Néochamanisme maya

Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle

Farahmand Manéli,

ISBN: 978-2-88901-188-9, 2022, 400 pages, 29€

Illustré de plus d’une cinquantaine de photographies en couleurs, ce livre analyse, avec un regard affranchi des préjugés, les croyances millénaristes et les renouveaux chamaniques comme des mouvances identitaires sérieuses qui font preuve de créativité rituelle. 

Format Imprimé - 37,00 CHF

Description

Ce livre porte sur les chamanismes contemporains nés dans un contexte globalisé, plus communément désignés sous l’appellation néochamanisme. Le néochamanisme spécifiquement à l’étude ici fait référence à une spiritualité autochtone d’origine centraméricaine : la spiritualité maya. Partant d’un travail d’enquête ethnographique, cet ouvrage expose les résultats d’observations menées pendant six ans dans quatre pays (Guatemala, Mexique, Allemagne, Suisse). L’autrice apporte un éclairage original sur ces mouvances, en privilégiant une étude à partir des récits de vie, des trajectoires religieuses, du genre et de la mobilité.

La recherche soulève des questions actuelles, telles que l’empowerment des femmes, le rapport à la terre, la récupé­ration d’héritages anciens et les rituels contemporains. Elle s’adresse à tout public intéressé par le chamanisme moderne et les religiosités contemporaines.

 

Manéli Farahmand est docteure ès sciences des religions des Universités de Lausanne et Ottawa. Elle dirige le Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC), à Genève. Elle est également postdoctorante dans le projet Fonds national suisse (FNS) Religion and embodiment pour une habilitation à l’Université de Fribourg. Cet ouvrage est issu de sa thèse de doctorat, qui a reçu le prix 2019 de la Société académique vaudoise (SAV) avec la mention Lauréat de l’Université.

Postface de Stefania Capone.
Photographies de Laetitia Gessler et Olivier Gschwend.

Table des matières

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION

PARTIE I. CHANGEMENTS RELIGIEUX CONTEMPORAINS

1. DES MOUVEMENTS INDIGÈNES À LA RÉINVENTION DES TRADITIONS : CONTOURS D’UN NOUVEAU CHAMP DE LA RECHERCHE
Perceptions de la mayanité (Mexique/ Guatemala) : entre essentialisme et approches militantes
Des mouvements indigènes aux phénomènes néo-indiens
« Contacter le Maya en soi » : vers de nouveaux modes d’identification ?
L’approche transnationale dans le champ du religieux et du spirituel

2. LE CHAMP RELIGIEUX EN DÉBAT :
LA SPIRITUALITÉ, UN AVATAR DE LA RELIGION ?
Des religions aux nouvelles spiritualités

3. CONCEPTUALISER LA MOBILITÉ AU SEIN DU CHAMP RELIGIEUX

PARTIE II. L’ETHNOGRAPHIE EN CONTEXTE DE TRANSNATIONALISATION DU SPIRITUEL

4. MÉTHODES DE RÉCOLTE DES DONNÉES
Les enjeux de pouvoir dans l’ethnographie en milieux holistiques
Changer les politiques de l’enquête : l’ethnographie multi-site
Une proximité commune ressentie avec les « Mayas »
L’observation participante sur les terrains sensibles
La construction des corpus de données
La mise en récit de soi
Ethnographie et photographie : histoire d’une collaboration

PARTIE III. CAS D’ÉTUDE

5. APPROCHE COMPARATIVE DU PHÉNOMÈNE « 2012 » : SUISSE / GUATEMALA
Le phénomène « 2012 » en Suisse
Le champ religieux latino-américain
Le phénomène « 2012 » au Guatemala
Entre millénarisme postcolonial et sous-culture spirituelle : observations comparatives

6. ETHNOGRAPHIE D’UN NÉOCHAMANISME MAYA AU MEXIQUE
« 2012 » dans le néochamanisme mexicain
(Néo)-cosmologies mayas et trajectoires religieuses transnationales
Casa del Sol : un espace bien-être pas comme les autres
La matérialité des rituels comme marqueur de pouvoir
Expliquer les initiations au néochamanisme
D’une nébuleuse spirituelle à un nouveau mouvement religieux
Le néochamanisme : une expression de la vitalité religieuse mexicaine
Désillusions, anticolonialisme et imaginaires spatiaux
Le rituel multi-situé : le Nouvel An maya en Suisse alémanique
Syncrétisme vs quête de pureté
Essentialisme et performativité du genre
Quête spirituelle néochamanique et appropriations multiples

