Jeux de miroir

Réflexions sur MSF et l’action humanitaire

Abu-Sada, Caroline,

2013, 142 pages, 18 €, ISBN:978-2-88901-085-1

Quelles sont les questions éthiques qui se posent dans l’aide humanitaire? Quel est l’impact réel des groupes humanitaires? Issu du Projet perception, une étude menée durant 4 ans dans 10 pays, cet ouvrage donne des clés pour comprendre l’action humanitaire et son environnement aujourd’hui. Il approfondit les questions posées dans la recherche précédemment publié par MSF, Dans l’oeil des autres, paru en 2011.

Format Imprimé - 22,00 CHF

Description

Quelles sont les questions éthiques qui se posent dans l’aide humanitaire? Quel est l’impact réel des groupes humanitaires? Médecins Sans Frontières a cherché à répondre à ces questions dans le cadre du Projet perception, une étude qui a duré quatre ans et qui a été menée dans plus de dix pays. Près de 7’000 personnes ont été interviewées afin de comprendre les façons dont les patients, les populations, les autorités et les communautés perçoivent les principes et les pratiques médicales de MSF. Bien que la qualité de son action médicale soit reconnue, MSF se bat avec la capacité de réaction aux crises, la sécurité de ses équipes et le développement d’interactions efficaces avec des populations et des autorités diverses.

Ce livre est une série de réflexions sur le Projet perception qui présente les points de vue et les analyses d’auteurs issus de disciplines variées telles que la communication, l’éthique, la médecine, les études humanitaires et les sciences politiques. À une époque où l’aide humanitaire fait l’objet d’une surveillance accrue, cet ouvrage apporte un éclairage sur la façon dont MSF peut mieux servir ceux qui se trouvent dans le besoin.

Table des matières

I. Perception de MSF en tant qu’organisation

  • Inverser les points de vue: le projet MSF sur la perception (Caroline Abu-Sada et Khurshida Mambetova)
  • Aux frontières de la perception: les principes humanitaires en action (François Cooren et Frédérik Matte)
  • L’épidémie de saturnisme au Nigeria: le rôle de la mondialisation néolibérale et les défis éthiques de l’action humanitaire (John D. Pringle et Donald C. Cole)

II. Perception des défis rencontrés par les acteurs humanitaires

  • La déontologie des activités cliniques occidentales est-elle applicable aux contextes de l’aide humanitaire à l’étranger? (Lisa Schwartz, Matthew Hunt, Chris Sinding, Laurie Elit, Lynda Redwood-Campbell, Naomi Adelson, Sonya De Laat, et Jennifer Ranford)
  • Programmes, impacts et relations: le lien entre la perception et la sécurité humanitaire (Larissa Fast)
  • La professionnalisation de l’action humanitaire (Kirsten Johnson)
  • Conclusion. Le visage de l’avenir – Un essai sur les défis humanitaires (Peter Walker)

Presse

Dans la revue Humanitaire

Depuis la fin de la décennie 1990, la plupart des États occidentaux ont modifié leur doctrine militaire en incorporant l’aide humanitaire dans les missions de leurs forces armées. La dénomination de « guerre humanitaire », utilisée pour la première fois au Kosovo en 1999, fait désormais partie intégrante de la rhétorique des gouvernements afin de conférer une légitimité à leurs engagements militaires. Forces armées et ONG humanitaires évoluent donc de plus en plus simultanément sur un même terrain d’intervention engendrant des risques de confusions de leurs mandats dans l’esprit des bénéficiaires. Or, pour s’exercer dans la sécurité, l’action humanitaire a besoin de la confiance des populations civiles en garantissant son impartialité, sa neutralité et son indépendance vis-à-vis des parties en conflit. Il est donc cruciale pour les ONG de s’assurer que leur volonté et leur stratégie d’action produit l’effet escompté.

C’est dans ce contexte de remise en question de l’action humanitaire et de l’insécurité grandissante de son personnel, qu’MSF Suisse a lancé en 2007 son Projet Perception. Pendant quatre ans, des évaluateurs ont interrogé les bénéficiaires de projet portés par MSF dans dix pays pour recueillir leur point de vue et impression et ainsi permettre à l’organisation de faire un bilan de ses actions.

Dans ce livre réflexions, Caroline Abu-Sada et son équipe de chercheurs nous offrent ainsi des synthèses de ce Projet développant les résultats d’études de perception des actions de MSF mais aussi de l’action humanitaire dans son ensemble.
Le lecteur devient ainsi témoin des réflexions des praticiens de l’humanitaire sur les évolutions de leurs actions et les défis auxquels ils sont confrontés au quotidien. Chaque membre de l’organisation est porteur de son image globale mais celle-ci est-elle perçue de la façon escomptée par les bénéficiaires des projets? Quelle est l’image réellement renvoyée par MSF sur le terrain ? Les bénéficiaires perçoivent-ils la différence entre les différents acteurs présents? Tant de question nécessaire à l’amélioration des programmes pour répondre toujours davantage aux besoins des populations.

