner des femmes dites hystériques. Hystériques? Il suffit de creuser un peu pour voir que ce terme recouvrait les manifestations d’une excitation exacerbée par un désir réprimé ou inassouvi.

Comment soigner ces femmes? En provoquant un « paroxysme hystérique » via un massage génital administré par un médecin. Un orgasme, quoi. Etant donné l’origine du trouble, ça marche.

Fatigués de masturber leur patientes, les médecins du XVIIIe et XIXe siècle se tournent vers la technologie. Entrent en jeu les gerbes d’eau qui feront le succès des stations thermales, les machines à vapeur vibrantes, puis le vibromasseur électrique dès le début du XXe siècle. Puis la pornographie s’empare de la chose dans les années 20 et les médecins n’en parlent plus.

La dernière livraison de la revue romande Nouvelles Questions Féministes (Editions Antipodes) déterre tout cela sous la plume de Jennifer M. Saul, philosophe qui disserte là sur les liens entre pornographie et l’objetification des femmes. Le vibromasseur semble, lui, objectifier l’homme. Il nous tend ainsi un miroir qui nous plonge dans la perplexité.

Nic Ulmi, Tribune de Genève, 31 mars 2005.

Histoire : Avant d’être un jouet érotique, cet appareil a été utilisé dès 1880 pour soigner l’hystérie

Le vibromasseur a réjoui les médecins avant les femmes

Les femmes l’ont empoigné bien avant le fer à repasser. Avec la machine à coudre, la bouilloire, le ventilateur et le toaster, le vibromasseur est l’un des cinq premiers appareils électriques « domestiques » à faire son apparition dans les foyers. Au début du XXe siècle, les publicités pour ce « compagnon des femmes » occupent même régulièrement les pages des magazines les plus respectables.

Dérangeante et étonnante, l’histoire du vibromasseur est aujourd’hui exhumée par les féministes. La revue Nouvelles Questions Féministes (NQF), éditée à Lausanne, vient de compiler une série de textes visant à réhabiliter l’objet-et notamment le jouet érotique-dans la réflexion. Son dernier numéro, intitulé Machine, machin, truc, chose : pour du féminisme avec objets, lève un coin de voile sur le tabou encore pesant de la sexualité féminine.

Il faut remonter aux années 1880 pour trouver la trace du premier vibromasseur. A en croire l’Américaine Rachel Maines, une des rarissimes historiennes à s’être penchées sur la question, il aurait été imaginé et breveté par un médecin anglais. Le brave Joseph Mortimer Grandville destinait pourtant son invention à des stimulations musculaires sans aucun rapport avec le sexe. Mais, rapidement, ses collègues vont jeter leur dévolu sur l’engin pour s’épargner une corvée fastidieuse: le massage manuel des parties génitales féminines externes. Car c’est ainsi qu’à l’époque les spécialistes prétendaient soigner les femmes frappées d’hystérie.

Pour « soulager » les patientes 

Au terme du traitement, la patiente devait atteindre le « paroxysme hystérique »; en réalité, un orgasme clinique camouflé. Mais le massage du clitoris étant un art complexe, la thérapie s’avère souvent longue et rébarbative. L’arrivée d’un appareil produisant des vibrations régulières permet donc aux médecins de « soulager » leurs patientes en quelques minutes à peine.

« Le vibromasseur a été utilisé pour traiter l’hystérie dans un contexte où la sexualité était retenue, perçue comme sauvage et incontrôlable. Soigner signifiait donc discipliner » analyse Cynthia Kraus, philosophe, enseignante en études genre à l’Université de Lausanne et membre de la revue NQF.

L’arrivée du vibromasseur provoque une mini révolution dans les cabinets: l’hystérie féminine étant une maladie largement diagnostiquée, la demande explose parmi les médecins. Les fabricants flairent très vite le filon. Résultat: l’outil se perfectionne et se diversifie. Les premières machines sont plutôt grandes et encombrantes: actionnées par une pédale pour les plus rudimentaires, fonctionnant à l’aide de courant électrique, de batteries, d’un moteur à essence ou même de turbines hydrauliques.

La Rolls des vibros pour 200 dollars

Bois, caoutchouc, métal, une douzaine de modèles différents sont présentés à l’Exposition universelle de Paris en 1900. A cette époque, pour s’équiper, les praticiens déboursent de 15 dollars, pour un modeste appareil, jusqu’à 200 dollars pour la Rolls du genre, le Chattanooga Vibrator.

Les fabricants imaginent très vite des modèles portables plus légers et moins chers. Au début du XXe siècle, le vibromasseur devient un objet de consommation presque courante, dont les publicités envahissent les magazines les plus respectables. Le marketing cible directement les femmes et en fait un appareil aux vertus thérapeutiques et relaxantes incontournables.