PHOTOGRAPHIES

7. VALORISATION DE LA MAYANITÉ AU PRISME DU GENRE ET DE LA MOBILITÉ
L’« acteur femme » en Amérique latine
Le genre dans les sociétés préhispaniques
« Guérir la Terre-Mère, guérir son féminin » : cosmovision maya et écoféminisme spirituel
Trajectoires plurielles, univers composites et dynamiques de genre

CONCLUSION : LA REVENDICATION D’UN HÉRITAGE ANCIEN

COMME LEVIER DE CHANGEMENT SOCIAL

POSTFACE DE STEFANIA CAPONE

BIBLIOGRAPHIE

ABRÉVIATIONS

Presse

Compte-rendu d’ouvrage de Magali Demanget

Il est avéré que les recherches sur les populations mayas d’hier et d’aujourd’hui forment un domaine classique et conséquent de l’anthropologie du Mexique indien. Mais l’ouvrage de Manéli Farahmand sur le néochamanisme maya se situe résolument à leur périphérie, en proposant de parcourir une «mayanité» dynamique et mobile, locale et globale. Point d’Indiens au sens anthropologique du terme, ni d’autochtones au sens politico-juridique dans cette étude, qui concerne en premier lieu des «Mayas de cœur». Il s’agit de prendre au sérieux les narrations en circulation et les pratiques rituelles multi-situées qui puisent leur inspiration dans le vivier d’antiques cultures mayas et dans les idées en vogue de mouvances dites «New Age». Plus précisément, il y est question d’un néochamanisme d’inspiration ethnique qui a trouvé un nouveau souffle à la suite du désigné «phénomène 2012», l’achèvement supposé de l’ère Maya le 21 décembre de cette année charnière. En lieu et place de la fin du monde censée succéder au terme du treizième b’aqtun (cycle) de l’antique calendrier, les néomayanistes prédisent une autre ère. Sur son horizon réenchanté, se projettent des utopies postmodernes, individuelles mais aussi sociétales, politiques, écologiques, cosmologiques, voire cosmo-galactiques. Les adeptes, généralement issus de classes moyennes supérieures, majoritairement des femmes, naviguent souvent entre l’Amérique centrale et l’Europe. Le lecteur est convié à la découverte de leurs parcours, de leurs engagements spirituels, des enjeux qui les motivent, des logiques qui orientent l’invention d’une «mayanité» aux multiples facettes.(…)

Compte-rendu complet de Magali Demanget à retrouver sur ethnographiques, le 14 juin 2023.

 

Le regard pluriel sur les religions

Tout d’abord la pudeur à parler de soi. Puis la sensibilité à dénouer ses racines iraniennes. Docteure de la Faculté de théologie et de sciences des religions et directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) depuis 2020, Manéli Farahmand porte en elle toute la richesse et la complexité de la mixité. Âgée de 36 ans aujourd’hui, la native de Téhéran migre en Suisse romande en 1989 avec ses proches. Au sein de ce cocon familial lettré, le thème de la religion, de son lien avec le politique et de l’appartenance au sens large, sont des sujets très discutés. «Nous avons grandi en Suisse dans une diaspora iranienne comprenant diverses minorités religieuses. Mon père est un scientifique, médecin. Proche du soufisme, ma mère est l’une des fondatrices de RECIF dans les an- nées 90, le centre de rencontres et d’échanges interculturels pour femmes migrantes. Très tôt, du fait de ce bagage, j’ai questionné l’interculturalité.»
L’actualité iranienne, née du soulèvement de septembre 2022 contre le régime des mollahs, rattrape ses recherches et ses réflexions : « Je suis partagée entre un espoir de changement grâce aux mouvements sociaux, une admiration du courage des femmes et de toute la jeunesse qui militent dans l’espace public et beaucoup d’inquiétudes et de tristesse vis-à-vis de l’appareil répressif ainsi que de la violence déployée pour réfréner ces mobilisations. Dans ce contexte, le religieux est un facteur répressif. » Manéli Farahmand n’occupe pas le poste de directrice du CIC par hasard. Fondée en 2002 dans le sillage du drame de l’Ordre du Temple Solaire (OTS), cette fondation privée d’utilité publique s’est donné la mission d’informer de manière neutre afin d’améliorer les connaissances sur les mouvements religieux en Suisse et d’en prévenir les dérives, s’il y en a: «Il ne s’agit pas d’étudier la religion de manière autonome ou isolée. C’est un objet qui interagit constamment avec son environnement culturel et politique.»