Mais ce livre va plus loin et se penche également sur des questions qui fâchent en réfléchissant sur la nature même de certaines actions: les ONG, en intervenant à la place de l’état ne contribuent-elles pas à un désengagement de plus en plus important de celui-ci au détriment des populations sur le long terme? Lorsque MSF soigne l’épidémie de saturnin au Nigéria, n’est-elles pas l’instrument des états et des grandes firmes multinationales dans un monde globalisé et une économie de marché? L’éthique et la déontologie sont-elles les mêmes dans toutes situations? Quelles sont les difficultés déontologiques rencontrées par un médecin humanitaire? Qu’est-ce que la professionnalisation de l’humanitaire? Autant de questions auxquelles ce livre apporte une contribution pertinente et poussée.

Un livre très intéressant au cœur des questionnements brulant de l’action humanitaire d’aujourd’hui qui intéressera les professionnels de l’humanitaire mais pas seulement…

Marion Oudar, Humanitaire, no. 37, mars 2014, p. 112-113

L’humanitaire en question

Médecins sans Frontières s’interroge sur les modalités de son action et sur la perception de celle-ci dans l’opinion publique.

Toutes les ONG sont appelées aujourd’hui à s’interroger sur elles-mêmes. C’est notamment le cas de Médecins Sans Frontières, l’une des plus connues d’entre elles. Rappelons que MSF a été créé en France en 1971, que l’organisation a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1999, qu’elle travaille aujourd’hui dans plus de 60 pays et emploie près de 27’000 personnes. Un livre récemment paru traite de ces interrogations. Par exemple: aide d’urgence ou à long terme? Faut-il accepter ou non des escortes armées dans des contextes particulièrement dangereux? Comment répondre aux situations de détresse morale du personnel humanitaire engagé dans l’action, détresse due à leur sentiment d’impuissance devant l’énormité des besoins en santé? Est-il conforme à la déontologie, en cas d’extrême urgence, d’aller outre ses compétences médicales, pour pratiquer par exemple une césarienne, sans expérience de cette intervention chirurgicale? Comment être efficace, tout en respectant les règles culturelles locales selon lesquelles, au Soudan du Sud et ailleurs, il est inapproprié pour les jeunes, en particulier le personnel féminin, de donner des instructions ou des ordres aux ainés? Faut-il professionnaliser encore davantage l’action humanitaire? Etc. De nombreuses questions sont donc posées dans ce livre, issu d’un colloque qui s’est tenu à Montréal en 2011.

Les différentes communications contenues dans cet ouvrage sont d’intérêt variable. Telle ou telle se complaît dans le jargon académique des sociologues. L’une d’entre elles cependant, rédigée par John D. Pringle et Donald C. Cole, se révèle particulièrement intéressante. Quelles sont les causes de l’épidémie de saturnisme (intoxication par le plomb), qui a des effets dévastateurs dans le Nord du Nigeria (40% des enfants décédés dans le même village)? Cela alors même que le pays, premier producteur de pétrole africain, et occupant le 11e rang sur le plan mondial, est l’un des plus riches de l’Afrique subsaharienne. Ces chiffres occultent cependant le fait que le Nord du pays affiche des taux de pauvreté entre 60% et 80%. En raison de la baisse du prix des exportations agricoles, les villageois du Nord, pour survivre, sont prêts à extraire et à transformer l’or de façon artisanale. Or le minerai contenant cet or a une très haute teneur en plomb. Des analyses observent donc chez les villageois des concentrations très élevées de 109 à 370 microgrammes par décilitre de sang, alors que chez un enfant une concentration de 10 microgrammes est déjà considérée comme anormalement élevée, et celle de 100 mortelle.

Au-delà de ce cas particulier tragique, c’est toute l’économie mondialisée qui est mise en cause par les auteurs. Ceux-ci reprennent certains aspects des travaux de Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’économie (notamment Globalization and lts Discontents, 2003). Il a montré que les institutions financières telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC « favorisent systématiquement les intérêts des pays les plus industrialisés aux dépens de ceux des pays en développement. » Par exemple, la hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine a fait passer la dette du Nigeria de 9 à 29 milliards de dollars. Quant à la récente crise financière mondiale, elle a réévalué le prix de l’or. Elle a donc poussé les villageois du Nord du Nigeria à accroître par son extraction les maigres revenus que leur fournissait l’agriculture de subsistance, celle d’exportation voyant, elle, ses prix baisser. En résumé, comme le disent les auteurs, « la mondialisation libérale ne fait pas bon ménage avec la politique mondiale de santé publique. » Le cas du Nigeria en fournit un exemple particulièrement révélateur.

Enfin, une question fondamentale se pose aux ONG, qui se sont multipliées depuis les années 1980, sous le régime néolibéral: « Lorsqu’elle répond à une catastrophe telle que l’épidémie de saturnisme, MSF appuie involontairement la politique néolibérale d’austérité économique à l’égard du système de santé, en palliant les conséquences de cette politique (…), l’aide humanitaire est comme une feuille de vigne, elle permet de masquer l’absence d’action politique ». Y aurait-il complicité objective des ONG? Mais d’autre part, peut-on laisser les gens mourir, parce que les institutions financières internationales et les Etats ne se préoccupent pas de leur santé?… Ce petit livre – qui intéressera certes au premier chef les personnes travaillant dans les institutions humanitaires – pose donc un certain nombre de questions brûlantes d’actualité.

Pierre Jeanneret, Gauchebdo, 28 septembre 2013