Malgré le tabou de la masturbation et le poids de la morale, personne ne s’en offusque. Rappelons qu’à cette époque la bienséance exclut l’idée d’une sexualité féminine épanouie en dehors de la pénétration par l’homme. Et cela dans le cadre autorisé du mariage, évidemment. Le vibromasseur est alors destiné à un usage exclusivement externe. Clairement dissocié de tout acte sexuel, il n’adopte jamais la forme d’un pénis et reste donc socialement acceptable.

Mais, vers la fin des années 1920, l' »imposture » est démasquée. Le vibromasseur tombe dans l’opprobre général, après être apparu sous un jour bien peu thérapeutique… dans des films pornographiques.

Ce n’est que dans les années 1960 que l’objet, ouvertement érotique et débarrassé de toute étiquette médicale, refait surface sous forme phallique. Aujourd’hui, les gadgets sexuels destinés au plaisir féminin restent encore largement cantonnés aux rayons des magasins spécialisés , mais ils se démocratisent. C’est en tout cas l’avis de Mary-Claude Chatelan, vendeuse chez Erotik Markt à Rennaz (VD) où environ 65% de l’assortiment s’adresse aux femmes.

Elles n’ont que l’embarras du choix; vert pomme ou rose fluo, taillés en forme de pénis ou déguisés en canard de salle de bains, les vibromasseurs rivalisent d’originalité. Les femmes se désinhibent et les ventes s’emballent. « Elles osent désormais venir et choisir elles-mêmes, plutôt que de commander sur catalogue, se réjouit Mary-Claude Chatelan. Chez nous, elles peuvent voir et toucher la marchandise »

Sexualité plus riche que le coït

Combien parmi celles qui font leurs « courses » dans ce supermarché du sexe se doutent-elles qu’il fut un temps où la sexualité de la femme était associée à une maladie et son orgasme à une crise pathologique? Objet de répression, le vibromasseur apparaît au contraire aujourd’hui comme un moyen d’émancipation.

« Pour autant qu’on ne le prenne pas au pied de la lettre et qu’on ne le considère pas comme une copie diminuée du pénis! précise Cynthia Kraus. Mais le vibromasseur peut être considéré comme un élément libérateur, car il permet de réhabiliter la question de la masturbation féminine, qui reste extrêmement taboue. Et de refuser une sexualité uniquement tournée vers la procréation. »

Pour la philosophe, le vibromasseur permet surtout de se questionner sur la normalité hétérosexuelle: « Au départ, il y a cette idée de sexualité « naturelle », et donc reproductrice, qui doit se pratiquer sans objets. Or leur utilisation ne constitue pas un appauvrissement de la relation sexuelle. Avoir recours à un vibromasseur n’est pas une pratique réservée aux femmes seules ou perverses. Au contraire, c’est une façon de pour elles d’être actives, d’explorer de nouvelles formes de désir. On admet ainsi qu’il est possible de produire une sexualité plus riche que le simple coït. »

Geneviève Comby, Le Matin dimanche, 29 mai 2005.

Cynthia Kraus, Fabienne Malbois, Sara Bahar et Farinaz Fassa qui coordonnent ce numéro spécial de Nouvelles Questions féministes prennent le problème à bras le corps, si l’on nous permet l’expression, puisque les femmes se sont souvent plaintes de n’être considérées que comme des choses. Si leurs corps est convoité comme objet du désir des hommes, voir instrumentalisé, alors que peut dire le féminisme de l’objet? C’est cette curieuse question qu’explorent les auteurs de Machine, machin, truc, chose: pour du féminisme avec objet, dans une perspective résolument féministe, et d’un féminisme matérialiste qui sied à la revue. Si l’introduction pose le problème, c’est évidemment à partir des sujets attendus que se déploie le noyau dur du numéro, ceux de la pornographie et de l’objectivation des personnes, traités par Jennifer M. Saul, mais aussi à travers l’histoire du vibromasseur, dans la plus pure tradition de la culture de l’objet technique, ou encore à partir du problème philosophique de la réification des êtres, appréhendé par la philosophe Geneviève Fraisse. D’autres abordent autrement la question de la sexualité, que ce soit avec la nymphomanie et la masturbation ou encore en analysant les représentations sociales du corps dans les productions artistiques. Nous retiendrons surtout la contribution hors thème de Sandra Rieunier-Duval qui aborde un sujet important, et malheureusement rarement traité, à savoir la socialisation aux genres, par l’intermédiaire des modèles proposés aux petites filles dans la publicité et les dessins animés. Si le féminisme s’est souvent préoccupé des inégalités sociales réelles, il a peu investi la réflexion sur les effets des productions fictionnelles. Cet article, bien qu’assez orienté, alimente par conséquent une investigation nécessaire.

Bulletin critique du livre en français, no 672, juillet-août 2005