Avant d’en arriver là, Manéli Farahmand fait ses premiers pas à l’UNIL, à la Faculté des lettres, où elle brigue un Master en histoire contemporaine, puis un Master interfacultaire. Mais la chercheuse a la bougeotte. Dans le cadre de sa spécialisation sur les phénomènes religieux marginalisés, elle s’immerge sur le terrain du Chiapas, au sud du Mexique, pour une recherche anthropologique. De retour en Suisse, elle poursuit sa carrière sur le terrain, dans diverses ONG actives sur les droits humains. L’académique la rattrape. Le directeur de l’ONG qui l’emploie alors l’encourage à mener un projet de thèse sur les spiritualités autochtones. Manéli Farahmand se lance. Désormais titulaire d’un doctorat en cotutelle entre les Universités de Lausanne et d’Ottawa, pour lequel elle a reçu le Prix d’excellence de la Société Académique Vaudoise pour sa thèse baptisée Néochamanisme Maya. Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle (Éditions Antipodes), elle mène actuellement un post-doctorat au sein de l’Unité de sciences des religions du Département des sciences sociales de l’Université de Fribourg. «Mon travail est de vulgariser ces savoirs académiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Il ne sert à rien de rester dans l’entre-soi de la recherche. Ces connaissances scientifiques doivent servir la société.»

Article de Mehdi Atmani dans Allez Savoir en mai 2023.

Compte rendu dans Archives de sciences sociales des religions.

L’ouvrage de Manéli Farahmand – qui constitue l’édition abrégée de sa thèse soutenue en 2018 – nous livre une exploration originale du «néochamanisme maya» à travers une réflexion axée sur des questions de mobilités et de genre. Rédigé dans un style parfois contourné et parsemé de quelques anglicismes maladroits et de redondances, l’ouvrage se signale par sa très riche bibliographie – une cinquantaine de pages – et par un important cahier de photographies en couleurs de très belle qualité. Fruit d’une collaboration entre l’auteur et les photographes Laetita Gassler et Olivier Gschwend, ce cahier illustre la démarche ethno-photographique choisie par l’autrice, et sans doute aurait-il pu être davantage exploité au fil de l’analyse.

Mêlant observation participante, participation observante et récits de vie, l’ouvrage permet de suivre l’itinéraire de Farahmand entre la Suisse, l’Allemagne, le Mexique et le Guatemala, ainsi qu’entre différents courants du néochamanisme maya, incarné tantôt par des institutions, telle la Tradition Maya Solaire, tantôt par des individus – José Argüelles, Arcadio Salanic ou encore Gabriela Gomez. Il en résulte une mosaïque inévitablement partielle, tant le néochamanisme maya est hétérogène, mais suffisante pour interroger les dynamiques transnationales, politiques, culturelles et identitaires qui l’animent et intéressent l’autrice. La singularité de sa démarche apparaît aussi dans sa manière de distinguer les origines et les degrés d’implication des acteurs religieux et du «public» rassemblé, ce qui lui permet de montrer qu’au sein d’un même milieu convergent et se retrouvent une population «autochtone» et des «Occidentaux» dont les motivations, les espoirs et les enjeux sont très divers.

Dans une approche constructiviste, l’ouvrage, articulé de manière classique en trois parties (cadre théorique, méthodologie et cas d’étude), entend rendre compte de l’élaboration et de l’évolution d’une «spiritualité» contemporaine dans un contexte de «globalisation du religieux». Grâce à cette approche, l’autrice peut déployer une herméneutique extrêmement efficace. La réflexion qu’elle propose sur la «mayanité» est remarquable, inscrite dans les problématiques des mouvements indigènes, de la réinvention de la tradition et de la quête d’authenticité, superposant au principe «d’être maya» celui de «se sentir maya», dans une rhétorique émique d’une grande efficacité heuristique. On est plus réservé sur son usage de la notion de «néochamanisme». Sans doute l’autrice montre-t-elle bien en quoi celle-ci est la réinvention d’une tradition, mais on regrette, d’une part, les limites de la réflexion sur la notion même de «chamanisme», qui est tout sauf évidente dans ce contexte précis, et, d’autre part, une forme d’hésitation récurrente entre approches émique et étique. Au-delà du terme de chamanisme, l’absence d’un développement concret sur la «religion maya» se fait ressentir, dans la mesure où il aurait permis de faire davantage ressortir les problèmes que posent la dénomination et la composition des pratiques et des croyances décrites. En l’état, le rapport entre le «phénomène 2012», c’est-à-dire la prétendue «fin» du calendrier maya, et le (néo)chamanisme n’est pas toujours clair. Plus généralement, j’ai regretté que l’autrice n’accorde pas plus de place à la réflexion sur la terminologie : qu’est-ce qui sépare le «néo-ésotérisme» de l’ésotérisme proprement dit, quel usage pertinent peut-on faire, dans le cadre de l’enquête, de l’expression «post-moderne» ?

Quant au terme de «New Age», défini trop rapidement par l’entremise du seul Steven J. Sutcliffe, il aurait mérité une approche plus fine, tant il se révèle fondamental au fil des pages. Il apparaît en effet régulièrement, mais souvent sous sa forme adjectivale, pour qualifier des «langages», des «inspirations», des «éléments», ou bien encore des «types» au sein du néochamanisme, sans que soit toujours clairement précisé en quoi ce qu’il désigne relève précisément du New Age. D’une manière générale, l’autrice utilise peu les travaux de Colin Campbell et Wouter J. Hanegraaff, pourtant cités l’un et l’autre. La description par le premier du fonctionnement du Cultic milieu est pourtant d’une grande aide pour comprendre le milieu du néochamanisme, les prolongements proposés par le second éclaireraient la différence entre Cultic milieu et New Age et, par conséquent, celle qui sépare le néochamanisme maya du même New Age, si tant est que se justifie une distinction entre les deux. Cette construction théorique aurait aussi ajouté une dimension sociologique à la notion de seekers employée dans le livre pour nommer les «agents» observés, sans en proposer de réelle définition.

La distinction proposée par l’autrice entre un New Age qui s’achèverait vers la fin des années 1980 et le «post-New Age» qui aurait suivi, fondée sur le seul critère de la monétarisation, néglige le fait que, dès ses origines, le New Age présentait une dimension commerciale importante. La «fin» du New Age – ou plutôt son évolution – ne peut se résumer à cette dimension et implique à la fois des éléments idéologiques plus fondamentaux, notamment le passage d’une «philosophie du nous» à une «philosophie du je», et une analyse plus nuancée du «tournant» des années 1980. Il n’en demeure pas moins que la dissolution du New Age dans un «marché spirituel mondial», expression empruntée à Hildegarde van Hove, décrite par l’autrice, ne manque pas de pertinence et que son étude en est une démonstration très convaincante.

Tout aussi convaincante est la description des réseaux internationaux du néochamanisme maya et de leur insertion dans d’autres réseaux spirituels, ce que suggérait déjà Colin Campbell en 1972. Au-delà des évidentes questions des influences réciproques entre le néochamanisme maya et d’autres spiritualités et des problèmes d’authenticité, de pureté et de syncrétisme qu’elles posent et que l’autrice explicite très clairement, on voit des discours néochamaniques à géométrie variable et relatifs à des problématiques très différentes en fonction des lieux et des temporalités. Les récits de vie et les biographies reconstituées permettent de mettre en avant le lien structurel entre spiritualité, politique et quête identitaire. L’autrice montre aussi comment le néochamanisme maya, s’il peut perpétuer certaines structures, fonctionne aussi comme un espace fluide, ouvert à la renégociation des rôles, notamment en termes de genre. Les récits de vie mettent en évidence la complexité de trajectoires individuelles marquées par des «ruptures». Tous les seekers présentent leur vie comme un mouvement, tant intellectuel que physique, puisqu’il s’agit aussi de se déplacer en «terre maya», vers le néochamanisme. Tous parlent aussi d’événements clés à l’origine de modifications dans les trajectoires, vécues sur le mode de la «prise de conscience». On mesure alors l’importance des trajectoires individuelles dans la «globalisation» du néochamanisme, ce que l’autrice met en évidence dans son étude du rituel du nouvel an maya, mis en œuvre simultanément en différents points du globe grâce à Internet et auquel elle assiste depuis la Suisse, alors que l’événement est organisé depuis le Mexique.

Au total, en dépit des réserves qu’il suscite parfois et au-delà de la seule découverte d’un champ de recherche encore relativement méconnu du monde académique, cet ouvrage se révèle intellectuellement très stimulant, d’une part pour penser les nouvelles spiritualités contemporaines dans un contexte de modernité tardive et, d’autre part, pour affiner notre compréhension du post-New Age.

Compte rendu de Damien Karbovnik, dans Archives de sciences sociales des religions, 200, mis en ligne le 31 décembre 2022.

Interview de Manéli Farahmand dans l’émission RTS Tribu:

Il existe un chamanisme contemporain, qui sʹappuie sur des traditions anciennes, tout en abordant des questions contemporaines. Qui le pratique? Dans quel but? En quoi ce chamanisme se différencie-t-il de ses ancêtres? Que propose-t-il? Pour en parler, Tribu reçoit Manéli Farahmand, docteure ès sciences des religions des Universités de Lausanne et Ottawa. Elle dirige le Centre intercantonal dʹinformation sur les croyances (CIC), à Genève. Elle publie « Néochamanisme maya. Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle » aux éditions Antipodes.

À écouter sur le site de la RTS avec ce lien.